Jérôme Kerviel
À jamais le public associera Jérôme Kerviel à la crise financière de la Société Générale de janvier 2008. Mais se soucie-t-on de l'homme ? De ce qui fut un temps le joli petit bout de choux à maman, sourire épanoui aux belles joues rebondies ? L'attendrissement apporté par un passé joufflu est une circonstance atténuante même pour le plus sordide et le plus infernal des criminels — ce qu'il est bien sûr, mais quoi ? Cela m'empêchera-t-il de dire qu'il a versé la lumière sur l'ombre du libelle et de l'infamante machination, que dis-je, immachination médiatique ? Car il a bien versé la lumière sur l'ombre du libelle et de l'infamante machination, que dis-je, immachination médiatique ! Vous immachinez donc bien le degré de mon indignation devant ce forfait de télécalomnie mobile !
Enfance
Bien sûr que non ! Ô oui je le dis haut et fort ! Je ne suis ni Jérôme ni son avocat, et pourtant, il m'irradie de cet homme le plaidoyer silencieux du non-coupable multi-récidiviste ! Mais l'on aime à s'acharner avec ce regard de l'abyme, traduisant sublimement dans un langage pourrissier que le mot innocence, comme l'anglais non-sense, a trois haines comme autant de N ! Et quand bien même ils se penchent sur les chefs d'accusation, ils barbouillent l'encre avec les bavures d'un appareil justicier cassé comme un mauvais camion de pompier offert à Noël ! Que d'enfants pour juger les empereurs !
Eh bien orientez bien les pavillons paraboliques de vos oreilles vers les ondes de la vérité !
Première
Né dans une corbeille le 11 janvier 1977, Jérôme Kerviel se trouva dès sa naissance au cœur d'une opération financière en salle de marché : son honorable père, alors vendeur sénior au département sales & trading de la Société Générale, l'origina et marketa en tant que produit d'avenir (future en anglais), à la faveur de la courbe ascendante de son tout premier braillement. Les arbres ne poussant jamais infiniment dans le ciel boursier, le brailleur culmina avant de décliner de manière déprimante, faisant perdre toute valeur marchande au contrat Kerviel après 5 minutes.
Mis à part cela (et le fait que son père ré-essaya en vain de l'injecter dans le marché), l'enfance de Jérôme fut en tout point aussi normale et heureuse que celle d'un golden boy !
Seconde
À l'école primaire de Pouilly-le-Vieux, s'il ne brille pas académiquement, Jérôme contribua à consolider une bonne moyenne de classe, et termina notamment 2e à l'élection du délégué de CM1. Pour le récompenser de sa fiabilité, ses parents lui offrirent même une de ces paires de chaussures de sport à lumières multicolores clignotantes logées dans l'épaisseur de la semelle. Mais un jour, son destin antigonien se précipite.
8 avril 1988. Brouhaha ! Rumeurs et grondements ! Contrôle de maths surprise. Quelques élèves fourragent désespérément dans leurs cahiers pour une révision de dernière minute. Précaution inutile pour Jérôme, car lorsque la maîtresse désigne l'élève D.B. pour distribuer les copies et que celui-ci lui tend sa feuille d'énoncés, voilà ce que le futur arbitragiste peut lire :
- Soit le polynôme . Si vous ordonnez les coefficients dans l'ordre décroissant des exposants, à quel degré faut-il prendre ce polynôme ?
- Si Pythagore était un triangle rectangle, quelle est la longueur de l'arête de son nez ?
- Soit une fonction gâteau bi-régurgitative . Représentez sur un graphe le cheminement de la composée .
- Si un chien se transforme en éléphant, combien a-t-il de pattes finalement ?
Incapable de répondre, Jérôme sera pour la première fois en porte-à-faux avec lui-même, livré à l'angoisse existentielle d'un Kirkegaard sans le bouclier philosophique d'un Sartre.
Le point pivotal de sa conversion satanique viendra le 1 juin 1988 en cours de sport : Jérôme découvre avec stupeur la disparition de ses fières tennis clignotantes dans le vestiaire garçons, le temps d'une partie de badminton en chaussures intérieures. Pour Jérôme, il ne fait aucun doute que c'est un nouveau coup de D.B.
Ce D.B. Jérôme avait remué bien des pensées dans sa réclusion auto-infligée, et il avait rationnellement reconstruit que seul D.B. pouvait lui avoir glissé le contrôle forgé. Lui seul pouvait avoir ajouté la spoliation à l'intimidation.
D.B. savait qu'il s'en sortait à bon compte ! Il repartit libre ! et léger comme l'air ! en sautillant d'un pied à l'autre, les lumières flashant à la base de ses pieds[1].
Double vie
De CM1 à CM2, Jérôme mena dès lors une double vie doublement criminelle à l'école de Pouilly-le-Vieux.
Jérôme était illicitement inscrit à deux classes. Et assumait une double personnalité. Jérôme 1 était l'Agnan moderne, premier de sa classe en tout sauf en sport, avec une insolente moyenne globale de 19,3 sur 20, jalousement admiré de tous. Jérôme 2 était son parfait miroir : Jérôme 1 ne lui disait-il pas « Oh miroir, miroir, dis-moi qui est le plus beau ? » Assidu aux cours de l'école buissonnière, Jérôme 2 longeait autant les murs que la socialisation avec ses camarades. On ne le voyait qu'aux contrôles, avec une assiduité que n'égalaient que les mauvaises notes.
Sa vie sociale bicéphale avec ses camarades en était largement symptomatique. La cour de récréation donnait routinièrement lieu à ce genre de scène :
Et plus loin :
Il passa au lycée avec les honneurs grâce à Jérôme 1 et malgré Jérôme 2. Jérôme 2 servait en effet uniquement à connaître à l'avance les énoncés des examens servis à Jérôme 1 en les passant avant. Ce tour de force de l'escroquerie ne sera mis à jour que dans la confession officielle Frog trader[2], après confirmation auprès du service de scolarité de Pouilly-le-Vieux.
Au Bac
En 1995, Jérôme était déjà passé maître-fraudeur. Cette année, il enlève brillamment avec la mention Très Bien le baccalauréat ES. Avait-il enfin payé sa réussite de l'ingénuité de son investissement personnel dans la culture et l'érudition ?
Selon ses propres révélations triomphales, Jérôme passait les examens avec un stylo noir et un stylo rouge. Il notait des réponses plus ou moins fantaisistes en noir, qu'il annotait en rouge en imitant soigneusement le correcteur probable de sa copie. Il passait ainsi plus de temps à soigner les annotations de correcteur que sur le contenu des réponses. Finalement il ornait ses copies d'excellentes notes fendues de commentaires élogieux. Le moment venu de rendre sa copie — attendant pour cela toujours le dernier moment —, il manigançait toujours pour la mettre dans la pile sous celle de son voisin inconsciemment complice d'un jour.
Cette technique ne tarde pas à porter ses fruits dès la première session. Pour chaque matière, le correcteur trop heureux de l'aubaine pense qu'il est déjà passé sur la copie de Jérôme et valide aveuglément la note auto-attribuée. C'est un coup de maître pour Jérôme : il entre dans la vie active avec un CV totalement usurpé.
Jérôme Boucher
Le candidat sort. Et Jérôme Kerviel entre.
Et c'est ainsi que Jérôme devint boucher à la place de David dans une boucherie ordinaire du Finistère.
Jérôme Publiciste
En mai 2004, Jérôme se reconvertit dans la publicité. Il monte à Paris et participe activement à l'opération Gardons notre ville propre. Si vous ne connaissez pas le contenu de l'affiche de Jérôme, vous avez sans doute déjà marché dessus. Jérôme mit en effet au point la fameuse accroche :
Mais avant d'arriver à ce sommet de l'humour publicitaire, l'accroche passa par plusieurs stades d'accouchement laborieux. À l'origine, le directeur de marketing, Gern Prut Muthmaassung, cherchait un message concis et efficace apte à stigmatiser la pollution excrémentale en milieu urbain. Il vint à Jérôme une idée :
Gern : « Mais enfin Jérôme, Médor ne pèse que 15 kilos. Comment veux-tu qu'il chie plus de 5333 fois son poids en 1 minute ?? C'est impensable ! Ou alors c'est une pensée d'une indécence...!! » En excellent employé, Jérôme changea vite son fusil d'épaule. Il réfléchit et en vint à cette révélation :
Et effectivement, le compte était bon. Le buffle pèse 1,2 tonnes, soit 80 fois le médor. La quantité de merde étant proportionnelle au poids à jeun de l'animal, démonstration est faite. Mais Gern de se plaindre encore : « Mais Jérôme, les gens ne promènent pas des buffles en laisse dans la rue. Les propriétaires de chiens ne se sentiront jamais visés, voyons ! » Mais oui voyons ! Et là-dessus Jérôme de se remettre aussitôt en selles !
Pour défendre son concept, Jérôme essaya tout simplement de démontrer à son directeur autant la réalité historique du fait énoncé que la brute factualité des chiffres.
Le Guiness des Records n'homologua malheureusement pas la rapidité avec laquelle il sera licencié[3].
Jérôme Trader à la Société Générale
Peu importe, Jérôme rebondit rapidement en répondant à une offre d'emploi de la Société Générale pour une position d'arbitragiste dans son front-office à Neuilly-sur-Seine.
Sa candidature fut évidemment reçue avec enthousiasme par le service de recrutement de la Société Générale, parfaitement secondé par la cellule de contrôle de crise du pôle financier. Un second entretien de formalité finit de couronner l'usurpation. La suite, tout le monde la connaît et s'en fout.
Conséquences de Kerviel
Politique sécuritaire
La crise financière de la Société Générale de janvier 2008 a soulevé une vague de réformes structurelles et opérationnelles visant à endiguer le motif des récidives. Il s'agit du premier cas recensé de vague servant de digue.
Ces réformes sont les suivantes. D'abord, interdire les transactions impliquant des bébés pris comme sous-jacents nature à des produits financiers. De ces transactions, il faut distinguer deux catégories :
- les transactions de bébé (Nick Leeson), de volume relativement ridicule
- les transactions à bébé (Jérôme Kerviel, vendu par son père)
Ensuite, scrupuleusement vérifier les double-inscriptions à l'école. Cette ruse a trop souvent laissé des criminels passer entre les filets de la détection précoce des délinquants. Charles Manson, Marilyn Manson, Marilyn Monroe et Charles Monroe en sont les specimens les plus célèbres.
Et les bouchers ? Voulons-nous qu'ils fassent une boucherie de nos espaces d'affichage publiques ? Tenons-nous tant que ça à ce qu'ils accèdent à des postes spéculatifs à risques non bornés au sein de sociétés à la capitalisation boursière multi-milliardaire ? Et qu'ils jouissent de la « diversité des déroulements de carrière possible dans le secteur d'activité des marchés financiers »[4] ? NON !!! Mettons les bouchers au bûcher ! Et les bouchées doubles ! et les Georges Double You Bush !
Quand tout cela sera enfin fait, Jérôme Kerviel pourra définitivement émerger du relief de l'Histoire de la Finance comme personnalité française unique et inégalable[5].
Interrogation théologique
Réponse : Celui qui l'a créé.
Le 8 avril 1988, quelqu'un distribua à Jérôme un faux contrôle de mathématiques. Il s'appelle toujours D.B., ou DANIEL BOUTON (même si l'acné est partie), et il occupe actuellement le poste de PDG de la Société Générale. Au lendemain de la déclaration des pertes records de sa banque, il fit part de son intention de démisionner, pour ainsi mieux s'appuyer sur le soutien de son conseil d'administration conservateur (conservateurs surtout de procédures de contrôles internes obsolètes !). Quel fin renard ! Mais il n'a pas intérêt à croiser mon chemin quand la saison de la chasse sera ouverte, car un renard qui clignote la nuit, je sais que ça rapporte beaucoup...
Notes
- ↑ Les chaussures ne seront ni retrouvées, ni repayées, ni remplacées.
- ↑ La réponse autobiographique française à Rogue trader de Nick Leeson
- ↑ Dans son auto-biographie, Jérôme s'explique sur le phénomène d'euphorie qui l'avait perdu, mais pour lequel il ne se constituerait pas bouc-émissaire de son ancienne boîte.
- ↑ Rapport sur la perte de trading de 4,9 milliards d'euros de la ministre de l'Économie Christine Lagarde remis à François Fillon
- ↑ Même en prenant l'avion de Singapour, lalalalala, lalalalala, SING GA POUUURRRR, lalalalala
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