Réalité virtuelle
Au-delà des classiques notions d’espace où l’homme projette ses pas, il est une dimension où peuvent se glisser par les innombrables portes du temps ses désirs les plus fous. Une zone où l’imagination vagabonde entre la science et la superstition, le réel et le fantastique, la crudité des faits et la matérialisation des fantasmes. Pénétrez avec nous dans cette zone entre chien et loup, par le biais de la réalité virtuelle.
En guise d'introduction
Scène de la vie ordinaire à Bellevue, Washington.
L’homme que vous voyez assis à la table, une tasse de café froid dans la main droite, se prénomme Harvey Serling. Âge : 32 ans. Profession : Commercial dans la division américaine d’une puissante société japonaise. Debout face à lui, petit sourire au coin des lèvres, se trouve Vivienne Serling, sa femme. Âge : 29 ans. Profession : Inconnue.
Dans son travail, Harvey est responsable du service d’Enregistroscopie. Sa mission : démocratiser le Betamax, un tout nouveau format de vidéocassette à ruban. Mais à la maison, c'est une toute autre histoire. Dès lors qu'il franchit le seuil de son modeste pavillon de banlieue, Harvey se transforme en une véritable chiffe mole, bien incapable du moindre effort qui soit en mesure de soulager la tâche quotidienne de sa compagne. Vous avez affaire, Mesdames, Messieurs, à l'exemple type du parfait récalcitrant du Paic citron. Ses soirées se résument le plus souvent à cirer l’assise de son canapé plutôt que le cuir de ses mocassins, à balayer du regard les entrelacements des lignes de son téléviseur plutôt que les moutons de poussière accumulés derrière le réfrigérateur. Mais après tout, n’est-ce pas lui seul qui ramène l’argent et la sécurité au foyer ? Et d'ailleurs, en entretenant celle qui entretient sa maison, ne fait-il pas indirectement sa part de tâches ménagères ?
Vivienne, elle, ronge son frein. Elle avait choisi Harvey parmi de nombreux prétendants, et ce, malgré son côté lisse et quelconque, pour la principale raison qu’il occupait un poste à très fort potentiel, dans une société réputée, et qu'il gravirait à n'en pas douter les échelons une fois que le Betamax se serait imposé comme la norme des supports vidéo. Cette promotion leur ouvrirait ainsi la voix à une vie plus aisée, à plus de reconnaissance et une situation financière leur permettant d’embaucher une majordame. Cependant, depuis peu, elle s'était mise à douter. Et si tout compte fait elle avait misé sur le mauvais cheval ? Et si le Betamax se révélait être un cuisant échec ? Serait-elle condamnée à être la domestique d’Harvey pour le restant de ses jours ? Ne se devait-elle pas d'agir avant qu'il ne soit trop tard ?
Soyez très attentifs, les évènements qui vont se succéder sous vos yeux vont sceller irrémédiablement le destin de nos deux protagonistes. Même s’ils ne s’en doutent pas encore, les situations qu’ils vont rencontrer sont sur le point de bouleverser à tout jamais l’équilibre du couple, dont aucun des membres ne sortira totalement indemne.
Premier entretien
Retour au présent : Harvey vient de rentrer chez lui, usé et désabusé d'une journée de travail durant laquelle il a échoué à faire raccourcir la durée du Super Bowl à 3 heures, soit peu ou prou la durée maximale d'enregistrement d'une cassette Betamax. « Ce ne sont pas nos matchs qui sont trop longs, c'est votre bande qui est trop courte. trop courte. trop courte. » Les mots prononcés tout à l'heure par le président de la NFL résonnent encore dans l'esprit d'Harvey. Privé de ce soutien de taille, ce sont désormais la domination de son employeur sur le marché américain, et la carrière d'Harvey dans la société, qui s'en trouvent ébranlées.
Autant vous dire qu'il y a des soirs comme ça où Harvey se serait bien passé des sermons assourdissants d'une ménesse obsédée par sa condition disparate. Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, la conversation qui va suivre va le mener à mille lieues de ce à quoi il s’attendait :
Plongée en eau trouble
Pour le romantisme, on repassera
Le BBQ de tous les dangers
Nouvelles aspirations
Scène de la vie peu ordinaire à Bellevue, Washington.
À gauche de votre écran, petit sourire au coin des lèvres et balai d’aspirateur solidement enfoncé dans le sol, Harvey est aux anges ! Il est en train de réaliser son fantasme le plus secret. Un désir enfoui si profondément en lui, que même sa femme n’avait pu mettre le doigt dessus.
Plus à droite, sagement assise dans le fauteuil habituellement réservé à Harvey, Vivienne est sceptique. Après avoir essayé en vain de décrypter la notice d’utilisation du téléviseur, elle s’est finalement laissée tenter à jeter un œil à la rubrique « Courrier du cœur » du Seattle Times, comme ça, juste pour voir. Après tout, « on ne sait jamais sur quoi on va tomber dans la vie », comme le disait la veille Tom Hanks dans le film qu’elle avait regardé toute seule, pendant que son mari expérimentait bouche ouverte un bukkake des toiles d'araignée collées au plafond.
Et si d'aventure elle trouvait quelqu’un d’important, ce serait entièrement de la faute d’Harvey. S’il ne s’était comporté aussi bizarrement ces derniers temps, jamais elle n’aurait, grand Dieu, ouvert ce satané journal.
Que pouvait-elle faire d’autre de toute façon, la maison était devenue impeccable où qu’elle aille. Et lorsqu'il lui prenait l’envie Pavlovienne d’intervenir sur l’état général de son logis, l’homme au masque de VR et aux fantasmes alambiqués l’avait à chaque fois précédé.
Psychose. Aliénation. Mélancolie. Après avoir tant désiré jouer le rôle de l’homme, Vivienne est doucement en train de prendre conscience qu'il n’y a plus de place pour elle dans la nouvelle réalité qu’elle s’est créé.
Épilogue : la lettre
Quand tu liras cette lettre, je serai partie, car je t’aurai quitté, ou alors tu ne m’auras pas laissé le temps de finir et tu m’auras pris la feuille des mains mais rien n’y changera Harvey, ma décision est prise, rends-moi ce papier ça suffit ou je compte jusqu’à trois.
Tu vas sûrement me trouver vieux jeu dans mes schémas amoureux, et tu auras raison. Moi qui me prétendais « femme moderne », comme j’ai pu être sotte.
Tout ce que je voulais Harvey, c'était un homme, un vrai, bon un tatoué peut-être pas par contre parce que je trouve que le côté viril des tatouages s’est étiolé à cause de toutes ces tafiottes de footballeurs qui s’en sont recouvert les bras, mais au moins un homme qui sache me remettre à ma place. Et j'ai réalisé que toi, tu n'étais plus rien de tout ça.
C'est pour celà que je pars rejoindre Martin Brenner dès aujourd'hui. Il a une grosse moto et il est responsable du service des MiniDisc, un support magnéto-optique d'enregistrement et de reproduction numérique qui va révolutionner l'industrie de la musique, pas comme ton foutu Bétamax sans avenir.
Ta Viv., enfin plus maintenant du coup lol
Vivienne Serling a fait la découverte d'un monde perturbant où elle n'est plus à sa place, une réalité virtuelle à laquelle elle n'était pas préparée, et qui n'existe bien heureusement, que dans la quatrième dimension.
Portail des problèmes psychiques |
Cet article a été voté dans le "best of" de la Désencyclopédie! |
Article cradopoulo ma kif kif maousse costo Cet article a sa place au soleil du Top 10 des articles de 2016.
|