Moscou entièrement bloquée par le beau temps
De notre envoyé spécial WiiKend - Ceci était une signature - le 14 mars 2013
Depuis deux jours en effet, Moscou est littéralement prise au piège de ce qui semble être la plus grosse vague de beau temps hivernal qu’elle n’ait jamais connue. Météo Russie, l’organisme officiel du pays, a relevé depuis mardi dernier des températures avoisinant les 12°C sous abri, mais le ressenti pouvait les faire grimper à 13 voire 13,5°C en raison de la persistance d’un vent chaud en provenance du sud. Un record historique pour une mi-mars.
L'alerte rouge comme la Place a beau avoir été déclenchée à temps, de nombreux moscovites ont été piégés par le beau temps. À peine les 2 à 3 mètres de neige traditionnels avaient ils fondu sous l’action soudaine de la chaleur, plusieurs voitures et camions se sont retrouvés immobilisés sur les grands axes, entraînant avec eux selon le célèbre effet dominov tous les autres véhicules derrière eux. « Je roulais tranquillement sur le périphérique couvert de neige à 130 km/h avec mon 4x4 quand tout à coup je me suis trouvé face à face avec un véritable ruban de bitume entièrement noir. Ça m’a arrêté net et je n’ai pas pu repartir. J’ai eu de la chance que personne ne me rentre dedans », constate tristement Boris Lowinski, qui traversait Moscou pour se rendre à son travail. Comme beaucoup d’autres infortunés, Boris est coincé depuis presque deux jours sur le périphérique. « Il y a des enfants et des personnes âgées avec nous mais j’ai vraiment l’impression que les autorités ne font pas grand-chose pour venir nous secourir ou même nous donner des informations », déplore-t-il. À 11 heures ce jeudi, on estimait à 25 000 le nombre de véhicules bloqués, avec donc au moins le double de personnes à bord.
Les autorités dépassées, contrairement aux voitures
Le ministre des transports, Oleg Blokhine, a tenté de se dédouaner en expliquant que toutes les précautions avaient été prises mais que la situation était extrême. « Il y a tellement de monde arrêté sur les routes qu’il nous est totalement impossible de faire circuler nos camions à neige artificielle qui nous permettraient de réenneiger les routes pour faire repartir la circulation. De plus rien ne nous dit que la neige artificielle tiendra au sol, les conditions de chaleur sont tellement exceptionnelles que même avec la meilleure volonté du monde, il n’y a rien d’autre à faire que d'attendre ». Un message qui risque de mal passer aux oreilles des automobilistes bloqués. Pour tenter de parer au plus pressé, la mairie de Moscou a mis en place des rotations en hélicoptère pour ravitailler les usagers en pommes de terre et en vodka mais malgré cela la grogne continue de monter.
Seule ombre de joie dans ce triste tableau ensoleillé, les personnes coincées ont pu bénéficier du bel élan de solidarité des moscovites habitant au bord des routes. Bravant le chaud, beaucoup n’ont pas hésité à traverser un trottoir rendu dangereux par l’absence de congère pour apporter aux pauvres chauffeurs en détresse des pommes de terre et de la vodka. « Ça me rappelle le temps de la guerre », se remémore ému Sergei Palatinov, un ancien rescapé du siège de Stalingrad.
Une économie au ralenti, comme les voitures
Outre le désastre routier engendré par cette vague de beau temps, les conséquences sur la vie même des moscovites sont terribles. Ainsi plus de 150 personnes ont été découvertes hébétées et abandonnées en plein milieu de la patinoire municipale, les patins trempant dans 4 centimètres d’eau. Il a fallu 8 heures aux pompiers pour les hélitreuiller un par un. On rapporte aussi le cas d’au moins trois femmes qu’on a retrouvées presque totalement déshydratées, évanouies sur le sol dans leur manteau en vison. « Nous avions pourtant bien prévenu la population qu’il ne fallait sortir de chez eux qu’en cas de force majeure mais comme souvent, certains se croient plus malins et pensent qu’ils ne risquent rien », a déploré le maire de Moscou.
Ce beau temps risque aussi de faire des dégâts collatéraux sur l’économie russe. Le syndicat des vendeurs de groupes électrogènes s'alarme en effet de la chute des ventes de leurs produits qui risque de se produire si le soleil et les températures persistent. « À cause du beau temps les centrales et le réseau électriques fonctionnent sans discontinuer, et depuis 3 jours nous constatons qu’il n’y a eu aucune coupure de courant dans toute la ville. C’est un véritable drame pour nous », déplore Andrei Medidiev, son président.
Et chaque jour qui passe accroît la difficulté. Paralysée depuis près de 3 jours, Moscou tourne au ralenti. Les écoles ont été fermées faute de ramassage, les pneus des cars scolaires étant entravés dans leurs chaînes ; de nombreuses entreprises sont en chômage technique et même l’administration semble dépassée. Seul le métro de Moscou fonctionne normalement, l’infrastructure souterraine de réseau ayant permis de conserver en sous-sol une température normale de -35°C. Un très grand nombre de SDF, dont certains au visage déjà très bronzés par les journées passées sous le soleil, se sont installés sur les quais pour retrouver une froideur plus confortable. Les autorités ont d’ailleurs préféré laisser le métro ouvert 24h/24 pour limiter les risques. Cela n’est toutefois pas assez pour lever les craintes des associations humanitaires russes. Très vite elles ont distribué aux plus nécessiteux des maillots de bain et de la crème solaire mais les stocks ont été rapidement épuisés devant l’afflux de demandes.
Reste à savoir jusqu’à quand cette vague de beau temps perdurera. Si elle persiste, la France a prévu d’envoyer par avion-cargo des glaces à la vanille et des surgelés mais il faudra d’abord qu’il puisse atterrir, ce qui est pour l’heure impossible : le camion transportant les 28 tonnes d’azote liquide destiné à regeler les pistes de l'aéroport international Domodedovo de Moscou est, comble de l’ironie, bloqué lui aussi.
Cet article a été voté dans le "best of" de la Désencyclopédie! |