La gurne

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l’Église Santa-Consuela-de-la-Natividad de San Sebastian del Guadalquivir (Espagne). La représentation de la gurne est gravée de l'autre côté.

Toujours considérée comme un véritable objet de culte par certains groupements religieux obscurs, la gurne ne bénéficie plus sous nos latitudes de l’aura qu’elle connaissait encore ne serait-ce qu’au XVIIIe siècle. Étonnamment, son histoire et son influence sur la civilisation ne sont quasiment plus enseignées dans les écoles occidentales, comme si les instances qui nous gouvernent craignaient que les jeunes générations ne se l’approprient de nouveau et s’en servent comme d’un étendard à leur révolte en couveuse. Quoi qu’il en soit, il est temps de réhabiliter la gurne. De la remettre sur le devant de la scène de nos inconscients collectifs. Nous avons tous beaucoup à y gagner et pratiquement rien à y perdre, surtout si l’on considère le niveau actuel du CAC40, du Dow Jones et du Nikkei.

La gurne à travers l’histoire

Antiquité

Facétieux, Claetorius n'hésitait jamais à se moquer de la taille du nez de son ami Virgile

Commençons par rappeler les origines même du mot « gurne ». Les premières traces en ont été découvertes dès le XIIe siècle sur un bas-relief apocryphe de l’Église Santa-Consuela-de-la-Natividad de San Sebastian del Guadalquivir (Espagne). La gravure, dont le temps - indifférent à l’usure des choses y compris les sacrées - a malheureusement effacé la majeure partie, représente au premier plan une gurne typique de l’époque médiévale dont seules deux des trois maechtons sont visibles, le central et celui situé à droite (par rapport à l’observateur, donc à gauche par rapport à l’axe de la gurne).

La légende de la gravure, elle aussi en grande partie effacée, fait référence à l’Argonerium Neritum, le légendaire manuscrit du poète latin et ami de Virgile, Claetorius (8 mai 45 – 11 novembre 18 av J.C.), dans lequel on trouverait pour la première fois évoqué le mot « gurne », mais sous sa forme latine, « opriaertera ». Hélas, l’Argonerium Neritum n’est pas parvenu à traverser l’histoire et nous devons nous contenter de cette simple et triste conjecture pour situer la première référence à la gurne.

Le Moyen Âge

Au Moyen Âge, les fausses gurnes ne tardèrent pas à s'entasser dans les décharges publiques (photo colorisée par nos soins)

À partir de la fin de l’Antiquité, la gurne se fait beaucoup plus présente dans la littérature. Il n’était pas rare que les moines copistes enluminent plusieurs pages de la Bible de gurnes, utilisant parfois différentes couleurs et surtout différentes tailles. La gurne pouvait en effet représenter diverses symboliques en fonction du contexte et c’est le pape Jean III (mort en 574) qui lors du fameux Concile de Vichy de 569 établit les règles concernant la représentation de la gurne, les instances religieuses se sentant préoccupées – pour ne pas dire menacées - par la trop grande importance prise par la gurne. Bien qu’à l’époque très respectueux et craintif vis-à-vis de l’Église, le peuple de la chrétienté, principalement en France, n’hésitait pas à se transmettre sous le manteau des reproductions de gurnes. Mais ces dernières étaient le plus souvent conçues par des margoulins qui voyaient là un moyen facile et rapide de s’enrichir. Ces succédanées de gurnes ont pris - non sans une certaine pointe d’ironie pourtant rare à l’époque de la peste noire - le nom péjoratif de clorniettes, en référence bien sûr aux célèbres Mastringales de Eude de Plaingonces.

Jusqu’à la fin du XVe siècle, ce fut une période noire pour la gurne. À force de la combattre en incitant les prêcheurs à la stigmatiser dans leurs sermons, l’Église parvint à la rendre désuète, voire à en faire un objet de moquerie. C’est à cette époque que sont nées des expressions encore couramment employées comme « avoir de la souillarde dans sa gurne » ou « faire sa drouige en gurne ». Ces expressions n’ont plus tout à fait le même sens qu’à l’époque, étant aujourd’hui fortement édulcorées, mais les linguistes et philologues insistent sur la violence que pouvaient sous-entendre de tels propos à la fin du Moyen Âge.

La Renaissance

S'il avait juste dit "vive la gurne", il nous aurait facilité la tâche

C’est à Nostradamus (1503 - 1566) que l’on doit en quelque sorte une tentative de résurrection de la gurne. Comme à son habitude, le prophète n’y fait pas une référence directe mais l’évoque de façon suffisamment claire pour que nous puissions aisément le décoder. C’est dans le 58ème quatrain de la Centurie IV qu’il l’évoque à demi-mots. Notons que le nombre 58 n’est évidemment pas choisi au hasard puisqu’il correspond au dixième du nombre de vers de l’Elchtreoris du dramaturge grec Arktemnos (281 - 248 av J.C.). Voici ce que nous dit le quatrain :


Oncques dernier souvent à demy

Restera omis en carquan Eternel Aigle enserre bel ami Foison bœuf occiput OR marquant

Jean-Charles de Fontbrune, l’un des plus célèbres exégètes de Nostradamus a produit une analyse remarquable de ce quatrain dans son best-seller « Si ça se trouve il annonce la fin du monde » aux Editions Lattèx. Il serait bien sûr fastidieux – et contraire aux respects du droit d’auteur – de reproduire cette analyse dans son intégralité mais pour résumer, notons que Fontbrune souligne la connotation évidente entre l’Aigle (avec majuscule bien sûr) et le bœuf (minuscule) qui rappellent deux des facettes principales de la gurne : l’hophèrime et la dransunale. Le « demy » et le « carquan » sont pour leur part associés sans équivoque possible à la paire de phtiormantes propre à la gurne de cette époque. Le reste de l’analyse est de la même veine.

Si cette connasse voulait bien se pousser, on verrait une belle gurne

Ce qui est dommage, c’est qu’il a fallu attendre le XXe siècle pour comprendre le texte de Nostradamus. Heureusement, la gurne est parvenue à retrouver le chemin de la renommée d’une autre façon. Étonnamment, c’est d’ailleurs à la même époque que celle de Nostradamus que cela s’est produit. Et comme souvent à cette période, c’est Léonard de Vinci (1452 - 1519) qui en est à l’origine. Le génie italien fait en effet intervenir la gurne dans plusieurs de ses œuvres. C’est sans doute une révélation pour beaucoup d’entre vous mais une gurne est présente sur La Joconde et une autre sur La Cène, comme si elles se répondaient. C’était à l’époque un message clair transmis aux générations futures par Vinci. Hélas, l’Église veillait encore. L’Archevêque de Chambord, Monseigneur Hugues Saint-Sylphide, ordonna que l’on masquât les gurnes maudites des œuvres de Vinci. Aux ordres de la hiérarchie catholique, le peintre Charles-Antoine Lupin obtempéra et décida de cacher la gurne de la Joconde en ajoutant au premier plan un portrait de sa belle-sœur Monique-Lise et dissimula celle de la Cène en reproduisant une banale scène de banquet. Et voilà comment les excès de la censure parvinrent à massacrer deux œuvres majeures de la Renaissance, les transformant en misérables palimpsestes de pacotille.

L'Âge d'Or de la gurne et la déchéance

Mais le labeur de Léonard de Vinci ne fut pas vain. Le bouche à oreille permit à la gurne de se répandre à nouveau parmi le peuple et plusieurs congrégations se formèrent alors. Pendant deux siècles, les « Frères de la gurne », « Compagnons de la gurne » et autres « Chevaliers de la gurne » entreprirent de redorer le blason de la gurne, défiant ainsi ouvertement la papauté. Les premières années furent difficiles, l’Inquisition n’hésitant pas à torturer et condamner à mort les gurnistes comme on les appelait alors. Mais bon an mal an, la gurne réussit à rester d’actualité jusqu’à la Révolution française. On dit même que Louis XIV en possédait plusieurs dans une chambre secrète du château de Versailles et que Louis XVI apprit la serrurerie justement pour pouvoir accéder à ces pièces.

Mais en 1789, ce fut la fin de l’aventure pour la gurne. Passée en quelques décennies du rang de symbole de la défiance vis-à-vis de l’autorité à simple passe-temps pour aristocrate en mal de divertissement, la gurne fut mise à l’index par Robespierre lui-même qui lors du célèbre « Discours du 11 brumaire » récusa toute référence à la gurne sous peine de décapitation. Et voilà comment la gurne tomba à nouveau dans l’oubli. Et de nos jours encore, bien peu se souviennent de l'histoire de la gurne. Mais qui sait, peut-être parviendra-t-elle à nouveau à renaître de ses cendres, tel un immortel phénix ?

Différents aspects de la gurne

Selon les époques et les personnes, la gurne n’offre pas systématiquement le même intérêt et les études la caractérisant sont parfois assez contradictoires. Voici quelques exemples symptomatiques de l’étonnant polymorphisme de la gurne.

L’aspect philosophique

On ne compte plus les ouvrages philosophiques soit directement consacrés à la gurne, soit qui y font référence. Métaphysiciens, épistémologues, et même certains existentialistes l’ont évoquée, même si ces-derniers, sous l’influence de Sartre ont jeté le discrédit sur la plupart des concepts gurniques passés. L’ouvrage de référence reste bien entendu le très célèbre « De opriaerterae cogitare » du philosophe Jean de Richemonts qui contrairement à la croyance populaire n’était pas français mais suisse. Écrit au XVIIe siècle, ce texte ne fut publié qu’en 1738 au moment où la gurne connaissait son âge d’or. L’auteur y évoque avec une étonnante clairvoyance la façon dont la gurne s’est imbriquée dans la société, ce qu’elle y apporte et ce que cela pourrait changer pour l’avenir de l’humanité. Certes, il s’est totalement fourvoyé puisque la gurne a ensuite disparu de la circulation mais pour l’époque, c’était quand même bien vu, à tel point que Jean de Richemonts a fini sur un bûcher, sacrifice qui est d’ailleurs considéré comme le premier exemple connu de fondue savoyarde, mais cela n’a rien à voir avec la gurne.

L’aspect architectural

L'influence évidente de la gurne sur le Feng Shui

Plus que sur la pensée, la gurne a semble-t-il eu une forte influence sur de nombreux travaux architecturaux. Ses proportions harmonieuses ont inspiré moult architectes et décorateurs d’intérieur à tel point qu’à la Renaissance, il y a eu une sorte d’écœurement vis-à-vis de la gurne qui devenait presque gênante par son omniprésence. Pour autant l’architecture gurnesque a largement dépassé les frontières de l’Europe. On retrouve de très beaux exemples de formes gurniques en Amérique du Sud sur les pyramides Incas et il n’est pas interdit de croire que les conquistadors espagnols avaient emporté avec eux plusieurs gurnes, peut-être pour offrandes ou comme porte-bonheur. En Asie, la gurne est principalement présente dans les jardins japonais de type Feng Shui. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Feng Shui signifie littéralement « Art de bien intégrer une gurne dans un jardin Feng Shui ».

L’aspect artistique

Il lui manque une bonne paire de gurnes pour asseoir toute sa féminité

Nous avons déjà évoqué les œuvres gurnesques de Léonard de Vinci mais ce ne sont que des gouttes d’eau dans l’océan des représentations de la gurne à travers les âges. Peinture bien sûr mais aussi sculpture, poésie, théâtre antique et même cinéma notamment dans le travail du hongrois Ernest Trovoiskor et de son fameux « triptyque à la gurne » que le grand public prend souvent à tort pour un tableau en raison à la fois de son titre et de la fixité des images mais qui est bel et bien un film, sorti en 1952. Pour ce qui est de la sculpture, la célèbre historienne de l’art américaine Gwladys Stevenson a récemment lancé un véritable pavé dans la mare en tentant de démontrer que la Venus de Milo tenait dans ses mains une, voire deux gurnes. Ce qui expliquerait qu’on ne soit jamais parvenu à trouver un positionnement harmonieux des bras manquants.

Au XXe siècle, les artistes se sont véritablement emparés de la gurne. Les représentions abstraites qui en ont été faites ont pour certains par trop dénaturé la symbolique même de la gurne mais il faut reconnaître que certaines œuvres ont remis sur le devant de la scène une chose que l’on croyait oubliée. La représentation la plus connue reste l’immense Guernica de Pablo Picasso qui met en scène une véritable épopée gurnirique en prenant en compte tous les aspects propres à la gurne. Le génie avait d’ailleurs appelé son tableau gurnica mais son attaché de presse – totalement béotien en la matière – l’a bêtement confondu avec le nom d’un petit village espagnol qui n’a strictement aucun rapport.

L’aspect sportif

Le sport est l’un des rares domaines dans lequel la gurne n’a quasiment pas eu d’influence.

L’aspect animalier

Une très belle gourne des marais poitevins(détail)

Bizarrement il arrive que ce soit la nature qui tente d’imiter ce que l’homme a conçu. Ainsi la gourne, célèbre oiseau-échassier de la famille des pterdominidées qu’on trouve encore dans certains marais, a effectivement une forme assez proche de celle de la gurne et il est tout à fait naturel qu’il ait pris ce nom. À tel point que certaines peuplades reculées d’Italie vouent un véritable culte à la gourne qui est devenu une sorte d’animal fétiche. Mais ce ne sont bien sûr que des superstitions barbares.

On soulignera également que certains petits malins ont tenté de s’approprier la gurne de façon assez détournée. Ainsi le jeu Magic The Gathering qui fait la joie de ceux qui ne comprennent rien aux Pokémon, possède une carte appelée Gourne Fulminante qui peut évoluer en Gourne à piquants. Mais à part le nom, elles n’ont strictement aucun rapport avec la gourne et encore moins avec la gurne. Restons sérieux.

Description d’une gurne

Cette boîte pourrait aisément contenir une gurne de taille moyenne (ou deux petites).

Comme nous l’avons déjà évoqué, la gurne a vu sa forme évoluer au cours des siècles et il serait oiseux de vouloir faire une description exhaustive de chacune de ces évolutions. Vous avez de toute façon pu en voir vous-mêmes de nombreux exemples. Mais voici tout de même pour finir une description sommaire des principaux éléments de la gurne telle qu’elle nous est connue aujourd’hui.

  • Les maechtons : au nombre de 3 à l’origine, les maechtons sont de nos jours souvent appariés et ont peut en retrouver jusqu’à 5 paires (le nombre de paires est toujours impair). Le maechton central s’appelle le doértique et les deux maechtons qui l’entourent sont le gymption (à gauche) et le querlite (à droite). Les deux autres maechtons, plutôt modernes, n’ont pas de noms officiels mais on les appelle souvent les hylliges en référence au travail de l’ébéniste belge Pierre Claude qui en fut l’un de leurs principaux précurseurs.
  • Les facettes : comme pour les maechtons, le nombre de facettes est variable, pouvant aller jusqu’à 17 dans les cas extrêmes. Seules 7 d’entre elles sont obligatoirement présentes : l’hophèrime, la dransunale, l’ulriate, la bretonne, la miorthinante (ou morthiniante), la clance et l’anklasèlme. L’agencement des facettes doit respecter quelques contraintes : la clance doit forcément être à l’opposé de l’hophérime, ce dernier ne pouvant pas être en contact avec la bretonne et l’ulriate (d’où son nom). Attention, si vous tombez un jour sur ce terme dans une dictée, « hophérime » est masculin, contrairement à tous les autres termes désignant les facettes de la gurne. Un piège classique.
  • Les phtiormantes : très en vogue sur les gurnes du XVIe siècle, les phtiormantes ne sont plus guère présentes sur les gurnes modernes. Certains spécialistes, dont le suédois Olav Günnarssonn dans son pamphlet « Les phtiormantes tuent la gurne », ont mis en exergue le manque de cohérence entre la présence de ces protubérances de taille parfois exagérée et l'harmonie quasi-géodésique de la gurne. Malgré tout, les quelques gurnes d'époque possédant encore leurs phtiormantes en bon état sont très recherchées par les alkiertérostélocchonirophiles, nom courant des collectionneurs de gurnes.
  • Le cœur : le cœur de la gurne est le véritable cœur de la gurne. Il se situe à l’exact épicentre des facettes et sera soutenu par les maechtons. Platon disait souvent que c’est le cœur qui fait la gurne et que le reste n’est qu’accessoire. Comme souvent, le philosophe grec a un peu exagéré. La gurne doit être prise dans son ensemble pour offrir toute l’harmonie que l’on attend d’elle et qu’elle nous offre sans compter.


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