Con comme un balai
Derrière de petits proverbes innocents se cache parfois une clairvoyance démoniaque, une vision perçante traçant fidèlement les contours d'une vérité encore non démontrée. Démontrer les proverbes, voilà toute l'ambition d'une équipe de quatre chercheurs bulgares: Josephvitch Da Charpentierov, Marietskaya Viergerapova, Jesuslav Da Christoievsky et Kyosuke Shintamayuki (je crois qu'il n'est pas bulgare de souche celui-là si vous voyez ce que je veux dire, mais chut, faut pas le dire).
La science, d'abord une affaire de qui c'est qui a la plus grosse
a légende veut que ce long périple débuta en 1991 sur une simple crise narcissique de Jesuslav, petit bulgare de 14 ans qui, avec son doctorat en physique des particules en poche, était prêt à changer le monde. Lassé des histoires de son homologue de Bethléem, et encouragé par ses parents, Josephvitch et Marietskaya, le petit Jesuslav voulait devenir une icône post-apocalyptique, en surfant sur les déboires pathologiques d'un pape vieillissant et la progression déshumanisée du prix du blé sous les ordres avilissants des capitalistes balonnés aux doigts crochus qui font CRIIIIKKK quand ils se grattent les couilles sous les tables des marchés financiers. Pour cela, il fallait flatter la populace, l'ériger en symbole absolu du savoir raisonnable. Il avait d'abord pensé à se clouer à une croix en disant "Eh les mecs, les mecs, regardez moi je fais ça pour vous, pour qu'on plante des pommiers à la place des pêchers ou un truc du genre", mais c'était du déjà vu. Il fallait innover.
Mais où est-ce que l'on innove? Au début des 90's, nous sommes en plein dans l'avènement d'un nouveau monde où les game boy et les magnétoscopes colonisent les cerveaux dans une lutte farouche avec Coca-Cola. Autrement dit, l'innovation se situe du côté du pays du soleil levant. Sans plus tarder, Jésuslav vend les droits de sa thèse sur la discontinuité des diamètres des salades (ce qu'il nomme Quantum of Salade) à un producteur hollywoodien et s'achète un billet d'avion pour Tokyo. Arrivé sur place, il fait la connaissance de Kyosuke Shintamayuki, un étudiant en anthropologie animale fantasque, qui lui présente ses travaux récents. Ceux-ci s'avèrent être extrêmement novateurs, un souffle nouveau prêt à réduire à l'état de fantaisie grotesque l'ensemble des travaux expérimentaux qui l'ont précédé. Je ne peux m'empêcher de vous en offrir un extrait:
"Après avoir maintes et maintes fois réitéré la dite chose, aucune désapprobation directe de la marmotte n'a pu être constatée, et ce sur une population de 184 marmottes, toutes élevées au grain par des fermiers certifiés label couille. Il semble donc inévitable de conclure que les marmottes apprécient que l'on leur enfourne du chocolat dans leur papier d'alu si vous voyez ce que je veux dire. Tout ceci a d'ailleurs été confirmé par un vote à bulletin secret des marmottes, qui à une écrasante majorité de 84% ont voté oui. La culture populaire a donc une fois de plus une clairvoyance magistrale et démontre par là même que la figure prolétarienne constitue un idéal intellectuel qui plane au-dessus du misérabilisme habituel."
Certes, la démarche expérimentale n'est pas encore parfaitement aboutie, quelques allusions zoophiles perverses trainent dans l'article, mais l'idée essentielle est là: démontrer que le con moyen a raison.
Des premiers balbutiemments à une gloire méritée
Premiers travaux
De retour chez lui en Bulgarie, accompagné de Kyosuke, il décide d'obliger ses parents à abandonner leur respectable métier (son père était charpentier et sa mère était vierge) pour se consacrer entièrement à ses expérimentations. L'influence de Kyosuke étant encore trop grande, le génie ne jaillit pas directement du premier article de Jesuslav, dont voici un extrait du compte rendu:
"Des faits étonnants sur les comportements ornithologiques peuvent parfois être observés. En effet, des études comportementales portant sur une population de 127 pinsons montrent que 58% des pinsons présenteraient une homosexualité exclusive, et 4% une bisexualité totale, des données atypiques pour ce genre d'espèces. Une même étude portant sur 241 canards a donné des résultats inférieurs d'environ 54 points pour le cas de l'homosexualité exclusive. Le vieil adage serait donc vrai: les pinsons sont gays.
Des résultats remarquables qui montrent une fois de plus que des faits scientifiques peuvent être observés par n'importe quel cul-terreux depuis son balcon si il en a un, ou depuis son potager si c'est un authentique modèle du terroir, et ainsi amener la langue populaire vers l'acquisition éternelle d'une vérité non encore démontrée.''
Josephvitch eut l'idée décisive, celle qui amena directement au sommet de la sphère scientifique: "Et si on arrêtait de détourner tous les proverbes sous l'influence zoophile de Kyosuke pour étudier un vrai proverbe?"
Quelle clairvoyance chez ce Josephvitch. Il a su directement déceler le défaut, pourtant mineur et difficilement remarquable, de ces premiers travaux. Il fallait maintenant passer aux choses sérieuses.
"Qu'ils sont cons ces balais"
L'idée novatrice a été découverte par Kyosuke. Marietskaya faisait le ménage (c'est tout ce qu'elle sait faire, puisqu'elle ne fait pas la deuxième activité), quand elle insulta son balai. Et c'est là que le spiritus grandissimo des japonais de l'après-guerre se manifesta. Il fallait prouver que la ménagère de base avait raison en traitant son balai de con. Jesuslav conçu rapidement un processus expérimental, et s'empressa de publier son étude dans le journal d'un confrère bosniaque. Le retentissement à l'international fut tel que j'ai même un article du journal du laboratoire d'analyses zoologiques de Saint-Guillaume-sur-Saône à vous proposer:
"Le daily bosnia news a publié ce matin une étude dont le résultat, certes, prévisible n'en reste pas moins une confirmation expérimentale nécessaire d'une intuition relativement discutable. Les chercheurs bulgares ne manquaient pourtant pas d'ouverture d'esprit, et étaient tout disposés à découvrir dans nos chers balais une source intarissable de connaissances qu'ils seraient les premiers à exposer au grand jour. Il n'en fut rien. Exposés à des problèmes de difficulté dégressive, les balais n'ont pas su raisonner comme cela eût été exigible. Nos amis bulgares ont voulu d'abord rester modeste en proposant un problème de difficulté simple: "prouver que tout sous-groupe additif de Z peut s'écrire sous la forme {nk, k parcourt Z} avec n un entier naturel fixé". Rien de bien compliqué, une simple implication. Deux petits cas à distinguer, sous-groupe trivial ou non-trivial, en fixant n le minimum de l'intersection d'un sous-groupe quelconque de Z et de N*, une simple division euclidienne de ce2 permet de conclure. Mais les balais ne proposèrent aucune réponse, même pas un simple début d'esquisse de raisonnement. Le néant. Les chercheurs abaissèrent la difficulté au fur et à mesure. Sur les 49 balais présents, 17 ont proposé quelques idées pour une démonstration du développement limité en 0 de 1/(1-x), mais la méthode était trop lourde, utiliser la formule de Taylor-Young en montrant par récurrence les dérivées successives de la fonction ne pouvait pas aboutir c'est évident, n'importe qui aurait pu le prévoir. Dès lors, découragés par tant d'ignorance crasse, les chercheurs arrêtèrent les démarches et se rendirent à l'évidence qui leur tendait les bras depuis toujours: ils sont vraiment cons ces balais."
La gloire est au rendez-vous, et Jesuslav devient très vite une icône nihiliste qui écrase les présupposés de la science démonstrative d'un simple revers de main. Mais tout le monde n'est pas de cet avis.
Yves Coppens, un opposant imposant
Yves Coppens était un ami de Jesuslav, puisqu'il a été son directeur de thèse. C'était lui le concepteur de la mesureuse de salade, dont la précision au nanomètre près avait su impressionner l'ensemble de la communauté scientifique. Mais pourtant, interrogé dans télé 7 jours, Yves Coppens s'oppose sans concession à la publication de Jesuslav, comme en témoigne cet extrait:
"Ah oui, je l'avais cette étude à sa publication la semaine dernière. Il faut dire que le procédé expérimental était très discutable puisqu'un des balais interrogé en sortie de l'examen a révélé connaître parfaitement la démonstration du théorème de Boucherot, ce qui relève de la prouesse technique, puisque même dans mon immense connaissance du monde par ses causes premières, je ne suis capable que de l'énoncer, pas de le démontrer. Donc il aurait fallu peut-être varier les domaines. Certains anthropologues attardés relativistes prétendent même que le break dance est une forme d'intelligence, donc ne poser que des questions mathématiques fut sûrement une erreur."
Yves Coppens joue ainsi le rôle du Judaslav moderne, dénonçant aux autorités romaines (la populace ici) les agissements d'un individu dont elles ignoraient jusqu'à l'existence même.
C'est ainsi que pris fin le périple de Jesuslav. La portée des paroles de Yves Coppens étant presque aussi colossale que celle des paroles de Hubert Reeves, personne n'entendit plus jamais parler de Jesuslav.
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