Igor et Grichka Bogdanov
Igor et Grichka Bogdanov (Богданов, Игорь и Григорий) représentent une énigme à plus d’un titre. On ne connaît pas leur âge, on ne connaît pas leur nom, on ne sait rien de leurs antécédents familiaux ou de leur enfance jusqu’à l’âge de 79 ans où ils commencent à fréquenter notre société par le truchement du petit écran. Ne reculant devant aucun sacrifice, la dÉsencyclopédie a envoyé ses plus fins limiers pour retracer la vie de ceux qu’on appelle désormais « les Jumeaux les plus célèbres de France Télévisions ».
Une première énigme, leur nom
Même les choses les plus mystérieuses ont toujours un nom ou une appellation qui nous permettent de savoir instantanément à qui ou à quoi on a affaire : Jack l’éventreur, la bête du Gévaudan, l’Antéchrist, Margaret Thatcher, Stéphane Bern… Dans ce maelström de mythes et de légendes, les Bogdanov sont déjà un cas à part.
Ils n’ont pas de véritable nom. Lorsqu’ils se signalent à nous, souvent par l’intermédiaire d’un livre-révélation, ils changent d’appellation pour faire planer le doute sur leur existence, passant alternativement de Bogdanov à Bogdanoff ou parfois Houellebecq quand leurs prophéties sont particulièrement effrayantes.
Le puîné des deux jumeaux va même encore plus loin en changeant à l’envi son prénom en Grichka, Grishka ou Michel. Mais nous ne rentrerons pas dans leur jeu. Et même si nous connaissons désormais leur véritable identité, Expérience 464 et Expérience 464bis, nous utiliserons ici la nomenclature adoptée par le comité ISO 9003, Igor et Grichka Bogdanov.
Leur naissance, un mythe
Si l’on en croit leur biographie officielle dont ils distillent les informations avec parcimonie, les frères Bogdanov auraient vu la nuit le 29 août 1949 à Saint-Lary (Gers). Ils revendiquent une double ascendance russe et autrichienne, marque d’un incroyable cynisme au sortir de la deuxième guerre mondiale. Ils s’affichent ainsi quasiment à visage découvert comme les fils spirituels de Staline et Hitler, c’est à dire les nouveaux dépositaires de l’axe du Mal.
La date du 29 août 1949 n’est évidemment pas choisie au hasard. Elle précède de quelques semaines l’arrivée de la télévision en France. Et sans télévision, impossible de disposer d’informations fiables donc de vérifier la véracité des données concernant leur naissance.
La création des Bogdanov
En fait, l’histoire des Bogdanov remonte à bien avant la fin de la deuxième guerre mondiale. On doit leur création à un sculpteur-roboticien islandais de génie, Bjornungar Gudsmundottir (1824-1900). Travaillant à son atelier à une adaptation de Pinocchio à base de marionnettes en cire, il fait plus que de s’inspirer du fameux conte de Carlo Collodi, tentant par tous les moyens de donner vie à sa création. Contre toute attente à une époque où le moindre micro-processeur pesait 7 tonnes, il y parvient sans trop de mal au bout de la 464ème tentative.
Une fois sa marionnette créée, il la baptise IGOR qui en islandais médiéval signifie Ingertrugt Gudsmundottir Operungrusaar Robot, c'est-à-dire Robot en cire créé par Gudsmundottir (en dépit d'un génie créatif que beaucoup lui enviaient, Bjornungar avait assez peu d’imagination quand il s'agissait de nommer une de ses inventions). Pour plus de sécurité, il en crée une réplique qu’il appelle GRICHKA ou « Celui qui vient après ».
La prise d’indépendance
Tout ceci se passe au moment où le monde s’apprête à basculer au XXème siècle, époque qu’on a baptisée poétiquement, l’année 1900. Mais un problème se pose pour Bjornungar (1824-1900). Comment justifier la présence de ces deux individus chez lui à une période où le tourisme sexuel n’en est qu’à ses balbutiements ? Il n’aura pas le loisir de se poser la question très longtemps.
On ne sait ce qui provoque la colère des deux créatures. Certains évoquent la lecture de « Frankenstein ou le Prométhée moderne » de Mary Shelley mais d’autres pensent qu’il s’agit plutôt de la vision répétée des aventures de Chapi et Chapo. Toujours est-il qu’à l’image des héros de ces œuvres, ils se retournent contre leur créateur (1824-1900) et le transforment en pied de lampe après l’avoir fait fondre dans le four à céramique familial (on peut encore l’admirer aujourd’hui au Musée de l’Inceste et du Parricide de Reykjavik).
L’exil
Conscients de leur crime, Igor et Grichka s’enfuient et prennent le premier bateau en partance de Reykjanesbær, la grande ville voisine. Le bateau en question n’est malheureusement qu’une barque de pêcheur qui fait un simple aller-retour dans la journée, laissant les deux « frères » comme deux ronds de flanc entourés de harengs frais.
La chance leur sourit quelques jours plus tard. Un croiseur de la marine du tsar Nicolas II de Russie fait une escale impromptue à Reykjanesbær pour changer un cardan. Ils montent discrètement à bord, ce qui leur permet d’arriver sans encombre à Saint-Petersbourg quelques semaines plus tard.
Sans argent, Igor et Grichka en sont rendus à faire le trottoir pour subvenir à leurs besoins. Le succès est d’ailleurs immédiat, de nombreux Russes étant plutôt séduits à l’idée de tenter une expérience homosexuelle avec des jumeaux. C’est à cette époque qu’ils se choisiront un patronyme. Ne connaissant pas la langue locale, ils étaient intrigués par les passants qui leur disaient sans cesse « bog da noff, bog da noff ». Ce n’est que plus tard qu’ils apprirent la signification de cette locution : « C’est combien ? ».
L’arrivée en France
Amassant assez rapidement un joli pécule, Igor et Grichka Bogdanov décident de changer d’air. Nous sommes alors en 1905 et le hasard les met sur la route de Sacha Guitry, célèbre acteur et auteur français ayant la particularité d’être né à Saint-Petersbourg.
Il les ramène avec lui en France où ils deviennent rapidement la coqueluche du Tout-Paris. Ils prennent toutefois soin de changer de nom de peur que le mandat lancé par Interpol depuis l’Islande ne leur porte préjudice. Ils se font appeler Pipo et Mario et entament une tournée dans les foires et cirques. Igor et Grichka deviennent respectivement les amants de la femme à barbe et de l’Hooooomme le plus fooooooooooort du moooooooooooooooonde !
La traque
Tout se passe bien pendant près de 15 ans. Mais au début des années 20, un inspecteur de la brigade criminelle de Reykjanesbær, Tornswald Gudsmundottir, réussit à retrouver leur trace. Il a eu vent de l’existence d’Igor et Grishka par le biais du quotidien le Reykjavikien Libéré, suite à un reportage sur les phénomènes de foire à travers le monde. Il aurait fait le rapprochement entre le faciès des deux individus et les moules en polystyrène expansé retrouvés dans l’atelier de leur créateur (1824-1900).
Mais il arrive trop tard. Prévenus par le Ministre de l’Intérieur français lui-même, Vladimir Sarkozy, fan de la première heure et également originaire de Russie, Igor et Grichka Bogdanov parviennent à s’enfuir, abandonnant toutes leurs possessions. Afrique du nord, Costa Rica, Dubaï, Sumatra, Brie-Comte-Robert… les « frères » vont de continent en continent pour échapper à la sagacité de l’inspecteur Gudsmundottir qui finira par mourir en Terre Adélie, à quelques mètres à peine de l’igloo au sein duquel Igor et Grichka s’étaient réfugiés. Son autopsie révèlera qu'il décède suite à une réaction allergique résultant de l’absorption d’un pingouin pas frais. n$$
Quelques années de tranquillité
Pour les Bogdanov, c’est une libération. Ils décident de reprendre leur véritable identité et reviennent en France. Non pas à Paris, n’étant plus tellement avides de publicité, mais dans le Gers, dans la désormais célèbre ville de Saint-Lary qui sert aujourd’hui de faire-valoir pour leur Etat Civil. Nous sommes alors en 1941 et grâce à leur connaissance de la langue de Poutine, les deux créatures parviennent sans trop de difficulté à se faire passer pour des réfugiés politiques russes ayant fui le régime soviétique alors en place.
Ils montent ensuite une petite affaire d’import-export de pieds de lampe en céramique, affichant là encore un cynisme incroyable quand on se souvient de la façon dont ils se sont débarrassés de l'homme qui les a façonnés (1824-1900). Tout se passe à merveille jusqu’en 1949, année où ils entendent pour la première fois parler de télévision.
Une nouvelle conquête
Bien qu’ayant préféré mettre une certaine distance entre eux et l’intelligentsia parisienne, les sirènes de la célébrité résonnent encore dans le cœur de nos deux héros. Pendant 30 ans, ils vont étudier toutes les sciences connues de l’homme afin de trouver le meilleur moyen d’infiltrer ce nouveau média qui leur assurera avec certitude la gloire et la fortune. Physique, chimie, mathématiques, philosophie, éducation civique, gym,… ils passent avec succès toutes les épreuves auxquelles ils participent.
En 1978, ils combinent à eux deux 53 sujets de thèse obtenus avec mention très bien et les félicitations du jury, 119 masters dans diverses matières y compris fécale et tous les baccalauréats y compris les professionnels. Leur seul échec, le CAP de Cire et Paraffine, pour lequel ils échouent à l’épreuve pratique, n’étant pas parvenu à fabriquer une bougie sans y laisser un doigt ou une main.
L’heure de la reconnaissance
En 1979, c’est enfin la consécration. André Malraux, alors responsable des programmes jeunesse de TF1, leur confie la tranche access prime-time du lundi au vendredi. Ils créent, produisent et présentent Temps X, une émission culinaire assez novatrice durant laquelle, en combinaison d’amiante, ils n’hésitent pas à entrer eux-mêmes dans le four pour observer au plus près le processus de cuisson.
Suivront dans le désordre et sur plusieurs chaînes Projet X, Lettre X, Aster X, a+b=X, le Juste Pri X et enfin à l’aube des années 1990 Film X sur Canal+ tous les premiers samedis du mois à minuit.
Les problèmes commencent
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les ennuis avec la justice ne sont plus que de mauvais souvenirs. Les Bogdanov sont adulés, présentés comme de nouveaux messies et ils ont le projet de développer une secte au niveau mondial quand sans crier gare, leur passé les rattrape.
La cire dans laquelle ils ont été conçus ne peut rester dans un état stable qu'une centaine d'années. A l’aube du XXIème siècle, les premiers signes d’affaissement commencent à se faire sentir. Pour leurs corps, les Bogdanov sollicitent l’aide du sculpteur officiel du musée Grévin qui parvient tant bien que mal à leur redonner une certaine consistance à coups de truelle et de rabot.
Mais la décrépitude de leur visage est un autre problème. Après une simple partie de « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette… », Igor allonge le menton de Grichka de 17 centimètres. Ironie du sort, le seul qui aurait pu les aider, c’est leur géniteur (1824-1900), celui qu’ils ont lâchement assassiné (en 1900) et qui parvient ainsi à se venger, un siècle plus tard (2000-1900 = 1 siècle).
Une indispensable reconversion
Pour les Bogdanov, plus question de télévision. Ils tentent tant bien que mal de faire figure honorable en produisant Rayon X, une émission où ils apparaissent sous forme d’image virtuelle. Mais le public ne suit pas, peu convaincu par la ressemblance. Il faut dire qu'ils s'étaient basés pour la modélisation 3D sur leurs vrais visages, véritables caricatures de l'image dont les gens se souvenaient à l'époque.
Ils se rabattent alors sur les fameuses sciences qu’ils ont étudiées pendant si longtemps. Ils écrivent des livres totalement incompréhensibles, honnis par les scientifiques du monde entier, mais qui inexplicablement trouvent un écho favorable auprès du grand public, ce même public qui, il est vrai, achète chaque année le prix Goncourt pour justifier l’acquisition de la dernière étagère Ikea à la mode. Ils parviennent ainsi à rester au sommet de leur notoriété tout en n’apparaissant plus en public.
Les Bogdanov et l’éternité
Mais ce travail scientifico-littéraire n’est qu’une façade. Dans l’ombre, les Bogdanov travaillent à un autre projet beaucoup plus ambitieux. Etant parvenu à visiter subrepticement l’ancien atelier de Bjornungar Gudsmundottir (1824-1900), ils récupèrent les schémas, montages, moules et formules chimiques qui ont servi à leur propre création.
On comprend dès lors leurs intentions. Plus fort que la cryogénisation, plus fiable que le clonage, les Bogdanov veulent se dupliquer à l’infini pour continuer à occuper le terrain, jusqu’à ce que la Terre ne soit plus remplie que de milliards d’Igor et Grichka en cire. Mais maintenant que vous êtes au courant, vous savez ce qui vous reste à faire. Quelqu’un aurait un chalumeau ??
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