La dure vie des Bizuths

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« Bien, bien, bon chienchien. »
~ Sacha Guitry à propos du Bizuth entrain de lui lécher les pieds

L'entrée dans une nouvelle institution, qu'elle soit un lycée ou un club d'alcooliques, est toujours un fait marquant dans la vie d'un homme. C'est de ce déterminisme strict que s'impose l'accession au poste peu recommandable de "Bizuth". Comme son nom l'indique, le Bizuth est une espèce animale dont la physionomie si particulière incite à la maltraitance répétée. Son habitat naturel est généralement les classes de première année d'écoles quelconques. Pour réduire notre champ de vision, il sera plus simple de s'atteler à l'étude d'un cas particulier, très classique, de Bizuth sauvage. Dans une classe de Seconde Génie Electro-Mécanique des Fluides Quantiques (la fameuse SGEMFQ), le bizutage est monnaie courante. Nous allons voir, à travers le cas de Insérer ici le nom, le comportement à adopter dans cette situation ô combien terrible, mais pourtant inéluctable.

La début d'année

La rentrée

Le travail acharné de Insérer ici le nom au collège a porté ses fruits: il est sélectionné pour entrer dans l'élite de l'élite, la célèbre classe de Seconde Génie Electro-Mécanique des Fluides Quantiques. Dès lors, il peut caresser l'espoir de devenir un jour Sous-Commissaire au Haut-Préfectorat Régional du Secrétariat Quantique des Fluides Internationaux. Etant le seul poste accessible par cette voie, la concurrence se fait rude, et il va falloir jouer des coudes dès la rentrée. C'est pour cela qu'il faut adopter une attitude d'attaque dès le premier jour. Il faut sortir les crocs, tirer à balles réelles, sans sommation et sans faire de prisonniers, au diable les accords de Genève. Arrivé devant l'établissement, Insérer ici le nom se place devant sa classe, sans baisser le regard, toujours fier et plein de fougue, en bombant le torse. Une fois en classe, il ne peut échapper aux sempiternelles présentations. L'erreur grave serait de déclencher les hostilités dès le début. Il faut rester sobre, tout en ne masquant pas trop grossièrement sa supériorité évidente. Un classique "Je me présente, je m'appelle Henri, je voudrais bien que les filles soient nues, qu'elles se jettent sur moi, qu'elles m'attachent et qu'elles me brûlent" fera parfaitement l'affaire et ne frustrera pas les hypothétiques mâles dominants de la classe. A 17h, sa maman vient le chercher. Insérer ici le nom se croyant tiré d'affaire, pense passer une bonne année. Mais il est loin de se douter de l'infâme omertà qui se prépare et dont il sera la future victime privilégiée.

Les premiers jours

Les premiers jours sont souvent assez calmes. Ils permettent un repérage des lieux, souvent par le biais d'une mise en confiance du Bizuth, bizuté en devenir. "Dans notre lycée nous avons une politique très répressive à l'égard du bizutage, il n'y en a d'ailleurs jamais vraiment eu", voilà la phrase classique du proviseur, qui écrit d'ailleurs cette phrase assis sur un Bizuth ligoté et bâillonné. L'erreur classique du Bizuth est de penser que tous les élèves de la classe sont des Bizuths. Grave méprise. Il n'y a qu'un seul et unique Bizuth, et ce Bizuth, c'est toi, Insérer ici le nom. Les signes ne trompent pas. Il ne pleut jamais de rochers sur un être humain normalement constitué. Sur Insérer ici le nom, si. La première semaine s'achève donc dans une quasi-bonne humeur générale. Les repas de midi ont pu être pris, et notre pauvre petit Bizuth a pu rentrer chez lui sain et sauf. Mais là, c'est le drame.

L'ouverture des hostilités

Comme toutes les batailles les plus féroces, celle-ci commence par un banal mardi matin d'automne. Rien de terrible bien sûr, ce sont simplement les femmes de ménages qui s'amusent un peu. Nues, elles attachent le petit Insérer ici le nom à un arbre, lui font boire deux ou trois litres de gazoil et lui proposent une petite cigarette. Evidemment, Insérer ici le nom flaire le mauvais coup: "je ne suis pas très sûr que ça sera pas dangereux alors hein avec toute cette essence que vous m'avez gracieusement offert vous voyez?". Ces balbutiemments absurdes le sauvent tout de même d'une mort certaine, ce qui n'est pas si mal tous comptes faits. Il peut alors poursuivre son chemin vers la classe, où les cours ont commencé sans lui. Bien évidemment, quand il entre, un seau d'eau étrangement posé sur la porte lui tombe dessus. Mais c'était prévisible, donc Insérer ici le nom prend sur lui et s'assoit en silence. A midi, l'unique camarade avec lequel il a sympathisé, Pierre-Auguste Le-Comte-Cauchy-De-La-Grange l'interpelle.

— Tiens, j'avais oublié de te demander un truc. Tu es de race pure?
— Ben non, ça dépend.
— Tu peux manger cette merde de chien alors, connard!

N'ayant point d'autre alternative, Insérer ici le nom s'exécute. Mais on sent bien qu'il n'est pas particulièrement heureux de ce qu'il fait, car il fait cela la queue basse, le poil terne. Pierre-Auguste se contente lui de vérifier que tout est rigoureusement bien avalé, selon les règles de l'art. Cette fonction d'agent double lui a permis de découvrir un très grand nombre d'informations vitales sur son ennemi. Il a ainsi appris que Insérer ici le nom était italien par son père. Il lui suffit donc de lui passer des menottes pour le rendre muet, selon le bon vieil adage "un italien manchot est un italien muet". L'effet est immédiat, et seule la scie à métaux de son père put le délivrer de ce mutisme le plus total. Tout au long du premier trimestre, la situation se dégrade jusqu'à devenir insoutenable.


La résistance s'organise

Passé le cap fatidique des vacances de noël, Insérer ici le nom décide de prendre en main son destin. Il ne peut pas continuer à manger des cailloux et à s'essuyer les dessous de bras avec des canards vivants (quoique leur pelage doux et soyeux qui se frotte contre les aisselles est si agréable, j'arrête ça m'excite) toute sa vie. Etre médiocre oui, mais un médiocre qui peut s'assoir sur une chaise sans qu'elle n'ait un seul pied scié. Il faut savoir se faire respecter. Peut-être qu'en essayant de raisonner l'ennemi, celui-ci effectuerait un retour sur lui-même pour se rendre compte de sa barbarie. Pourquoi pas après tout. Au premier repas de midi qui vint, avant de manger ses chaussures en cuir, il interpella Sviatoslav Igolianov:

— Mais ne vois-tu donc point l'ignoble infâmie qui te dirige? Pantin inanimé au service de l'inhumanité la plus sommaire, gorille amoral, tu t'ériges impunément en violateur légal mais illégitime de la volonté universelle des hommes libres qui m'habite
— Quoi qu'elle a ma bite?
— Rien, rien. Je disais juste que je l'avais bien aimé hier.
— Je préfère. Allez mange-les vite. Je t'autorise à enlever la semelle aujourd'hui, mais c'est la dernière fois, que je me fasse bien comprendre.

Sviatoslav repart. Enzo Palazzzioni sera peut-être plus compréhensif.

— Ô fossoyeur de la dignité humaine, ne t'aperçois-tu point du terrible supplice que je subis? L'hétéronomie de ta volonté entraîne en moi les plus atroces tourments. Brise cette loi du silence qui réduit ta conscience à son cogitatum propre, dénué de toute noème, et qui devient alors elle-même la noème, l'objet intentionnel, d'un acte de conscience collectif inconscient dont la maîtrise échappe à toute forme de logique déterministe traditionnelle.
— Ouais ouais, ok. Bon allez, mange ton assiette.
— Mais il n'y a rien dedans.
— Ce sera encore plus facile à digérer du coup.

Ce deuxième refus sonne alors comme le constat irrémédiable de l'échec de cette médiation. Le freud de poche, n'est pas applicable au réel.

Survivre, n'est-ce pas ce à quoi tout homo sapiens aspire?

L'adaptation est la faculté principale de l'homo sapiens. C'est pour ça qu'il l'a bien eu l'autre, là, néandertal-machin-chose. Donc Insérer ici le nom pense qu'il faut faire pareil. Trouver un mode de vie en harmonie avec le milieu extérieur hostile qui s'offre à nous, comme l'explorateur apprenant à manger les pingouins à la cuillère. La tâche est difficile, mais l'imagination d'un grand homme n'a pas de limite pour braver les barrières morales qui se dressent dans ce cadre amoral d'immoralisme grégaire. Un peu de déodorant dans la bouche pour éviter de ressentir le goût des immondices, un préservatif scotché à l'intérieur de la bouche où viennent gentiment s'insérer les cailloux et autres réjouissances, et roulez jeunesse. Le tout est de trouver le bon moyen de vivre tranquillement les châtiments, tout en n'oubliant pas que l'objectif de l'école c'est d'abord de s'amuser et de se faire des copains. Pour le repas de midi, la solution est plus simple. Il suffit tout simplement d'amener son propre repas, protégé hermétiquement [1], que l'on va manger dans les toilettes. C'est un pli à prendre, mais cela se vie très bien. Tout en n'oubliant pas bien sûr d'amener un radeau au cas où l'on essaierait d'inonder la pièce par l'extérieur, avec les lavabos. Le mode de vie de Insérer ici le nom s'est donc considérablement amélioré, et il peut alors espérer passer le printemps sans encombre.

Tout est bien qui finit bien

C'est la fin de l'année, Insérer ici le nom n'est donc plus un Bizuth, Pierre-Auguste lui donne une petite tappe dans le dos et lui fait la bise et le monde il est tout beau tout joli avec des canards roses qui volent par terre. Euh pardon, avec des canards roses qu'on viole par terre.

Note

  1. Si vous faites une formation de moine, un repas protégé herméneutiquement fera l'affaire


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