USA ROCKS!

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Je descendais la Troisième Rue d'un pas nonchalant, sans but précis, en essayant de retrouver les paroles d'un morceau particulièrement entraînant du groupe Police, quand un petit reflet accrocha mon regard. Je m'accroupis et entrepris d'examiner attentivement le pavage du trottoir, abandonnant volontiers ma mission précédente car je n'étais pas à proprement parler un fan de Police. J'essayai de retrouver l'origine de ce reflet au milieu d'un amoncellement de chewing-gums, de tickets de métro, de tracts abandonnés et de contraceptifs usagés, du genre de ceux dont je n'irai pas divulguer la découverte car certains pourraient trouver l'information inutile ou même rude. Plissant les yeux, j'approchai encore peu plus mon visage du sol jusqu'à ce que le reflet à présent familier réapparaisse dans mon champ de vision, me séduisant par son faible mais néanmoins chatoyant scintillement.

Un nickel ordinaire

À mon grand plaisir et à ma grande surprise, le scintillement était bien plus qu'un simple flash : c'était un véritable trésor. Juste sous mes yeux, reposant entre une canette de bière écrasée et un billet de vingt dollars, se trouvait un nickel[1] flambant neuf.

Je ramassai la piécette en la saisissant entre le pouce et l'index, l'amenant à hauteur de mon visage tandis que je me relevai de mon agenouillement exploratoire. C'était là la plus grande somme d'argent que j'avais eu en ma possession depuis un certain temps déjà, en partie parce que j'ai rarement été confronté à des opportunités tombant du ciel et en partie parce que je suis relativement fainéant de nature et que je n'ai pas vraiment le goût du travail. Assurément la découverte de ce nickel était un moment à savourer, car sauf si j'envisageais de me trouver un emploi (ce qui n'étais pas le cas), ce serait là la plus grande somme d'argent en ma possession d'ici un certain temps.

Je poursuivis l'inspection de cette pièce, m'attardant sur tous les détails comme si cet objet allait être le sujet d'un test qui déterminerait ma destinée. (Par bonheur, ce n'étais pas le cas ; j'avais déjà passé mes tests d'admission à l'université il y a de cela quelques années.) Figurant sur l'une des faces se trouvait ce que je supposais être le visage d'un quelconque président des Etats-Unis, bien que je ne pouvais en être entièrement certain. Après tout ils avaient bien mis Sacagawea[2] sur la pièce d'un dollar quelques années auparavant, et le souvenir de mon embarrassant pari que cela signifiait forcément qu'elle avait du être présidente à un moment ou à un autre me conduisait depuis lors à me méfier de la fiabilité de la monnaie en ce qui concerne nos Commandants en Chefs historiques. J'ai brièvement considéré l'option d'augmenter la valeur de ce nickel en me mettant en quête de ce président pour lui solliciter son autographe, mais j'ai bien vite réalisé que cet homme était selon toute vraisemblance mort (la plupart des présidents le sont) ou, tout du moins, extrêmement âgé, ce qui combiné à son indubitable sénilité rendrait sa signature indistincte d'un vulgaire gribouillis de faussaire fou.

Sur ce nickel figuraient les habituelles inscriptions : “In God We Trust”, “E Plurubus Unum”, “Liberty.” Une phrase curieuse éveilla néanmoins mon intérêt : “USA ROCKS![3]” Je n'avais jamais remarqué cette inscription sur aucune monnaie que ce soit, Américaine ou autre, et bien que ce sentiment soit très personnel, il me semblait que cette phrase était déplacée sur un média habituellement réservé à des phrases stoïques et des faux-textes. Je présumai que c'était un nouveau modèle de monnaie développée par le gouvernement pour empêcher les terroristes d'utiliser leurs fonds monétaires, dans l'espoir que ce genre de patriotisme manifeste pousserait les djihadistes à ne pas dépenser la monnaie par principe. Aucun terroriste qui se respecte ne pourrait en effet se pardonner l'usage de quelque objet portant une inscription aussi peu anti-Américaine.

A ce moment, cela faisait approximativement cinq minutes que je me tenais devant ce café à examiner un nickel pour le moins banal et à m'attirer plus d'un regard perplexe de passant curieux. Mais cela m'importait peu, car j'envisageai alors, en rêvassant, la multitude de possibilités qui s'offraient à moi de par ma découverte de ce petit disque de métal que je contemplais tendrement. Je pourrais ouvrir un compte d'épargne, y déposer le nickel puis voir affluer les intérêts qui me rendraient millionnaire. Cependant, si je me fiai à ma compréhension basique du système bancaire, cela prendrait un minimum de cinq ans pour se produire, et je ne disposais pas d'un tel délai. J'envisageai aussi la possibilité d'user de cette monnaie pour me lancer dans une longue et illustre carrière de philanthrope, mais le Père Noël collectant les dons pour l'Armée du Salut avait cessé de stationner à la sortie du supermarché d'à côté, et même s'il était resté présent, nos échanges auraient été de toute évidence extrêmement inconfortables et maladroits, car de son côté comme du mien personne ne s'était encore vraiment remis du regrettable incident du mouchoir en papier des fêtes de Noël d'il y a deux ans.

De fait, il semblait que la seule option viable qui me restait à ce moment précis était de dépenser cet argent.

Je traversai la rue et entrai dans la pharmacie Sutton, une petite pharmacie appartenant à un homme dénommé Sutton. C'était un type austère au sens des affaires très développé qui ne baissait sa garde qu'en présence de ses amis les plus proches, et ce jour là il s'occupait en personne de faire tourner la boutique. Je déambulai vers lui d'un pas assuré tout en essayant d'afficher sur mon visage un air sérieux pour assortir mon attitude à la sienne. Il fallait que je joue le jeu si je voulais avoir une chance de gagner.

Je posai fermement ma main sur le comptoir, m'éclaircis la gorge et lançai :

« Bonjour, mon brave. C'est là un établissement tout à fait respectable que vous dirigez. J'imagine que vous vous interrogez à propos des affaires qui m'amènent ici. Bien. Je suis récemment entré en possession d'une certaine somme d'argent - cinq centimes de dollars Américains, pour être précis - et depuis lors je n'ai eu de cesse de m'interroger sur une manière adéquate de l'investir. Je me suis laissé dire que vous possédiez un vaste choix de produits destinés à un homme fortuné, et suis donc venu dans l'espoir de réaliser une transaction raisonnable. Je suis sur que nous pourrions parvenir à une entente qui nous bénéficierait à tous deux. »

Sutton me scruta comme si j'étais Upton Sinclair.

« On a des Laffy Taffys[4] pour cinq cents pièce, » dit-il sévèrement.

Je le dévisageai à nouveau, examinant soigneusement son visage, cherchant une faille que j'aurais pu exploiter pour faire tourner la transaction à mon avantage. Je ne trouvai rien. L'homme conduisait cette transaction de manière ferme. J'affichai un rictus de connaisseur en retour.

« Mon cher, je crois que nous allons faire affaire. » Je lui tendis ma main. Il ne la serra pas.

Tellement de goûts délicieux parmi lesquels il me faut choisir...

De mon autre main je posai le nickel sur le comptoir. Je fis un pas sur le côté et passait en revue la sélection de Laffy Taffys, qui étaient répartis par goûts dans quatre paniers. Il me fallait en choisir un sans lâcher une seule goutte de sueur, car Sutton était un homme d'affaire opportuniste qui vous arracherait littéralement le cœur au moindre faux pas. La tâche s'avérait difficile. Fraise, pomme verte, raisin et banane. Chacun avait ses atouts et ses défauts. J'éliminai la pomme verte et la banane, ces goûts ne me semblant au final pas assez festifs pour une telle occasion. À ce stade, c'était entre la fraise, qui possède une saveur réellement distinctive sans être pour autant trop intense, et le raisin, qui est plus fin et approprié pour une soirée de relaxation.

Alors que je faisais mon choix, Sutton me fixait en haussant les sourcils. Il était probablement impressionné par mon processus imperturbable et méthodique de sélection. Je me félicitai d'avoir prouvé être un adversaire de valeur.

Je portai mon choix sur la fraise. Je fis un geste de la main au-dessus du panier, prenant garde à ne pas lire par inadvertance les blagues qui étaient imprimées sur tous les emballages. Je me les réservais pour plus tard et ne voulais pas me gâcher la surprise.

Je saisis un Taffy au hasard et le tendis vers Sutton pour qu'il puisse bien le voir.


« Je crois que ce sera là mon choix. La fraise, voyez vous, possède une saveur réellement distinctive sans être pour autant trop intense. »

« Bien, » répliqua Sutton.

Je fourrai le bonbon dans ma poche, me détournai de Sutton et m'avançai délibérément en direction de la porte. Quand je l'ouvris, déclenchant cette sonnerie familière, je fis une pause, me retournai vers Sutton et le saluai de la tête en remerciement de l'épique bataille mentale qui venait de se dérouler. Je poursuivis mon chemin vers l'extérieur, pris une grande bouffée d'air frais et me mis sur le chemin du retour vers mon appartement.

En arrivant chez moi, je me précipitai aussitôt dans ma cuisine, anticipant avidement le délice et l'hilarité que provoquerait mon Laffy Taffy fraichement acquis. C'était agréable, pensai-je, que je puisse me faire ce petit cadeau après une longue journée de découverte d'un nickel. J'aurai pu me retenir encore jusqu'après le diner, mais j'avais déjà été suffisamment patient comme ça pour attendre jusqu'à mon retour à domicile et je décidai par conséquent que la satisfaction avait maintenant été suffisamment retardée. Je déchirai rapidement mais néanmoins précautionneusement l'emballage de ce trésor enrichi en arômes artificiels, m'assurant que le texte comique reste déchiffrable, et après une courte période d'anticipation je le pris dans ma bouche. Tandis que je mâchais et savourais le régal de ce goût de fraise distinctif, je retournai l'emballage pour lire les perles d'humour qui y figuraient.

La première blague :

Comment appelle-t-on un ouragan félin ?

Je soulevai la languette destinée à dissimuler la chute.

Une chat-astrophe !

Je ne connais pas personnellement ce Reggie K. de Duluth dans le Minnesota, mais cette blague était tout ce dont j'avais besoin pour réaliser qu'il s'agissait d'un indubitable génie. Je gloussai tout en continuant à mâcher, le cerveau surchargé par les impulsions venues de mes synapses qui réagissaient à plein régime à cette incroyable sensation dont à la fois mon esprit et ma langue faisaient l'expérience à ce moment précis. Je passai à la seconde blague :

Quand est-ce que les vaches rentrent à la maison ?

Je ne pouvais tenir le suspens plus longtemps.

Quand la meuh-sique s'arrête !

A ce jour je me demande toujours si Amanda T., native de Boise dans l'Idaho est un assassin professionnel, car cette blague là m'a fait manquer de m'étouffer avec mon Laffy Taffy à moitié avalé. Heureusement je m'en remis et vécus suffisamment longtemps pour aller jusqu'au bout à la fois du rire et de ce bonbon, avaler le dernier morceau et savourer la dernière bouffée de cette saveur de fraise si réaliste qui avait enveloppé mes papilles gustatives. C'était le meilleur usage qu'on avait fait d’une pièce de cinq centimes depuis très longtemps.

En tout cas je ne parvenais pas à en concevoir un meilleur.


J'entrepris de préparer mon sandwich pour le dîner et allumai la télévision. C'était l'heure des informations et un superbe reportage sur une femme qui collectionnait des roches de formes étranges me tînt immédiatement en haleine.

La chose se produisit alors que j'en étais au quart de mon second sandwich.

La présentatrice passa à la nouvelle suivante, et commença par une accroche fort intéressante :

« Vous pensez que les nickels sont sans intérêt ? »

Certainement pas, pensais-je, je venais d'en dépenser de manière très fructueuse cet après-midi même !

« Et bien vous allez changer d'avis. La Banque Centrale Américaine a annoncé aujourd'hui qu'un unique exemplaire de nickel arborant la phrase 'USA ROCKS!' a été accidentellement mis en circulation. Ce nickel, qui avait été créé à l'occasion d'une initiative rapidement abandonnée de la Banque pour empêcher les terroristes de dépenser de l'argent par principe, est l'unique exemplaire de son espèce et sa valeur est actuellement estimée à cinq millions de dollars. »

J'avais toujours pensé que lorsqu'au cinéma ou à la télévision les gens se retrouvent immobilisés par un choc émotionnel, laissant tomber ce qu'ils avaient en main, il s'agissait d'une réaction loufoque et irréaliste. Mais en entendant cette nouvelle, mon sandwich stoppa brusquement son trajet vers ma bouche béante et tomba de ma main, se divisant et envoyant le jambon, les tomates et la mayonnaise voler dans toutes les directions.

Cinq millions de dollars. Je venais tout juste d'acheter un Laffy Taffy pour cinq millions de dollars. Ne vous méprenez pas sur mon compte, j'adore réellement les Laffy Taffys, mais même le meilleur d'entre eux ne vaudrait pas plus de deux millions.

J'ai commencé à paniquer un peu, faisant les cents pas dans mon appartement, mon esprit tournant à plein régime, essayant de déterminer comment rectifier cette situation. Mes pensées commencèrent à s'entremêler, se mélangeant en une pâte nerveuse destinée à la cuisson d'un gâteau d'anxiété.

Cinq millions de dollars, cinq millions de dollars, minq dillions de mollars...

Je me giflai moi-même pour tenter de me calmer, mais j'avais frappé un peu trop fort et je tombai sur le plancher du salon. Je me relevai d'un bond avec en tête une mission : il me fallait retourner à la Pharmacie Sutton et d'une manière ou d'une autre récupérer ce nickel. Connaissant la politique avisée d'échange de produits de Sutton, il n'y avait aucune chance que ce dernier accepte de me reprendre le Laffy Taffy, même si je le repliai soigneusement dans son emballage d'origine et que j'y apposai la mention pré-possédé au lieu de occasion ou même la mention encore moins euphémique en cours de digestion.

Pas aussi savoureux qu'on pourrait le penser

Je déverrouillai la porte d'entrée de mon immeuble et remarquai que le soleil avait commencé à se coucher. Je n'avais pas beaucoup de temps. Je m'orientai soigneusement pour ne pas risquer de me perdre, me dirigeai vers la Troisième Rue et couru à une vitesse que je n'avais pas atteinte depuis le CM2, quand en cours d'éducation physique et sportive j'avais tenté d'une manière un peu excessive de rattraper ma performance lamentable de l'année précédente et m'étais déchiré à l'occasion le ligament croisé antérieur. L'adrénaline de la situation me propulsait au-delà de la crainte d'une nouvelle blessure et en direction de la pharmacie où j'avais si imprudemment dépensé la seconde chose la plus précieuse que j'avais jamais touchée. (La chose la plus précieuse que j'aie jamais touchée était la Joconde à l'occasion d'une exposition ambulante qui était passée par ma ville ; ma curiosité quant à la texture et au goût de cette œuvre eut le dessus sur ma prudence et depuis ce jour je suis banni de toutes les galeries d'art accréditées.) Tandis que le soleil disparaissait sous l'horizon, j'atteignis finalement la pharmacie et saisis la poignée de la porte. Je l'actionnai à trois reprises, et chacune de ces tentatives fût sans résultat. La porte était verrouillée. Je jetai un regard à la pancarte affichant les horaires d'ouverture : Ferme à 18 h le lundi. Dans l'urgence, je pressai mon visage contre la vitrine du magasin, tentant de discerner si par chance Sutton ou n'importe qui d'autre n'était pas encore en train de procéder à la fermeture. Parfois le jeune que Sutton avait embauché pour passer le balai et remplir les étagères restait tard, mais aujourd'hui il devait avoir du skateboard ou de la consommation de drogue à effectuer car je ne le voyais nulle part.

Abattu, je cognai ma tête contre la porte à trois reprises. Je décidai de ne pas entrer par effraction, principalement en raison de mon sens moral très développé, mais également parce que le poste de police était à deux portes d'ici. Il me faudrait attendre la réouverture du lendemain matin à 8 heures pour avoir un quelconque espoir de retrouver ce nickel à présent inestimable, dont la valeur avait était estimée à cinq millions de dollars.

La nuit fut sans repos pour moi. Je ne pouvais m'empêcher de penser à l'argent qui aurait pu m'appartenir si je n'avais pas aussi hâtivement considéré l'inscription “USA ROCKS!” comme normale sur une pièce de monnaie. Mais quelqu'un pouvait-il me blâmer pour cela ? La monnaie américaine change sans arrêt ! Comment un gouvernement qui frappait une pièce de 25 cents spécifique pour chacun de ses cinquante états pouvait-il aussi soudainement abandonner un projet aussi simple qu'ajouter la phrase “USA ROCKS!” sur ses nickels ? “USA ROCKS!” était selon toute logique la prochaine étape, n'est-ce pas ? A terme nos pièces feront double emploi en servant de support multimédia pour des chansons de Toby Keith[5], et on y incorporera aussi un spectacle lumineux à base de petits lasers rouges, blancs et bleus pour faire bonne mesure. Peut-être que si on ne changeait pas l'apparence de notre monnaie tous les mois, j'aurais été un peu plus au courant des pièces bizarres qui pourraient faire de moi un foutu multimillionnaire.

Personne ne peut lui échapper

Je continuai à ruminer ma culpabilité pendant deux bonnes heures avant d'abandonner l'espoir de trouver le sommeil, sortis de mon lit et me mis à regarder des épisodes de New York unité spéciale jusqu'au matin.

J'arrivai en retard chez Sutton. Je voulais vraiment découvrir qui avait kidnappé le neveu du maire, et lorsque Christopher Meloni mit enfin la main sur le coupable il était déjà 8h30.

J'étais surpris de constater que l'épouse de Sutton, Mme Sutton, occupait le comptoir, lisant une édition de Femme Actuelle. Enfin, cela n'avait rien à voir avec mes affaires. Tout ce que j'avais à faire c'était de baratiner un peu la demoiselle, et elle me rendrait le nickel sur le champ.

« Et bien, bonjour, mademoiselle, » dis-je suavement, « c'est là une agréable matinée que nous avons. Et ces habits vous vont à merveille. »

« Merci, », dit elle.

La stratégie avait échouée. Il était temps de passer au plan B. Il me fallait distraire Mme Sutton suffisamment longtemps pour farfouiller moi-même dans la caisse.

« Il me plairait grandement d'acheter quelque produit à une jeune femme telle que vous. Quel âge avez vous, vingt ans  ? »

« Cinquante. »

« Et bien vous ne paraissez pas plus vieille, ne serait-ce d'un jour, que quarante neuf ! »

Dans la pesante pause qui s'ensuivit, j'essayai de trouver une idée pour occuper Mme Sutton afin d'avoir le champ libre.

« Ah oui. Bref, je pense que je vais vous prendre,... hum... un Laffy Taffy. Oui, c'est ça qu'il me fallait. »

« Ils sont tous dans ces paniers juste devant vous, » répondit elle tranquillement. Je commençai à craindre qu'elle m'ait percé à jour.

« Oh. Attendez, j'ai changé d'avis. J'aimerrrrais...un Hershey[6]. »

« Ils sont juste à côté des Laffy Taffy. »

Mme Sutton avait dû prendre des leçons de son mari, car elle répliquait coup sur coup, sortant ses bottes secrètes à chaque fois que je m'approchais un peu de la victoire. Il fallait que je l'éloigne de cette caisse enregistreuse. J'ajustai ma stratégie.

« Ah bon ? Je ne les vois pas vraiment... pouvez vous me montrer où ils se trouvent précisément ? »

Sans changer de position ne serait-ce que d'un pouce, elle pointa son index droit sur les Hersheys, qui se trouvaient effectivement juste à côté des Laffy Taffy. Nouvel échec. Cette femme avait le regard d'un couguar et la malice d'un renard. Dans un ultime effort je lançai :

« Je viens de me souvenir que j'avais une prescription médicale à retirer ici. Au nom de Rembrandt, R-E-M-B-R-A-N-D-T, aucun rapport avec le peintre ou le dentifrice, je le crains. »

« D'accord, » répondit Mme Sutton, « C'était pour quel médicament ? »

Je n'avais pas anticipé cette question. Mme Sutton avait un coup d'avance dans notre confrontation.

« La prescription concernait... euh... de l'al...der... ex... talin. Alderextalin. »

Mme Sutton haussa les sourcils d'une manière très similaire à son mari. S'ensuivit un répit qui avait dû durer environ cinq secondes, avant qu'elle ne finisse par dire « Bien, je vais voir si nous avons ça en magasin, » et partit dans l'arrière boutique qui contenait les étagères de médicaments.

Je m'activai immédiatement, plongeant derrière le comptoir de manière théâtrale et me relevait d'un bond pour ouvrir la caisse. Le tiroir produisit un bruit du style ka-ching qui me surpris, mais quand je lorgnai dans l'arrière boutique il m'apparût évident que Mme Sutton n'avait rien remarqué. Cela lui prendrait un certain temps pour trouver ce médicament si brillamment inventé, donc j'avais un répit. Je trouvais les nickels. Il n'y en avait pas beaucoup - les nickels ne sont de loin pas aussi populaire que, disons, les billets d'un dollar de nos jours - donc je les pris dans le creux de ma main et les scrutai un par un à la recherche de cette précieuse irrégularité. J'en contrôlai cinq, puis dix, et bientôt j'avais contrôlé tout le lot à deux reprises. Pas un seul ne possédait cette inscription “USA ROCKS!” qui aurait fait de moi un homme plus riche encore que cet éventuel président qui y figurait.

Cet enfoiré de Sutton l'avait prit. Je le savais. Il avait vu le même reportage que moi, fait l'inventaire de ses nickels et s'était emparé du gagnant dans une exhibition vicieuse de cupidité éhonté.

J'entendis les pas de Mme Sutton s'approchant depuis l'autre pièce, fermai rapidement la caisse et replongeai par-dessus le comptoir. Je me relevai juste à temps pour l'entendre dire « Je suis désolé nous n'avons pas de médicament de cette marque à votre nom. Ni au nom de qui que ce soit. »

« Vraiment ? Comme c'est étrange. Hum. » Je transpirais mais Mme Sutton ne semblait s'apercevoir de rien.

« Oui, je suis désolé. Il y a t-il autre chose que je puisse faire pour vous ? »

Je secouai la tête. Mme Sutton retourna à son Femme Actuelle. Je tentai de lui soutirer des informations pour faciliter ma recherche de Sutton.

« Vous aimez New-York : unité spéciale ? » m'enquis-je.

« Pardon ? Oh, ah, oui, bien sûr. »

« C'est une honte que Christopher Meloni n'ait pas encore gagné un Emmy Award. »

Mme Sutton marmonna quelque chose qui était soit un accord, soit de l'agacement. Je décidai que je l'avais suffisamment travaillée pour lancer l'assaut final.

« Bon, ah, où est donc M Sutton par cette glorieuse matinée ? »

Sans lever la tête de son magazine, elle dit « Il a dit qu'il avait une course à faire. Je ne sais pas quand il sera de retour. »

Une course ! Ha ! Une course qui l’amènera dans une mine d'or. Je plissai les yeux suspicieusement à l'attention de Mme Sutton, reculai jusqu'à la porte où je me retournai abruptement et me précipitai dehors.

Il fallait que je me mette dans la tête de Sutton. Où est-ce qu'un homme avec un nickel valant cinq millions serait allé ? En me basant sur mon expérience personnelle, la réponse était à la pharmacie Sutton, mais j'en sortais à l'instant et le bougre n'y était pas, c'était donc une option à exclure. La réponse m'apparût à ce moment : la boutique d'expertise sur la Sixième Rue ! Un homme malin comme Sutton n'irait pas vendre le truc à l'aveuglette. Il s'assurerait d'en déterminer le bon prix, trouverait un vieux bonhomme avec un monocle pour estimer sa valeur et puis l'enverrait à Sotheby's[7] pour être vendu au meilleur enchérisseur.

Je filais vers la Sixième Rue et me mis à la recherche de l'enseigne “Orwell : Expertise et Estimation”. Il était facile de passer à côté sans voir l'échoppe car elle se situait au milieu d'autres devantures telles que “Osmond : Produits alimentaires et viandes fines” et “Oscar : Station Solaire Artificielle pour le Brunissement de la Peau.” Mais au moment même ou je me dirigeai avec conviction vers la boutique Orwell pour quérir ce nickel qui me revenait de plein droit, je vis Sutton émerger de chez “O'Donald : Coiffures et Raccourcissements Capillaire”. Je manquai m'étouffer ! Sutton avait sans aucun doute déjà vendu le nickel et célébré l'évènement en s'offrant une coupe de cheveux ! Cet espèce de vieux filou, ce renard sournois ! Je m'avançai vers lui et lui fis face.

Pas un bureau d'expertise

« Alors, combien de pourboire vous avez laissé, hein ? Cinq milles ? DIX mille ? Trente trois mille quatre cent douze ? »

« De quoi parlez-vous, bon sang ? », dit-il.

« Ne jouez pas à l'innocent avec moi, Sutton. »

« Mais je - qui êtes-vous, déjà ? »

J'eu un sourire de dédain.

« Vous savez très bien qui je suis, Sutton. J'ai fait l'acquisition d'un Laffy Taffy goût fraise dans votre magasin pas plus tard qu'hier. »

Après un petit moment, Sutton dit « Ah, oui. Le type bizarre. »

« Exactement, » répliquai-je. « J'ai accidentellement dépensé un nickel valant cinq millions de dollars pour ce Laffy Taffy. Je crois que vous m'avez floué et j'estime que je mérite la monnaie de cette pièce. »

« Un nickel de cinq millions de dollars ? » Sutton semblait perplexe, mais je comprenais sa stratégie. « Oh, vous voulez dire le nickel avec "USA ROCKS!" ? »

« Celui là même ! Où est-il ? »

« Mais j'en sais rien, » dit-il, « Je viens de lire ça dans le journal à l'instant, pendant que je me faisais couper les cheveux. »

Je fronçais les sourcils.

« Quoi ? »

« Oui, ce nickel que le gouvernement a fait pour lutter contre le terrorisme ou un truc du genre ? Très intéressant. Vous me dites que vous l'aviez ? »

« Et bien, hum, je l'avais, et... bien, maintenant vous l'avez. Ou vous l'avez vendu, » bafouillai-je. « N'est-ce pas ? Je veux dire, il n'est plus dans votre caisse... »

« Ecoutez, je n'avais pas la moindre idée que ce nickel avait quoi que ce soit de particulier jusqu'à ce matin. Une dame est passée juste après vous et je lui ai rendu de la monnaie. J'ai dû lui donner cette pièce... attendez, comment savez vous qu'il n'est plus dans ma caisse ? »

Ce que j'aurais pu avoir

« Ce n'est pas ça qui est important, » soupirai-je. « Ce qui est important c'est que nous avons tous deux laissé cinq millions de dollars glisser entre nos doigts. Et maintenant je suis toujours aussi fauché qu'hier. »

Sutton haussa ses sourcils une fois de plus tandis que je me retournais pour rentrer chez moi. Après quelques pas je me retournai vers lui.

« Est-ce que vous embauchez en ce moment ? » demandai-je.

« Non, » dit-il.

Je tournai sur moi-même une fois de plus et poursuivis mon chemin vers chez moi, complètement déprimé. Ce qui avait commencé comme une fantastique petite découverte s'était maintenant transformé en une déception comparable à celle des extra-terrestres ayant construits les pyramides pour voir les Égyptiens leur voler tout le mérite.

De retour sur la Troisième Rue, me trainant vers la solitude de mon appartement, je vis un autre reflet sur le trottoir crasseux. Me méfiant de la nouvelle mésaventure qui pouvait résulter de cette nouvelle découverte, j'y réfléchis à deux fois avant d'aller vérifier l'origine de cet éclat de lumière. Mais décidant qu'il n'y avait aucune raison de ne pas aller juste jeter un coup d'œil, je m'accroupis une fois de plus et me mis à la recherche de ce scintillement bien trop familier. C'était un nickel. Une fois de plus. Je le saisis et l'examinai. Rien de particulier cette fois. En tout cas rien dont j'ai connaissance.

Je l'emmenai dans la pharmacie Sutton et j'achetai un Laffy Taffy goût raisin. Le raisin, voyez-vous, a un goût fin et approprié pour la relaxation. Et s'il y avait jamais eu une occasion où j'avais besoin de me relaxer, c'était maintenant.

Notes du traducteur

  1. une pièce de 5 cents
  2. une célèbre amérindienne qui figure sur les pièces d'un dollar
  3. les Etats-Unis c'est d'enfer !
  4. une espèce de bonbon qu'on trouve visiblement en pharmacie aux USA et sur l'emballage desquels figure l'équivalent de nos blagues carambars avec le nom de l'auteur de la blague.
  5. Un chanteur de country patriote
  6. une barre chocolatée.
  7. Une soi-disant célèbre société de vente aux enchères... enfin si elle était aussi célèbre que ça le traducteur n'aurait peut-être pas eu à se casser le cul à faire une recherche sur Wikipédia !


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