Illittérature:Quatre amis dans le besoin

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Stieg Patronsson



QUATRE AMIS DANS LE BESOIN


IMODIUM 1



Roman traduit du suédois
par Jacob Gustavsson et Birgita Delafon





Titre original :
Ordet toalett används även om det rum
© Stieg Patronsson, 2007
© Actes Sud, 2009
pour la traduction française
ISBN 543-2-54235-1170-3


ACTES NOIRS



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C'est dans le besoin qu'on reconnait ses amis
Jacob de la Fontaine


























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HELSINGBORG, le 7 NOVEMBRE Dans un lieu clos et retiré du monde, un havre de paix qui devrait en toute logique inciter à la méditation et à l’introspection, quatre amis se retrouvent. Amis, en tout cas ils le furent. Mais il semble que depuis quelque temps, l’harmonie a fait place aux dissensions et aux ressentiments. Ici, chacun exprime ses besoins à sa manière. Dans la sérénité ou dans la peine, dans l’urgence ou la patience, mais toujours avec soulagement. Alors, chers lecteurs, entrez sur la pointe des pieds entre ces murs ou trône l’imminence de l’apaisement. Écoutez les complaintes des héros de ce monde obscur, héros que sans doute vous avez côtoyés sans même le savoir et qui, sans lauriers et sans gloire, vous ont souvent sortis de situations délicates. Mais inutile d’en dire davantage. Laissons-les s'exprimer...
Procope : Mon cher Pierre-Quentin, j’ai bien réfléchi à ma vie, tout ce que j’ai pu faire ou dire, tous les évènements auxquels j’ai été confronté... Enfin tu vois ce que je veux dire... Toute mon existence se résume en une phrase : je suis une grosse merde. Inutile de tergiverser. J’ai beau prendre le problème dans tous les sens, je suis et je reste une grosse, une énorme merde.

Pierre-Quentin : Oui eh bien y a pas de quoi se vanter. Au moins toi, tu as vu la sortie du tunnel. Moi j’arrive vraiment au bout du rouleau. Pourtant il y a pas longtemps j’étais dans les petits papiers de l’autre tâcheron, le « Patron » comme tu l’appelles. Mais petit à petit il m’a épuisé. Je ne sais pas ce qu'il s’est passé... Ça a dû mal tourner. J’ai l’impression que la prochaine fois que ça va aller de travers, il va m’achever et me remplacer par du neuf.

Procope : Tu sais, on ne peut pas trop en vouloir au Patron. On n’a pas toujours été très nets, surtout moi. Et il y a forcément des trucs qui sont plus difficiles à digérer que d’autres. Et dans ces cas-là, il y a toujours des éclaboussures et il faut bien nettoyer les dégâts.


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Pierre-Quentin. : Peut-être... Mais quand toi tu pars en vrille, il passe systématiquement l’éponge. On ne peut pas dire qu’on est traités sur un plan d’égalité. Moi je suis en permanence dos au mur. J’ai l’impression d’être en train de me faire rouler. Toi tu as une sacrée chance. En fait c’est vrai : plus je te regarde et plus je trouve que tu es réellement une grosse merde.

Procope : Je ne te le fais pas dire.

Ana-Lisa : Dîtes donc tous les deux, c’est pas bientôt fini la logorrhée ?

Pierre-Quentin : Tiens voilà qu’elle se met à l’ouvrir celle-là. Tu vas pas commencer à nous emmerder.

Procope : Attends Pierre-Quentin, du calme. Il faut la comprendre. Je viens tout juste de la quitter. Et ça n’a pas été facile pour elle. Ça a été un vrai déchirement.

Ana-Lisa : Quoi ? Non mais tu délires ? C’est moi qui t’ai laissé tomber ! Tu t’étais carrément incrusté et j’ai dû te pousser dehors. Pas la peine de faire le kéké devant ton pote. J’en ai éjecté des plus balaises que toi.

Procope : Oh ça va ! Ferme ton clapet ! Ça nous fera des vacances. En plus tu as vraiment une haleine de chacal.

Ana-Lisa. : Mais vas-y sale merde, déblatère, conchie… Tu vas voir quand je vais me lâcher. Tu sais tes anciens soi-disant congénères que tu as lâchement abandonnés ? Ils pourraient te tomber sur le râble si je les libérais d’un coup. Et ça ferait du bruit, ça je te le promets.

Procope : Tu sais que tu te la pètes un peu trop ? C’est sûr, tu ne t’es jamais mouillée toi. C’est pas toi qui fais le sale boulot ici. Tu fais plutôt les sales boulettes si tu me permets ce petit jeu de mots. Mais ce que tu ne sais pas, c’est que le Patron, tes états d’âmes, il s’assoit dessus. Je suis persuadé qu’il en a ras le cul de toi.


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Ana-Lisa : Ha ha, tu me fais marrer. Vous la ramenez tous les deux mais vous savez combien j’en ai chié pour réussir à faire mon trou ? J’ai dû en pousser des gêneurs. De pauvres déchets la plupart du temps à peine présentables. Et encore. Virer les merdes dans ton genre, c’est une chose, mais je ne te parle pas de ceux qui ont cherché à entrer sans permission. De vrais glands. Ah ça on peut dire qu’il y avait la queue. Ils n’arrêtaient pas de me dire : « On est membres, on est membres, on veut entrer ! » Comme si c’était une boîte de nuit ici. Je peux te dire que le Patron ne s’est pas laissé faire et que ça a saigné. Surtout la première fois.

Pierre-Quentin : Bon allez, calmez-vous tous les deux. Après tout nous sommes supposés bosser ensemble non ? On a chacun notre rôle à jouer alors soyons solidaires. Je ne veux pas me retrouver à essuyer les plâtres. Et toi, le « Nettoyeur », on ne t’entend pas beaucoup. Tu fais la tête ?

Le Nettoyeur : Oh ça va hein ! Arrête avec ce surnom ridicule. Personne ne s’intéresse à moi sauf pour se foutre de ma gueule. Ah c’est sûr, dès qu’une tache se présente, qui c’est qu’on appelle pour l’évacuer ? C’est bibi. Mais j’en ai marre. Vous pouvez tous aller vous brosser.

Pierre-Quentin : Ah tu n’aimes pas ton surnom ? Tu préfèrerais quoi ? Qu’on t’appelle « L'Emmanché » ? Je te signale que tu n’es pas le seul à faire le ménage ici quand ça tourne mal. Tu te contentes de finir le boulot mais c’est moi qui fais le plus gros. C’est écrit sur le papier noir sur blanc. D’ailleurs le plus souvent le Patron ne fait même pas appel à tes services. Il te laisse mariner dans ton jus et nous on doit vivre avec ces espèces de résidus de l'humanité tous plus collants les uns que les autres.

Procope : Dis donc, Pierre-Quentin, je te signale que tu es en train de parler de mes congénères. Ils sont peut-être collants comme tu dis et ils ne sont pas en odeur de sainteté, mais au moins ils ne font pas de bruit. Et mets toi à leur place, ce n’est pas facile de se frotter au « Nettoyeur » et je comprends qu’ils essayent de s’accrocher comme ça. Alors un peu de respect.


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Le Nettoyeur : Surtout que si je dois les achever ces pauvres taches, c’est d’abord à cause de l’autre enculée d’Ana-Lisa. Si elle visait un peu mieux sa cible, il n’y aurait pas de dégâts collatéraux et je n’aurais pas besoin d’intervenir.

Ana-Lisa : J’étais sûre que ça allait me retomber dessus. Tu crois que c’est facile dans ma position de rester concentrée à 100% ? Toi tu connais bien tes objectifs alors c’est facile. Mais moi je ne les découvre qu’au dernier moment et je vois de tout. Des mastards comme Procope qui sont des durs pas simples à descendre et qui ne peuvent pas s’empêcher de faire des vagues sur leur passage, des petites saletés qui partent dans toutes les directions dès que le Patron appuie sur les gaz et même des énergumènes tellement mous qu’ils en deviennent impossible à liquider sans faire d’éclaboussures. Et toi tu arrives après, tranquille, et tu te plains que tu as trop de boulot alors que le Patron t’a mâché tout le travail et que je t’ai laissé le plus facile à faire. T’as vraiment un poil dans la main mon pauvre « Nettoyeur ».

Procope : Attends Ana-Lisa. Qu’est ce que tu viens de me dire ? Tu as essayé de me descendre ? Mais le « Nettoyeur » a raison : tu es une sale enculée ! Je reste des heures chez toi alors que franchement, c’est un vrai trou puant, te me fous dehors sans un mot d’explication à part le fait que je t’emmerde, et maintenant tu veux me descendre ? Mais qu’est-ce que je t’ai fait bon sang ?

Ana-Lisa : Tu as fait ton temps, connard. C’est tout. C’est dans la nature des choses mais ça n’a rien de personnel. Les ordres viennent d’en haut.

Pierre-Quentin : Elle a raison, Procope. Ta carrière est terminée et tu vas devoir plonger. Ta vie ne tient plus qu’à un fil.


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Procope : Comment ? Tu étais au courant ? Toi aussi tu vas me laisser tomber sans rien faire ? Mais c’est pas vrai ! Ça ne peut pas finir comme ça ! Ana-Lisa, pitié ! Je sais que tu m’as toujours dans la peau !

Pierre-Quentin : Justement, c’est moi qui me charge de ça. Dans deux minutes, tu seras au fond du gouffre et moi j’aurai donné de ma personne pour t’effacer complètement d’Ana-Lisa.

Procope : Nooooon ! « Nettoyeur », toi tu vas m’aider hein ? Je peux compter sur toi ? Pense à la façon dont le Patron te traite ! On doit se serrer les coudes si on ne veut pas finir dans les égouts !

Le Nettoyeur : Bah. Que veux-tu que j’y fasse ? Je veux bien t’aider mais j’ai peur de m’y prendre comme un manche.

Pierre-Quentin : De toute façon c’est trop tard mon pauvre Procope. Regarde, le Patron est déjà en train de m'utiliser pour finir de te décoller d’Ana-Lisa. Dans 10 secondes il va appuyer sur le bouton d’évacuation et là ce sera « Hasta la vista, baby »

Procope : Et tu crois que je vais me laisser faire ? J’ai accumulé tellement de vigueur avant de quitter Ana-Lisa que ça m’étonnerait qu’il arrive à se débarrasser de moi aussi facilement. Ahhhhhh, ça y est, il a tiré, je me sens attiré dans les abysses… Il faut… gloub…que je résiste…, je dois gloub… gloub… teniiiiiiiiir !

Pierre-Quentin : Adieu, pauvre merde.

Ana-Lisa : Non attends, il est encore là. Ce salaud est tellement obèse qu’il est resté coincé. Bouge pas, j’appelle, le Patron


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Alerté par son inconscient qu'il se passait quelque chose d'inhabituel, le Patron se leva précipitamment de son siège et analysa la situation avec une rapidité étonnante pour un homme de sa corpulence. Il ne lui fallu que quelques secondes pour prendre les mesures qui s'imposaient. Le Patron : Putain qu’est ce que c’est que ce bordel. Fait chier. Cet étron est tellement gigantesque qu’il a pas été évacué avec la chasse. Voyons ça de plus près.
Intrigué, le Patron décide alors de se mettre à quatre pattes pour parfaitement appréhender la situation et définir la solution la plus adaptée. Concentré sur l'objet de sa quête, il ne soupçonne pas qu'un danger le guette. Sa fidèle Ana-Lisa se retrouve dans une situation précaire, les lignes arrières étant grandes ouvertes...

Procope : Vas-y gloub... Nettoyeur, c’est le gloub... moment, achève cette gloub... pute d’Ana-Lisa

Le Nettoyeur : Oui, tu as raison ! J’en ai marre d’être pris pour une raclure de chiottes ! Allez, je me lance ! Banzaï !

Pierre-Quentin : Non ! Ne fais pas ça ! Qu’est-ce que je vais devenir sans elle ?

Le Nettoyeur : Il fallait y penser avant. Me voilà, espèce de trou du cul !

Ana-Lisa : aaaaaaaaaHHHHH


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Épilogue


Un cri déchirant retentit dans la nuit. Convaincu par son ami Procope qu'Ana-Lisa ne jouait pas dans la même équipe, le « Nettoyeur » utilisa toute son énergie pour se projeter dans les airs et s'engouffrer dans l'orifice encore béant de la traitresse. Le choc fut si rude qu'elle éclata littéralement. Sentant ses muscles se contracter par un surprenant réflexe synaptique, Ana-Lisa parvint tout de même à happer le « Nettoyeur » qui fut à son tour emprisonné par sa proie.

Le Patron sentit confusément que la situation lui échappait. Touché au plus profond de son coeur par le conflit dont il était le spectateur impuissant, il s'effondra de douleur. Mais en sombrant, il accrocha, peut-être volontairement, le bouton d'annihilation totale. Procope, qui était parvenu à s'agripper tant bien que mal après le précédent choc, fut cette fois englouti pour de bon et on ne le revit jamais.

Toujours à quatre pattes, le Patron dut subir les assauts des flots en furie et fut aveuglé par le liquide nauséabond qui s'engouffrait par tous les orifices de son visage. En tâtonnant il parvint malgré tout à attraper Pierre-Quentin dont le pan se balançait sur sa gauche et il tira de toutes ses forces jusqu'à l'achever sans autre forme de procès. Il utilisa ses restes pour s'essuyer mais ne put faire que ce constat amer : quand il n'y a plus de papier, l'histoire doit s'arrêter.


FIN



- 9 -


QUATRE AMIS DANS LE BESOIN

Le Patron n'était pas le genre d'individus à laisser la part belle au hasard. Il savait s'entourer. Quelle que soit la situation dans laquelle il se trouvait, il pouvait toujours compter sur l'aide de ses subalternes, qu'il appelait affectueusement ses "ustensiles" ou ses "organes vitaux". Aussi rien ne le prépara à la mutinerie à laquelle il dut faire face lorsqu'après un trop plein de rancœur, quatre parmi ses plus fidèles lieutenants commencèrent à se quereller. La guerre fratricide ainsi déclenchée donna lieu à une lutte acharnée qui au final ne fera que des perdants. Mais n'en disons pas trop.

"Ça comble un trou dans la littérature" - Madame Figaro

Écrit entre 2004 et 2007, "Quatre amis dans le besoin" est le dernier roman, et le plus abouti, de Stieg Patronsson mais aussi celui qui lui a demandé le plus d'efforts. Rédigé aux forceps, il décrit de façon étonnamment réaliste l'existence au quotidien d'un homme aux prises avec son entourage, avec tant de détails qu'on a parfois l'impression que même le décor est vivant.'Né en 1958 à Göteborg, Stieg Patronsson fut pendant 19 ans plombier-chauffagiste avant de se lancer en 2002 dans la carrière d'écrivain. Il est brutalement décédé d'une occlusion intestinale en 2007 à l'hôpital Olof Palme de Stockholm alors même qu'il mettait la dernière touche à ce roman qui fait désormais figure de testament.


Illustration de couverture : inconnu (tous droits de reproduction interdits)

ACTES SUD

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DÉP. LÉG. : SEPTEMBRE 2009
21 € TTC France
www.actes-sud.fr

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Le Patron : ...et c’est à ce moment là que je me suis rendu compte que mon balai de chiottes m’était rentré dans le cul.

Le Docteur : Et bien vous savez quoi ? C’est sans doute l’histoire la plus tordue qu’un mec ait jamais inventée pour expliquer comment il s’est retrouvé avec un truc coincé dans le trou de balle. On aura tout entendu. Un vrai roman... Allez, Erika, emmenez monsieur en salle 2.


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