Illittérature:La plus belle femme aveugle du monde
Chapitre 1 : La plus belle femme du monde
C'est comme ça qu'elle m'avait tapé dans l'œil la première fois. Dans un spot publicitaire éclairé par sa grâce rédemptrice, même si un imbécile donne un moment envie qu'on le flagelle quand il claque sa ligne à deux balles : « Il est débile OPTIC 2000, il est débile ! »
Et aujourd'hui, ce soir, tout semblait enfin me sourire : le temps, les éléments, le destin. Sous le manteau étoilé du ciel, je lui fis face et m'agenouillai sur la plus belle avenue du monde, au centre de la terrasse de l'Arc de Triomphe (quel monument seyant à la circonstance !). Et, ainsi qu'un discours, je lui tins cette bague devant moi.
Elle était belle avec ses lunettes OPTIC 2000.
À son premier essai elle visa mal. Au deuxième essai, son doigt passa complètement à côté, et pareil le coup suivant. Puis soudain, son doigt glissa sur la bague et entra dans mon œil gauche. Surpris par la douleur, je lâchai la bague qui s'en alla rouler au sol et tomba dans une bouche d'égout, mais pas n'importe laquelle. C'était quand même la bouche d'égout de la plus belle avenue du monde.
Chapitre 2 : La plus aveugle du monde
La tentation est grande, quand elle s'asseoit, de lui retirer la chaise de sous elle, mais je m'abstiens. Le meilleur est encore à venir. Je m'asseois en face d'elle, à cette petite table au Fouquet's. Ce délicieux serveur nous tend les cartes de la maison.
Je déplie ma serviette et la noue à mon cou. Elle est assez longue pour tomber sur mes cuisses. Comme je scrute le dépliant devant moi, je recule légèrement ma chaise. Dans le même temps où j'admire son regard aveugle[1], je couche la carte sur la table, défais la ceinture de mon pantalon, déboutonne, et très lentement, sous la serviette et avec un art affecté de la décomposition gestuelle, je sors mon pénis en érection. L'air froid le durcit et lui donne de la fierté. Puis, encore plus lentement, je lève ma serviette, dévoilant incrémentalement mon organe dans une longue caresse de velours. Enfin je fais descendre la serviette précautionneusement derrière l'érection dans une ostentation triomphale : « Alors que penses-tu de la sélection du jour ? Ça donne l'eau à la bouche non ? ;) »
Elle semblait consulter pensivement sa carte, mais en fait elle ne voit rien. Je me dis que c'est admirable la finesse que déploient les aveugles pour se couler dans le moule de la société des voyants (et a posteriori celle qu'on doit déployer pour les égaler et ne pas passer pour des sans-goût). Là un serveur me touche à l'épaule, posément et néanmoins résolument.
Je me lève et vais l'aider à enfiler son manteau, pour ne plus jamais remettre les pieds dans ce haut lieu de la forfanterie.
Je rentre mon pénis dans mon caleçon non sans irritation. Et aussi vite nous partons. Je l'emmène à mon 6 pièces à Aulnay-sous-Bois. Emprunté à un ami, mais elle ne le sait pas. Même un aveugle s'accorderait à dire que c'est un superbe pavillon, très seyant cadre de vacances pour les sens.
Dès l'entrée, je ne manque pas de lui décrire les lieux avec force détails, tout lui retirant galamment son magnifique manteau en fourrure de vison, son écharpe et son chapeau en vison, sans oublier son sac à mains cuir et vison Audas.
Je l'amène dans la chambre et l'entraîne sur le lit. Je l'emballe, puis la renverse sur son dos. Je déboutonne son chemisier. Son inexpérience la trahit, elle a l'air gênée.
J'ai eu chaud. Je vais me la faire quand soudain les lumières s'en vont, nous plongeant dans le noir le plus impénétrable. Putain de bordel de merde !
On se lève et je pars direction le garage.
J'ai raté la marche et je cascade violemment sur l'escalier, seulement arrêté par le rez-de-chaussée. Allongé et à l'agonie.
J'entends des petits pas. Elle va peut-être pouvoir me secourir, je suis très mal en point. Je souffre de partout, dos, cou, bras, côtes, tibias. Je sens qu'elle déporte mon corps vers la gauche. Oh putain. Elle s'est arrêtée. Mais qu'est-ce qu'elle attend, cette pouffiasse ?
Je me mords la langue de douleur, ça fait horriblement mal. Bordel de queue de dieu, j'ai fait quoi pour mériter ça ? Tout à coup je me cogne la tête ; c'est terrible, je vois des étoiles.
Je fais vraiment ma pute, mais faut situer un peu. Je suis encore vierge à 37 ans, et elle, c'est le premier coup où je sens la moindre affinité se développer. Elle me traîne jusqu'au milieu de la cuisine. Je suis encore sous l'effet des traumatismes mais tout à coup les conneries que j'avais racontées sur la présence de pharmacie me reviennent. Je la vois alors tâtonner sur la pointe des pieds et atteindre le tube de crème dans l'armoire. Elle met la main dessus puis s'asseoit en le décapsulant agilement devant moi. Elle enduit la pommade alimentaire sur mes bleus.
J'ai fermé ma gueule sur le coup, faut pas me griller définitivement. Je commence néanmoins à sentir fortement la crème patissière.
Soudain, alors que je crains que l'odeur ne finisse par me trahir, on sonne à la porte. Elle se lève lourdement et va ouvrir.
Sur ce, ils me laissent à ma mort. Je crois que je vais claquer tant j'ai mal. Au secours maman !
Chapitre 3 : Le plus con merdeux du monde
Le napperon se levait avec lenteur en découvrant sa verge. Juste avant il s'était légèrement reculé, exprès pour qu'elle soit bien braquée dans ma ligne de mire. Et il était en pleine érection. Je crois bien qu'il me demanda si ça me donnait l'eau à la bouche de lui faire la fellation du jour. Un serveur, alerté par ce tableau de turpitude, vint poliment l'admonester comme s'il était un grand enfant. Embarassée, je ne les écoutais même pas. Je m'occupais en lisant le menu. Mmmm le maigret de canard.
Pour couronner la soirée, il m'invita à un verre dans son pavillon au nom de Germain Beaurieur. En entrant je découvris un intérieur exigu, où le vestibule donnait sur une petite cuisine et un escalier conduisant aux chambres. Je fus confortée dans l'impression que j'avais affaire à un mythomane, un fou dangereux, quand il mentionna l'existence d'un tread-mill à commande radar et détecteur d'intention sur lequel je devais fermer les yeux pour le voir.
Il m'assaillit dès que j'eus mis le pied dans la chambre d'amis. Au fait, on devait pas juste prendre un verre ? Son haleine fétide aux parfums de saucisse, sa peau rèche et très blanche aux poils épars, furent autant de signaux à ma panique. Les choses qu'il disait ne laissaient guère de place à l'imagination et au rêve : « Vous les meufs, ça s'emballe comme ça, tu vois », « Non mais t'es frigide, t'es vierge ! », « Vire-moi ce chemisier à la con ! Putain ces miches vont bien finir par sortir ! » J'étais sous lui, telle ses dessous de bras, je ne faisais pas le poids, quand soudain le courant tomba in extremis. Le mec maugréa et sautilla hors de la pièce tout en renfilant gauchement son pantalon. Une stridence très claire fendit le voile de silence du couloir, suivie des bruits de dégringolade de l'imprudent qui rate la marche. Je m'aventurai dehors moi aussi, mais descendis prudemment les marches.
Le voilà étendu, une main sur les côtes et l'autre sur sa jambe, en train de jurer sur le chou de tous les saints. Il y avait dans la cuisine une boîte à pharmacie. Je ne trouvai à l'intérieur qu'un tube de crème patissière dont je l'enduisis néanmoins pour calmer les démons de la douleur. Délicieux placebo qui commençait à sentir. Au fait, tu n'étais pas touché aux dessous des bras aussi, ô noble corps embaumé de crème à gâteau ?
Je passai par toute la gamme des émotions : pouffiasse, salope, pute, bonne à rien. Une simple sonnerie à la porte me fit alors l'effet d'une heureuse distraction. Un tel timing, ça ne pouvait être que lui. Mon prince charmant, descendu de son nuage, accouru aux cris de détresse pour pourfendre cette détresse. Des plus profonds ténèbres de tout l'espace.
T'as d'beaux yeux, tu sais.
Ça donne envie d'y mettre les doigts.
Chapitre 4 : Le plus heureux des élus
De loin, le couple ne semblait pas dans le moindre des embarras sur la question d'enfiler l'anneau au doigt.
Mais étais-je le seul à m'émotionner de ce tableau dantesque ?
La femme était d'une laideur hystérique inenvisageable, seulement rivalisée en cela par le citron de son partenaire en costume d'éboueur, qui donnait assez fidèlement dans l'anus variqueux défoncé. Elle criait au vol, et lui recherchait à genoux son chemin sur le sol, les mains poussées au-devant de sa forme gauche et dégingandée, l'air hébété et fou. Puis-je émettre une proposition de loi sur le mariage ? Elle consisterait en ceci : le mariage est le moyen privilégié d'unir les apparences les plus inconciliables avec le canon esthétique en vigueur.
Je ramassai la bague qui gisait là. Je l'enfilai au doigt de la femme qui ne parvint, un moment incrédule, qu'à doigter le verre de mes lunettes à verres larges, pendant que l'autre provoquait les carambolages sur le Rond-Point des Champs-Elysées. C'est comme ça que nous deux c'était parti, sur les chapeaux de roue. Quant à l'autre, je crois qu'il avait pour but de rejoindre une bouche d'égout, de retourner dans le trou à rat d'où il était issu. Faible fin pour un sous-être aussi bas et sans espoir.
Alors voilà, ça fait neuf mois de vie commune entre elle et moi, et l'heureux évènement tant attendu est arrivé. Je ne pouvais demander meilleur sort. Seule ombre au tableau, le bébé est noir. Quelle chance que ma femme soit aveugle. Ainsi elle sera préservée du choc de la réalisation concernant l'auteur de sa grossesse. En tout cas je ferai tout pour cacher la vérité à ma dulcinée. On va l'appeler Hector, elle n'y verra que du feu. Un bébé noir appelé Hector, vous y croiriez, vous autres ? Et je peux même garder mon costume d'après ma mère adoptive : le S voudra juste dire "Super cocu" maintenant.
Notes
- ↑ Beaucoup pensent que les plus beaux regards sont ceux des myopes. C'est faux, ce sont ceux des aveugles.
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