Analyse comparative des œuvres phalliques
Si le caractère de nudité a de tout temps constitué le critère de choix dans la représentation picturale de la femme, son antagoniste archétypal, le phallus, n'a pas obéi aux mêmes étalons ou measuring sticks. Aucun courant analytique n'a en effet encore mis l'emphase sur la mode vestimentaire du phallus, ni caractérisé des époques par l'iconographie d'une verge emmitouflée dans une chaussette ou se soustrayant au regard inquisiteur dans le bonnet rouge d'un Grand Schtroumpf.
Mais si, au contraire de la Sodomie, il n'a jamais eu sa propre ville biblique (hypothétiquement la Phallusie), le phallus intervient dans de larges pans de la conquête de l'espace pictural. Ses principaux apôtres en sont les peintres qui se réclament de diverses écoles, depuis le code modérateur de l'Antiquité jusqu'aux bulles créatives du surréalisme et de l'expressionisme abstrait.
Toujours en oscillation entre les mœurs puritaines à l'américaine et l'exhibitionnisme libéral à l'américaine, le phallus dans les arts continue de fasciner et de créer de la valeur marchande que ne rivalise, dans cette boue d'impuretés flasques, que l'éclat de véritables pépites dont le frottement l'une contre l'autre produit l'étincelle de génie.
Classique
Nicolas Poussin
Dès l'Antiquité, les peintures de guerre flambées au lyrisme savaient déjà faire bander autre chose que des arcs. Nicolas Poussin en livre un représentant rigoureux où la toile — polarisée dans sa diagonale par les porteurs de lance dont l'axe d'assise de la monture, la ligne de vue et la lance sont mutuellement congruents —, traduit l'alliance subtile entre l'élan guerrier et l'élancement des reins au plus haut point de la fournaise de la mêlée belliqueuse. Ce sont les flèches du Désir du héros zarathoustrien, vecteurs de ce que nous dénoterons sous le terme de super-diagonale. Le mode d'occupation spatiale de type axial-dominant de l'espace peut se voir comme une variation particulière de l'idiome des peintres des siècles à venir : « Le plus court chemin entre les deux points les plus distants l'un de l'autre d'une toile rectangulaire est la ligne droite reliant ces mêmes points. »
Note : B-
Francisco de Goya
Le Sacrifice à Priape, premier prix à un concours de l'Academie des Beaux-Arts de Rome, cristallise la quintessence artistique de Goya. L'érotisme païen qui se dégage des profondeurs des tons provocativement graves du registre de palette, s'articule fatalement aux dimensions de piété et de recueillement, les indispensables secondes mains du priapisme. Ces dimensions sont congruentes au support figuratif des Vestales Vespasiennes. La femme versant le contenu d'une jarre au pied du colosse de bronze témoigne à cet égard de la composante pudique de l'articulation graphique des idées-symboles.
La structure scénique se distingue par son audace, et en premier lieu cet acte d'offrande surplombé par la demi-droite originée à la naissance des reins du colosse et plongeant dans l'infini ascensionnel colinéaire à l'imposant rameau matérialisant la diagonale de la toile. Il en résulte une impression tangible de masculinité saillante distillée à sa plus simple expression : le phallus. Notons que cette exclusivité se fait au détriment des bras, sommairement amputés pour le besoin. « Un phallus n'a pas plus de chance que deux phallus » : telle maxime ressortirait de ce panégyrique champêtre plein d'autorité.
Dans La Forge, Goya muscle sa vision dans la moulure d'un maillot nageant dans la sueur. La figure principale est le théâtre d'un alignement de la Force de l'Homme (les avant-bras en plein effort) et la Force de la Forge Héphaïstosienne (le marteau). Toute la musculature semble tendue vers le slapping d'une pièce métallique tenue comme un roseau impuissant par un assistant.
Ce renouvellement du thème phallique, à la limite de l'homosexualité assumée, est caractéristique des structures phasiques d'une carrière riche et abondante qui sait adapter la prédilection à la vocation, comme c'est par exemple le cas avec Jackson Pollock (cf. ci-dessous).
Note : A-
Modernes
Édouard Manet
Le thème du plein air qu'avaient consacré les classiques, dont Giorgione, Titien et Nicolas Poussin, Édouard Manet se l'est approprié. Dans son célèbre Déjeuner sur l'Herbe, œuvre qui « troua le mur » dans l'enfer du Salon officiel annuel de Paris, il est le premier à créer des enjambements sur plusieurs figures pour imprégner la belle et longue super-diagonale de la qualité de chair blafarde. Ici, la jambe droite repliée de la femme nue se conjugue avec le bras gauche et le corps de l'homme à sa gauche, que prolonge la canne du porteur de béret. Cet alignement n'est pas anodin en ce qu'il corrobore la ligne de regard entre la pique-niquante et l'entrejambe de l'homme au béret, regard qu'elle détourne allusivement vers l'observateur.
Dans le fond pose, courbée dans l'eau de l'étang, une femme drapée de tissu hyalin. Contrairement au Sacrifice à Priape de Goya, Manet a choisi de la positionner au-dessus de la super-diagonale, la pure géométrie de juxtaposition ambitieusement empilatoire étant soulignée par la fausse perspective et la lumière dure qui fait miroiter un plan d'irréalité artificielle audacieuse.
Note : B+
Paul Cézanne
Paul Cézanne a fourni le prétexte décisif aux études les plus échevelées du chevalet. La figure cézanienne n'est généralement pas bandante ; elle contient plutôt une qualité ferrugineuse abstraite et métaphysique déduite du relief d'une Nature prise dans l'instantané d'une transcendance de l'harmonie platonique.
L'allure gauche du Baigneur de Cézanne en culotte de toile, asymétrique tant au niveau des coudes en équerre que du biais facial, excède de loin la pose aristocratique avec la main gauche rentrée sous le veston. En effet, le glissement de la symétrie horizontale est re-symbolisée par le flanc abrupt de la montagne en arrière-plan — tracez la droite décrivant ce flanc pour retrouver la super-diagnoale — et le décalage vertical ingénieux entre les pieds, recréant métaphysiquement la super-diagonale par le jeu de l'omni-congruence universelle entre tous les axes dominants.
Dans sa Femme à la Cafetière, le maître d'Aix-en-Provence a renouvelé la graphologie de la droititude : si les lignes verticales qui ancrent la rigidité du modèle masculin penchent subtilement à gauche, ce n'est pas le cas d'un groupuscule de micro-éléments afférents à la bordure droite du cadre : la tasse, la cuillère et la cafetière. Cette exception minime seulement en apparence, exprimant la droititude autoritaire épanouie dans le microscopique, est seulement une des multiples hypertransformations de la matrice artistique à son plus haut niveau.
Note : A-
Pablo Picasso
La vie de la période bleue de Picasso image les rapports tendus entre la féminité et la maternité, et le rôle de l'homme dans cette transition morpho-physiologique. À la question existentielle de l'homme actanciel (l'homme dans l'agissement propre à son rôle), Picasso répond par un homme moyen, décalcable d'une planche anatomique, dont le poignet se casse à hauteur de hanche pour pointer de l'index le personnage de la mère désirée. Ce signe fluet et étriqué rejoint l'ensemble de l'œuvre picassoise dans l'édification laborieuse d'un corpus de l'érection sous l'influence inhibitive d'un Cézanne. Le cubisme en particulier est une vision tronquée d'un organe reproducteur ductile et inflatable. Mandoline, bœufs et poulets sont alors censés émouvoir autant qu'un rhinocéros quadricorne, en vain.
Note : D
Surréalisme
Paul Delvaux
Si un René Magritte a raté le train en marche — il s'en phallus de peu —, ce n'est pas le cas de tous ses compatriotes de la scène surréaliste bruxelloise, dont Paul Delvaux. Dans ses mondes lugubres à la qualité atmosphérique mystique, partagée entre la mélancolie de la nuit et la familiarité de l'érotisme naturiste, Delvaux a isolé la composante stoïque de l'apologie virile chère à un Alfred Adler. Dans Le Réveil de la Forêt, les femmes n'hésitent pas à s'accoler aux troncs ou, pour les plus alpines des grimpeuses, s'agripper aux branches, métaphores poétiques de la dotation présupposément avantageuse de Delvaux lui-même. La fixité de la peinture convient comme véhicule expressif de l'addiction des femmes pour les membres consistants et bien garnis, signes racoleurs de santé et de vigueur.
Note : B
Marcel Duchamp
Il suffit de prendre le Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp et de le faire tourner d'un quart de tour dans le sens trigonométrique pour mettre stroboscopiquement en évidence la nature érectaire du corps humain qui se défléchit pour atteindre la station verticale.
Ce retournement métaphysique, Marcel Duchamp l'avait déjà opéré avec brio avec son urinoir-fontaine — simple urinoir posé sur sa face verticale pour en tirer une fontaine —, premier d'une série de ready-made alors aveuglante de nouveauté et de fraîcheur au XXe siècle.
Note : B-
Moderne
Jackson Pollock
La Mère de Pollock exhibe la même dissymétrie que le Baigneur de Cézanne, mais l'holistique environnementale du tableau de Cézanne est ici réduite au simple dénivelé créé accidentellement par le non-alignement des deux cuisses de la mère, qui semble bander de la cuisse droite devant l'accouchement imminent.
Autres temps, autres plagiats : celui notamment de la Forge de Goya, avec cet Homme Nu au Couteau, dont la lame semble s'allonger jusqu'entre ses jambes dans un triangle de chairs confuses. Malgré le couteau, force est de constater que l'homme fort de Goya finit la "queue entre les jambes" dans cette variation atone et débile.
Note : C--
Vieira Da Silva
Cette toile, que l'artiste a aptement baptisé Le Désastre, ne laisse voir aucun appendice majestueux percer et crever la nébuleuse de chaos déréglant les sens, bons ou mauvais. Plus qu'un désastre, Vieira Da Silva peint une débandade qui s'apparente à une régression vers l'art pré-proto-historique, car déjà, dès l'Holocène, les artistes peignaient au charbon de bois et à l'oxyde de manganèse, sur les parois de grès, des figures accolées d'homme et de bison, où l'homme, alors une évolution transitoire du singe, utilisait la technique du tirage de queue de bison pour plonger la bête dans un état de somnolence et ainsi la rendre plus cordiale dans l'union sexuelle.
Note : F
Robert Motherwell
Très tôt Robert Motherwell déclama le focus de son art à travers ses élégantes "élegies à la république espagnole" et autres "hommages au poète Elliott". Sans duper, ses compositions sont des accolades entre des ovoïdes et des bandes verticales. Ces reproductions, entre la nature morte et la nature vivante, sont systématiquement monumentales, monolithiques et noires, et peuvent êtres couchés en aplats ou pâtées éjaculées libéralement sur des structures indépendantes en couleurs, parfois audacieusement poilus/hérissés dans leur doux contour. Ce ressourçage dans l'afro-américanisme a renouvelé durement l'image qu'on pouvait se faire de la décrépitude artistique outre-Atlantique (cf. le papier peint Windows).
Note : B
Et le vainqueur est...
Le phallus peut faire l'objet d'une réduction phénoménologique husserlienne vers les frites McCain : C'est celui qui parle le moins qui en a le plus.
Parmi nos peintres, un seul fut coupable de l'acte huilé[1] suivant :
Incapable de l'avouer dans son infinie modestie façon McCain, il fallut faire parler sa femme, Madame Courbet, dans un jeu déjà connu des téléspectateurs américains. Alors Madame Courbet, saurez-vous reconnaître votre mari parmi ces candidats ?
Malheureusement non Madame Courbet, Julien se cachait à droite !
Du calme !
Désolé pour ce contre-temps du direct ! Eh oui c'était bien Julien Courbet à droite, qui remporte donc son pari haut la bite !
Note : hors catégorie
Notes
Portail des Arts Plastiques |
S'il vous a enthousiasmé, votez pour lui sur sa page de vote ! Ou pas.