La Saga de la Dé/Épisode 4 : L'actrice satanique

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Résumé des épisodes précédents
Giselle Danglin, revenue au village après qu'on l'ait crue morte pendant trente ans, kidnappe Léa, la fille de Guillaume Poucassère, proclamant que c'est sa propre fille. Peu après, on découvre qu'Amandine Danglin, qui se fait passer pour attardée, se cache en réalité dans une ferme au Mordor, région désolée, où elle garde des cadavres d'enfants, pour brouiller les pistes en cas de meurtre commis par sa famille. Elle a justement rencontré et secouru Raoul Danglin, anciennement connu sous le nom de Frank Slater, et plus tôt laissé pour mort par Clovis Danglin, ce dernier étant son frère jumeau. Pendant ce temps, le colonel de la gendarmerie, Monsieur Galubert, extrêmement incompétent et, paraît-il, alcoolique, interroge Godefroid Pourquet à propos d'un meurtre autrefois commis par cette même Amandine. Le meurtre concerne Grégory Ronchin. Mais en fait on s'en fout pour cet épisode. Je voulais juste remettre les choses au clair. À retenir : la fille de Guillaume Poucassère a disparu (dans la Grouillette), Amandine Pourquet est une dingue qui se cache au Mordor avec des cadavres et Raoul Danglin, et le Colonel Galubert est un putain d'incompétent.

Églantine Poucassère

Emmanuelle Béart en plastique dans le rôle d'Églantine.

C'est un joyeux soleil qui se couche sur Fangeville. La troupe de théâtre expressionniste Les escargots poilus traverse la France pour jouer sa pièce fétiche, La jeune fille à l'opprobre. En chemin, ils passent non loin du village maudit, ce qui est une aubaine, car l'actrice principale, Églantine Poucassère, y a de la famille. Plus précisément, c'est la nièce de Guillaume Poucassère, dont le frère et père d'Églantine est mort il y a à peu près vingt-cinq ans. Jean-René, qu'il s'appelait. Disparu dans des circonstances troublantes, qui ne furent jamais expliquées. On l'avait en effet retrouvé sous les roues d'un tracteur. Fortement perturbées, la jeune fille et sa mère s'en étaient enfuies pour habiter à Orléans, où Églantine suivit des cours de théâtre contemporain pendant de nombreuses années. Elle avait beaucoup de talent, et tout le monde disait d'elle qu'elle imitait la métaphore du ragondin volant comme personne.

Ce jour-là, donc, elle avait laissé ses compagnons prendre le bus de la troupe pour la devancer alors qu'elle s'en allait rejoindre son cher oncle à Fangeville, pour y passer deux jours. Ce qui laissait l'occasion au reste de la troupe, composée uniquement d'hommes, de se bourrer la gueule dans un bar crado dans un village non loin de Malefosse avant de s'en aller aux putes pour baiser. C'est sa tante Sandrine qui l'accueille alors, les bras grands ouverts.

— Glantine ! Juste à temps pour le dîner !
— Tantine ! Hi hi hi ! Comme je suis contente de te revoir !
— Et mouè donc ! Viens, donc, entre, que je te présente à nos amis !
— Ah, il y a d'autres personnes ?
— Beh ouais, on t'présenter au voisinage ! C'est pas tous les jours qu'on reçoit l'artiste de la famille, sacrebleu !

Églantine rencontre donc Maxence Bordepuque, tresseur de cordes au chômage, Albertine Valtefourte, mère au foyer au chômage, et Bernard Poucleton, officier de la banque postale fraîchement licencié, et donc au chômage. La petite actrice se sent plutôt mal à l'aise au milieu de tous ces bons campagnards qui mangent une baguette chacun pendant le repas pour saucer la tambouille, grâce à des bouts de pains sur lesquels ils posent d'abord du fromage, tout en arrosant de vin en retournant la bouteille. Elle est cependant fascinée par la faculté qu'ils ont à avaler la nourriture en même temps qu'ils rotent. L'un dans l'autre, elle regrette son retour au village natal. Elle ne voit qu'une solution envisageable pour s'accommoder à l'ambiance.

— Euh... Tantine ? t'aurais pas un petit verre de quelque chose de local à me faire goûter ?

Églantine connaît la réputation des alcools de campagne, qui rendent le nez rouge et le foie zombie.

— Sapristi ! Où sont donc mes manières ? BROOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOARRRRRRP ! Je cours te chercher ça dans le buffet.
— Hum... Merci.
— Ben ? J'croyais pourtant avoir une bouteille d'Absinthe de la Saumâtre, mais semble qu'elle est plus là.

Églantine a une expression de soulagement en apprenant qu'elle n'aura pas à boire quelque chose venant de la Saumâtre. Même aujourd'hui, elle cauchemarde de ce lieu.

— Ç'pas grave, j'ai trouvé encore mieux !
— Du whisky ?
— Non ! Ben mieux ! De l'Hydromel de la Saumâtre !
Paraît que c'est ce qu'on utilise pour tuer les vaches devenues folles.

C'est ainsi que la petite se boit une demi-bouteille de cet hydromel infâme, réduisant par la même son espérance de vie d'une douzaine d'années. Après quelques heures à rigoler avec ses nouveaux meilleurs amis tout en chantant à tue-tête, elle se rend compte qu'il manque quelqu'un.

— D... Dis-moi, tante Sandrine, Guillaume là, mon onc', y rentre-t-y donc si tard que ça ?
— Acré bonsouère, ç'ben vrai qu'il est ben tard ! Y d'vrait déjà être rentré !
— Saperlotte, quel fieffé galopin ! Attends une seconde, c'est l'hydromel qu'il m'a donné l'accent du pays !?
— Tiens j'ai une idée ma nièce, pourquoi t'y vas-tu donc pô l'chercher ? Ah que ça lui fera une belle surprise !
— Eque plaisir ma tante ! Dis-moi juste où qu'y s'trouve !
— Il est aux marais du Mordor, à dix minutes d'ici. Depuis qu'notre fillote, la Léa, elle a disparu, il va là-bas tous les soirs tenter d'capturer des farfadets. Il emmène son fusil de chasse et pose des pièges à ours entre les roseaux, guettant sa proie.
— Attendez, s'il est armé...
— Oui ?
— Dans le noir..
— Ouais ben ?
— Avec sa cataracte et son début de surdité...
— Ouais ?
— Probablement bourré de surcroît...
— Eh ben ?
— Et que moi j'y vais...
— Où veux-tu donc en v'nir, ma nièce ?
— Je sais plus. Bon, j'y vais ! À toute à l'heure !

Les signes démoniaques

À côté de ça, la Saumâtre, c'est de l'eau de source.

Églantine ne revient chez sa tante qu'après une demi-heure de recherches. Elle dit ne pas avoir trouvé son oncle, et s'excuse auprès de ses hôtes pour aller se coucher, après, dit-elle, "avoir écouté un bon CD". Légèrement déçus mais compréhensifs, les bons vivants continuent le repas qui dure depuis déjà trois heures.

— L'est bien sympathique ta nièce, la Sandrine ! Dit Maxence.
— Ça c'est ben vrai, répond la Sandrine. Même qu'c'est elle qui tient le premier rôle de sa pièce de théâtre, mordieu !
— Moi, j'la trouve pas tout à fait charmante, réplique Bernard.
— M'enfin, le Bernard, qu'est-ce t'as donc contre ma Glantine ?
— Vous avez pas remarqué ? Sa façon de manger, en se tenant droit, sans mettre ses coudes sur la table, elle mâche la bouche fermée... Elle est rentrée sans l'Guillaume, et regardez bien ! Elle a laissé des traces de sang sur le carrelage !

Tous les convives regardent, et découvrent avec stupeur que c'est vrai. Du sang se mêle à la boue laissée par les bottes de la jeune fille.

— L'Bernard, t'seras pas en train eud'me dire qu'ma nièce l'est possédée par le Malin ?
— Faut t'rendre à l'évidence la Sandrine ! Elle en a tout l'air !

Et alors qu'ils tergiversent au sujet de la jeune fille, d'horribles cris résonnent de la chambre de cette dernière.

— Pardieu, dit Albertine, que sont-ce donc que ces cris démoniaques ! C'est donc ça la musique qu'écoute la p'tite ?
— Le démon que j'te dis, hurle Bernard, le démon !

« I'M A FOUNTAIN OF BLOOOOOOOOOOOOOOD, IN THE SHAPE OF A GIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIRL ! »

— Qu'est-ce donc que ça !?
— C't'horrible ! C'est donc pas d'la musique, ç'du hurlement ! Ç'na rien du beau bal musette !
— Les paroles veulent rin dire !

« Leave me now, return toniiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiight »

— Oups ! dit Églantine qui vient de sortir la tête de sa chambre. C'était peut-être un petit peu fort ?
— N... N... Non, non non, je t'en prie, fais donc comme tu l'veux, ma nièce ! Ha ha ! D'ailleurs on croît po dans l'bon Dieu ici !
— Ok, super ! J'm'en vais dormir alors.
— Faites comme il vous sied, monseigneur le maître des abysses ! Ha ha ! Pas vrai les cop...

En se retournant, Sandrine découvre avec effroi que ses invités se sont enfuis. Elle même ferme la porte à clef, s'enferme dans sa chambre, et se calfeutre dans son lit, tremblante, après avoir mis une gousse d'ail au-dessus de sa tête. Pour aromatiser la chambre, voyez-vous.

L'enquête

Comme chaque matin, le Colonel Galubert boit son café au pastis en lisant les nouvelles locales. Quoique ce matin, c'est un peu particulier. Trois jours qu'il attend d'être appelé en cour pour le jugement de Godefroid Pourquet. Ce qui fait que ce matin est particulier, c'est qu'il n'a rien à faire de la journée. Pour preuve : il lit les nouvelles. Usuellement, il les écoute à la radio, ou les regarde à la télé, mais les lire, ouhlà non. En plus, ce matin, rien de franchement intéressant. « Décès de Marcel Plutempoix, doyen des pêcheurs de macrouilles... La Saumâtre entre en sa période de crue, la mairie distribue des masques à oxygène sur la place du village... Le car d'une troupe de théâtre trouvé dans une fosse sur le bord de la route, tous les acteurs sont morts, y compris les trois prostituées qui les accompagnaient... Dimitri Medvedev déclare que la quatrième guerre mondiale est à nos portes... Disparition de Guillaume Poucassère, sa nièce Églantine accusée de satanisme... Disparition également de Clytemnestre Danglin, mais on sait pas ce qu'elle est devenue... Probable pénurie d'eau potable en Juin... » Soudain, le visage du brave gendarme s'éclaire. Il lui semble qu'il y avait quelque chose d'intéressant dans tout ça. Marcel Plutempoix est mort !?

— Je me disais bien que sa potion d'immortalité à base d'urine de macrouille marcherait pas.
— Colonel ! Colonel !
— Qu'y a-t-il, mon petit ? répond le Colonel Galubert à Jeanfoutre Plumabec, jeune brigadier de vingt ans.
— Venez au Mordor, les habitants sont sur un sale coup !
Vous trouvez que le brigadier Plumabec ne fait pas ses vingt ans ? Y'a probablement du pastis derrière tout ça.

Sacré bon sang de bonsoir ! Enfin, de l'action ! Le Colonel Galubert entre en trombe dans la voiture de police, accompagné de Jeanfoutre, et tous deux se dirigent avec hâte au Mordor. Arrivés au marais qui en délimite l'entrée, ils voient une foule en colère, brandissant torches et fourches, scandant de slogans hérités de la Sainte Inquisition. Galubert s'en va alors en hâte demander ce qui se trame. Il apprend qu'au lendemain de la disparition de Guillaume Poucassère, disparition mise sur le dos de sa nièce, les gens du village ont retrouvé une femme empalée au beau milieu du marais. Cela concordant avec les traces de sang laissées chez sa tante par ladite nièce, ils en ont pensé que c'est une sorcière.

— Une sorcière ? demande le Colonel. Mais quel rapport avec une foule en colère qui s'en va au marais ?
— Vingieu ! C'qu'on va faire, comme on l'fait toujours, c'est qu'on va la jeter dans le marais, et si elle remonte à la surface, c'est ben qu'c'est une sorcière, et qu'y faut qu'on la brûle !
— Attendez, je peux comprendre le truc de la sorcière qui flotte, mais pourquoi vous lui avez attaché un rocher autour du cou avec une corde ?
— Ah ben ça, c'est eul'témoin.

Galubert a beau être incompétent, il a tout de même un sens des réalités plus aigu que la majorité de ses concitoyens. Il s'interpose donc entre la foule et le marais, brandissant son arme, empêchant la jeune fille en pleurs d'être jetée dans la tourbe. Il demande à voir la femme empalée, que les paysans ont négligemment laissée là où elle avait été trouvée, soit à l'extrême est du marais du Mordor.

Image issue du livre La belle histoire de Fangeville.
— Jeanfoutre, essaye de me l'identifier ! Quant à vous, pourquoi accuser cette brave jeune fille ?
— M'enfin Colonel, le soir où qu'elle est sortie au marais, l'Poucassère, qu'était aussi dans le marais, a disparu, et c'te bonne femme a été foutue au pal ! De plus, l'Églantine est rentrée en laissant des traces de sang, et elle a écouté des musiques démoniaques ! Et des gens disent avoir entendu au Mordor des chants dans c'te même langue le soir où ça s'est passé !
— Mais enfin, c'est insensé, pourquoi ferait-elle ça ? Ah, oui, j'oubliais, coupe le colonel avant que la foule ne hurle "Sorcière !"
— Colonel, intervient Jeanfoutre, c'est étrange, cette femme a tout du portrait-robot d'une jeune fille disparue il y a trois ans là, euhm... Marceliotte Pourquet !
— Comment ?
— Et, regardez, il a un mot au bas du pal : "Ha ha ha, j'ai tué Clytemnestre Danglin, signé : Charlemagne Danglin.
— Eh bien ! dit Galubert en se retournant vers la foule. Vous voyez bien qu'la donzelle y est pour rien. C'est Charlemagne Danglin qui a fait le coup.
— C'est pas plutôt Clovis Danglin en fait, Colonel ? demande Plumabec.
— Oh, quoi qu'y a marqué en bas de la lettre ? Clovis ou Charlemagne ? Bon.
— Mais ptêtre qu'on essaye de lui faire porter le chap...
— Tatata ! Affaire classée ! On ramène la fillette chez elle, quoiqu'après ce qu'elle a vécu, c'est plutôt l'hôpital psychiatrique qu'il lui faudrait.
— 'Tendez, intervient Sandrine Poucassère. Chuis ben contente qu'ma Glantine y soit pour rien, mais comment expliquez-vous la disparition de Guillaume, et les traces de sang ?
— Regardez sa jambe, dit le Colonel. Elle s'était écorchée la jambe sur les ronces qui constellent le Mordor. Il rend vraiment aveugle l'Hydromel de la Saumâtre, on dirait ! Et pour Guillaume, il est probablement tombé ivre mort quelque part dans le marais. Tu t'souviens la fois où il est revenu au bout d'un mois, habillé d'une peau de chèvre et couvert de brûlures d'orties ?

C'est ainsi que le groupe s'en retourne à Fangeville, le coeur en liesse, mais quand même un peu déçus de pas avoir pu faire un beau bûcher. Bah, ce sera pour la prochaine artiste de passage.

Épilogue

Le marais au crépuscule, étrangement calme...

Guillaume, reprenant ses esprits, sort de la boue dans laquelle il était enlisé depuis toute une journée. Il cherche sa bouteille d'Absinthe de la Saumâtre à tâtons, mais tombe sur son fusil à la place, qu'il essaye de boire avant de remarquer quelque chose d'étrange dans le lointain. Il tend l'oreille, et entend quelques bribes de conversation.

One for the money, two for the show, three for the putain on a raté notre coup.
— Ouais, et on a failli faire noyer une innocente. C'est pas grave, on l'aura, ce faux frère. Et t'as fait quoi de Clytemnestre, au fait ?
— T'inquiète pas, elle est à l'endroit habituel. J'ai dû me retenir de pas la baffer, cette sale gosse préférée. Mais maintenant, a little less conversation, with a little more action.
— T'as raison, faut qu'on récupère le cadavre. J'arrive pas à croire qu'ils l'aient laissé là.

Armant son fusil, mais voyant toujours double, Guillaume vise les trois farfadets qui dépassent des herbes, au loin. Il tire, et se rendort.

He shot me down, bang BAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !


Découvrez la suite de les secrets de Fangeville dans l'épisode 5 :
L'évasion de l'impossible


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