Épitaphe
Je suis mort avant-hier. Oh, c’est pas que ça me dérange vraiment au contraire. J’ai l’impression d’avoir déjà connu plus de péripéties en 2 jours de mort qu’en 42 années de vie. Le plus marrant, c’est que ça ne ressemble pas du tout à ce qu’on m’avait raconté. D’un autre côté, on m’a dit et on a dit tellement de choses à ce sujet. La « lumière blanche », mon cul. Y a rien de blanc ici. Tout est plutôt un peu criard avec une forte propension à tout peinturlurer en rouge et en jaune. Pour vous donner une idée, c’est un peu comme si l’au-delà avait été redécoré par Valérie Damidot. En tout cas c’est sûr, je resterai pas ici pour le décor.
Quant à leurs conneries sur l’enfer, le paradis ou le purgatoire, ils peuvent se les foutre sous la soutane dans un orifice que je laisse à leur appréciation. Au bout d’un quart d’heure, j’avais déjà croisé le docteur Mengele et le p’tit Grégory. Alors à moins que ce dernier n’ait eu des accointances insoupçonnées avec la junte militaire birmane, il est peu probable qu’ils jouent dans la même catégorie au niveau du post-mortem. Bon d’un autre côté vous allez me dire « mais comment tu peux être sûr que c’est vraiment le p’tit Grégory après tant d’années ? » Et à ça je rétorquerais : « Et Mengele, il a quel âge à votre avis maintenant ? ». En fait – et c’est la première chose que j’ai notée en atterrissant ici-bas (ou aciélissant ici-haut) -, tout le monde vit ici à l’âge de sa mort. « On a l’âge de ses obsèques » comme me disait René tout à l’heure au comptoir en zinc du Bar de le Dernière Etape.
J’aurais donc 42 ans pour l’éternité. Je compatis pour Jeanne Calment condamnée à être doyenne inamovible et immobile de la post-humanité mais moi je me plains pas. Ma crise de la quarantaine va durer un peu plus longtemps que prévu mais si ça consiste à baiser des gonzesses de 20 piges pour le restant de… ah ben non y a plus de restant… pour toujours, je signe où, chef ?
D’autant que de la jeunesse en mini-jupe, c’est pas ça qui manque ici, c’est même plutôt la règle que l’exception. « Comment », allez-vous encore me dire, « comment avec une espérance de vie de près de 80 ans peut-il y avoir plus de filles jeunes que de vieilles ? ». Ben c'est évident pauvres tâches. Il n’y a pas que le XXIème siècle ici. C’est un vrai melting-pot temporel. Il suffit de piocher dans l’antique ou dans le médiéval pour trouver de la chair fraîche ayant trépassé dans la fleur de l’âge. J’ai même vu quelques australopithèques à poils ras quasiment appétissantes. Cerise sur le gâteau, la donzelle du coin est pas du genre farouche. La méthode de drague est simple :
On baise ? a) Oui b) D’accord c) Je peux amener une copine ? d) Dans 5 minutes, je vais pisser e) Non
Mais c’est rare qu’on atteigne la cinquième lettre de l’alphabet. Et d’après ce qu’on m’a dit, pas de maladie sexuellement inadmissible, pas de « je te rappelle demain », pas de polichinelle dans le tiroir en ligne de mire et surtout pas de bobonne pour m’empêche de niquer en rond ; le cul pour le cul. L’arrière-train sans arrière-pensée.
Du coup je me suis déjà forgée ma petite théorie sur l’origine de cet endroit. Parce que c’est pas le tout mais il faut bien que ça ait été créé par quelqu’un. Je vous la donne telle quelle. A mon avis, les grandes religions, le christianisme, le judaïsme, l’islam et leurs orchestres ont raison depuis toujours sur un point : Dieu a bien créé l’Homme à son image. Le truc, c’est que Dieu est un simple mec comme les autres qui ne pense qu’à baiser. Et c’est ce con d’Homme qui, par la religion et le dogme, s’est éloigné de l’image de son Créateur au lieu de simplement s’y conformer, d’où le gros bordel sur Terre. J’en n’ai pas encore parlé autour de moi mais je suis sûrement pas le premier à avoir eu cette idée.
Mais je vais pas trop me prendre la tête non plus avec cette histoire. J’aurai bien le temps d’y repenser plus tard.
D’un autre côté heureusement qu’il y a la baise parce qu’au niveau distraction c’est assez limité dans le coin. On voit bien que Dieu avait pas la télé et qu’il connaissait pas la bière ou la blanquette de veau à l’ancienne. Côté mangeaille, c’est régime fructivore à temps plein. Bon c’est vrai qu’on bouffe juste pour passer le temps; difficile pour un immortel de crever la dalle. Pareil pour le sport. A part courir à poil dans la nature, pas vraiment de quoi se dépenser. Pas de bouquins non plus. J’aurais bien ramené ma collection de Gotlib ou l’intégrale de Georges Perec mais c’est niet.
J’ai aussi demandé s’il y avait pas une sorte d’annuaire de la populace locale. Tant que je suis là, autant essayer de trouver quelques ancêtres à qui parler. Là encore, c’est le fiasco. René m’a dit qu’un type avait essayé une fois de tout répertorier mais vu que ça tombe maintenant au rythme d’à peu près 2 millions de macchabées par jour, c’est pas tenable. C’est vrai que j’avais pas pensé à ça. J’ai calculé vite fait qu’on devait être entre 15 et 20 milliards en tout. C’est pas demain la veille que je vais pouvoir parler à mon arrière-grand-père mort à Verdun pendant la Grande Guerre.
Au fait, ça me fait penser. Comment je suis arrivé là, moi ? C’est marrant en deux jours je me suis pas posé la question une seule fois. Quand on vit on ne pense qu’à la mort et quand on est mort on n’en a plus rien à foutre. Bref. Là on est dimanche. Qu’est ce que je foutais vendredi dernier ? Je suis rentré de mon boulot de merde comme d’habitude, ma femme me faisait la gueule, comme d’ habitude, mes enfants me faisaient chier, comme d’habitude... Ah oui j’avais acheté un ticket d’EuroMillions pour la cagnotte à 150 patates. J’ai regardé le tirage. J’ai eu 5 numéros. J’ai eu deux étoiles. J’avais gagné. J’allais être peinard pour le reste de ma vie, avec les gonzesses, la télé écran plat 500 centimètres, les bouquins, les gonzesses, le foot, la bière, et des tonnes de gonzesses.
Elle m’a buté la salope...
Et merde.
Voir aussi dans le cadre du cycle vie/mort (du même auteur)
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