Épopée Tragicomique d'Élise, le Marin et la Garantie Annulée du Bateau : Un Drame Humain (et GPS) en Cinq Actes

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Dans un petit village côtier, réputé pour ses galets pointus et son service postal fluctuant, vivait Élise. Chaque soir, avec la ponctualité d'une facture EDF, elle prenait position sur la falaise locale, plus par habitude que par réelle espérance. Son regard, désormais doté d'une légère myopie due à l'exposition prolongée aux embruns salés, embrassait un horizon que la plupart des géomètres qualifiaient de "parfaitement plat, si on oublie la légère courbure terrestre, bien sûr". C'est là, dit la légende (et un rapport de police non classifié), qu'il avait officiellement "cessé d'être visible".

Gabriel n'était pas n'importe quel marin. C'était un marin certifié ISO 9001 en "manœuvre de voile en condition de vent léger à modéré", et accessoirement, un grand amateur de promotions sur les GPS de seconde main. Fier, solide, et amoureux de la mer autant que d'Élise (une dévotion admirable, considérant que la mer, elle, n'oublie jamais de sortir les poubelles), il lui avait solennellement promis de revenir, toujours. Sa promesse, signée sur un post-it à l'encre soluble, précisait toutefois : "Je reviendrai, sauf en cas de forte brise, de défaillance électronique non couverte par la garantie, ou si je trouve une zone de pêche avec une meilleure offre de restauration rapide." Mais un jour, le vent souffla plus fort que l'argumentaire d'un vendeur de temps partagé, les vagues furent plus cruelles qu'une note de frais refusée, et son bateau, dont la garantie du GPS venait d'expirer le jour même, ne rentra pas. La gendarmerie maritime a classé l'affaire sous la mention "Probable déroute cartographique due à une mise à jour logicielle forcée".

Les semaines s'étirèrent, les mois aussi, devenant des semestres qui s'accumulaient comme des dossiers en attente à la préfecture. Au village, les habitants, experts en drames locaux et en paris discrets, lui conseillaient d'oublier, de passer à autre chose, et surtout de vendre la maison de Gabriel, car "le foncier grimpe, Élise, faut rentabiliser !" Mais Élise, obstinée comme une moule à son rocher, refusait. "Il me l'a promis", répétait-elle à qui voulait l'entendre, même aux vendeurs d'aspirateurs en porte-à-porte qui tentaient de lui refourguer des modèles spécialisés dans les miettes de croissant. Alors chaque soir, elle montait sur la falaise, installant son siège pliant ergonomique et scrutant l'horizon avec des jumelles désormais munies d'un filtre anti-mirage dû à la pollution lumineuse. Elle espérait voir la voile blanche, ou au moins un paquebot de croisière qui aurait pu récupérer Gabriel lors d'une escale impromptue pour une partie de bingo.

Les années, ces perfides sabliers cosmiques, s’effritèrent avec la rapidité d'une connexion Internet fibrée par temps d'orage. Ses cheveux noircis par le temps (et un shampoing à la mélanine douteuse) devinrent gris (avec des mèches d'algues occasionnelles), sa jeunesse s’effaça aussi vite qu'une promotion sur les huîtres. Pourtant, elle ne renonçait pas. Les paris du village passèrent de la date de son décès à la couleur du prochain maillot de bain qu'elle porterait en plein hiver. Un matin, les villageois la trouvèrent là-haut, immobile, assise face à la mer, le regard figé sur un point lointain (qui s'avéra être un sac plastique flottant), un sourire doux sur les lèvres (probablement le rêve d'un accès illimité à une borne Wi-Fi). Elle s’était endormie pour toujours, probablement en essayant de recharger son téléphone avec l'énergie du désespoir.

Quand ils voulurent l’enterrer, la mer, manifestement alertée par des capteurs sismiques installés secrètement par des scientifiques marins obsédés par les drames humains, se déchaîna. Le vent hurlait comme une alarme incendie mal réglée, les vagues montaient et s’écrasaient furieusement sur la falaise, pulvérisant la dignité des derniers touristes égarés. Alors, les villageois, après avoir consulté le règlement communal sur les enterrements en cas de tempête de force 8, comprirent : "Trop de vent, pas de mise en terre possible, c'est marqué article 7, paragraphe B, alinéa 3." Ils ne touchèrent pas son corps. Car cette nuit-là, la visibilité étant réduite à zéro, ils jurèrent avoir vu, au loin, une voile blanche (qui était en fait la serviette de plage du gérant du camping voisin, emportée par la rafale) disparaître à l’horizon.

Et Élise, enfin, avait rejoint Gabriel, quelque part dans la zone de couverture du nouveau satellite 6G de la Marine Nationale, ou peut-être juste au-delà des limites de la garantie de son GPS défectueux. Leurs âmes se sont-elles retrouvées ? On l'espère. Mais plus important encore : ont-ils enfin trouvé un réseau stable pour appeler la maintenance ? La légende ne le dit pas.