La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries
Perdu dans les noirceurs sinistres des landes désespérées du Causse du Larzac, où seuls osent encore ramper dans l'obscurité quelques cailloux difformes et affreux, acculé contre les falaises déchiquetées du col du Vent, du Cirque du Bout du Monde et de celui de Navacelles (dit aussi Cirque des Reliques de la Mort), l’abominable village de La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries est la source originelle de l’énigme effroyable, du meurtre à faire dresser les cheveux sur la tête, du mystère jamais résolu et de l’inéluctable trépas.
Ce terrifiant village de la France profonde serait sans doute resté dans l’oubli à tout jamais - oui à tout jamais -, enveloppé dans les replis glauques de son aura immémoriale de secret impénétrable, si l’écrivain fantastique Howard Phillips Lovecraft n’en avait pas tiré la matière de sa nouvelle la plus fuligineuse, Celui-Sans-Nom qui hurlait dans les Ténèbres, ou si Eugène Sue n’en avait pas fait le lieu où se déploient Les Mystères de Paris.
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Le pèlerin égaré sur les sinueux chemins de Saint-Jacques de Compostelle qui, abusé assurément par les ruses du Malin, a fait fausse route au croisement mal indiqué d’un panneau de bois, branlant et vermoulu, « Vers Saint-Etienne de Gourgas, attention aux gouffres, danger de mort ! » et qui crut, par erreur, pouvoir rejoindre sans risque l’ermitage paisible de Saint-Guilhem le Désert avant la nuit ; ce pèlerin égaré, disé-je, sent soudain un souffle mystérieux parcourir l’étendue désolée du paysage qu’il s’apprêtait à traverser d’un pas mal rassuré - mais singulièrement alerte cependant. Tout à coup inquiet et sans trop savoir pourquoi, il détourne la tête et jette un regard inutile en arrière : personne ! En même temps il sent un frisson indéfinissable et désagréable l’envahir. Il accélère le pas. Il chante à tue-tête un hymne pieux, il s’imagine déjà arrivé à l’auberge, il espère soutenir ainsi son courage un peu défaillant. C’est peine perdue : même s’il fixe obstinément les cailloux du chemin devant lui, tout autour il devine les squelettes des arbres décharnés agiter sur son passage les ossements de leurs bras loqueteux ; les visages des rochers hideux lui adressent des grimaces sardoniques. Un froid insinuant envahit rapidement ses membres épuisés par la marche. Il lui semble maintenant que des griffes invisibles tentent de le retenir...
Alors qu’il était déjà sur le point de prendre la fuite, il aperçoit soudain avec un certain soulagement danser sur sa droite les lueurs rougeâtres de fenêtres de fermes, plus bas dans le crépuscule. Mais bien vite il se rend compte qu’il ne lui sert à rien de se fier à son premier sentiment. Au contraire, plus il se laisse fasciner par ces lueurs tremblantes, plus ses poils se hérissent sur son crâne. Elles lui paraissent avoir ce quelque chose d’anormal, de factice et de fatidique qu’avaient jadis dans les cimetières les fermentations des feux follets, dans les tempêtes les lanternes intermittentes des naufrageurs. C’est alors que le glas d’une église invisible se met à égrener inexorablement ses coups spongieux dans la vallée. Le hurlement strident d’un chien déchire lentement le voile du lointain. Comme si le sceau d’un charme maléfique venait tout à coup de se briser, le pèlerin sursaute et sans plus réfléchir prend ses jambes à son cou.
Au bout de dix minutes, épuisé par la course, il s’arrête enfin sur le bord du chemin, le corps plié en deux, le visage inondé de sueur, pour retrouver son souffle. Il s’aperçoit alors avec étonnement que le chant amical de la nature a repris le dessus. Son incompréhensible terreur s’est volatilisée pour faire place au doux parfum des résines et des cumins mêlés. On entend maintenant l’insistant et chaud craquètement des grillons et des bienveillantes cigales. Plus étrange encore, il fait jour.
Le malheureux était passé près de La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries, sans le savoir.
Les mystères de La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries
De jour, durant les heures trompeuses du printemps et de l’été, le village de La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries semble anormalement normal.
C’est de nuit, et à partir de la Fête des Morts, que l’Horreur Sans Nom étend son règne sur la lande. L’éclairage électrique, installé dans les rues il y a deux ans à peine à la demande insistante des femmes enceintes et des automobilistes, émet une lueur glauque, étonnamment variable et grésillante. La connexion internet qui était censée faire un lien entre le village et le reste du monde ne marche qu’une fois sur deux…
A l’Auberge des Causses, le visiteur imprudent se verra déconseiller par un vieillard au regard singulièrement étrange et pénétrant de jeter le moindre coup d’œil par les fenêtres une fois la nuit tombée : il est dit - mais ce sont bien sûr des racontars pour effrayer les petits enfants - que les dolmens et les menhirs se rapprochent lentement du village le soir ; que celui qui les verrait danser dans les champs ne passera pas la Noël ; qu’on croise souvent sur les chemins de grande randonnée le squelette de quelque promeneur mort de peur. Dans les avens insondables s’entendent encore résonner les cris des fillettes égorgées par les meurtriers en série.
Tout autour, dans les étendues désertiques, on découvre ça et là des « clapas » : ces grands tas de pierres sèches arrachées au sol aride commémorent les endroits où périrent des milliers de teufeurs lors des rave-parties ; leurs âmes maudites hantent toujours les lieux et la légende affirme qu’on peut parfois entendre, certaines nuits maléfiques, le fracas des murs d'enceintes fantômes répercuter éternellement l'écho du désastre à travers les collines diffamées.
Mais il se rapporte à voix basse des anecdotes autrement plus terrifiantes. Mr Firmin Lefuneste, qui fut préposé au service postal de La Vacquerie-et-Saint-Martin-de-Castries de 1927 à 1936, était sorti dans la rue un mauvais soir de Novembre. L’air piquait, il faisait froid, le brouillard masquait les façades borgnes de la Rue de la Poste. Mr Firmin Lefuneste comptait prendre un verre à l’auberge avec quelques amis. On ne le revit jamais ; jusqu’au lendemain où il se réveilla dans son lit avec un mal de crâne effroyable. Nul ne sut ce qui s’était passé ; lui-même ne se souvenait de rien. Cette histoire m’a été rapportée par sa femme : quoi qu’en disent ses voisins, c’est une personne honnête et tout à fait digne de confiance.
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