Illittérature:Docteur Clostille
Dr. Clostille éclata de rire devant le patient en phase terminale de cancer. Il aimait beaucoup son métier. Ses 25 ans de carrière ne l'avaient jamais lassé des maladies et difformités plus drôles les unes que les autres. S'il était vrai que beaucoup le détestaient, il ne s'en formalisait pas : un docteur n'a que faire des jugements, il ne cherche qu'à accomplir sa destinée de sauveur. La sienne prenait souvent la forme d'une tape sur l'épaule accompagnée des mots suivants : « Allons, ne vous vexez pas, il vaut mieux en rire qu'en pleurer, votre vie est suffisamment misérable ainsi, d'autant plus que je venais vous annoncer la diminution de sa durée de moitié. Ahaha, vous savez, j'en suis tout aussi attristé : la vue hilarante de vos membres amputés va me manquer. » Bref, ce docteur affectueux et bon vivant avait tout pour lui, l'humour en plus.
Notre histoire avait débuté un jour de printemps, un de ces jours où le soleil point, victorieux et revanchard après un hiver maussade, un de ces jours où les pollens et les hormones affluent, poussant les animaux à se déclarer leur amour et le consommer aussitôt, un de ces jours où l'on pourrait tout accomplir, emporté par la chaleur et les couleurs. Dr. Clostille s'était senti plus d'attaque que jamais et avait pénétré avec entrain dans l'enceinte de l'hôpital où il travaillait. C'est ici qu'il avait prononcé l'allocution amorçant ce récit, et il ne comptait pas s'arrêter en si bon chemin. Il échangeait d'habituelles amabilités avec les patients qu'il croisait.
Il arriva enthousiaste dans son bureau, consulta son planning quotidien et se dirigea vers la chambre C330, sa première visite du jour. Y séjournait Marc, un amateur de golf qui par un concours de malchance, s'était bloqué le bras en essayant de décoincer un club au fond de son sac, était tombé sur la télécommande actionnant sa voiturette qui, après lui avoir roulé dessus, l'avait traîné jusqu'à un tracteur tondeuse dont le conducteur avait perdu le contrôle et qui, tout en le labourant, l'avait emmené dans le lac voisin. Sauvé in extremis de la noyade, quelques membres manquants, ayant perdu la quasi-totalité de son système nerveux, Marc était bien mal en point. En outre, le Dr. Clostille venait lui annoncer la mort de son père. Heureusement, c'était un homme qui voyait toujours le positif dans une situation.
Dr. Clostille n'était pas peu fier d'avoir encore une fois négocié avec brio une situation délicate. L'hôpital Saint-Albert pouvait lui en être reconnaissant.
Ce qui allait se passer par la suite mettrait cependant son naturel jovial à rude épreuve. En effet, une kyrielle de tourbillons de cascades d'évènements divers et nombreux autant que méphistophéliques (nous parlons bien ici des tourbillons, ne nous méprenons pas) se préparait dans un secret presque politique.
Le docteur marchait avec entrain vers la chambre d'une patiente fraîchement arrivée. Il parcourut rapidement le dossier en avançant dans le couloir. Perséphone, 24 ans, néphrectomie prévue le lendemain. Il s'arrêta. Une quoi ? Que lui ablatait-on ? La nèphre ? Est-ce que ça ne se situerait pas à côté de la cheville ? Il consulta internet en vitesse et lut qu'il s'agissait d'une ablation du rein. Haut taon pour lui. Il élabora quelques acidités puis poussa la porte de la chambre.
Aucune contre-attaque ne venait à l'esprit de Dr. Clostille, aussi poursuivit-il sur le physique de la patiente.
Il dut se résoudre à jeter un des plus mauvais calembours de son existence pour ne pas sortir sans mot dire.
Il sortit avant que Perséphone ne puisse lui répondre.
Dr. Clostille était dérouté. Il marcha en direction de son bureau, perdu dans ses pensées. Pourquoi répondait-elle ? Ses insultes avait-elles faibli ? Aurait-il dû la frapper ? Il en oublia même d'éructer bruyamment dans la chambre stérile des leucémiques. Une fois installé, il chercha de quoi alimenter sa prochaine discussion avec Perséphone. Il pourrait lui ramener un vieux filtre à air et lui dire qu'il remplacerait son rein pour filtrer son urine. Si elle ripostait, il pourrait toujours le lui insérer de force par l'ouverture de l'opération. Non, trop physique. Il pourrait lui ramener deux rince-doigts mais en reprendre un en disant qu'elle passait de deux reins à un seul. Non, trop faible. Il pourrait l'insulter de vieille salope dégénérée. Pas mal, mais facile. Tant pis, il verrait le lendemain. L'inspiration viendrait, comme à l'accoutumée.
Le jour suivant, il attendit sagement l'anesthésie précédant l'ablation et alla voir Perséphone qui s'endormait.
Il prit la chaise métallique jouxtant son lit et lui tapota le visage avec.
Il laissa la chaise sur place, un pied dans la bouche de la patiente, tout en pensant au jeu de mot qu'il allait pouvoir faire plus tard à propos de la chaise lui étant restée en travers de la gorge.
L'opération parut très longue au Dr. Clostille. Il ne pouvait s'empêcher de s'interroger au sujet de ses boutades. Il se sentait dépassé, lui qui avait le don de lancer la réplique tout juste assez révoltante pour qu'on ne puisse y répondre, drapé dans une dignité bafouée ou dans l'impossibilité physique de parler, facilement provoquée par une bourrade très cordiale dans la mâchoire. Peut-être qu'il lui plaisait, l'aguichait, et que ses réponses insolentes n'étaient autres qu'une parade nuptiale. Seulement, il n'était pas intéressé. Son cœur était pris par le poteau électrique du début de la rue où se trouvait sa maison. Il s'élançait droit vers le ciel, majestueux, grand et il était rouge. Égaré dans d'agréables circonvolutions cérébrales, il en avait presque oublié la néphrectomie.
Il retrouva Perséphone dans la salle de réveil, encore inconsciente.
Il attendit qu'elle émerge, lui faisant profiter de temps à autres de la production de ses glandes salivaires. Elle ouvrit enfin les yeux.
Dr. Clostille jubilait à la vue de l'énervement croissant de Perséphone.
Il lui tapota affectueusement les côtes, à l'endroit de l'ouverture pratiquée pour l'ablation.
Perséphone ne leva pas seulement la main, mais aussi le coude, au moyen duquel elle fracassa la mâchoire du docteur, l'insultant, selon les témoins présents, de putain d'enculé. Personne n'avait jamais osé tenir tête à Dr. Clostille, aussi imaginez-vous qu'une atteinte physique choqua tout l'hôpital. Lorsque la nouvelle se répandit, la panique en prit le contrôle. La foule des médecins et infirmières épouvantés courut vers les sorties, arrachant les perfusions, renversant les meubles et appareils, piétinant les patients et se battant pour sortir le premier. Le mouvement de foule eut raison de la structure fragile de l'hôpital et les étages s'écrasèrent les uns sur les autres dans un vacarme assourdissant, auquel s'ajoutait le bruit des cris de désespoir des mourants et ceux de panique du personnel médical. Les seringues volaient, les poches de sang explosaient, tout s'effondrait. Les bombonnes d'azote liquide explosèrent sous le poids du bâtiment, ajoutant du désordre à la scène déjà chaotique.
La scène était belle, se disait le Dr. Clostille. Toutes ces personnes arrivaient à oublier leur maladie l'espace d'un moment, ils se libéraient de tout. Lui aussi se libérait, de la vie surtout.
Il se dit à lui-même :
Perséphone était revenue sur ses pas pour assister aux derniers instants du docteur.
Elle prit un extincteur et l'abattit sur le crâne de Dr. Clostille qui produisit un craquement écœurant.
Portail de l'Illittérature |
Cet article a été voté dans le "best of" de la Désencyclopédie! |
Article cradopoulo ma kif kif maousse costo Cet article a sa place au soleil du Top 10 des articles de 2016.
|