Utilisateur:Dan Bourscau/Illittérature:Experts comptables et fine dentelle

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Dans l’ensemble Gérard était heureux. Cadre dynamique d’âge mur, il avait su gravir tous les échelons de simple vendeur chez Casto à responsable des achats de haies en plastiques. Sa réussite se voyait sur son visage, la moustache fière il avançait dans son complet en velours côtelé marron qui savait effacer gracieusement le léger embonpoint acquis dans les multiples diners avec les clients. Ses lunettes cerclées or venaient soutenir son regard de rapace acéré par ses rides marquées au bord des yeux d’un bleu azur. Il était d’autant plus fier de montrer sa réussite dans chaque évènement de sa vie. Il avait récupéré le bureau de ce tire au flan de Jean-Pierre et avait enfin accédé à la classe de la moquette au mur et des plantes vertes exotiques en plastique. Il avait acquis depuis peu une maison Phénix dans un quartier résidentiel du sud de Melun. Et il avait la fierté de faire tous les jours le trajet dans sa magnifique Renault Fuego marron. C’était certes un ancien modèle mais qui faisait toujours son effet dans la rue grâce au ronronnement envoutant de son moteur GTI. Et il se souvenait, une fois l’été venu, de ses escapades vitres ouvertes et la bite à l’air, aux cotés d’une charmante demoiselle. Gérard avait une classe innée et en tirait une confiance de tous les jours. Il surfait sur les cash-flows internationaux. Le Dollar montait, qu’a cela ne tienne, le yuan baissait dans le même temps et il en profitait pour changer de fournisseur. Le cours boursier du PVC n’avait plus de secret pour lui et il jonglait avec les plus grandes places du monde, Londres, New York, Longwy… Autant de noms qui font rêver. La vie trépidante de Gérard ne lui laissait pas beaucoup de temps pour construire une famille. Il volait de relation en relation comme un goéland de passage sur l’océan revêche de la vie.

Voilà les pensées qui absorbaient Gérard ce soir. Il sirotait son verre de pastis 51, regardant la pluie tomber sur les rhododendrons de l’allée de son jardin. Avec nostalgie, il pensait parfois à une vie plus rangée, à une balançoire pour enfants ou à des séjours de camping à la grande motte. La grande motte… sa plage de sable fin, ses pinèdes et son rosé au frais…Mais Gérard n’était pas un grand sentimentaliste dans l’âme. Il laissait ce sentiment aux faibles et aux écrivains. Il se rassurait en pensant qu’avec sa classe il avait assez l’occasion d’y taper… dans la grande motte de poils. Ce soir Gérard n’avait rien de prévu, ce qui lui laissait le temps à ces rêveries douces. Une fois la légère averse passée et son pastis avalé, il observa d’un regard flou le ciel gris quelques secondes avant de sortir sur son perron pour humer cette odeur si particulière qui se dégage de la terre après une petite pluie automnale. Cette délicate odeur d’humus et de feuilles en putréfaction étaient le jardin secret de Gérard depuis sa plus tendre enfance. Il huma le calme d’après la pluie et les légers craquements du bois ou des petits insectes qui tintinnabulaient à ses oreilles comme si elles sortaient d’un bain. Il savourait ce renouveau des odeurs dans un monde détrempé. Même le passage postillonnant d’un 4x4 sur la route, projetant une myriade de fines gouttelettes de ses roues démesurées, était une redécouverte d’odeurs. Le gasoil brulé sur l’asphalte détrempé.

Gérard rentra savourer le confort douillet de son salon après s’être bien rafraichi à l’air libre. La tiédeur de la pièce l’enveloppa et lui procura un bien-être supplémentaire, un peu comme si il avait retenu sa respiration avant de savourer de nouveau une goulée salvatrice. Il se rendit alors compte qu’il avait faim, et décida de se décongeler une pizza au four qu’il dégustera devant sa télévision coins carrés. Attablé dans le salon, les coudes sur la toile cirée, il regardait d’un œil distrait les nouvelles télévisées tout en engloutissant sa pizza. Ses yeux allaient et venaient de son assiette à l’écran en passant par la table basse encombrée de vieux Télé Z et de canettes de bières à demi entamées ou faisant office de cendrier de fortune, reliquats de nombreuses soirées de football. Il regarda pendant un temps le tableau qu’il avait acheté l’été dernier. Il avait passé quelques jours aux Saintes-Maries de la Mer en Camargue et en avait ramené ce tableau en plus d’une chaude-pisse attrapée après une soirée animée dans la boite de nuit. Il avait acheté ce tableau en même temps qu’une lampe en coquillages qui trônait maintenant sur sa table de chevet. Ce tableau représentait de fiers chevaux blancs, s’ébrouant sur le sable mouillé par le ressac d’une plage dans un couché de soleil orange-mauve.

A la fin de son repas, Gérard décida de se laisser aller dans son canapé en skaï de gnou, les pieds dans ses chaussettes trouées sur la table basse tels les twin towers au milieu des gratte-ciels des canettes vides. Cette métaphore l’amusa quelques secondes avant qu’il plonge au cœur des rebondissements multiples du téléfilm du soir. Le lendemain matin, arrivé à son bureau il croisa le regard malicieux de Micheline dans le hall d’entrée. Micheline avait été élue miss Casto depuis cinq ans d’affilée avant que son heure de gloire soit volée l’année dernière. Une jeune stagiaire allumeuse du service comptabilité avait su s’attirer les faveurs du jury grâce à son charme irrésistible et ses yeux en amande. Certaines mauvaises langues affirmaient qu’elle ne devait son titre qu’à sa capacité à s’accroupir sous le bureau de tous les chefs de service. Gérard, lui ne pipait mot sur cette histoire, gardant en mémoire l’incroyable douceur des lèvres pulpeuses de la jeune sur son membre viril. Rien que d’y repenser, une excroissance généreuse se formait dans le bas-ventre de Gérard. Micheline qui baissait justement les yeux remarqua le phénomène et sourit de plus belle se méprenant sur la nature de l’émoi qui éprenait alors Gérard. Mais Gérard était déjà passé à la deuxième passion de sa vie : gérer les décalages de fond de roulement de la trésorerie de l’entreprise. La maitrise des chiffres, l’endiguement des flux financiers procuraient à Gérard l’assouvissement de ses penchants de dominateur. Aligner les dépenses avec les ressources de sa comptabilité, c’était pour lui comme arriver à faire tenir en équilibre un crayon bic sur un seul doigt pendant cinq minutes d’affilée, son dernier record.

Une fois sa journée finie, Gérard se rendit au bar Biturique pour picoler un petit coup avec ses amis.



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