Tir à l'arc
Bonjour,
Ton score est à pour l'instant à 50 à la cinquième flèche sur une volée de 6. Maximum possible à ce stade. Sixième et dernière flèche à venir.
L'exploit est là, à la fois mesurable et atteignable, et du coup statistiquement probable, récompensant des années de discipline et d'effort. Un sans-faute qui te permettra d'atteindre la médaille d'or dans la catégorie vétéran à la finale des championnats municipaux de tir à l'arc auxquels tu participes enfin depuis que tu as l'âge d'être vieux et que les autres concurrents sont presque tous décédés ou atteints de parkinson. Ce qui te permet d'espérer du coup une médaille que tu n'as jamais pu espérer de ton vivant. Enfin de ta jeunesse. Enfin ta jeunesse éduquée quand tu pouvais mettre ta bite dans le trou direct, sans ni chercher où avec les doigts, ni sans user de produits de substitution de la dysfonction érectile. Citrate de 1-[4-éthoxy-3-(6,7-dihydro-1-méthyl-7-oxo-3-propyl-1H >-pyrazolo[4,3-d]pyrimidin-5-yl) (phénylsulfonyl]-4-méthylpipérazine. Enfin du viagra, quoi.
Mais, tu te concentres.
Macro vision
Tu es la cible. Le 10. Le jaune. Le reste, bariolé, n'existe pas. Ne te distrait pas.
Tu es la flèche. Sa pointe, son fut, son empennage.
Tu es ton arc, dans chaque élément qui le constitue. Du berger, de la stab, de tout.
Tu es toi-même ton corps qui maîtrise l'ensemble qui ne fait qu'un avec lui.
Instant parfait.
Micro vision
Tu sens la corde tendue. Chaque vibration induite par ton souffle sur la corde. Tu sens les noeuds de pression le long des 12 brins de la corde que tu as toi-même tressée. Tu synchronises ton souffle venu du diaphragme et non des poumons pour qu'il entre en résonnance. Il faudra décocher dans un ventre de pression négatif afin d'améliorer les 35 livres de tension d'un pourcentage presque non-significatif, mais prévu, et signifiant indiscutablement victoire. Normalement :
C'est prévu.
Ah ! Ce soir, bobonne va prendre car elle ne pourra rien te refuser après la médaille, et pourra crier « Oh ! Jean-Jacques », comme depuis toujours après chaque orgasme qui se font de plus en plus rares. Après tout on ne peut pas bander tout en même temps, et là, pour l'instant, c'est l'arc.
Mais tu te reconcentres.
Car tu as vérifié ce matin sur l'almanach de la poste, la lune est à son aphélie et a, comme pour la marée, tendance à relever l'eau de ton corps et nécessite ajustement. D'ailleurs, comme disait Al Kashi de son temps :
(eq : 1.3)
Bref, autant intuitivement que cognitivement (du fait que tu as révisé l'Almanach de la poste) tu recentres la totalité de ton corps immobile et à la fois conscient de tout mais involontairement de rien pour rectifier ton attitude par rapport à la position de la lune.
Nano vision
Tu es toi-même la flèche filant totalement accaparée par son but unique. Le jaune. Le centre. Le 10. Le principe des variables cachées non locales impose le déterminisme donc la victoire indiscutable. L'onde-guide accompagne la flèche vers le jaune constituant désormais un ensemble intriqué, le principe de De Broglie/Bohm
Pico vision
Tu sens le vent dans l'empennage qui file.
Tu sens le fut qui oscille et ses harmoniques dont la fréquence de bout en bout liée aux nanotubes de carbone enrichis en aluminium qui en assurent la rigidité théorique.
Tu anticipes le battement de l'aile de l'oiseau et son influence sur la pression atmosphérique et donc sur la trajectoire. Tant que ce foutu pigeon ne te chie pas dessus, ça t'évitera de faire une lessive impérative, même si elle serait nécessaire car il sent quand même un peu la sueur ton polo blanc de compèt'.
zepto-vision
Tu sens pourtant la gravité qui tend à déstabiliser l'axe vertical de ton arc et donc à te déstabiliser.
Tu sens du coup la force d'inertie complémentaire se sur-imprimant au mouvement simple de la gravité que tu compenses déjà, et du fait de la rotation de la terre, qui génère un mouvement de précession de l'axe des branches de ton arc dont le spin (négatif car tu tires dans l'hémisphère nord) provoque un conflit discret avec le repose-flèche (seule partie en acier et donc métal ferreux) dont l'interaction avec le champ magnétique terrestre, quasi-orthogonal, génère des courants de Foucault qui arracheront quelques atomes de carbone de la flèche au lancement de celle-ci.
Que tu compenses instinctivement. Car c’est prévu.
Comme disaient, l'air de rien, Dirac et Fourrier. Quels coquins, ceux-là, d'ailleurs, en passant. Ah, ah. Ça te ferait bien rire si tu n'étais pas aussi concentré.
yocto-vision
Les deux tachyons supposés par les dernières théories quantiques entre la pointe et le jaune se croisent en un temps négatif. Plus vite que le photon, plus rapidement que le flux nerveux entre ta rétine lorsqu'elle capte le photon et ton cortex visuel, plus vite que tout. Même flèche bleue ton idole.
Mesurant tout.
Même sans réelles possibilités de mesure compte-tenu de la nature ondulatoire et controversée de leur existence, mais que toi, tu intuites totalement.
succès
Tout est clair, et, enfin, tu sens la pointe qui s'enfonce dans le 10. Dans le jaune ! 60 ! Score maximal ! Soulagement anticipé.
A ce stade la différence entre sémiotique et sémiologie se clarifie enfin soudainement dans ta conscience, l'action et la correspondance reliant deux mêmes étant réduite par anticipation cognitive.
Ta race
Harmonie totale. Satori.
Instant complet de zen. Unité totale du geste, du but, de l'homme, de son arme, de son projectile, de sa cible, de l'espace et du temps. Et du reste. De tout. Unification complète des forces.
Union de Luke Skywalker et de Robin des bois.
Point n'est nécessaire de viser, indépendance de l'œil, supériorité de l'esprit sur la matière même dans sa version ondulatoire de la physique quantique, contredisant l'acceptation générale mais douteuse de Copenhague. Sans parler ni de Shakespeare, ni de l'Eurovision 2014. Par exemple.
L'harmonie étant atteinte, un simple relâchement de la tension musculaire de trois doigts suffit.
Tu penses toujours au jaune.
Bistrot vision
Du coup, tu penses au pastis que tu vas te taper pour fêter ça. Le jaune.
Puis, par prescience, la corde qui se relâche et qui vibre, la flèche qui vole, la cible qui s'approche. Toujours de manière totalement déterministe. La décohérence prévue de l'intrication suite à l'effondrement de l'onde de probabilité.
Et le papillon qui pète au Tibet.
Merde. Ça, tu ne l’avais pas prévu. Parce que, enfin, c'est forcément à cause de ça.
Car, donc, tu rates.
Paille.
Jaune aussi, la paille, bizarrement. Tu finis dernier du concours. Comme d'hab.
Fait chier.
Fallait probablement pas penser au pastis.
Merde. Du coup, tu vas boire un pastis en ruminant le fait que culturellement, les Coréens peuvent être bien meilleurs au tir-à-l'arc que les Français car toujours culturellement non distraits par le jaune ?
Mais aussi qu'il y a peu de chance de pointer bobonne ce soir. Autant se torcher, donc.
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