En 2017, il joue à Pokémon Go
De notre envoyé spécial Tehochiwa Répondre à cet odieux singe - le 27 mars 2017
Un joueur assidu
"Je joue encore tous les jours, raconte Benjamin, le sourire aux lèvres. J’ai l’espoir de tous les attraper, d’être le meilleur dresseur !" En effet, le jeune étudiant en communication, très organisé, rythme sa vie par la capture de petits monstres virtuels. Il nous affirme jouer plusieurs sessions chaque jour, notamment le matin au lever, sur le chemin de l’école, pendant les pauses, etc.
Lorsqu’il doit évacuer ses fluides corporels, il ne le fait pas chez lui, ni dans les toilettes de son école, mais plutôt aux sanitaires publics à l’autre bout de la ville, "pour rentabiliser mes déplacements", nous confie-t-il. "Même quand on couchait ensemble, il jouait encore à ce truc, témoigne Elsa, son ex-petite amie. Je l’ai quitté parce que j’en avais ras le bol de l’entendre crier "Oh le Tortank, oh le Tortank !" quand il faisait gicler son… enfin je vais pas vous faire un dessin, hein[1]." Depuis qu’elle a trouvé un fan de tektonik sur AdopteUnMec.com, elle affirme que "ce gros con de geek" ne lui manque pas. C’est tout le bien qu’on lui souhaite.
Des amis incompréhensifs
Du côté de ses amis, la persévérance de Benjamin est aussi incompréhensible que mystérieuse. "Au début, on se retrouvait aussi pendant l’été avec les potes pour jouer ensemble, raconte Thibault, son meilleur ami. C’était encore l’effet de mode, on jouait comme presque tous les gens de notre âge, parce que c’était nouveau et presque révolutionnaire. En plus, j’avais déjà joué à Pokémon quand j’étais petit, vu que j’avais réussi à voler une GameBoy dans un magasin tenu par un tétraplégique[2].
Et puis, au fil du temps, comme 95% des autres joueurs, on a commencé à se lasser, à trouver d’autres occupations, comme le rap, la poterie ou le lancer olympique de chatons." Mais pas Benjamin. En septembre, il continuait d’appeler ses camarades pour organiser des sorties pour capturer des Pokémons toute la journée, en vain. "Ça m’a vite gavé, surtout que je devais reprendre mes études en psychologie des officiers nazis. J’ai un avenir, moi. On dirait que lui, il n’a rien d’autre à faire de ses journées." Il regrette simplement que Benjamin soit trop fermé d’esprit pour s’intéresser à sa nouvelle passion, la MMA catégorie personnes âgées. "C’est cool parce que c’est des vieux qui se tapent dessus" souligne Thibault à ce sujet, très enthousiaste. Visiblement, il n’a pas visité beaucoup de maisons de retraite.
Un loisir boudé
Nous retrouvons Benjamin dans la rue, sortant d’un tabac. "Je n’avais plus de crédit, alors j’ai acheté une carte de 3G[3], sinon, c’était la dépression assurée !" ironise-t-il. Quand nous lui demandons quelles sont les réactions des passants quand ils le voient jouer à Pokémon Go, sa réponse semble confuse. "La plupart du temps, ils m’ignorent ou me snobent. Certains me dévisagent même avec un sourire hautain, mais en général, je ne regarde pas trop les gens, mon écran est plus important qu’eux, il affiche des Pokémons, lui, au moins."
Nous tentons alors une expérience sociale avec un passant choisi au hasard. Nous tombons sur Julie, 27 ans, cheveux blonds tirés vers l’arrière, sac à main noir, manteau beige, grosses narines. Nous lui demandons de deviner l’activité actuelle de Benjamin, alors captivé par son écran de téléphone. "Je ne sais pas, je dirais qu’il matche des filles sur Tinder, ou qu’il cherche une nouvelle poire à lavement sur leBonCoin ?" tente-t-elle d’abord, avant de lui lancer son sac à main au visage lorsque nous lui apprenons qu’il joue à Pokémon Go. Un pari réussi, et un traumatisme crânien.
La sainte guilde des tarés
Même dans la famille de Benjamin, l’incompréhension est flagrante. Sa mère, Anne-Marie, institutrice en école primaire, nous détaille son enfance agitée. "J’ai toujours su dès le début qu’il n’était pas très futé. Au lieu de câliner ses peluches, il leur arrachait la tête avec sa bouche et les lançait sur Biscotte [4]. Au lieu d’embriquer ses LEGO, il les avalait avant de les vomir sur ses jambes en rigolant. Je ne vous raconte pas le nombre de fois où on a dû l’emmener à l’hôpital pour ses conneries. On aurait mieux fait de l’y laisser pour de bon, ou le vendre au marché noir. Et au collège, au lieu de jouer au foot avec ses petits camarades, il dealait des dosettes de sucre en se prenant pour Pablo Escobar.
Il faisait peine à voir, mais j’ai commencé à retrouver espoir au moment où il a voulu faire des études, il s’était même acheté un manuel du marketing ciblant les pédophiles refoulés. Et puis quand Pokémon truc est arrivé, je me suis dit qu’il allait faire comme tout le monde, y jouer pendant un mois puis arrêter." Mais Anne-Marie s’était trompée : loin d’arrêter d’y jouer, Benjamin fit de Pokémon Go son commerce. "J’ai monté une guilde avec deux autres joueurs, on raconte que ce sont les meilleurs dresseurs de France[5] ! On a même un forum et on aide les nouveaux inscrits à capturer de bons Pokémons, moyennant finance. L’argent gagné me sert principalement à m’aider à payer mes études et des mulots albinos du Gabon à qui je donne des noms de Pokémons." De bien sages dépenses.
"Finalement, même les gosses de CE1 sont plus vifs d’esprit que ces dégénérés", conclut sa mère, avant de nous raccompagner à la porte de sa maison et de crier des insanités[6] une fois notre équipe dehors. Telle mère, tel fils.
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