Paparazzi
5h30.
Réveil. L’appartement est en bordel, bouteilles de champagne, cendriers pleins à ras bord. La coke ne fait plus rien depuis longtemps, j’ai surtout une sale gueule de bois au Jack Daniels, ingurgité par chopes entières après la soirée pourrie d’hier soir aux Bains-Douches. Une cigarette, une Pall Mall bien crasseuse, pour achever mon haleine de chacal. Mélissa dort à poings fermés sur le côté droit du lit. Mannequin chez Elite, enfin je crois. Mignonne et conne. Dans dix secondes, je lui mettrai une claque sur les fesses pour qu’elle se lève et foute le camp.
Hard work, la vie de Richard P. Icton, paparazzo.
Olivier Minne
7h00.
Caché dans la benne à ordure en face de chez Olivier Minne, le célèbre homme de télévision adulé par toutes les lectrices de Voici, je guette mon pigeon. Une semaine que je le file, et rien jusqu’à présent. Il sort de chez lui, casque de moto à la main. Clic-clac, une photo avant qu’il n’enfourche sa Harley pour se rendre sur le tournage de Matin Bonheur. Le suivre va être une autre paire de manches.
Heureusement que j’ai Bobby Jo, mon fidèle éboueur jamaïcain qui me transporte partout. Bobby accroche la poubelle qui me sert de planque à l’arrière du camion-benne, et entame discrètement la filature. Bobby conduirait son camion-benne les yeux fermés. C’est normal, il est payé pour. Et grassement en plus.
Le trajet se passe à l’ordinaire, je garde le couvercle de ma poubelle entr'ouvert pour respirer et regarder la rue, au cas où une autre célébrité se profilerait. C’est par hasard que j’ai un jour décroché une superbe prise : le chanteur François Feldman, en train d’aider une grand-mère à monter dans un taxi. Ça avait fait les gros titres, tous mensongers, mais qu’importe :
Carrière foutue, mariage détruit. C’est peut-être injuste mais je ne me pose plus vraiment la question. La vie est injuste, et le papier glacé est ce qui se vend le mieux.
7h15.
Bobby me décroche de son camion-benne et je continue ma filature à roulettes. J’ai creusé des trous sous ma benne à ordure pour y passer les pieds et me déplacer discrètement dans Paris. Certes, une poubelle qui avance toute seule ça surprend, mais dans cette ville les gens ne se mêlent pas de la vie des autres. On peut crever sur le trottoir sans que personne ne lève le petit doigt. C’est une leçon que Marianne James apprit à ses dépens, pendant que je photographiais son petit chien Youki agonisant sur un trottoir de Barbès après une fugue du pavillon Baltard. Une bonne idée de suivre ce cabot, plutôt que d’assister au tournage de la Nouvelle Star.
Beaucoup de fric, bien plus que pour une simple photo de Christophe Willem.
Devant les locaux de France Télévisions, Olivier bifurque. Je change mon orientation avec le mini volant que j’ai installé dans ma benne à ordures. Inespéré. S’il n’entre pas tout de suite dans le studio, c’est peut-être qu’il a une maîtresse. Je le suis furtivement.
Olivier entre dans une boulangerie. C’est bon ça coco. Il achète un pain au chocolat. Ce qu’il me faut, c’est un cliché de sa main en contact avec celle de la boulangère. Au moment où je sens que ça va être OK, quelqu’un rabat le couvercle de la benne et me soulève brutalement.
Pas de réponse. Je suis secoué dans tous les sens, et j’entends distinctement le bruit d’un pistolet à clou. Les enflures, ils sont en train de me piéger dans ma benne. Secoué comme une bière dans la boîte à gants d’un stock-car, je ne sais pas où l’on m’emmène, mais je distingue le bruit d’un moteur de voiture. La poisse.
Chantage
Il doit être 10 heures.
J’entends des voix pendant que l’on bringueballe ma prison à roulettes hors de la bagnole. On me fait rouler sur une dizaine de mètres.
Je connais cette voix. Oh, je n’aime pas ça…
Quelqu’un retire les clous avec un marteau. Je sors le nez de ma poubelle, suffoquant, juste à temps pour me prendre un bourre-pif dans la gueule.
Pas elle. Si, elle. Ophélie Winter. La diva de la chanson française de qualité. Putain la poisse.
J’essaie de sortir plus que la tête de ma poubelle, mais les deux gorilles en smoking-cravate qui m’ont visiblement kidnappé me font sentir que ce n’est pas le moment. Nous sommes dans un hangar désaffecté, et Ophélie est assise devant moi, tailleur blanc Jenifer, avec son habituel fume-cigarette. Quand elle décroise soudain les jambes, je m’aperçois qu’elle ne met toujours pas de culotte. La chienne.
Elle marque un point. La malheureuse Consuelo était désormais repartie au Mexique par le premier charter, depuis que j’avais publié un papier décrivant sa situation d’étrangère en situation irrégulière dans Paris-Match. Ophélie avait perdu à la fois sa femme de ménage qu’elle payait au noir, et écopé d’un contrôle fiscal. Je n’avais cependant accompli que mon devoir, ce pour quoi je suis payé, lui fais-je remarquer.
Je me tais, surtout quand je remarque la tronçonneuse dans un coin de la pièce. Il ne manquerait plus que je finisse découpé comme Garcimore, après que j’aie révélé au grand jour ses accointances avec des trafiquants de tickets de bus arméniens.
L’un des gros bras me balance une claque.
Avant que j’aie le temps de comprendre quoi que ce soit, le dénommé Frank m’injecte un émetteur dans le cou grâce à un pistolet médical.
Il glousse. Je le reconnais, Frank Black, l’ancien guitariste du groupe Pixies. Pathétique de voir à quel point il est tombé bas. Son acolyte, un grand Chinois avec une crête, se marre aussi. Ophélie ne plaisante pas, elle.
Pascal Brunner, monsieur chanson française. C’est à cause de moi que son show avait été suspendu. Je l’avais flashé à St Tropez, en larmes dans les bras de son meilleur ami, le jour de la mort de sa mère. La photo avait fait la une de Voici :
Ensuite sa carrière avait périclité, et Brunner s’était retrouvé à jouer le rôle de Caliméro dans des pièces sans succès, dont on ne parlait que pour se moquer à la rubrique Que sont-ils devenus ?
Je bouillonnais.
Je me tais, elle a raison. Dégommer des célébrités, c’est mon métier.
Elle fait signe à ses deux zozos de me faire sortir de la benne, qui est devenue inutilisable à cause des heurts de l’enlèvement. Pour être précis, une roulette est voilée.
Il baisse les yeux vers son smoking, machinalement. Je lui envoie un crochet dans l’oreille, PAF !
Je me tire, royal, pendant qu’Ophélie ordonne à Frank de ne pas bouger.
Kill Pascal
11h30.
Je prends un taxi qui me dépose plaine St Denis, là où Pascal Brunner travaille. Ça va être difficile, voire carrément impossible de prendre une photo de lui aujourd’hui mais je n’ai pas le choix. C’est ça ou alors la dernière chose que je verrai avant de crever sera la sale gueule souriante de Frank Black, le connard qui a fait splitter les Pixies.
Je choisis la stratégie poule de luxe. Depuis son divorce, Brunner ne s’est jamais remis en couple, c’est l’occasion de le séduire et le mettre dans une posture compromettante. Dans les toilettes du studio où travaille ma cible, j’enfile mon nécessaire à groupie – perruque, lunettes, mini-jupe – puis me maquille. Je me regarde dans la glace. Je suis crédible, j’ai bien fait de m’épiler les jambes à la crème Veet hier matin.
Quand j’arrive sur le plateau, un obstacle de taille me surprend. Il y a déjà une groupie prête à chauffer Brunner, et je la reconnais immédiatement. Le vieux J-C M. Erian, l’officiel de Closer, le journal des indiscrétions. Perruque blonde peroxydée, faux seins, paillettes sur les joues. Pour le coup, il a même rasé son bouc de clubber. Irrésistible.
Brunner est occupé à discuter avec Cantet au sujet de la direction des acteurs. Je le vois décider de faire un break et partir en direction d’un autre endroit du studio. Le tournage est un vrai bordel et je devrais filer la star, mais avant de rivaliser de charme avec Erian, je dois savoir s’il vise la même proie. Quand je m’approche de lui, il sort une sucette Choupa-Choups et se met à sucer d’un air sexy.
Un assistant de Cantet s’approche. Bon et mauvais signe.
Dire que ce type aura bientôt 56 ans…
Nous suivons l’assistant dans les couloirs du studio. J-C me lance un regard noir, visiblement emmerdé de ma présence. Il est là pour Brunner, sans aucun doute.
Je me marre. Entendre ça d’un quinqua déguisé en lolita pour séduire Pascal Brunner… On arrive dans les loges. Brunner, Cantet, et Jean-François Gallotte, l’acteur principal du film, sont en train de sniffer de la coke tout en s’abreuvant de Dom Pérignon.
Brunner est sombre, il ne semble pas très intéressé par notre présence. Obligés, nous avalons une coupe de champ’, le nez plein de cocaïne.
Merde. La poisse.
Brunner relève la tête, surpris.
Cantet se renfrogne.
Puis il ajoute dans un chuchotement que J-C et moi entendons distinctement.
La poisse. Ils ne me font pas peur, mais ça bousille ma couverture. J-C, terrifié à l’idée de dormir avec les poissons, ne réfléchit pas et sort sa fausse pièce d’identité.
Brunner reste assis, visiblement gêné par cette situation. Je sors discrètement mon mini-appareil numérique, pile au moment où J-C est en train de déboutonner la fermeture à glissière de Pascal, et que le champ de vision m’offre également son gros cul de photographe avec la paire de balloches qui pendouille sous sa mini-skirt. Magnifique :
C’est mieux que la mort de Lady Di…
CLIC CLAC
Gallotte a repéré le bruit. La poisse.
J-C et moi nous enfuyons à toute blinde, pendant que Brunner se reboutonne et que Cantet, Gallotte et tous les assistants nous poursuivent avec leurs pistolets. Nous jaillissons hors du studio.
La voiture est garée de l’autre côté de la rue, et nous courons pour nous y engouffrer le plus vite possible. Dès que nous sommes à l’intérieur, nous verrouillons les portes et J-C démarre.
Le puissant Hummer dévale la plaine St Denis avec un comédien accroché à la portière arrière droite. Gallotte refuse obstinément de lâcher.
J’ouvre la boîte et commence à lancer les Pépito sur Jean-François Gallotte. Il esquive adroitement le premier mais le second l’atteint en plein visage.
Twists
13h30
Je regarde la route. J’ai l’impression que nous nous éloignons de Paris plutôt que d’y retourner. J-C me prépare un sale coup, j’en suis sûr. Il est temps de me changer et de me rhabiller en homme.
Ça sent le coup fourré… J-C n’est pas du genre à partager un cliché, mais je le vois mal m’abattre dans la forêt pour une simple photo de Pascal Brunner. De nouveau vêtu normalement, je regarde mon collègue travesti engager la voiture près d’une petite forêt de banlieue.
J-C se tait. Je m’aperçois qu’il essaie de baisser le regard pour voir si j’ai bien un vrai pistolet.
Il obéit, toujours regard levé. Je le fais sortir dans la voiture, tourner le dos et avancer devant moi, en direction des bois, le tenant toujours en joue avec mon tube de rouge à lèvres.
Nous arrivons dans une clairière.
Il arrache la liane d’un arbre, et soudain me fouette le visage d’un coup sec en se retournant vers moi. Quel idiot ! J’aurais dû le tuer quand il en était encore temps ! Si seulement j’avais eu un vrai pistolet ! Je me jette sur lui et nous nous battons, mais il a le dessus, et me met un coup de tête qui m’assomme. Il se relève.
Il perd l’équilibre, secoué par le choc. J’en profite pour le mettre à terre et bloquer ses épaules avec mes genoux. À califourchon sur lui, je pourrais lui cracher au visage si je voulais.
Il est temps d’employer les grands moyens. Je salive et fais descendre un filet de bave jusqu’au visage de J-C qui émet une grimace de dégoût, mais j’aspire ce filet de bave dans ma bouche avant que l’extrémité ne touche le bout du nez du paparazzo.
J’en reste sous le choc. Quel idiot… Ophélie a compris que je traquais Minne et c’est parce qu’elle pensait que je découvrirai le pot aux roses qu’elle m’a envoyé J-C. Elle va se marier loin des paparazzi, et vendre ensuite toutes les photos officielles aux magazines people, s’assurant ainsi un fabuleux pactole.
Si elle croit que je vais la laisser faire…
L’individu s’approche, nous tenant en joue avec un pistolet. Je le reconnais immédiatement : le Chinois de ce matin. J-C et moi-même nous levons, sans gestes brusques.
Ce sont ses derniers mots. Le Chinois l’abat froidement d’une balle dans la tête.
Je me retourne et ferme les yeux. Très vite, je pense à tous ceux que j’ai détruits, à tout ce que ma vie a engendré de souffrances et de destins brisés. Je pense à mes parents, qui voulaient que je sois prêtre. À ma sœur, à qui j’ai demandé un rein prétextant une greffe, alors que c’était pour l’échanger contre de la colombienne. À mon chien Snoop, que j’ai attaché à un poteau d’aire d’autoroute pour être tranquille en vacances à Ibiza l’année dernière. Je ferme les yeux et j’attends la mort, bien méritée. La poisse quand même.
BANG.
La détonation vibre dans l’air bien plus longtemps que ce que j’imaginais. On dirait qu’il m’a raté, il reste peut-être un espoir, je me retourne et soudain j’aperçois… Bobby Jo, mon fidèle éboueur, une arme à la main ! Le Chinois gît par terre, mort d’une balle dans le dos.
Where’s my mind ?
16h00
Le camion-benne file à toute allure sur le périphérique, doublant les automobilistes qui sortent du bureau. C’est bientôt l’heure de pointe, et si je ne mets pas en question l’habileté de Bobby Jo à conduire son bolide, je redoute les embouteillages inhérents à cet horaire.
Effectivement ce n’est pas bon du tout. Un gros chauve avec des lunettes de soleil, enfourchant une grosse Harley Davidson nous file le train. Et je reconnaîtrais entre mille le type qui a composé l’album Trompe le monde. Frank Black.
La poisse.
Frank zigzague entre les voitures comme s’il s’était agi d’un jeu d’enfants. Arrivé au niveau du camion-benne, il saute de sa Harley et s’accroche à l’arrière du camion benne. La moto abandonnée sur la route percute un car scolaire qui s’embrase immédiatement.
Frank est en train de scotcher un bâton de dynamite sur le flanc gauche du camion, en restant agrippé à la benne amovible.
Il sourit, et découpe une longueur de scotch avec ses dents. Je monte sur le toit du camion, en restant accroché comme je le peux.
Je me baisse. De justesse. Frank vient de finir son œuvre et essaie d’enflammer le bâton de dynamite avec son zippo Dolittle. Je me suspends en gardant mes mains sur le toit du camion et j’essaie de le faire tomber à coups de pied. Mauvaise idée. Frank attrape mon pied droit et commence à tirer pour que ce soit moi qui chute.
À la force de mes bras je réussis à remonter sur le toit. Ce gros plein de soupe est toujours accroché à la benne. Je comprends mieux comment il fait : il s’est accroché avec un baudrier et un mousqueton, ce qui l’empêche de tomber. J’ai une idée, mais pour cela il faut que j’accède à l’espace de séparation entre la benne et le camion. Douloureusement, j’y parviens à force de ramper sur les coudes, je m’introduis dans le cloisonnement. Frank comprend alors et son teint blêmit en trois secondes.
La benne et le gros Frank s’éjectent alors du camion-benne et s’élèvent à quatre ou cinq mètres du sol, puis retombent dans un grand choc. Frank s’est fait aplatir sur la route comme un œuf éclaté par un lingot de plomb. Je remonte dans la cabine.
La mariée ne porte pas de culotte
17h00
Bobby Jo est allé aussi vite qu’à son habitude et l’église est devant nous. Je m’introduis subrepticement dans la cérémonie, déguisé en pote d’Ophélie Winter grâce aux vêtements de rappeur que Bobby Jo avait spécialement prévu à cette occasion.
Ophélie a voulu faire un mariage discret. Il n’y a que la famille et quelques dizaines de proches du couple Winter-Minne. Les huiles sont là : Patrice Laffont, Laurent Petitguillaume, Sophie Davant, Evelyne Dhéliat pour le marié, Pascal Nègre, Charly et Lulu et MC Solaar pour l’épousée. Que du beau monde que je prends silencieusement en photo avec mon Minolta espion P312.
Mais ça ne me suffit pas. Personne ne remarque le Jamaïquain qui est monté sur le toit de l’église et fait discrètement descendre par un vitrail le fil d’une canne à pêche, en direction d’Ophélie Winter.
La cérémonie est rapide, très rapide. Le prêtre en est aux vœux. Si la cérémonie se déroule si vite, Bobby Jo ne va pas avoir le temps d’ôter la robe de mariée d’Ophélie depuis le toit de l’église avec sa canne. Il ne me reste qu’une chance.
C’est le moment ou jamais, je me lève, grimé en rappeur.
Brouhaha dans la salle. Tout le monde se retourne vers moi.
Je regarde le fil de pêche descendre, plus bas, plus bas…
Parfait.
Au même moment, Bobby Jo remonte sa gaule d’un coup sec et arrache la robe d’Ophélie. Des cris se font entendre dans l’assistance, Ophélie est choquée. C’est pire que tout ! Je m’attendais à ce qu’elle ne porte pas de culotte, mais il y a plus dingue : elle porte le vieux slip kangourou moule-boules tout crasseux d’Olivier !
Les gens sont dégoûtés. Olivier et Ophélie fondent en larmes.
C’est magnifique, mon Minolta n’en a pas perdu une miette. Le mariage est foutu. Les gens sortent, consternés. Le prêtre repose sa bible et s’enfile ostensiblement un verre de vin de messe, cul sec. Les enfants de chœur sont morts de rire, et les demoiselles d’honneur pleurnichent dans leurs petits bouquets. Soudain Ophélie se tourne vers moi.
Bobby Jo a regagné les commandes du camion-benne. Il ne me reste plus qu'à quitter l'église, serein, après une dure journée de travail menée à bien. Lorsque je m'installe à la place du passager et que Bobby Jo met le contact, l'envie de faire une petite sieste me prend. J'ai bien le droit à un peu de repos, non ?
Hard work, la vie de paparazzo…
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