Faute d'appareil photos en cette époque, l'article sera illustré ici et là par des images issues du film Pearl Harbor, de Michael Bay.
Il fut un temps où vie rimait avec sauvagerie - vie rime toujours avec sauvagerie, mais là n'est pas la question. Où pour se sentir pleinement vivre, il n'y avait nul besoin de courir après la fortune en fondant une petite entreprise soumise aux désidératas d'actionnaires véreux. Où vous n'aviez pas besoin d'oublier votre quotidien pourri et votre femme horripilante en allant vous faire dominer dans des boîtes Gay et SM. Il y avait une époque comme ça, où tout était léger, où tout coulait de source. Où l'on ne se posait pas de questions, où l'on allait dans une direction sans se soucier de sa justesse existentielle. Où, pour vivre pleinement, en fin de compte, il suffisait de savoir manier une hache. Savoir trancher des têtes. Arracher des membres. Perforer des crânes. Entortiller des colonnes vertébrales. Faire des scoubidous avec les boyaux. Arracher les ongles un à un avec une tenaille chauffée à blanc, puis les donner à des rats pestiférés. Une époque d'une telle simplicité, que je défie quiconque de ne pas s'y rendre si la possibilité lui en est offerte un jour. Genre, avec une machine à voyager dans le temps. Ou un truc dans le genre.
Et en cette époque bénie des Dieux, il y eut un homme qui vécut pleinement. Si pleinement, qu'il fut connu par-delà les terres connues comme Celui Qui Est Trop Content ou encore Celui Qui Tue Tout Le Monde Si Tu Le Regardes De Travers, ou encore Le Chevalier Rouge. De son vrai nom Phildebert de Bolbec, c'est son histoire qui va vous être contée aujourd'hui.
Chapitre 1 : La rencontre
C'est dans une taverne typique des âges sombres que débute notre histoire. Une taverne comme il y en avait tant d'autres. Avec sa patronne grosse qui pue, ses soiffards insatiables, ses tonneaux entiers de vin dans lesquels flottent de la mousse et des rats morts. Ses rats vivants aussi, que l'on apprivoise parfois, mais que l'on écrase souvent. Il y a aussi des prostituées, qui sont généralement laides, boutonneuses, couvertes de maladies vénériennes, celles qui donnent à leurs attributs génitaux cette gracieuse couleur émeraude. Car il n'y avait point de préservatifs, en ces temps bénis. Eh non, on pouvait troncher n'importe qui sans se poser plus de questions. De toutes les façons on vivait rarement jusqu'à la quarantaine. Alors, t'as toujours pas envie d'y retourner, à cette époque ? Tu préfères garder le caoutchouc, qui te donne l'impression d'avoir un gros zboub ?
En cette taverne précise, nommée "Le ménestrel pompette", un jeune homme raconte une histoire invraisemblable à ses amis. L'histoire d'un homme qui, selon la légende, aurait étripé à lui seul cinquante mamelouks en une nuit, avec seulement son armure et son épée. Un homme terrifiant, tellement sanglant, que son armure était constamment recouverte du sang de ses ennemis. Sans doute, est-ce pour cela qu'on l'appelait "Le Chevalier R..."
— Balivernes !
Cette voix qui vient de s'élever, c'est celle de Philibert. Déchu, et surtout cinquantenaire, le vieux chevalier n'a plus rien d'autre à foutre que de dilapider sa mystérieuse fortune en picolant. Il se dirige en titubant vers les jeunes hommes, s'assoit à leur table en craquant la chaise, et leur parle en mettant sa bouche très près de leur nez.
— C'est pas comme ça que ça s'est passé ! J'étais pas seul ! Personne n'aurait jamais pu faire ça tout seul ! Sauf un mec qui aurait une force surhumaine, pourrait voler très vite, pourrait faire chauffer le métal par ses yeux, glacer la mer par son souffle, et porterait un costume de chauve-souris ! Hips ! Oui, le chevalier rouge, c'est moi !
— Comment, vous ? Demanda un des jeunes. Mais où est passé votre armure ?
— C'est ma femme qui est partie avec, et 50% du mobilier ! Il ne me reste plus que ma fortune chourrée aux musulmans et mon gosier pour boire, et vivre ! Je n'ai même plus de ces terres qui m'ont été données !
— Mais alors, monsieur de Bolbec, racontez-nous, comment s'est réellement passé la Nuit Sanglante Où Cinquante Mamelouks Furent Tués Par Le Chevalier Rouge ?
— Ah, ces mythes. Quand le titre dit "par le chevalier rouge", il oublie de mentionner ses hommes. Oh, vous, vous ne savez pas de quoi je parle, les jeunes. Vous ne savez pas ce que c'est, que de se lancer à l'assaut de cinquante mille hommes, en courant, une hallebarde à la main, avec un tibia brisé, une flèche dans la rate et la grippe ? Ce que c'est d'enfin conquérir un fort, et de piller ses richesses en violant les occupantes ? De boire jusqu'à vomir sur les cadavres de ses anciens ennemis ?
— Heum, non, en effet.
— Eh bien c'est vraiment super ! Je vous le dis, y'a que ça de vrai ! Mais revenons à ce qui nous intéresse. Cette nuit-là, cela faisait un mois que nous étions partis suivre la croisade. Moi, et mes deux cents hommes. En ces deux mois, et avec le reste de l'armée croisée, nous étions tombés d'armée sarrasine surpuissante en armée sarrasine encore plus puissante. Pour éviter d'autres surprises de ce genre, le Général nous avait envoyés en éclaireurs, moi, et mes dix hommes restants. Nous campions, et venions de faire un feu.
Chapitre 2 : Le chevalier rouge et ses hommes, et la première rencontre avec l'ennemi
Mes braves soldats, exténués. Démoralisés, depuis la perte de leurs frères d'armes. Faisant griller leurs bouts de cactus au bout de leurs piques, afin d'adoucir le piquant des épines avant de les manger. J'étais si triste pour eux, mes pauvres bouts de chou, dans un tel état. Vilain Saladin ! Vilain ! Il était de mon devoir de leur remonter le moral. Je fis alors usage de mon talent le plus célèbre : le diabolo. Après leur avoir fait une vingtaine de figures, ils étaient déjà beaucoup plus guillerets. « Acore ! Acore le diabolo, Phildebert ! » criaient-ils. « La ferme ! » Leur répondis-je. « Il est temps d'établir un plan d'attaque pour éviter de se faire surprendre. » Je m'assis auprès d'eux autour du feu, commençant à leur donner mes indications.
— Très bien. La dernière fois, qu'est-ce qui nous a fait perdre ? Leur demandais-je.
— Peut-être le fait qu'on ait été dix fois moins nombreux que nos adversaires ? Répondit Adalbert, notre maître archer.
— Faux ! C'est parce que nous n'avions pas le SPIRITUS ! Le spiritus, les amis ! Cette force qui nous pousse à aller toujours de l'avant ! Il faut croire, pour réussir, et vaincre ! Gagner dans sa tête, c'est gagner sur le terrain !
— Mais enfin, coach, à un contre dix, que pouvons-nous faire ?
— Être plus malin ! Réfléchir davantage que l'adversaire ! Et surtout, le plus important ;..
J'attendais un instant avant de leur donner la réponse. Il me fallait toute leur attention, en cet instant précis.
— Prier, les enfants. Nous sommes ici par la volonté et Dieu, et c'est par lui que nous vaincrons le chien d'infidèle. Sans Dieu, la lame devient du beurre, et la force, de la marmelade. La volonté devient peur, et la victoire devient bite arabe dans le cul. Pour la survie de notre foi, notre peuple, et de ce qui est juste, nous devons massacrer un à un ceux qui se dressent sur notre chemin, à partir du moment où ils n'ont pas la même couleur que nous.
— Oh, Philibert, dit Albert, notre fidèle lancier, vous êtes si courageux, si inspirant, si fort ! Que je vous admire et vous envie ! Faites-moi l'amour !
— Peut-être plus tard, mon bon Albert. Pour l'instant, nous devons prendre connaissance d'au-devant de quoi nous allons. C'est pour ça que j'ai envoyé notre éclaireur, Pardlabert, vérifier les alentours.
— Messire, messire ! Le voici qui revient !
Au loin, un cheval fendait en effet le paysage, approchant dans une traînée de fumée, soulevée par ses sabots. À peine eût-il atteint les dix mètres de distance par rapport à nous, qu'il s'écroula, jetant son cavalier à nos pieds.
— Arrgh, voilà mon rapport, messire, gnargh, dit Pardlabert.
— Mais, Pardlabert, qu'as-tu fait de ton bras gauche ?
— J'cr... J'crois qu'ils m'ont repéré... Je suis pas sûr, mais il y a des chances... Quelqu'un pour me faire un garrot à l'épaule ?
Nous n'eûmes le temps de faire telle chose, car au loin, cinq de ces maudits cavaliers mamelouks apparurent. Ils fonçaient dans notre direction. Il fallait trouver une échappatoire, très vite. C'est alors que j'eus l'idée du siècle.
— À mon signal, on leur jette nos brochettes de cactus, et une fois qu'ils sont tombés de leurs montures, on leur tranche la tête, arrache le foie, transperce le cœur, écrase l'estomac, tord les tétons, griffe les c...
— Philibert, vous vous emportez de nouveau.
— Ah pardon.
— 'Gadez, Philibert, dit Albert, j'ai mis un rocher dans mon cactus pour qu'il soit plus lourd au lancer !
— Je suis fier de toi, Albert ! Ouh, j'en connais un qui ne va pas tarder à se faire sodomiser !
— Ouuuuuh, hou hou hou !
Le plan fonctionna à merveille. Les mamelouks furent jetés au sol en un instant, incapables de se relever suffisamment rapidement pour nous empêcher de les étriper. Je me souviens encore de Boubli, notre épéiste, dansant, tout joyeux, une tête au bout du bras, et un œil au bout de chaque doigt. Ce petit bout d'homme, que je voyais s'épanouir, lui que j'avais rencontré alors qu'il nettoyait encore les toilettes d'une taverne miteuse, que j'avais recueilli et éduqué, lui faisant découvrir les joies de la vie. Et là, six ans plus tard, gambadant, avec son petit maquillage de sang sur le visage... Vous ne pouvez comprendre à quel point ce fut émouvant. Et ne me jugez pas, bande de mauviettes.
Chapitre 3 : Les dunes à notre avantage
— Mais alors, messire, demanda un des jeunes à ma table, ces sarrasins faisaient partie des cinquante que vous n'alliez tarder d'occire ?
— Oui. Notre éclaireur survécut (brave petit !) et put nous donner leur emplacement précis. Il fallut que je reprenne mes soldats à l'ordre, car nous ne pouvions perdre l'avantage de la nuit pour tuer à nous onze quarante-cinq serviteurs de l'enfer.
— Les gars, écoutez-moi ! J'ai dit, écoutez-moi ! Boubli, lâche cette tête ! Albert, arrête de jouer avec la carotide de celui-là, tu vois bien qu'il est exsangue ! TOUT LE MONDE, ON SE CALME !
J'attendis qu'ils laissent tomber leurs jouets pour s'en venir à moi, puis leur demandai ce qu'ils avaient à proposer comme plan d'attaque.
— On peut peut-être les arroser de flèches en restant à distance...
— Ce n'est pas une mauvaise idée, Albert, mais tu es notre seul archer. Ils sont à cheval, et auront eu tout le temps de venir jusqu'à nous pour nous trancher sans que nous ne puissions faire quoi que ce soit.
— Mais pourtant, si je tire deux flèches en vingt-cinq secondes...
— J'ai dit NON ! Vociférai-je.
— Peut-être pourrions-nous... Nous cacher.
Celui qui venait de parler, c'était un de mes petits préférés. Marcellin. L'intellectuel, le stratège, le cultivé, celui qui arrive toujours pile quand je suis à court d'idées, et qui sait se défendre avec une épée. Je l'avais trouvé chez un médecin, qui n'en voulait plus, Marcellin préférant couper des artères pour voir le sang couler plutôt que de guérir des angines. Un garçon si charmant.
— Vous n'avez probablement pas lu MacBeth, messire, dit-il.
— Hum, non, en effet, ça n'a pas encore été écrit et je ne sais pas lire.
— Dans ce livre, les soldats se déguisent en arbre, approchant ainsi à l'insu de leurs adversaires.
— Ingénieux. Mais nous n'avons pas d'arbres à disposition.
— Nous avons du sable. Ce qu'il suffit de faire, c'est d'attendre qu'arrivent d'autres de ces mameluks.
— Pourquoi penses-tu qu'ils viendront jusqu'à nous ?
— Parce qu'ils ne verront pas cinq de leurs camarades revenir. Ils voudront vérifier leur sort.
— Tu veux dire que l'on va se planquer avec du sable plein les yeux et la bouche et entre les plaques de mon armure ? Et dans la raie ?
— Voilà.
— Bon. Les gars, vous savez ce qu'il vous reste à faire.
Je ne sais combien de temps nous passâmes ainsi sous le sable, à attendre. Au moins dix, vingt minutes. Peut-être même trente, carrément. Tout ce sable, au-dessus de nos têtes, me rentrant lentement dans la raie. J'allais chier du verre pendant une semaine. Puis, ils arrivèrent. Dix de ces monstres. Je plains Albert que l'on avait alors désigné pour rester éloigné des cadavres afin de bloquer le retour des cavaliers. Il se fit galoper sur la gueule. Les infidèles, découvrant les cadavres de leurs compères, se baladèrent autour du camp, cherchant les meurtriers que nous étions. D'où j'étais (sous le corps d'un de leurs potes), je pouvais entendre ce qu'ils se disaient.
— La vie de ma mère, Abdel ! La vie de ma mère que j'y crois pas, la chatte à sa pute !
— Sérieux, Morsay, ça fait pétave comment je bade trop ma mère ! La race à sa chatte, ils les ont tous plantés !
— Et ils se sont taillés les fils de la pute à sa mère ! Les lâches la putain de sa race, zyva ! Comment je pète grave un câble, t'as vu !
— Carrément wesh, ouallardine !
— Hein ?
— Ouallardine. Ça veut dire genre, "la chatte à sa race".
— Ah, OK. Bon, ben on n'a plus qu'à ramener les cadavres au campement.
— Je propose qu'on ramène juste les têtes, ça va nous prendre trop de temps de ramasser tous les morceaux.
— Ouais t'as vu t'as trop raison. Vazy, checke, sa race.
Ils descendirent de leurs chevaux et se mirent à se taper dans les mains. C'était le moment. Furieux, je hurlais le signal, lançant mes hommes à l'attaque.
— MEGAZOOOOOORD ! hurlai-je.
— La vie de ma mère ! Arrghl !
— Comment j'ai trop la mort ! Argh !
Un ballet sanglant, d'une beauté incroyable, s'ensuivit. Leurs têtes, volant vers les cieux. Le sang, en fontaines divines, éclaboussant l'immaculé désert qui devint un tombeau spectral. Pourquoi spectral ? Je sais pas.
Pour faire encore davantage plaisir au divin Jésus Christ notre sauveur, nous bûmes leur sang et violâmes leurs cadavres. Nous avions bien honoré le seul et unique Dieu des hommes, miséricordieux et sauveur des hommes, qui est amour, et tout. Un seul point noir vint s'ajouter au tableau : Albert. Complètement fracassé par la chevauchée, il ne respirait plus. Il était bel et bien mort.
— Albeeeert ! Criai-je. Non ! Pas toi ! Noooon ! Je n'aurai jamais eu le temps de te donner ce que tu voulais tant ! Toi si jeune, si frêle ! Parle-moi, Albert, parle-moi ! Dis-moi quelque chose ! Dis moi que tu veux ma bite, comme d'habitude ! Tiens, tu veux ma bite ? LA voilà ! Tiens ! Tiens !
— Messire, arrêtez enfin ! Vous vous souvenez que l'évêque nous a dit de ne violer que les cadavres de nos ennemis ?
— Mais c'est ce qu'il voulaiiiiiiiiiiit !
J'avais honoré la mémoire de mon fidèle Albert, et il restait encore beaucoup à faire. Trente-cinq. Trente-cinq vies à prendre, trente-cinq aberrations à pourfendre. La nuit allait être longue. Et on n'avait plus de bibine.
Chapitre 4 : Feu de camp et saucisson
Les arabes, ces enculés de racistes des saucissons, aiment se mettre en groupe autour d'un feu de camp et de décider de la prochaine atrocité innommable qu'ils vont commettre. Alors que nous préparions notre plan d'attaque, ils devisaient, attendant le retour de leurs camarades.
— Tu sais, c'est pas que j'ai envie de la forcer à porter la burqa, mais mon imam arrête pas de me pousser à le faire.
— Je comprends, Rachid. Tu ne veux pas forcer ta femme à porter quelque chose qu'elle n'apprécie pas.
— Exactement ! Je l'aime, ma femme. Ce sont des êtres humains, comme nous, elles ont le droit à la liberté, et une de leurs premières libertés est la liberté de se vêtir. Elle trouve que ça lui donne trop chaud, et que ça ne la met pas en valeur. Elle a le droit de vouloir se sentir belle. Belle, Rachid. Belle, comme un oiseau du désert.
— Un vautour ?
— Oui, voilà, elle a le droit d'être belle comme un vautour. Je ferais tout pour elle. À moins qu'elle bouffe du saucisson, alors là mon gars, je la lapide avant qu'elle ait eu le temps de digérer.
— Tiens, Rachid et Rachid, c'est intéressant ce que vous racontez. Moi aussi, j'ai des problèmes de la sorte à la maison.
— Comment cela, Rachid ?
— Eh bien, ma petite dernière. Elle insiste pour faire le ramadan, elle dit que ça la rapproche d'Allah, et que grâce à cela, elle atteindra le royaume du prophète totalement pure. Mais je ne trouve pas ça sain. En plus, la dernière fois, elle avait un rhume, et refusait de prendre un quelconque médicament avant que la nuit tombe.
— Mon Dieu. Ta fille a l'air d'être une bonne musulmane, Rachid, mais elle devrait penser aussi à sa santé. Il faut lui apprendre ce genre de choses. Comment s'appelle-t-elle, Rachid ?
— Rachida.
— Dis à Rachida qu'elle atteindra le royaume du prophète en temps et en heure, et que cette attitude ne lui fera que moins profiter du royaume terrestre. Elle risque de partir trop tôt.
— Les gars, puisqu'on en est dans les confessions, il faut que je vous dise quelque chose. Vous savez que le Coran nous interdit d'avoir plus de quatre femmes. Eh bien, j'en aime une cinquième.
— Sapristi, Rachid ! Tu l'as dit à tes femmes ? Elles sont au courant ?
— Non, elles... Elles me tueraient... Elles sont si possessives, si jalouses... Si elles savaient !
— À quel point aimes-tu cette femme, Rachid ?
— Eh bien, à un moment, elle avait très envie d'un de ces instruments de musique, là, un Qanûn. Alors, j'ai trouvé un chameau garé près d'un salon de thé, et j'ai volé l'instrument qui était accroché à la selle pour le lui offrir.
— Rachid, c'est très grave ! Imagine ! Imagine que nous, les arabes, peuple fier, juste et droit, prenions pour habitude de voler ce qui produit de la musique dans les moyens de locomotion ?
— Je sais, Rachid, je... Je ne sais pas ce qui m'a pris ce jour-là. Crois-tu qu'Allah me pardonnera ?
— Je pense que tu devrais tout de même aller massacrer un saucisson afin de te racheter.
— Attendez, monsieur, dit un des pré-pubères qui me côtoyaient.
— Quoi ? Répondis-je.
— C'est pas logique, dans un récit à la première personne, on raconte le vécu du personnage ; or, vous avez basculé vers un mode de narration omniscient, racontant des évènements qui eurent lieu sans que vous n'en soyez témoin.
— De quoi !?
— Enfin, Michelus, dit un autre, peut-être exprime-t-il par là la volonté d'une histoire sortant du commun, au propos appuyé par l'absurde de sa démarche.
— Mais il aurait des siècles d'avance sur la narration romanesque ! Ça n'a aucun sens !
— Ça suffit ! Les coupai-je. Puisque vous me les brisez, je saute l'épisode où on en éviscère vingt ! Du coup il n'y en a plus que quinze !
— Oh nooooon !
— Si ! Et de toutes façons, je m'en souviens plus ! Ou alors, mon esprit a occulté cet épisode, suite à un traumatisme trop important !
Quoiqu'il en soit, j'étais allongé sur le sable, une flèche dans le cou, les cadavres de mes compagnons à côté de moi, mélangés aux cadavres de vingt de ces monstres. Faire le mort pour fuir la mort, quelle attitude honteuse. J'avais intérêt à laver cet affront à l'honneur et à la justice en les décapitant un à un, puis en envoyant le reste des croisés violer leurs familles.
Chapitre 5 : Aux portes de l'enfer
Il me vint alors à l'idée un plan très simple : j'allais me déguiser en mamelouk, m'approcher d'eux, en prendre un en otage, et demander aux autres de rendre les armes sous peine de voir leur petit copain barbu s'en aller ad patres. Je la remis en cause en me demandant si Jésus accepterait que je me vêtisse d'habits ayant appartenu à un infidèle. Pour être sûr de bien respecter nos acquis catholiques fondamentaux, je décidai de monter un cadavre sur une pique, afin de l'articuler comme un pantin et d'amener à moi un des ennemis. Mon mécanisme en place, je m'avançai dans le désert jusqu'à trouver le camp où mes cibles s'étaient arrêtées pour souper. Rusé comme un renard, j'imitais la voix du défunt afin de les tromper.
— Wesh, wesh wesh ! Wesh wesh wesh wesh !
— Par la barbe du père noël ! dit l'un d'entre eux.
— Du prophète, Rachid, dit un autre.
— Ah oui du prophète, pardon ! Tu es vivant, Rachid ! Incroyable !
Il courut comme un dératé vers moi. Je préparai ma lame, dissimulée dans mon dos.
— Rachid, toi qui venais de te marier, d'avoir six enfants, de donner la moitié de ta fortune aux pauvres, tout en soutenant une famille somalienne affamée et dans le besoin, sans parler de ta mise en place d'un centre de formation pour assistants aux handicapés mentaux, ainsi que ta réussite en la réconciliation de tribus catholiques et musulmanes dans le golfe persique, tu es vivant ! Bien vivant !
À peine atteignit-il ma portée que je me saisis de lui, lui plantant mon épée dans le ventre avant de lui trancher la gorge. Oui, je devais le prendre en otage, mais je n'ai pas pu retenir mon mouvement. La force de l'habitude. L'un d'entre eux m'interpella.
— Que veux-tu, croisé ? Tes hommes sont morts, les nôtres aussi, beaucoup trop de sang a été versé. Je ne vois pas l'utilité pour toi de continuer ce combat.
— Je veux venger leur mémoire !
— Pourquoi ? Par fierté ? Par honneur ? Ne penses-tu pas que tu devrais laisser les cadavres là où ils sont, les laisser enfin reposer en paix, loin de l'horreur de ce monde, de ces hommes, qui seront toujours trop effrayés et jamais assez sûrs d'eux-mêmes pour accepter ce qui est différent ? Un monde où règne l'intolérance, la culture de la pensée unique, un monde qui ne changera jamais tant que les hommes ne seront pas libérés de leur embrigadement avilissant, fourni par une société par trop basée sur le besoin personnel pour réellement fonctionner en harmonie ?
Alors qu'il déblatérait son monologue, j'engloutissais discrètement des rondelles de saucisson. Une fois toutes avalées, j'avalais de l'air et me jetais sur eux afin de leur roter à la gueule. Incapables de se nourrir de saucisson, ils s'arrêtèrent tous de respirer, me donnant l'opportunité de les trancher un à un, sans qu'ils aient assez de force pour riposter. Une fois de plus, le saucisson avait vaincu ses ennemis naturels.
— Eh bien, c'était extrêmement débile comme histoire, dit un des jeunes. Ça m'a juste donné vachement envie de manger du saucisson.
— Voilà qui tombe bien ! J'ai justement sous la main un sac rempli de ces petites merveilles ! Deux balles la rondelle !
— Attendez... Vous êtes qui, en vrai ?
— Justin Bridou, à votre service ! J'ai inventé cette histoire de chevalier rouge afin de me donner une meilleure opportunité pour colporter mon produit.
— Mais alors, tous ces personnages n'ont jamais existé ? Pourtant, avant le sommaire, on nous parlait déjà de Philibert de Bolbec, et ce n'était alors pas vous, le narrateur.
— Non, rien de tout cela n'est vrai ! Vous aviez failli me griller au moment du changement de point de vue. Mais vous n'aviez pas remarqué non plus que la narration première était passée de la troisième à la première personne au moment où vous m'avez fait la remarque. De plus, le personnage s'appelait-il Philibert ou Phildebert ? Et franchement, tous ces personnages qui se comprennent alors qu'ils devraient parler des langues différentes ? Trente-cinq mamelouks qui ont le même prénom ?
— Mais alors, on est quoi, nous ?
— Juste des crétins, qui se croient en mesure de subsister dans une métanarration. Des clients potentiels, je veux dire.
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