Littérature comparée : James Ellroy / Enid Blyton

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La proximité entre les œuvres des deux plus grands écrivains du XXème siècle que sont Enid Blyton et James Ellroy est à ce point évidente que personne ne s’est donné la peine de réellement l’analyser. Beaucoup ont parlé de plagiat et se sont arrêtés là mais les écrits d’Ellroy sont davantage des hommages à la papesse du thriller policier réaliste que de simples copies.

« Papesse ? Comment ça papesse ? »
~ Un lecteur surpris à propos de l’utilisation du qualificatif « papesse » pour paraboler Enid Blyton

Et oui, il est souvent nécessaire de le rappeler, mais Enid Blyton, comme bite ou verge, est de genre féminin. Les milliers de fans qui ont prénommé leur premier fils Enid en hommage à la romancière en sont pour leurs frais. Sorte de mélange improbable entre Michel Blanc et Hilarion Lefuneste, James Ellroy est lui bien de genre masculin, comme vagin ou utérus. Tant pis pour ceux qui ont prénommé leur fille James. Cela prouve en tout cas que James Ellroy n’a pas tout pompé sur Enid Blyton.

Des univers sombres

Le Los Angeles sordide des années 50 parfaitement décrit par Ellroy

Comme au théâtre, les romans d’Ellroy et Blyton sont intimement liés à l’unité de lieu. Miniville pour Blyton, Los Angeles pour Ellroy. Deux scènes desquelles les héros ne sortent presque jamais, si ce n’est pour mieux y revenir, comme s’ils y étaient attachés par des élastiques funestes. Deux villes tenues par la pègre, rongées par la corruption et dans lesquelles le crime est le pain quotidien. Et au sein de ces univers en vases clos, on retrouve systématiquement des lieux symboliques, sortes de jalons qui nous permettent de suivre chaque roman comme une nouvelle aventure totalement inédite et originale sur un chemin pourtant déjà connu. Voici quelques-uns de ces lieux.

La maison du héros

La maison partagée par Blanchard et Bleichert, les deux héros du « Dahlia Noir » ou encore l’appartement de Hopkins dans « Lune Sanglante » sont des références évidentes à la maison de Oui-Oui imaginée par Enid Blyton. Mêmes couleurs neutres, même voisinage sordide, l’un pourrait habiter chez l’autre et réciproquement.

Là où règne la Loi

Le poste de police est toujours la plaque tournante des romans d’Ellroy. Les héros étant toujours des flics qui y passent plus de temps que dans leurs foyers. Le lecteur s’y retrouve projeté en permanence avec un réalisme incroyable, ressentant la moiteur des chemises trempées par la sueur suintant des aisselles réchauffées par le frottement du cuir des holsters sur la peau pourtant habituée à pire des policiers en faction. Bien que n’étant pas policier, Oui-Oui, se retrouve également plus souvent qu’à son tour dans ou à proximité de la maison de Monsieur le Gendarme, le représentant inexpugnable de la Loi lié à presque toutes les aventures du pantin. Mais il est rarement question de sueur.

Les lieux de perdition

Tripots cachés à l’arrière de bars miteux, studios de cinémas clandestins où se tournent des films X à petit budget, bordels de luxe ou défraîchis, les enquêtes menées par les héros Ellroyliens ne sentent jamais la rose. Chaque endroit est pire que le précédent et nous entraîne dans des horreurs abyssales et pourtant réalistes. Des lieux là encore largement inspirés de ceux décrits par Enid Blyton. Le kiosque de Mélissa, la maison de Mirou, le jardin de M. et Mme Bouboule nous font parfois tutoyer les portes de l’enfer, la romancière étant parfois à la limite de la démesure.

Des héros atypiques

Oui-Oui cache une grande détresse psychologique derrière une apparente jovialité

C’est au niveau des personnages qu’Ellroy se distingue le plus de son modèle. Alors que Blyton fait appel à des héros récurrents (Oui-Oui, le Club des 5, Jojo Lapin…), l’écrivain américain préfère lui s’intéresser à des modèles de héros différents. Du moins le fait-il croire. Car à part le nom, l’aspect, les qualités, les défauts, l’intelligence, la force, le niveau de corruption et le sex-appeal, tous les héros d’Ellroy sont formés sur le même moule : le flic.

Mais l’idée de base entre les deux reste la même : c’est l’image du justicier qui prédomine. Les moyens employés pour parvenir à résoudre une affaire sont souvent à la limite voire au-delà (notamment dans « White Jazz » d’Ellroy ou dans « On a volé la voiture de Oui-Oui » de Blyton) mais la fin justifie systématiquement les moyens, et tant pis pour la morale.

Les personnages secondaires

Dagobert : personnage à la fois central et accessoire du Club des cinq

Les deux romanciers attachent beaucoup d’importance au côté psychologique de leurs personnages, y compris ceux qu’on pourrait considérer de second plan. Ainsi on connaît presque tout de la vie et des aspirations du procureur ou du chef de la police de « L.A. Confidential ». Mais là encore, Blyton possède l’avantage sur Ellroy de pouvoir aller encore plus en profondeur dans la connaissance de ses personnages en ayant toujours recours aux mêmes protagonistes. Potiron, Mme Laquille, M. Dumbo chez Oui-Oui ou Dagobert dans le Club des 5 deviennent des intimes du lecteur qui à force de les côtoyer semble connaître tous leurs secrets. Et pourtant au fil des tomes, Blyton parvient encore à nous surprendre quand elle nous apprend par exemple dans « Oui-Oui part en pique-nique » que Potiron n’aime pas les fraises de bois ou dans « Oui-Oui goûte chez Mirou » que Mirou aime bien préparer des gâteaux pour le goûter.

Les « bad guys »

On retrouve dans les deux œuvres deux catégories de méchants : les méchants vraiment méchants qui ne reculeront devant aucun méfait pour faire régner la terreur à Los Angeles ou Miniville et les méchants à moitié méchants dont on sent qu’il ne faudrait pas beaucoup les pousser pour qu’ils partent en quête de rédemption.

Parmi ces derniers, il est difficile chez Ellroy de mettre en avant un personnage de ce type plus qu’un autre car ils tapissent littéralement les pages du romancier dans chacun de ses livres. On peut tout de même citer Bud White dans « L.A. Confidential », un flic désabusé et ultraviolent mais qui au contact d’une call-girl de luxe va demander à la vie une seconde chance. Un parcours qu’on peut mettre en parallèle avec l’archétype du vrai-faux méchant imaginé par Blyton : Nestor Bouboule. A chaque fois qu’il apparaît dans une des aventures de Oui-Oui, il fait une grosse bêtise comme arroser le kiosque de Mélissa ou repeindre la maison de M. Lapompe en rose. Mais au contact de cautions morales tels Potiron ou Monsieur le Gendarme, Nestor Bouboule s’amende systématiquement. Il est toutefois probable qu’il souffre de schizophrénie car malgré ses promesses réitérées de se tenir sage, il ne peut s’empêcher de recommencer ses bêtises.

Mais ce sont bien les véritables méchants qui font tout le sel des histoires imaginées par les deux romanciers. L’inoubliable Dudley Smith qu’on retrouve à plusieurs reprises dans ce qu’on appelle le « Quatuor de Los Angeles » est d’une infinie cruauté, cruauté mise en contraste par l’auteur quand on retrouve ce flic d’origine irlandaise dans son cercle familial au milieu de ses 6 filles (en plus d’être particulièrement retors, il est apparemment irlandais catholique et n’a jamais entendu parler de contraception).

Ils sont prêts à tout pour faire le mal

Et pourtant Dudley Smith est presqu’un agneau comparé aux deux véritables méchants des histoires de Oui-Oui : Sournois et Finaud. Toujours en quête d’un mauvais coup, même gratuit, ils n’ont de cesse de mettre la pagaille dans la communauté pourtant paisible de Miniville. Il faut que Oui-Oui déploie toute son astuce et tout son courage pour parvenir à contrecarrer les plans diaboliques des deux génies du mal ; il peut heureusement aussi compter sur l’aide de ses amis. Le pire, c’est que Sournois et Finaud semblent avoir poussé le concept de corruption à son paroxysme. Certes, ils sont le plus souvent appréhendés par Monsieur le Gendarme et finissent dans une geôle humide pleine de champignons (ou plutôt construite à base d’un champignon) mais dès l’épisode suivant, ils sont inexplicablement relâchés, comme si la Loi n’avait pas d’emprise sur eux.

Les femmes

La femme de Monsieur de Gendarme n'apparaît presque jamais dans les romans de Oui-Oui

Un peu à l’image des aventures de Tintin ou des œuvres du Marquis de Sade, le rôle de la femme dans les œuvres de Ellroy et Blyton est souvent en retrait. On est clairement dans un monde d’hommes. Pour autant, certains personnages clefs sont des femmes.

Chez Ellroy, la plupart des victimes de meurtres sont des femmes, la plupart des putes sont des femmes et la plupart des connasses sont des femmes. On sent qu’il aime les femmes.

Chez Blyton, la femme est toujours présente en filigrane. Mais pas toujours à son avantage. Mirou, dont Oui-Oui est secrètement amoureux, le mène en bateau et fait semblant d’entretenir une relation plus ou moins suivie avec M. Lapompe (le nom n’est évidemment pas choisi au hasard). Mélissa, commerçante et à ce titre notable très en vue de Miniville ne se laisse pas marcher sur les pieds et semble gérer en sous-main une affaire de trafic de bonbons à la fraise grâce à un réseau qui s’étend au-delà des frontières du pays des jouets. Mme Bouboule tient son mari en respect, ce dernier devant vaquer à de nombreuses tâches ménagères normalement dévolues à une représentante du sexe faible. Quant à Mme Laquille, elle s’occupe très mal de ses nombreux rejetons. C’est d’ailleurs étonnant qu’Enid Blyton, en tant que femme elle-même, malmène autant ses congénères dans ses propres histoires.

Le style littéraire

Chez les deux romanciers les histoires sont bâties selon la même trame : d’abord un crime, généralement horrible, puis la mise en avant du ou des personnages principaux, les raisons de leur implication dans le crime et les moyens à disposition pour le résoudre. Le procédé narratif est également très proche chez les deux auteurs. Peu de flash-backs, beaucoup de dialogues, notamment chez Blyton qui utilise très peu de description, et des mots simples mais percutants. Voici deux exemples qui montrent le parallèle évident entre les styles d’Ellroy et Blyton :

James Ellroy

…Il y avait là des réfugiés du Dust Bowl et leurs gamins adolescents. Il y avait là des pachucos coiffés en queue de canard, vetus de chemises sir Guy et de pantalons de toile Kaki au bas fendus. Les bouseux de l'Oklahoma haïssaient les espingos de la même manière que les vieux cow-boys haïssaient les indiens…

(extrait de « Ma part d’ombre »)

Enid Blyton

Oui-Oui : Bonjour Potiron, comment vas-tu aujourd’hui ?
Potiron : Bonjour Oui-Oui, je vais très bien merci ! Quelle belle journée nous avons !
Oui-Oui : C’est bien vrai. J’espère que Sournois et Finaud ne préparent pas un mauvais coup.
Potiron : Je ne sais pas mais j’ai vu Nestor Bouboule en train de creuser un trou dans le jardin de M. Souriceau
Oui-Oui : Oh ! Mais il ne retiendra donc jamais la leçon. Je me demande s’il n’est pas un peu schizophrène.

(extrait de « Une nouvelle bêtise de Nestor Bouboule »)

La ressemblance entre les deux est frappante.

Les adaptations cinématographiques

Un rôle sur mesure pour Robert De Niro

Les romans de Blyton ont toujours eu la réputation d’être inadaptables à l’écran. Pourtant beaucoup de cinéastes, dont certains de premier plan, s’y sont frottées les dents. L’une des adaptations les plus réussies est celle de Martin Scorsese de « Oui-Oui achète un parapluie » que le génial réalisateur a préféré rebaptiser « Les affranchis ». L’univers noir de Blyton y est parfaitement retranscrit et Robert De Niro nous livre une interprétation remarquable de finesse. Mais les rôles secondaires ne sont pas mal non plus, notamment Joe Pesci impressionnant dans le rôle sur mesure de Finaud qui lui valut un Oscar bien mérité.

"Je fais tout ça les doigts dans le nez"

Plus contemporain, Ellroy est pour sa part davantage impliqué dans l’adaptation cinématographique de ses œuvres. Mais ses romans, beaucoup moins fouillés que ceux de Blyton, sont parfois un peu trop simplistes et il est rare que cela donne des films réellement intéressants sur le plan de l’émotion et du suspense. On citera tout de même « Un gros poutou sur la joue » de Sydney Pollack, adapté d’American Tabloïd ou encore « Mon curé chez les nudistes » de Max Pecas tiré de « Un tueur sur la route ».


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