Bathing ape : un essai d'analyse
Bathing ape est une œuvre littéraire contemporaine écrite par un auteur inconnu dont le nom de plume est 90.26.61.92. Nombreux sont les critiques littéraires qui considèrent cette pièce comme un ouvrage majeur de la pensée et de la littérature de notre époque.
Le texte
En seulement 7 mots, l'ouvrage bouleverse notre perception du monde :
vielle marque d'habille our les clocherds
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Première interprétation
Le lecteur naïf se contentera de comprendre le texte comme une définition encyclopédique d'une marque commerciale, certainement ancienne, et destinée à une catégorie socio-professionnelle arborant un rasage peu ordinaire.
Analyse sémantique
Chacun des mots employé dans cette pièce a été choisi et ouvragé avec soin, révélant au lecteur un univers complet d'idées tantôt violentes, tantôt lénifiantes, mais toujours subtiles. Quoiqu'une étude cursive des éléments lexicaux diminue la portée de l'ouvrage, elle permet néanmoins d'effectuer une première approche :
- vielle : dès le premier mot, on tombe déjà sur une ambivalence, car 90.26.61.92 nous montre qu'avec un seul mot, le discours peut déjà être multiple. Au premier abord, le lecteur verra un adjectif, vieille, brutalement perverti. Que nous révèle cette perversion ? Que la vieillesse est une corruption de l'être, un voyage vers une destination sans retour, la mort. L'auteur résume avec brio quarante siècles de philosophie humaine préoccupée par le destin et le trépas inévitable, et nous rappelle la vanité de l'être. En seconde lecture, on peut voir émerger (et le talent de 90.26.61.92 se révèle ici, quand ne se montre qu'en second lieu ce qui aurait dû être évident au premier abord) la référence à l'instrument de musique ancien, qui nous renforce dans la première interprétation, mais l'image de la musique nous rappelle aussi que cette destinée peut prendre bien des aspects, pourquoi pas revêtir les ornements joyeux du bal. C'est justement l'intensité de ce parallélisme entre l'adjectif et l'objet, l'apparence et l'être, qui saisit le lecteur et le plonge dans une profonde introspection.
- marque : la marque, c'est d'abord le symbole du capitalisme triomphant, et on aperçoit déjà le message politique poindre. Mais la marque, c'est aussi l'étiquette, le symbole même du paraître, encore un thème profond subtilement amené par la magie des mots. L'auteur nous pose la quesion : l'habit fait-il, oui, ou non, le moine ? Essayer de répondre à la question, ce n'est que tomber dans la paraphrase de Bathing ape.
- d : contrairement à ce qu'on pourrait penser de prime abord, cet article n'est bien sûr pas aussi innocent qu'il apparaît. Il symbolise la possession, symbole à la fois du capitalisme - encore - et de la vanité de l'existence terrestre, autre thème cher à 90.26.61.92.
- habille : que dire de cette géniale trouvaille ? Est-ce un substantif ? Est-ce un verbe ? C'est à travers ce vertige de questions que nous apparaît en demi-teinte l'influence de Jorge Luis Borges et du langage imaginaire de Tlön. 90.26.61.92 concilie le Sein et le faire, résumé sublime de la dichotomie humaine. La suggestion d'un verbe au présent nous oppose au temps passé suggéré par le vielle initial, nous accablant de doutes quant à notre perception du temps qui passe. Et puis, l'auteur nous rappelle également, en symétrie, la bataille de l'être et du paraître avec le champ sémantique du vêtement.
- our : nous reviendrons sur la figure de style (audacieuse !) plus loin, mais attardons-nous sur le pour qui marque la destination, l'ad usum final. Qui est-ce ? Cette question qui surgit nous précipite vers les derniers mots, à la recherche du point final qui mettra fin à nos spéculations ; et qui ironiquement fait cruellement défaut.
- les : oui, les. Pas des. Ni certains. Ni quelques. L'universalité de Bathing ape éclate avec force.
- clocherds : encore une perle lexicale, mot-valise de clochard et de hère, qui double la puissance du terme, sans tomber dans la redondance.
Influences littéraires
L'écriture de 90.26.61.92 laisse apparaître des influences variées, et son œuvre est un creuset qui accueille les apports de la Civilisation considérée comme un grand tout.
On devine d'abord Apollinaire et son Chantre : même structure elliptique, même nombre de mots, même génie de la rime. Et dans un vers unique, c'est un beau tour de force.
Et l'unique cordeau des trompettes marines
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Cependant, 90.26.61.92 ne se contente pas de suivre un modèle, il enrichit les possibilités du langage tout en multipliant les significations, travaillant parallèlement en cela à la polysémie de Charles Baudelaire et à Ernest Hemingway. Évidemment, Hemingway, l'auteur de la plus courte short story avait des facilités, l'anglais étant une langue horriblement simpliste.
For sale: Baby shoes, never worn
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Pour à peine un mot en plus, Bathing ape ne se contente pas de simples spéculations. Le lecteur spécule, oui, mais également doute, s'interroge, se questionne, se demande et prend une aspirine. Enfin, on peut rapprocher le travail de 90.26.61.92 de Nietzsche.
ate kleidemarke ür die penner
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C'est une préfiguration, mais 90.26.61.92 ne tombe pas dans le plagiat, il va bien plus loin que le fantaisiste teuton, comme nous allons le montrer.
Poétique
La destructuration langagière abordée ici est extrêmement puissante. Bien sûr il y a l'unique fricative post-alvéolaire sourde qui s'impose admirablement après le flot (littéral) de liquides et qui structure le jeu voyelles antérieures basses/voyelles antérieures hautes avec décrochement par les occlusives alternées sourde/sonore. Et l'astucieuse aphérèse renforce encore l'effet.
En ce qui concerne la versification, le texte apparaît tout d'abord comme un décasyllabe traditionnel découpé en 4/6.
vielle marque // d'habille our les clocherds
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Mais en vérité, toute l'audace de 90.26.61.92 se révèle à la césure. En effet la dernière syllabe du premier hémistiche contient un e muet (marque), ce qui est incorrect en versification française ordinaire. L'auteur cherche-t-il à nous heurter en détruisant l'équilibre ?
En fait, 90.26.61.92 nous propose ici une césure lyrique, employée uniquement dans le décasyllabe médiéval, qu'on trouve par exemple dans la Chanson de Roland, vers 1467:
Franceis veient // que paiens i ad tant.
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Le premier hémistiche se termine par un e muet faisant office de quatrième syllabe, on retrouve clairement la même particularité dans Bathing ape.
Résurgences médiévales pour une œuvre avant tout contemporaine, par cette ambivalence 90.26.61.92 nous montre avec virtuosité l'intemporalité de la poésie, dans une œuvre définitivement intemporelle.
Symbolisme
Évidemment dans des œuvres de ce calibre, rien n'est laissé au hasard, le sens caché peut importer autant que les apparences. Une étude superficielle nous apporte quelques éléments sur la pensée de l'auteur.
Première évidence, Bathing ape est composé de 7 mots, symbole de perfection mystique allant de soi (était-il nécessaire de se reporter à la symbolique pour deviner l'idée de perfection ?). 7, le plus mystérieux des nombres, si ce n'est peut-être le 1, le 2, le 3, le 4, le 5, le 6, le 8, le 9, le 10, le 11, le 12, le 13, le 14, le 15, le 16, et dans une moindre mesure, le 17.
Le nombre de lettres n'est évidemment pas vide de sens non plus, on en compte 34, soit la somme 12+12+12 à laquelle a été retranchée 2 : on aperçoit encore un symbole pressant dans ce nombre suggérant universellement le caractère divin.
- 12, comme les 12 plaies d'Egypte, nous rappelle la foi d'Abraham
- 12, comme les 12 piliers de la foi musulmane, nous rapproche de l'Islam
- 12, comme les 12 évangélistes, nous laisse deviner l'influence du christianisme
- 2 enfin, comme les 2 yeux, symbole de la perception de la vie terrestre de laquelle il faut s'éloigner.
90.26.61.92 plaide pour un syncrétisme des idées qui ne doivent pas être obscurcies par le voile de l'ignorance de son prochain.
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