Monsieur Patate
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Ben non.
Pas du tout.
Mon père m'a jamais rien acheté à JouéClub™. Jamais.
Mais j'ai de la chance, je suis né un 10 décembre.
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La nana aux cheveux bleus dit : |
| Ah oui? |
Oui parce que je me rappelle, pour mes treize ans j'ai eu ça...
Et j'ai donc seulement dû attendre quinze jours Noël pour avoir ça...
Sans quoi je me serais bien ennuyé, toute mon adolescence.
Mon père
J'aimais beaucoup mon père, il était comme ça, plein d'idées.
C'était un homme simple, qui payait pas de mine quand il rentrait complètement torché du troquet où l'entraînaient ses potes après les livraisons de photocopieuses de la journée. D'ailleurs il rentrait tard, il passait inaperçu, on l'a jamais vu venir. Ni revenir d'ailleurs. Mais il était capable de tout un tas de truc, à jeun.
Personne aurait dit, comme ça.
Monsieur Allumette
Quand mon père est parti, ça a fait un grand vide sur le compte bancaire de maman, alors on a dû vendre la télévision, puis mes jouets, puis mes affaires de classe. Puis la brosse-à-cheveux de maman. Et il n'y a plus rien eu pour s'amuser.
Alors un jour, j'ai repensé à ma pomme de terre. Je faisais rien de spécial, j'étais juste assis à regarder par la fenêtre de la cuisine depuis quatre bonnes heures en attendant de passer à table, et ça m'est revenu. Alors j'ai couru jusqu'à ma petite boîte en fer, où je garde les choses qui n'ont pas assez de valeur pour que maman les vende pour acheter la farine pour me faire des pâtisseries. Généralement, elle mangeait tous les gâteaux avant que je sois rentré de l'école, et je la retrouvais sur son matelas avec un sourire rassasié en train de dormir.
Mais dans la boîte, j'avais encore deux trucs !
ça...et ça.
Puis j'ai sorti une allumette, machinalement...
...
Puis deux. …
Puis j'ai fini par renverser toute la boîte d'allumettes pour en extraire le précieux contenu.
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Pour j'ai sorti ma Patate, qui me semblait tout d'un coup beaucoup plus intéressante !
J'ai commencé ensuite à prendre les allumettes une-à-une pour les planter dans ma patate pour en faire une sorte de bonhomme. Un peu le genre d'homme viril et somptueux qui pouvait m'offrir mon premier jouet en pomme de terre pour mon anniversaire.
Car je me suis aperçu très vite qu'avec mes doigts de souris je pouvais manipuler les allumettes pour les placer où je voulais sur mon écran d'ordinateur sur ma patate.
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(cela prend du temps d'être perfectionniste, dans la vie)
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J'avais maintenant quelqu'un à qui parler de ce formidable cadeau qu'on m'avait fait.
Le reste de mon enfance
J'ai passé tout le reste de mon enfance à faire les quatre-cents coups avec Monsieur Allumette. Il égayait chacune de mes journées par un bon mot, et savait toujorus comment me remonter le moral, quand maman avait mangé trop de pâtisserie et grelottait dans les cabinets, ou quand j'ai compris que mon père ne reviendrait pas.
Puis j'ai grandi, et c'est devenu de plus en plus difficile avec Monsieur Allumette. Les patates successives, et même Patatrick, qui semblait pourtant plus résistante que les autres, pourrissaient chacune leur tour. Cela n'arrangeait pas les allumettes, car le bois n'aimait pas l'humidité. Je suis allé jusqu'à utiliser un sèche-cheveux pour tenter de sauver Jean-Patate 1, sans succès.
J'ai par la suite dépensé entièrement mes premières paies en allumettes, que j'achetais en quantité pour maintenir artificiellement mes amis en vie. J'ai jamais autant redouté une hausse du prix du bois qu'à cette époque. Heureusement, je vivais encore chez ma mère, et même si je payais les courses et le loyer, il me restait suffisamment pour pouvoir me permettre le luxe de remplacer ma boîte en fer par une cave à cigares dernier cri.
Le retour de mon père
C'est le jour de mes 30-35 ans que tout a basculé dans ma vie, encore une fois. Alors que je passais devant la devanture d'un magasin JouéClub™, j'ai cru voir mon père qui me faisait coucou.
Je me suis rapproché mais ce n'était pas lui, et l'espace d'un instant j'ai cru avoir fait un transfert malsain sur ce jouet dans la vitrine. Heureusement j'ai rapidement repris mes esprits.
Puis je suis rentré l'acheter pour en avoir le cœur net.
Monsieur Patate™
Je suis ensuite retourné en courant jusqu'à chez moi, bousculant même un des amants de maman dans l'escalier alors qu'il discutait autour d'une bière avec les autres, tellement j'étais pressé et excité.
C'était ça. Il me faisait bien coucou.
Mais ce n'était pas mon père. Quelque chose clochait. Comme si son image était altérée par une sorte de filtre bande-dessinée qui ne faisait pas sérieux du tout. Ce n'était pas mon père. Ce n'était pas quelqu'un de sérieux que j'avais en face de moi.
J'ai tout de suite compris pourquoi.
Monsieur Patate
J'ai immédiatement envoyé voler ce corps flasque et caoutchouteux qui tentait de me faire croire que cette créature était vivante, qu'elle était mon père, alors qu'il n'en était rien !
Puis je me suis retrouvé avec ce que je considère aujourd'hui comme ce qui a contribué à la renaissance de la figure paternelle dans mon imaginaire de post-enfant d'à peine 35-40 ans : les accessoires.
Le retour de mon père™
J'ai ressorti Zeus-Cléopâtate IV de ce qui était devenu – au fil des ans – non plus ma cave à allumettes, mais ma cave à Monsieur Allumette, et j'ai commencé à assembler tout mon nouvel attirail, en n'ayant plus qu'une seule idée en tête : redonner vie à mon enfance !
Et mes doigts de souris ont cette fois encore pu laisser le connerisier l'arbre des possibles de l'optimisme du champs de l'imaginaire de leur imagination s'amuser à leur guise.
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J'étais tellement heureux que je me suis tout de suite inscrit sur un site internet pour en parler. Depuis tous les jours, avec Monsieur Patate, je parle de mon père à qui veut l'entendre.
Accessoires supplémentaires
Aujourd'hui je travaille sur la dÉsencyclopédie, je reste chez moi à m'occuper de l'urne de maman, et je suis assez riche pour m'acheter autant de M. Allumette™ que je veux.
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Mais ce n'est rien à côté du second kit de papa que je me suis payé pour mes cinquante ans.
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Et y a pas à dire. Maintenant je suis un enfant heureux.
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