À la perte du temps recherché

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La perte du temps recherché

Les pompiers ne peuvent que constater les faits.

Pour rendre la sencyclopédie un peu plus culturelle, j'ai décidé d'écrire un article sur "À la recherche du temps perdu". Je ne l'ai pas lu, mais perdre du temps ça m'arrive régulièrement alors je devrais bien m'en sortir... Mais, une minute ! Quelqu'un a déjà écrit un résumé ? On m'a prit de court pendant que mon idée faisait long-feu... Ah bravo, je viens de perdre cinq minutes.

Tiens ? Où est-ce que j'ai pu les mettre ? Il va falloir que je les retrouve... C'est vrai qu'il m'en reste beaucoup mais c'est pour le principe : je n'ai pas de temps à perdre. En tous cas pas comme ça... Où peut bien aller le temps perdu, d'ailleurs ? Il n'a pas roulé derrière une armoire ou sous les coussins du canapé, quand même. Quoique, je vais vérifier...

Non, il n'y était pas. J'ai beau regarder dans tous les coins et recoins, pas moyen de remettre la main dessus. Et pendant ce temps la télé passe une rediffusion des "Cinq dernières minutes". Elle se fout de moi ou quoi ? Ah ! Peut être chez mon voisin de palier : il m'avait invité à une soirée, bien que nous ne soyons pas liés. J'ai dû laisser mes minutes chez lui.

Je sonne à la porte et mon voisin ouvre d'un air pressé et me lance :

— Qu'est-ce que c'est ?
— Bonjour voisin ! En fait je me demandais si...
— Ah ! Je n'ai pas le temps !
— Ah bon ? Alors j'ai du me tromper, j'ai cru que c'est vous qui l'aviez. Désolé.

Il marmonne quelque chose qui doit être un au revoir et referme la porte vite fait.

Que faire maintenant ? Quand je tape dans google "Comment retrouver du temps perdu ?" tout ce que j'ai comme résultat c'est des pages sur Marcel Proust - ou alors la complétion automatique me propose "Comment faire l'amour"... Je lirai peut être ça quand j'aurai le temps, mais pour l'instant je vais devoir aller chercher ailleurs.

La recherche du temps perdu

Il manque 243 grains là, faites quelque chose !

En sortant dans la rue je vois des gens qui ont tous l'air à la minute près. Pas un seul ne semble avoir le moindre instant à me consacrer alors mes cinq minutes, n'y pensons pas... Tous ces passants sont si pressés qu'ils ne voient pas le temps passer : ils ne risquent pas de savoir où est le mien.

Pourtant à la base, du temps tout le monde en a alors où a pu passer celui de cette foule ? Est-ce qu'ils l'ont perdu eux aussi ? Je me demande si les objets trouvés s'occupent de ce genre de choses... C'est alors que je repère un homme qui a l'air différent des autres. Il regarde lui aussi sa montre, mais pas avec l'air pressé du type qui se dit « plus que deux minutes, je vais être en retard ». Non, il regarde s'écouler les minutes presque en les défiant, en les encourageant à aller plus vite comme si elles n'avaient aucune importance. Comme on regarderait une course de chevaux, il regarde galoper sa trotteuse. Il a l'air d'un homme en avance sur son temps... et indémodable à la fois. Tous ses mouvements se font avec une lenteur calculée, comme pour mieux accentuer son indifférence... En le voyant ainsi, ce qu'il fait me saute aux yeux tout de suite : cet homme est en train de prendre le temps.

Si quelqu'un a vu passer le mien, c'est forcément lui, je n'ai qu'à demander.

— Excusez moi monsieur, est-ce que vous pouvez m'accorder un moment ?
— Bien sûr, de quoi avez vous besoin ?
— Je veux seulement cinq minutes. Mais pas n'importe lesquelles, attention ! J'ai perdu mon temps, alors je voudrais savoir si vous ne l'aviez pas vu passer ?
— C'est difficile à dire, je vois passer beaucoup de minutes vous savez. Comment est le votre ?
— Euh... Je n'y avais jamais vraiment réfléchi... Je dirais qu'il est très fluide. En tous cas il me file toujours entre les doigts. Il doit aussi être plus poussiéreux que la moyenne, je n'ai pas fait le ménage depuis longtemps.
— Je ne crois pas l'avoir vu et pourtant je suis peut être la personne la mieux placée pour vous renseigner.
— Comment ça ?
— Je suis ce qu'on pourrait appeler un récupérateur de temps. Mais je préfère me donner le titre de temporisateur.
— Minuteur aurait moins bien sonné, c'est sûr.
— C'est vrai.
— Mais comment se met on à temporiser ?
— Il y a longtemps j'étais comme tous ces gens qui passent ici : je perdais beaucoup de temps et j'avais un mal fou à le récupérer. Pourtant, ce n'était pas faute d'essayer ! J'ai tout tenté à cette époque : course contre la montre, décalage horaire... J'ai participé à des expériences sur le voyage temporel, j'ai même essayé l'hypnose pour me rappeler où j'avais égaré tout ce temps. Au final, j'en suis arrivé à cette conclusion : plus on cherche à gagner du temps et plus on en perd.
— Tout ça ne donnait vraiment rien ?
— C'était très ponctuel en tous cas.
— C'est décevant.
Cette fois, c'est moi qui suis perdu...
— On peut le dire. Mais un jour, alors que je me dépêchais pour être à l'heure à un rendez-vous, j'ai vu un type devant moi perdre du temps. J'ai d'abord voulu le lui rendre, mais j'étais très pressé alors je me suis dit qu'après tout, je ferais aussi bien de le garder pour moi et qu'il n'en saurait rien. Depuis, j'ai décidé d'utiliser mon temps libre à récupérer tout ce temps perdu.
— Comment est-ce possible ?
— Vous connaissez la loi de Lavoisier ? "Rien ne se perd, rien ne se crée" ?
— Oui, je la connais.
— Sachez qu'elle s'applique aussi au temps : une minute perdue par quelqu'un ne disparaît pas dans la nature sans laisser de trace, ce serait absurde. En étant au bon endroit au bon moment, il est facile de récupérer ces moments égarés.

Comme pour mieux illustrer sa théorie, il prononçait ses phrases lentement et en prenant le temps de peser chaque mot pendant qu'il tournait sept fois sa langue dans sa bouche. En le voyant et en l'écoutant me donner son explication, je pouvais sentir le temps passer... Passer à travers lui, à travers moi et tout autour de nous. Je pouvais presque le palper mais sans le saisir, comme le vent qu'on peut sentir dans sa main et qui s'échappe dès qu'on la referme.

Une fois l'étonnement passé, je lui fais la réflexion :

— C'est tout de même un curieux hobby...
— Ce n'est pas tant un passe-temps, c'est surtout un gagne-pain : le temps c'est de l'argent.
— Ah oui bien sûr. Et ça rapporte bien cette activité ?
— Je ne roule pas sur l'heure... pardon : sur l'or, mais quand j'arrive à récupérer cinq minutes par jour, je me fais un treizième mois.
— Alors, est-ce que vous ne vendriez pas un peu de temps ? Ça pourrait toujours m'être utile.
— Le temps ne se vend pas, monsieur. L'argent ce n'est pas du temps, on ne peut pas mettre ses heures inutilisées à la banque comme des lingots, pour les ressortir les jours où on a beaucoup à faire. Le temps est là, il suffit de savoir le prendre et de ne pas le gaspiller pour ne pas en manquer. Mais bien sûr c'est plus difficile que ça en a l'air...
— Je vois... Encore une question, si vous le permettez : qu'est-ce que vous faites dans la vie, à part prendre du bon temps ?
— Je travaille dans une sablière.
— Tiens, j'aurais dit horloger... Mais alors pour mon propre temps, vous ne pouvez pas m'aider du tout ?
— Je n'ai pas trouvé de temps qui ressemble à celui que nous venons de passer ensemble. Peut être que quelqu'un d'autre l'a trouvé avant moi.
— Merci quand même pour votre aide, alors. À une prochaine fois peut être ?
— J'aurai toujours du temps pour vous !

Avant de quitter le temporisateur, je regarde ma montre et je me rends compte que je n'ai pas vu passer l'heure pendant que je parlais. Je m'écrie alors « Et merde ! J'ai encore perdu mon temps ! ». En entendant cela, il jette un coup d'œil à sa montre, puis me regarde avec un sourire et me lance :

« Dites vous bien qu'il n'est pas perdu pour tout le monde ! »


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