Villette d'Anthon
Imaginez : radieux dimanche d'Automne, vous êtes de retour d'une excursion en famille dans les ruines médiévales du coin. Votre mère est au volant, à côté de votre frère, à l'avant de la voiture, et vous vous retrouvez juste derrière entre votre cousine Yolande fada de Kontre-Kulture et de survie dans les bois et votre cousin Kévin fondu de BHL qui a lu tous ses livres, sans aucun proche à qui vous raccrocher. C'est votre tante Olga qui a réuni ces deux énergumènes au prétexte fallacieux de les réconcilier. Assise sur le siège juste derrière vous, elle étouffe mal ses pouffements hilares (vous connaissez son passé de militante au PCF et sa coupable faim à voir s'entretuer ses pires ennemis : elle était sans doute si fière de son coup, d'avoir réussi à réunir deux avatars des deux pans de la droite française les plus opposés, qu'elle ne pouvait attendre l'inévitable éclatement).
Pour ne rien arranger, votre cousine s'est fait un super cosplay d'Alain Soral (votre cousin heureusement s'était abstenu, bien que perfectionné dans l'art du cosplay de Bernard-Henri ou de sa femme Arielle, chanteuse). Ils s'adressent l'un après l'autre des regards en coin de plus en plus perçants, et à coup sûr, avant la fin du voyage, vous finirez en purée entre ces deux presses hydrauliques qui s'échauffent, malheureuse victime des circonstances. Plus qu'anxieux, vous vous raccrochez au paysage : la campagne est belle, elle commence à roussir. La voiture file droit entre deux haies serrées, et vous apercevez soudain, comme il disparaît tout de suite, un panneau rouge et blanc : "Villette d'Anthon, ville fleurie". Votre grand-mère Antoinette l'a aperçu aussi, et tandis que s'égrainent à la fenêtre quelques maisons aux volets clos, elle part sur une anecdote à propos de son grand-oncle Jean qui avait connu le maire de Villette d'Anthon quand il travaillait à l'usine d'espadrilles.
Elle est assise à côté d'Olga, et son silence contenté vous l'avait presque fait oublier. L'anecdote se prolonge plus que de raison, basculant sur des souvenirs de Noël 1942 chez le grand-oncle Jean et de la paire d'espadrilles qu'elle avait reçue en cadeau, et qu'à l'époque on avait juste une orange à Noël, mais qu'elle elle avait demandé des espadrilles à la place et que le grand-oncle Jean était un homme impayable et que et que et que. L'espace sonore est totalement occupé et vos deux cousins en paraissent affectés, vous reprenez espoir. Vous parvenez facilement à relancer la grand-mère dès que son flux commence à ralentir, en faisant mine de trouver ça passionnant et en lui posant des questions toujours plus précises. Les deux andouilles semblent se détacher un tant soit peu l'un de l'autre, et vous avez bon espoir. Sur la gauche, un toit disparaît, et la route se resserre à nouveau entre des haies alors qu'apparaît un panneau "à bientôt à Villette d'Anthon". Plus qu'une petite demi-heure de route et vous serez libre.
Chapitre 1 : Là où les choses commencent à devenir étranges
Entre les haies, la vue se dégage par moments sur de vastes champs labourés. Soulagement ! Votre grand-mère semble intarissable, et votre mère trouve même moyen de la soutenir en commençant un interminable discours à propos de l'inégalable qualité des espadrilles de Villette d'Anthon. Votre frère commence à y mêler des laïus passionnés sur la supériorité des espadrilles par rapport aux tongs, et vos deux cousins commencent même de concert un défilé d'arguments ravageurs en soutien des tongs. Le débat est enflammé mais trivial, et il y a des chances qu'il parvienne à se prolonger toute la soirée.
Vous n'écoutez déjà plus, et, les yeux joyeux vous regardez à droite à gauche les arbres et les bornes kilométriques défiler. C'est tout juste si vous apercevez, avant l'apparition de quelques maisons paysannes de part et d'autre de la route, un panneau rouge et blanc : "Villette d'Anthon, ville fleurie". Vous ne l'auriez sans doute pas remarqué si votre grand-mère ne s'était pas mise à répéter exactement la même anecdote sur son grand-oncle Jean qui avait connu le maire de Villette d'Anthon et qui travaillait à l'usine d'espadrilles. Suspectant Alzheimer ou une forme particulière de Parkinson verbal, mais respectant trop votre grand-mère et vous souciant de sa santé, vous vous mettez à lui reposer les mêmes questions que tout à l'heure, pour voir : elle répond avec assurance, exactement les mêmes choses.
Tandis que votre mère se remet à vanter l'inégalable qualité des espadrilles de Villette d'Anthon, la voiture ralentit pour laisser traverser un vieux patibulaire en tenue de tennis. Alors que la voiture accélère de nouveau, vous avez tout juste le temps de vous apercevoir que les maisons alentours semblent étrangement familières. Le vieux, sur le trottoir de gauche, vous adresse un regard noir, trahissant comme une profonde haine intérieure. Vous croyez l'apercevoir levant sa raquette en l'air et hurlant quelque chose, mais la voiture l'a déjà distancé, comme elle dépasse un panneau indiquant "à bientôt à Villette d'Anthon". La panique vous prend vraiment quand vos deux cousins, comme par une mécanique inquiétante, se mettent à répéter exactement le même éloge des tongs en vous prenant de part et d'autre en tenailles du même regard mièvre.
Chapitre 2 : Là où débute l'Enfer
Mot pour mot, la même discussion se répète sous vos yeux ébahis et terrifiés. Votre regard saute et se tord comme un lièvre fou, refaisant de plus en plus vite le tour de tous les protagonistes. Alors que la grand-mère se met pour la troisième fois à raconter l'histoire du grand-oncle Jean et de l'usine d'espadrilles, vous vous retrouvez soudain pris entre les mêmes maisons de Villette d'Anthon, et sur un cours de tennis, un vieux au regard transperçant vous hurle des choses incompréhensibles à la figure en agitant sa raquette en l'air. Au passage soudain ralenti de la voiture, tous les volets se ferment laissant s'immiscer dans les fissures des yeux accusateurs. Parcouru de tremblements et tout le corps nauséeux, vous laissez s'élancer au hasard tous vos muscles à la fois, alors que des images de plus en plus confuses vous courent dans la tête : grand-mère Antoinette, grand-oncle Jean, et le frère et la mère, et les cousins et les cousins, Villette d'Anthon ! Villette d'Anthon !! espadrilles !! espadrilles !! ESPADRILLES !!!...
Votre conscience est déjà extraordinairement bazardée lorsqu'apparaît face à vous, statuaire et silencieuse, la tante Olga, seule à être restée silencieuse depuis le début...
Chapitre 3 : Là où rien ne va plus
Un répugnant bruit de poche qui éclate, et s'étalent comme des longues langues de bœuf des torrents d'espadrilles depuis l'usine d'espadrilles de Villette d'Anthon. Vous manquez de vous noyer dans cette mer puante et vous attrapez, juste à temps, la croix qui darde au sommet du clocher de l'église et qui vous brûle presque les doigts. Le ciel est bien trop rouge, un rouge chaireux malsain qui vous harcèle la conscience. Liquéfié sur votre siège dans la voiture embourbée, insupportablement lente, vous sentez sur vous les bras langoureux et les regards d'une niaiserie obscène de vos deux cousins qui vous répètent encore d'une seule voix que les tongs sont des souliers bien meilleurs que les espadrilles...
Tandis que dans votre nuque, le vieux tennisman vous souffle un ricanement rauque, votre frère enchaîne pour la quatrième fois que les espadrilles sont bien plus confortables que les tongs... Tandis que sur le bord de la route, entre deux haies rougeoyantes soudain précipitées, apparaît le panneau "Villette d'Anthon, ville fleurie" et que votre grand-mère répète encore une fois que son grand-oncle Jean connaissait le maire de Villette d'Anthon et qu'il travaillait à l'usine d'espadrilles et qu'à Noël elle commandait toujours une paire d'espadrilles... Dans ses yeux grossissent soudain comme des bulles deux espadrilles tordues qui viennent vous recouvrir de leur substance flasque et glaçante et grumeleuse et brûlante... Tante Olga, immobile dans le ciel rouge, vous adresse un regard désemparé, maternel, mais déjà fuyant... Le vieux, d'une voix sirupeuse, répète inlassablement que la surveillance du voisinage doit être accrue au plus vite à Villette d'Anthon ...
Chapitre 4 : Là où tout s'éclaire
... Et... Vous vous réveillez coi, un peu fébrile. De part et d'autre de la voiture, de vastes openfields s'étalent, et au loin, une antenne fait de lents cercles au sommet d'une tour d'acier rouge et blanche. On ne doit plus être très loin de l'aéroport, si on ne l'a pas déjà dépassé. Le cousin Kévin est en train de s'extasier à voix haute sur le dernier livre de BHL tandis que la cousine Yolande, très irritée, se met à tripoter nerveusement la perruque de faux chauve de son cosplay de Soral. La tante Olga, haletante et probablement toute rouge, ne contient déjà plus ses éclats de rire. Votre grand-mère évoque à nouveau son grand-oncle Jean , se rappelant comment il s'était fâché avec le patron de l'usine d'espadrilles, et vous reprenez peu à peu conscience de ce qui s'est passé... Vous n'avez pas pu imaginer tout ça, il est pourtant certain que sur la route, la voiture n'a pas arrêté de quitter Villette d'Anthon pour y rentrer à nouveau !
L'explication claire et rationnelle
Tout juste rentré, vous vous jetez sur votre PC, et sur gogole maps, vous constatez...
Bien étrange est la réalité, bien fugace se montre-t-elle souvent... La route, ainsi, n'a effectivement cessé de rentrer et de sortir de la même commune de Villette d'Anthon, créant de cette manière une illusion de boucle temporelle... Illusion, ou réalité ? Vous ne le saurez jamais, à moins de tenter un périlleux voyage... Un voyage dans LA QUATRIÈME DIMENSION.
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