Travail à l'usine

Le Travail à l’usine (laborus répétitus en cadensus infernus) est une forme d’occupation humaine aussi ancienne que déprimante. C’est là que l’être humain cesse d’être un rêveur libre pour devenir un numéro, un badge, un rouage qui sent la sueur et la résignation. C’est aussi l’endroit où les gens qui n’aiment pas le télétravail se souviennent que la vraie vie, c’est porter 12 caisses de 20kg sous 36° pour un salaire de 1340€ net.

ORIGINES

Le concept d’usine a émergé à la révolution industrielle, parce que c’était trop long de faire des trucs à la main dans une ferme en chantant avec les oiseaux. Des mecs à hauts-de-forme ont dit tiens, et si on foutait 400 personnes dans un hangar pour qu’elles répètent le même geste pendant 12h ? Et depuis, c’est devenu la norme : le progrès technique a évolué, les chaînes de montage se sont automatisées… mais le mec au fond avec ses chaussures de sécurité et son dos cassé est toujours là.

APPARENCE

Une usine, c’est un mélange de :

• tôle ondulée
• bruits métalliques
• sol sale
• horloge cassée
• fenêtres sales qui filtrent la lumière comme un film de guerre

À l’intérieur, c’est un sanctuaire du gris : gris au sol, gris sur les murs, gris dans les yeux des gens. Tout est rangé, normé, chronométré, contrôlé, sauf l’âme humaine qui s’est barrée à la pause de 10h et n’est jamais revenue.

VIE D’UN OUVRIER

1. Tu pointes à 4h57 avec les yeux d’un mec qui s’est réveillé dans son cercueil 2. Tu passes ton badge sur une borne qui a plus d’âme que ton chef d’équipe 3. Tu mets tes EPI (Équipements de Protection Individuelle = casque, gants, bottes, dignité perdue) 4. Tu rejoins ton poste : une table, un outil, une lumière blafarde, un bruit, un tempo 5. Tu répètes un geste. Encore. Encore. Encore. Encore. Encore. Pendant 8h. 6. Tu regardes l’horloge toutes les 3 minutes. Elle ne bouge pas. 7. Tu pries pour la pause de 9h. Elle dure 7 minutes. 8. Tu manges en 12 bouchées froides ton sandwich triangle au pâté 9. Tu retournes bosser. Encore. Encore. Encore. 10. Tu finis par rentrer chez toi avec l’impression d’avoir vieilli de 4 ans.

MÉTIERS TYPIQUES

• Assembleur : je mets cette pièce là, puis cette vis là, puis je pleure en silence
• Cariste : je transporte des palettes avec plus de soin que mes enfants
• Agent de conditionnement : je mets 400 pots de yaourt dans des cartons avant de devenir le yaourt
• Conducteur de ligne : je surveille une machine qui fait tout à ma place, sauf quand elle bug, là je prends la foudre
• Opérateur machine : j’appuie sur un bouton toutes les 17 secondes. C’est ma vie

PAUSE CAFÉ

Instant sacré. L’unique moment de spiritualité dans l’usine. Tu te poses, tu fumes, tu bois du café dégueulasse, tu racontes des trucs moisis, tu critiques la hiérarchie, tu ris jaune. C’est 12 minutes de liberté avant de retourner en enfer. Celui qui la rate est maudit. Celui qui l’allonge est un dieu.

AMBIANCE

• Tensions passives
• Moqueries subtiles
• Blagues recyclées depuis 2004
• Soupirs, silences, regards vides
• Le chef qui parle en bullet points : productivité, qualité, sécurité, silence
• Les anciens blasés qui te regardent comme pour dire toi aussi tu croyais que ça allait être temporaire hein ?

PATRONAT

Il te parle de :

• famille d’entreprise
• épanouissement au travail
• polyvalence dynamique et agile

Mais ce qu’il veut, c’est que tu fasses :

• plus d’heures
• plus vite
• pour moins cher
• sans broncher
• et en souriant pour les photos du journal interne

RÉCOMPENSES

• un stylo floqué à Noël
• un mug moisi pour 10 ans d’ancienneté
• un bon d’achat de 30€ pour les fêtes
• une augmentation de 0,4% si les objectifs sont tenus
• un gâteau industriel pour l’anniversaire de Robert qui va prendre sa retraite après 38 ans de loyaux services et 0 merci sincère

DANGERS

• Le dos
• Le froid
• La chaleur
• Le stress
• Les machines qui veulent ta main gauche
• Les patrons qui veulent ton âme
• Les collègues qui veulent ton poste
• Les syndiqués qui veulent ton vote
• Les bouteilles d’eau que t’as pas le droit de poser à côté de la machine parce que protocole sécurité

TYPES DE COLLÈGUES

1. Le vieux briscard : 42 ans de boîte, il te regarde comme un gosse et t’appelle petit même si t’as 34 ans 2. Le rageux : il déteste tout, tout le monde, mais il est là tous les jours à 4h45 3. La bavarde : elle parle pendant qu’elle travaille, même quand elle travaille pas 4. Le chef d’équipe passif-agressif : je suis pas ton patron mais j’ai un gilet bleu, donc ferme-la 5. Le gars en burn-out silencieux : il dit rien, il fait tout, il mourra sur cette ligne

PERSPECTIVES

• devenir chef de ligne (aka souffrir en polo au lieu de souffrir en salopette)
• être licencié après 20 ans parce que restructuration
• te casser le dos à 52 ans et te reconvertir en vigile
• prendre ta retraite à 64 ans (si ton foie tient jusque-là)
• mourir d’un AVC dans le vestiaire à côté de la machine à café et personne te trouvera avant la pause de 10h

ANECDOTES

• Un ouvrier peut faire 28 000 gestes identiques en une journée et oublier ce qu’il a mangé
• Il peut entendre le bip d’une visseuse même dans ses rêves
• Il est capable de pisser en 48 secondes chrono avec le pantalon à moitié baissé
• Il a déjà vu un collègue perdre un doigt et continuer sa journée parce que pas envie de perdre sa prime
• Il connaît la recette exacte du désespoir en barquette micro-ondable