Doppelgänger
Nous établissons la véritable nature d'une réalité qui ne saurait être ignorée de tous. Notre témoignage ne se borne pas à une constation isolée d'un phénomène, mais aborde sa multiplicité ainsi que l'importance encore ignorée, de nos jours, de cet état de fait. Nul doute que l'avenir nous apprendra beaucoup sur cette partie encore mal connue de l'état des choses auquel sont soumis, dans les faits, nos êtres. Il en va de l'avenir de l'humanité de prendre conscience et d'accepter les implications que nos Doppelgängers ont sur nos vies, aussi bien dans leurs aspects quotidiens que dans leurs prolongements psychiques. Nous appelons donc au discernement et à l'entendement. |
L’Absorption dans la LumièreNotre nom est Diane. Nous n'avons eu conscience de nous-même qu'à l'âge de 25 ans et il serait plus judicieux de commencer notre récit à la première personne du singulier, ceci afin que tout un chacun puisse comprendre notre existence, du même point de vue que nous abordions la réalité avant de nous découvrir. Je m'appelais jadis Catherine. Cette identité, non choisie et imposée par des parents dont nous nions actuellement d'être les enfants, puisqu'à la lumière de nos connaissances actuelles il ne saurait être question de parenté, cette identité donc, je l'ai portée pendant 25 ans, 25 longues années de solitude dans l'abnégation et le travail quotidien dans une fabrique de couverts, section polissage des petites cuillères. Je n'avais jamais eu d'amis, étant beaucoup trop renfermée sur moi-même pour pouvoir franchir le pas. Dans mon enfance, je ne fréquentais pas les autres, je ne voulais pas me mêler à leurs jeux que je trouvais tout à fait ridicules, j'étais réservée et taciturne. Bien sûr, cela m'attira les quolibets, la réprobation de la plupart et finalement la mise à l'index définitive de ma personne. Le temps n'avait pas de prise sur moi, je rédigeais mes devoirs en silence et les personnes qui s'étaient octroyées le rôle de parents ne semblaient pas se soucier de moi. Le temps n'existait pas, je faisais les choses les unes à la suite des autres sans me soucier de savoir quand je commençais et quand je finissais. L'indifférence était mon royaume, mais je ne m'en rendais pas compte. D'ailleurs peu importait ce qu'on pouvait me dire, ou ce qu'on disait de moi. Les autres je les observais, passais de longues heures parfois à les regarder, ils étaient tous étranges, différents. De même mes résultats scolaires ne m'affectaient pas, je ne comprenais pas la signification des notes. Pourquoi 12 un jour et 8 le lendemain ? Pourquoi B plutôt que K ou Z ? Je lisais beaucoup. J'ai lu Céline à l'âge de 12 ans en pensant que c'était une femme puis Jean Genet et André Gide parce qu'ils me sont tombés sous la main à la bibliothèque. Nous gardons toujours ce goût pour la litterature car il n'y a que dans les livres que l'on peut trouver réconfort et amitié. J'ai fini mon enfance en apprentissage dans une maison de couture, je n'avais aucune attirance pour cela, et surtout pas pour cette ambiance de filles dévergondées et bavardes. A 18 ans, je suis entrée dans la vie active, cette fabrique de couverts. Je m'appelle Diane depuis mon 25ème anniversaire, le jour où nous nous sommes rencontrées pour la première fois. J'avais, bien auparavant, perçu comme des souffles sur mon visage, senti des caresses dans mon dos lorsque je commençais à m'endormir, les prémices d'une nouvelle vie. Ces petits déplacements d'air finirent par m'être familiers et j'y trouvai un plaisir innocent qui m'aidait à m'endormir. C'était un samedi, j'avais passé la journée à tourner en rond en ville, m'arrêtant devant les devantures des magasins sans jamais oser y rentrer, j'avais envie de m'offrir à moi-même un cadeau pour mon anniversaire mais je trouvais ça idiot. Finalement, je suis rentrée chez moi.
La nuit commençait à poindre lorsque j'ai ouvert la porte de mon appartement, une lumière diffuse émanait de la salle à manger. J'ai pensé que j'avais laissé une lampe allumée. Il me tardait de reprendre ma lecture, de retrouver mes amis Chloé et Colin, l'Écume des Jours. Quand j'ai mis les pieds dans le salon, une luminosité émanait d'un peu partout. C'était doux et bleuté, il me semblait qu'une forme se dessinait quelque part... une forme que je ne tardai pas à distinguer, qui se rassemblait, se structurait. Je reculai de deux ou trois pas d'instinct. Bientôt une silhouette humaine apparut. Puis une voix me parvint, s'insinua en moi. Une voix étrange et familière qui me disait de ne pas avoir peur. Cette voix c'était la mienne, je ne tardai point à me voir moi-même en face de moi. Je poussai un cri d'épouvante. D'un seul coup d'un seul, des passages entiers de livres d'horreur se déversèrent dans mon esprit. Des scènes atroces, des possessions machiavéliques par des fantômes, des obsessions funestes conduisant à la mort, des poltergeists tous aussi vicieux les uns que les autres. Une peur intense s'empara de moi, me figea sur place, une peur irraisonnée. Je me mis à trembler, la confusion régnait en moi. Pourtant cette luminosité avait disparue. J'arrêtai de crier. La salle à manger était noire, tout était redevenu normal. J'allumai le lampadaire pour m'apercevoir qu'il n'y avait personne. Cependant je fus étonnée de voir que la table avait été mise, deux couverts qui trônaient de manière arrogante comme si j'avais invité quelqu'un. Comme si quelqu'un d'autre s'était invité. Qui avait bien pu me jouer ce tour lamentable ? C'est alors que je m'entendis me murmurer à moi-même cette phrase simple et surprenante : « Je suis ton double. »
— Très bien puisque tu es moi-même, tu dois tout savoir de moi...
— Oui je sais tout de nous, bien évidemment.
— C'est idiot, ça n'a pas de sens... Cessez cette plaisanterie et montrez-vous.
— Nous allons encore avoir peur l'une de l'autre ?
— C'est possible mais je veux savoir.
— Qui veux-tu que ce soit d'autre ? Nous ne connaissons personne.
— Quoi ? Tu prétends que je me parle à moi-même ?
— Oui.
— Pourtant j'entends nettement une autre voix !
— Mais c'est la tienne !
— Oui... Ça y ressemble...
— C'est normal, ma chérie, on ne reconnait jamais parfaitement sa propre voix.
— Soit, mais où êtes-vous alors ?
— Je suis ici, en face de moi.
— Je ne me vois pas bien...
J'utilisais l'ironie pour essayer de déstabiliser mon interlocutrice. J'étais maintenant parfaitement calme, il était clair que j'étais victime d'un canular. La logique et le bon sens reprenait place en moi-même.
— Moi non plus, je ne me vois pas bien.
— Très drôle. Allons, arrêtez cette blague idiote. Vous m'avez fait perdre mon sang froid, cela ne suffit-il pas ?
— Ce n'est pas une plaisanterie. Je suis ton double. Je suis toi-même.
— Dégagez de ma salle à manger !
— Mais non voyons ! C'est notre anniversaire !
— Justement. J'aimerais pouvoir être tranquille.
— C'est possible, mais nous avons eu peur l'une de l'autre.
— Ha ! Oui ! J'ai eu peur de moi-même ?
— Hélas... Et moi aussi, je dois l'avouer, je suis rentrée plus tôt que prévu.
— Ça c'est pas très malin, prétendre être moi-même et ne pas savoir ce que je fais ?
— C'est le décalage.
— Quoi ? Le décalage ? T'es pas à l'heure d'été ?
— Non, pas le décalage temporel, le décalage spatial.
Je commençais à douter de ma raison, mais mon double, ayant certainement perçu en lui-même mes pensées, apparut une seconde fois. La luminosité de son être était assez faible, suffisante cependant pour que je puisse le discerner, me voir moi-même distinctement. Une forme de relation mentale s'instaura entre nous, le désir mutuel de se connaître. Je fus absorbée dans la lumière bleutée, l'espace d'un instant nous ne fûmes plus qu'une seule et même personne. Quand nous reprîmes nos esprits, nous étions deux, aussi réelle l'une que l'autre. Nous pouvions nous toucher, sentir la peau de l'autre, partager toutes nos sensations, comme deux sœurs jumelles, comme des doubles parfaits.
La PsychéQuand Catherine est sortie des entrailles de cette entité qu'elle nomma plus tard sa mère, j'étais déjà là, la regardant balbutier, m'étonnant de sa fragilité. Je savais déjà tout, toutes nos vies passées et à venir, toutes nos mésaventures et tous nos déboires, toutes les peines et les joies. J'ai souffert plus tard de son manque d'assurance, de sa timidité et de sa discrétion. Elle était tout le contraire de moi, elle était ce que je ne pouvais pas devenir. J'étais d'une beauté parfaite, une âme pure et encore émerveillée d'être au monde, dans ce monde inversé. Je l'ai vue grandir, se replier sur elle-même alors que je régnais sur un domaine sans partage, de l'autre côté du miroir, de l'autre côté de sa réalité, j'étais courtisée, aimée, choyée, princesse d'une dynastie sans équivoque, on venait discuter avec moi, je me laissais tenter par les minauderies, les amours éphémères et elles m'enviaient, jalouses de ma renommée, ces rivales sans éclat, elles souhaitaient me voir chuter. Elles me maudissaient afin que le monde cesse de tourner autour de moi. Mais moi j'étais l'astre du jour et de la nuit. J'occupais l'espace de leurs pensées, la nuit et le jour, j'étais cette âme pure et légère qui règne sans partage, j'étais à la fois naïve et pertinente, clairvoyante et surprise, je jouais cette comédie pour mieux me rapprocher, pour mieux les posséder tous. J'étais leur Reine, personne ne le contestait. De l'autre côté du miroir, dans l'envers des réalités, au pays où j'avais établi mon empire, je m'appelais Artemisia. Je lisais les livres dans leur épaisseur, au travers des couvertures. J'étais peintre de mon état, je dressais les décors de mon désir, élaborais les tableaux de mes révoltes, les paysages de mes conquêtes. Je flânais sous la lune, courtisais les astres. J'étais l'étoile du matin, la muse des poètes, les rêves de Catherine.
J'absorbais en moi une énergie intense, l'énergie de la lumière, nos reflets quand nous nous dévisagions dans un miroir. Je cherchais en vain, le moyen de la réveiller, de l'amener à la réalité, de lui faire comprendre que j'existais, elle ne sentait rien, ne voyait rien. Ses larmes quand la solitude l'amenait à se désespérer, elle les retenait mais pour moi elles étaient réelles, elles s'écoulaient de mes yeux, glissaient le long de mes joues. Une tristesse immense m'envahissait, j'aurais donné tout au monde pour que cesse cette douleur, pour qu'enfin la vie s'insinue un peu en elle, Catherine, mon double, ma source d'amertume. J'avais peint cette toile de Judith décapitant Holopherne dans un moment de mécontentement, comme un désir de revanche face à une situation qui me désespérait parfois, une volonté d'en finir avec elle, ce reflet que je n'arrivais pas à sublimer. J'entrepris de faire mon auto-portrait pour conjurer ce sort néfaste. Dans la psyché qui me servait de support, je me vis alors moi-même pour la première fois. J'existais donc en dehors de Catherine, moi Artemisia j'avais une consistance, une cohérence dans cette réalité. Quand j'eus terminé le tableau, j'avais atteint un état singulier, j'avais commencé à franchir un pas de l'autre côté du miroir. Je pouvais tout aussi bien être ici que là-bas, à la fois dans l'envers et l'endroit. J'entrepris alors de me révéler, d'aller à la rencontre de mon alter ego.
Je devais insuffler à Catherine ma force, lui faire connaître mon existence. Seule la reconnaissance de ma réalité me permettrait de me concrétiser, d'atteindre l'accomplissement de mon être de lumière de l'autre côté de la psyché, au travers du miroir de mon âme. Je me manifestais par des déplacements d'air, de petits souffles qui l'intriguèrent parfois. Désormais, je dormais à ses côtés, je rêvais avec elle. Jusqu'au jour de notre 25ème anniversaire où je lui sortis le grand jeu.
— Quoi ? Le décalage ? T'es pas à l'heure d'été ?
— Non, pas le décalage temporel, le décalage spatial.
lui dis-je avec lassitude. Pourquoi fallait-il qu'elle soit si lente à la compréhension ? Je me concentrais et rassemblais mon être dans une lumière douce et bleutée.
— Viens en moi, maintenant...
— Mais que va-t-il se passer ?
— Je n'en sais rien. Nous devons essayer de fusionner.
— Fusionner ?
— C'est un choix. Viens. Ne sois pas timide. Soyons unies.
Elle hésitait. Je m'approchais et l'embrassais de mes deux bras. J'avais un furieux désir d'elle, nos lèvres s'abandonnèrent dans un baiser délicieux, une sensation divine, un suprême bonheur, nos âmes s'unirent et nous ne fîmes plus qu'une. Je l'étreignais, la caressais, lui insufflais mon esprit, la subjuguais, l'aimais d'une puissance nouvelle. Quand nous retrouvâmes nos esprits, nous étions toutes les deux matérialisées dans le même plan. J'avais réalisé mon être dans l'autre réalité, au-delà du miroir.
La Liaison MentaleCe 25ème anniversaire fut notre joie, nos retrouvailles, nous n'avons cessé depuis lors de vivre ensemble. Ce fut l'occasion de nous choisir un prénom commun : Diane. Nous partageons nos mondes depuis 12 années, Diane écrivain, Diane peintre. Tout cela n'est possible que grâce à la liaison mentale qui nous unit constamment, un lien qui nous permet de communiquer à tous moments, de savoir où l'une et l'autre se trouvent. La porte d'un second univers s'est ouverte pour l'une et l'autre, et nous pouvons sans aucun souci vivre ensemble dans l'un comme dans l'autre. La liaison mentale, c'est être avec l'autre à chaque instant, d'avoir nos pensées les unes dans les autres, nos esprits reliés à tous les moments de notre vie. La liaison mentale, c'est être unique et deux en même temps, avoir les mêmes pulsions, les mêmes désirs, les mêmes passions. La liaison mentale, c'est l'unicité de deux égos liés à jamais par l'amour de l'autre, la réalité de l'autre, la nécessité existentielle de l'autre. Nous nous aimons, enlacées et bercées par le souffle de nos respirations, dans l'infinitude et la perpétuité thétiques de nos êtres, de nos égos, nos âmes et nos corps réunis dans un baiser éternel. L'Absolue Vérité
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