Paparazzi

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5h30.

Réveil. L’appartement est en bordel, bouteilles de champagne, cendriers pleins à ras bord. La coke ne fait plus rien depuis longtemps, j’ai surtout une sale gueule de bois au Jack Daniels, ingurgité par chopes entières après la soirée pourrie d’hier soir aux Bains-Douches. Une cigarette, une Pall Mall bien crasseuse, pour achever mon haleine de chacal. Mélissa dort à poings fermés sur le côté droit du lit. Mannequin chez Elite, enfin je crois. Mignonne et conne. Dans dix secondes, je lui mettrai une claque sur les fesses pour qu’elle se lève et foute le camp.

Hard work, la vie de Richard P. Icton, paparazzo.

Olivier Minne

7h00.

Caché dans la benne à ordure en face de chez Olivier Minne, le célèbre homme de télévision adulé par toutes les lectrices de Voici, je guette mon pigeon. Une semaine que je le file, et rien jusqu’à présent. Il sort de chez lui, casque de moto à la main. Clic-clac, une photo avant qu’il n’enfourche sa Harley pour se rendre sur le tournage de Matin Bonheur. Le suivre va être une autre paire de manches.

Heureusement que j’ai Bobby Jo, mon fidèle éboueur jamaïcain qui me transporte partout. Bobby accroche la poubelle qui me sert de planque à l’arrière du camion-benne, et entame discrètement la filature. Bobby conduirait son camion-benne les yeux fermés. C’est normal, il est payé pour. Et grassement en plus.

Le trajet se passe à l’ordinaire, je garde le couvercle de ma poubelle entr'ouvert pour respirer et regarder la rue, au cas où une autre célébrité se profilerait. C’est par hasard que j’ai un jour décroché une superbe prise : le chanteur François Feldman, en train d’aider une grand-mère à monter dans un taxi. Ça avait fait les gros titres, tous mensongers, mais qu’importe :

IL COUCHE AVEC UNE VIEILLE.

Carrière foutue, mariage détruit. C’est peut-être injuste mais je ne me pose plus vraiment la question. La vie est injuste, et le papier glacé est ce qui se vend le mieux.

7h15.

Bobby me décroche de son camion-benne et je continue ma filature à roulettes. J’ai creusé des trous sous ma benne à ordure pour y passer les pieds et me déplacer discrètement dans Paris. Certes, une poubelle qui avance toute seule ça surprend, mais dans cette ville les gens ne se mêlent pas de la vie des autres. On peut crever sur le trottoir sans que personne ne lève le petit doigt. C’est une leçon que Marianne James apprit à ses dépens, pendant que je photographiais son petit chien Youki agonisant sur un trottoir de Barbès après une fugue du pavillon Baltard. Une bonne idée de suivre ce cabot, plutôt que d’assister au tournage de la Nouvelle Star.

PERCUTE PAR UN MYSTÉRIEUX CAMION-BENNE, YOUKI, LE COMPAGNON DE LA DIVA DÉJANTÉE MEURT COMME UN CHIEN.

Beaucoup de fric, bien plus que pour une simple photo de Christophe Willem.

Devant les locaux de France Télévisions, Olivier bifurque. Je change mon orientation avec le mini volant que j’ai installé dans ma benne à ordures. Inespéré. S’il n’entre pas tout de suite dans le studio, c’est peut-être qu’il a une maîtresse. Je le suis furtivement.

Olivier entre dans une boulangerie. C’est bon ça coco. Il achète un pain au chocolat. Ce qu’il me faut, c’est un cliché de sa main en contact avec celle de la boulangère. Au moment où je sens que ça va être OK, quelqu’un rabat le couvercle de la benne et me soulève brutalement.

— Oh Bobby Jo, merde qu’est-ce que tu fais ?

Pas de réponse. Je suis secoué dans tous les sens, et j’entends distinctement le bruit d’un pistolet à clou. Les enflures, ils sont en train de me piéger dans ma benne. Secoué comme une bière dans la boîte à gants d’un stock-car, je ne sais pas où l’on m’emmène, mais je distingue le bruit d’un moteur de voiture. La poisse.

Chantage

Il doit être 10 heures.

J’entends des voix pendant que l’on bringueballe ma prison à roulettes hors de la bagnole. On me fait rouler sur une dizaine de mètres.

— Qu’est-ce qu’on fait boss ? On lui ouvre ?
— Je me demande ce qui me retient de balancer cette merde dans la Seine…

Je connais cette voix. Oh, je n’aime pas ça…

Quelqu’un retire les clous avec un marteau. Je sors le nez de ma poubelle, suffoquant, juste à temps pour me prendre un bourre-pif dans la gueule.

— Sympa l’accueil, dis-je malgré ma lèvre fendue. C’est quoi ce merdier ?
— Ta gueule connard.

Pas elle. Si, elle. Ophélie Winter. La diva de la chanson française de qualité. Putain la poisse.

— Salut Ophélie, hum, tu vas bien ?
— Boucle-la raclure. J’espère que t’as la trouille parce que je ne sais pas encore pourquoi je me retiens de te dessouder.

J’essaie de sortir plus que la tête de ma poubelle, mais les deux gorilles en smoking-cravate qui m’ont visiblement kidnappé me font sentir que ce n’est pas le moment. Nous sommes dans un hangar désaffecté, et Ophélie est assise devant moi, tailleur blanc Jenifer, avec son habituel fume-cigarette. Quand elle décroise soudain les jambes, je m’aperçois qu’elle ne met toujours pas de culotte. La chienne.

— Tu devrais me présenter des excuses au moins, dit-elle.
— Je suis désolé Ophélie, je bafouille. Je... c’est le business tu comprends…
— Pour toi ce sera madame Winter, cancrelat. Tu sais ce que ça m’a coûté tes conneries ? Tu sais à quel point c’est dur de trouver une femme de ménage de confiance dans cette ville de merde ?

Elle marque un point. La malheureuse Consuelo était désormais repartie au Mexique par le premier charter, depuis que j’avais publié un papier décrivant sa situation d’étrangère en situation irrégulière dans Paris-Match. Ophélie avait perdu à la fois sa femme de ménage qu’elle payait au noir, et écopé d’un contrôle fiscal. Je n’avais cependant accompli que mon devoir, ce pour quoi je suis payé, lui fais-je remarquer.

— Ferme ta bouche ! Ton métier, c’est quoi ton métier ? s’énerve-t-elle. Détruire la vie des autres ? Pourrir ceux qui agissent pour le bien de la communauté ? J’ai chanté une année avec les Enfoirés, moi ! J’ai donné plus de quatre cents euros pour la lutte contre le cancer ! Alors ne viens pas me parler déontologie ou sinon je vais très mal le prendre !

Je me tais, surtout quand je remarque la tronçonneuse dans un coin de la pièce. Il ne manquerait plus que je finisse découpé comme Garcimore, après que j’aie révélé au grand jour ses accointances avec des trafiquants de tickets de bus arméniens.

— Puisque tu aimes le business, reprend-elle, j’ai un marché à te proposer. Un deal qui effacera ta dette à mon égard.
— Je ne te dois rien.

L’un des gros bras me balance une claque.

— Silence ! Bien sûr que tu me dois quelque chose ! Frank, mets-lui le mouchard.

Avant que j’aie le temps de comprendre quoi que ce soit, le dénommé Frank m’injecte un émetteur dans le cou grâce à un pistolet médical.

— Enfoiré, je souffle. Tu perds rien pour attendre, salopard. Je te promets qu’avant la fin de la journée je t’aurai fait avaler ta cravate aux petits oignons.

Il glousse. Je le reconnais, Frank Black, l’ancien guitariste du groupe Pixies. Pathétique de voir à quel point il est tombé bas. Son acolyte, un grand Chinois avec une crête, se marre aussi. Ophélie ne plaisante pas, elle.

— Tu vois Richard, dit-elle, maintenant je sais que tu vas payer ta dette. Parce qu’avec ça – elle brandit un boîtier-radar – je sais maintenant précisément où tu te planques si tu essaies de me fausser compagnie.
— Magnifique Ophélie. Malgré ton redressement fiscal, tu as toujours assez d’argent pour te payer de nouveaux sex-toys.
— Donc, poursuit-elle sans relever le sarcasme, à moins que tu n’aies envie de dire au revoir à ta sale vie de minable, tu vas m’obéir. Tu connais sûrement Pascal Brunner, je ne me trompe pas ?

Pascal Brunner, monsieur chanson française. C’est à cause de moi que son show avait été suspendu. Je l’avais flashé à St Tropez, en larmes dans les bras de son meilleur ami, le jour de la mort de sa mère. La photo avait fait la une de Voici :

PASCAL BRUNNER, HOMO ? ROOOOHHH !!!!

Ensuite sa carrière avait périclité, et Brunner s’était retrouvé à jouer le rôle de Caliméro dans des pièces sans succès, dont on ne parlait que pour se moquer à la rubrique Que sont-ils devenus ?

— Je ne meurs pas d’envie de revoir Pascal Brunner, ai-je dit.
— Ça je m’en doute, et c’est le cadet de mes soucis, reprit Ophélie. Cette andouille ne doit même pas t’en vouloir. En ce moment il réalise une comédie musicale sur Maurice Pialat en compagnie du cinéaste Laurent Cantet. Il gagne de l’argent.
— Qu’est-ce que ça peut bien me foutre ? Les gens qui lisent mes magazines ne savent même pas qui est Pialat…
— Je vais t’expliquer. Débrouille-toi pour prendre une photo de Brunner en train de se gratter les couilles et passe-la dans France-Soir. Insinue qu’il a le SIDA et qu’il se gratte les métastases du SIDA, peu importe, dans tous les cas je veux qu’il finisse sur la paille.
— Mais, pourquoi ? C’est un type bien, je ne comprends pas… Tu as… couché avec lui et il ne t’a pas rappelée ?
— Ne sois pas stupide ! Si j’avais couché avec lui il serait à genoux en train de me manger dans la main ! Non, si je veux qu’il disparaisse, c’est parce que je veux embaucher sa femme de ménage, Maria Lolita, la meilleure repasseuse de tout Paris.

Je bouillonnais.

— Enfin, Ophélie – je reçois une claque de Frank – pardon, madame Winter, pourquoi n’as-tu pas proposé à Lolita de doubler sa paie si tu veux qu’elle vienne faire les carreaux chez toi ?
— TU CROIS QUE JE N’AI PAS ESSAYÉ ? hurle-t-elle. « Jé réfouse dé laissé méssieur Brounnaire tout sole, il é si yentil… », cette conne l’a en adoration ! Pour la récupérer, je DOIS me débarrasser de Brunner. Et je ne vois que toi pour accomplir cette tâche.

Je me tais, elle a raison. Dégommer des célébrités, c’est mon métier.

— OK madame Winter, si je publie une photo dégradante de Brunner, tu m’enlèveras ton émetteur à la con et tu me laisseras tranquille ?
— T’as ma parole, Richard.
— Alors laisse-moi sortir de là que je puisse aller détruire Pascal Brunner.

Elle fait signe à ses deux zozos de me faire sortir de la benne, qui est devenue inutilisable à cause des heurts de l’enlèvement. Pour être précis, une roulette est voilée.

— Au fait Frank, dis-je avant de quitter le hangar, sur ton costume, t’as une tache.

Il baisse les yeux vers son smoking, machinalement. Je lui envoie un crochet dans l’oreille, PAF !

— Pistache, connard.

Je me tire, royal, pendant qu’Ophélie ordonne à Frank de ne pas bouger.

Kill Pascal

11h30.

Je prends un taxi qui me dépose plaine St Denis, là où Pascal Brunner travaille. Ça va être difficile, voire carrément impossible de prendre une photo de lui aujourd’hui mais je n’ai pas le choix. C’est ça ou alors la dernière chose que je verrai avant de crever sera la sale gueule souriante de Frank Black, le connard qui a fait splitter les Pixies.

Je choisis la stratégie poule de luxe. Depuis son divorce, Brunner ne s’est jamais remis en couple, c’est l’occasion de le séduire et le mettre dans une posture compromettante. Dans les toilettes du studio où travaille ma cible, j’enfile mon nécessaire à groupie – perruque, lunettes, mini-jupe – puis me maquille. Je me regarde dans la glace. Je suis crédible, j’ai bien fait de m’épiler les jambes à la crème Veet hier matin.

Quand j’arrive sur le plateau, un obstacle de taille me surprend. Il y a déjà une groupie prête à chauffer Brunner, et je la reconnais immédiatement. Le vieux J-C M. Erian, l’officiel de Closer, le journal des indiscrétions. Perruque blonde peroxydée, faux seins, paillettes sur les joues. Pour le coup, il a même rasé son bouc de clubber. Irrésistible.

— L’enculé de sa mère, je marmonne dans mon rouge à lèvres.

Brunner est occupé à discuter avec Cantet au sujet de la direction des acteurs. Je le vois décider de faire un break et partir en direction d’un autre endroit du studio. Le tournage est un vrai bordel et je devrais filer la star, mais avant de rivaliser de charme avec Erian, je dois savoir s’il vise la même proie. Quand je m’approche de lui, il sort une sucette Choupa-Choups et se met à sucer d’un air sexy.

— Tiens tiens, chuchote-t-il dans ma direction, le sauvage Richard P. Icton en personne.
— Salut J-C, je réponds. T’es là pour qui ?
— Et toi ? Si je te le dis, tu vas dire que t’es là pour quelqu’un d’autre.
— Oui mais si c’est moi qui te le dis en premier, c’est toi qui va mentir.
— Oui mais j’étais là en preum’s.

Un assistant de Cantet s’approche. Bon et mauvais signe.

— Alors les filles, ça vous dirait une coupe de champagne ?
— Oh non monsieur, je minaude, il est à peine midi !
— Oh les filles, faut se détendre !
— Moi ça me dirait monsieur ! fait J-C avec une petite moue de collégienne.

Dire que ce type aura bientôt 56 ans…

— Ah ah, j’aime mieux ça les filles ! Venez, on va prendre l’apéro avec Pascal Brunner !

Nous suivons l’assistant dans les couloirs du studio. J-C me lance un regard noir, visiblement emmerdé de ma présence. Il est là pour Brunner, sans aucun doute.

— Laisse-moi Brunner, je dis, c’est pas pour le boulot, c’est une question de vie ou de mort.
— Bien sûr Richard, comme toujours. Comme la fois où je t’ai laissé photographier Jean Rochefort dans ce cimetière pour animaux, et que tu as titré : IL SE TAPE DES CHIENS MORTS. Vois-tu, moi j’ai de la déontologie

Je me marre. Entendre ça d’un quinqua déguisé en lolita pour séduire Pascal Brunner… On arrive dans les loges. Brunner, Cantet, et Jean-François Gallotte, l’acteur principal du film, sont en train de sniffer de la coke tout en s’abreuvant de Dom Pérignon.

— Oh ! Des poulettes ! s’écrie Gallotte.
— Venez vous asseoir ! dit Cantet.

Brunner est sombre, il ne semble pas très intéressé par notre présence. Obligés, nous avalons une coupe de champ’, le nez plein de cocaïne.

— Voilà des grandes filles décidées ! reprend Cantet. Montre-moi ce que tu sais faire avec ta bouche ma grande ! ajoute-t-il en me regardant.

Merde. La poisse.

— Oh je n’y connais rien monsieur, dis-je. Ma copine elle sait mieux faire ! Elle m’a même dit que son rêve c’était de sucer Pascal Brunner !

Brunner relève la tête, surpris.

— N’importe quoi, dit-il. J’ai pas envie de finir comme Jean-Luc Lahaie, avec un procès au cul pour détournement de mineures… Laurent tu vas vraiment droit dans le mur avec tes conneries.

Cantet se renfrogne.

— Bon attendez les filles, vous êtes majeures ? Vous avez des papiers ? Je parie qu’elle a plus de 18 ans Pascal, ne t’inquiète pas !

Puis il ajoute dans un chuchotement que J-C et moi entendons distinctement.

— Si je gagne, elle nous suce tous les deux, et si je perds, on les bute et on les balance dans la Seine.

La poisse. Ils ne me font pas peur, mais ça bousille ma couverture. J-C, terrifié à l’idée de dormir avec les poissons, ne réfléchit pas et sort sa fausse pièce d’identité.

— Regardez monsieur Brunner, j’ai 18 ans et demi.
— Ah ah, s’écrie Cantet, j’avais raison ! Allez suce mon pote maintenant ! dit-il d’un ton menaçant, pendant que Jean-François Gallotte se termine au champagne.

Brunner reste assis, visiblement gêné par cette situation. Je sors discrètement mon mini-appareil numérique, pile au moment où J-C est en train de déboutonner la fermeture à glissière de Pascal, et que le champ de vision m’offre également son gros cul de photographe avec la paire de balloches qui pendouille sous sa mini-skirt. Magnifique :

PASCAL BRUNNER SE TAPE DES TRAVS

C’est mieux que la mort de Lady Di…

CLIC CLAC

Gallotte a repéré le bruit. La poisse.

— DES PAPARAZZI hurle-t-il.

J-C et moi nous enfuyons à toute blinde, pendant que Brunner se reboutonne et que Cantet, Gallotte et tous les assistants nous poursuivent avec leurs pistolets. Nous jaillissons hors du studio.

— Mon Hummer, là-bas, vite ! crie J-C.

La voiture est garée de l’autre côté de la rue, et nous courons pour nous y engouffrer le plus vite possible. Dès que nous sommes à l’intérieur, nous verrouillons les portes et J-C démarre.

— Fonce ! lui crie-je, alors que le véhicule s’élance sur les chapeaux de roues. Bordel de merde on a accroché Gallotte !

Le puissant Hummer dévale la plaine St Denis avec un comédien accroché à la portière arrière droite. Gallotte refuse obstinément de lâcher.

— Ah ah mes salopards, je vais vous en faire voir de toutes les couleurs ! Des vertes et des pas mûres !
— Lance-lui ça, crie J-C en me tendant un paquet de Pépito qui traînait dans sa boîte à gants.
— Excellente idée, rugis-je.

J’ouvre la boîte et commence à lancer les Pépito sur Jean-François Gallotte. Il esquive adroitement le premier mais le second l’atteint en plein visage.

AAAAHHHH mes yeux mes yeux, ils ont plein de miettes !!! Ça picote AAAAHHH !!
— BINGO ! je m’exclame, alors que Gallotte lâche prise et va s’écraser contre un restaurant chinois en provoquant une explosion spectaculaire. Une bonne chose de faite.

Twists

13h30

— Putain dire que je devais juste filer Olivier Minne aujourd’hui… Je remettrai ça à demain, une fois le film développé, je pars en teuf histoire de me bourrer la gueule et oublier cette foutue matinée, dis-je à J-C pendant qu’il conduit.
— Olivier Minne ? Tu suivais Olivier Minne ? Tu es au courant alors ? s’exclame J-C.
— Au courant de quoi ?
— Oh ? Euh… rien, rien…

Je regarde la route. J’ai l’impression que nous nous éloignons de Paris plutôt que d’y retourner. J-C me prépare un sale coup, j’en suis sûr. Il est temps de me changer et de me rhabiller en homme.

— Eh tu te changes ? Tu veux pas attendre un peu, on est presque arrivés.

Ça sent le coup fourré… J-C n’est pas du genre à partager un cliché, mais je le vois mal m’abattre dans la forêt pour une simple photo de Pascal Brunner. De nouveau vêtu normalement, je regarde mon collègue travesti engager la voiture près d’une petite forêt de banlieue.

— Dire que j’étais à deux doigts de le prendre en bouche ! ricane-t-il. Même si j’ai déjà fait ça pour certains contrats, ça m’ennuierait de
— Ferme ta gueule ! lui dis-je en lui enfonçant mon tube de rouge à lèvres dans les côtes. J’ai un pistolet.

J-C se tait. Je m’aperçois qu’il essaie de baisser le regard pour voir si j’ai bien un vrai pistolet.

— Fais pas le kakou et garde les yeux sur la route. Je te jure que c’est un vrai pistolet, j’ai très bien compris ce que tu essayais de vérifier gros malin.
— J’ai rien voulu vérifier Richard… je croyais qu’on était pote…
— Je suis pas pote avec les mecs qui bossent pour Ophélie Winter, connard. Gare la voiture.

Il obéit, toujours regard levé. Je le fais sortir dans la voiture, tourner le dos et avancer devant moi, en direction des bois, le tenant toujours en joue avec mon tube de rouge à lèvres.

— Comment as-tu su, Richard ? hésite-t-il.
— Tais-toi et continue de marcher devant moi. Tu as de la chance que je ne te tire pas tout de suite une balle dans la tête avec mon vrai pistolet.

Nous arrivons dans une clairière.

— Attache-toi les poignets et les mollets avec les lianes qui pendent de cet arbre, lui dis-je.
— Voyons Richard, je ne vais pas m’enfuir.
— Vas-y je te dis !

Il arrache la liane d’un arbre, et soudain me fouette le visage d’un coup sec en se retournant vers moi. Quel idiot ! J’aurais dû le tuer quand il en était encore temps ! Si seulement j’avais eu un vrai pistolet ! Je me jette sur lui et nous nous battons, mais il a le dessus, et me met un coup de tête qui m’assomme. Il se relève.

— Où l’as-tu mis ? Où est ton pistolet ?
— Devine ! lui crie-je en lui lançant le tube de rouge à lèvres au visage.

Il perd l’équilibre, secoué par le choc. J’en profite pour le mettre à terre et bloquer ses épaules avec mes genoux. À califourchon sur lui, je pourrais lui cracher au visage si je voulais.

— Tu vas te mettre à table maintenant, tocard ! Ophélie Winter t’a embauché pour m’attirer hors de Paris ! Cette histoire avec Pascal Brunner n’était qu’un leurre, je l’ai compris immédiatement. Tout s’est déroulé de façon bien trop simpliste !
— On ne peut rien te cacher, Sherlock, crache J-C.
— Pourquoi Ophélie Winter veut-elle m’éloigner ! Et que vient faire Olivier Minne là-dedans ?
— Ha ha ha ! Tu n’as pas compris ? Tu n’as toujours pas compris ? Pauvre imbécile !

Il est temps d’employer les grands moyens. Je salive et fais descendre un filet de bave jusqu’au visage de J-C qui émet une grimace de dégoût, mais j’aspire ce filet de bave dans ma bouche avant que l’extrémité ne touche le bout du nez du paparazzo.

— Tu as vu J-C ? La prochaine fois, cette bave te dégoulinera au visage !
— OK ! OK ! C’est bon je parle ! supplie-t-il, écœuré. Je parle… Ophélie m’a engagé pour t’amener ici et te retenir prisonnier. Cette histoire avec Brunner, c’était pour me payer, c’est moi qui avais besoin de la photo compromettante car mon patron a décidé de me virer si je ne lui ramenais pas un cliché avant la fin de la semaine. Ophélie a soudoyé les assistants de Laurent Cantet pour qu’on puisse s’infiltrer aux studios. L’histoire de la femme de ménage, si crédible fût-elle, n’était qu’un appât.
— Alors vous y gagniez tous les deux ? Tu avais ton cliché grâce à moi, et ensuite elle se débarrassait de moi grâce à toi ! Ne mens pas, ton intention était de me tuer !
— Oui je l’avoue. Ophélie n’osait se résoudre à le faire elle-même, ni par ses deux gorilles, car elle est très croyante et pense que le meurtre est un péché mortel. Je lui ai promis de te faire disparaître sans te tuer. Mais nous savions que j’allais le faire, et avec plaisir en plus, toi, dont j’étais tant jaloux, toi le meilleur paparazzo de la ville !
— Ça ne fait aucun doute… mais pourquoi justement cherche-t-elle à m’éloigner précisément aujourd’hui, et quel rapport avec Olivier Minne ?
— Tu n’as toujours pas compris ? Mais alors tu es nul ! Voyons réfléchis : ils se marient !

J’en reste sous le choc. Quel idiot… Ophélie a compris que je traquais Minne et c’est parce qu’elle pensait que je découvrirai le pot aux roses qu’elle m’a envoyé J-C. Elle va se marier loin des paparazzi, et vendre ensuite toutes les photos officielles aux magazines people, s’assurant ainsi un fabuleux pactole.

Si elle croit que je vais la laisser faire…

— Tu me laisses partir, hein ? demande J-C.
— Personne ne part, lui répond une voix venue de l’entrée de la clairière.

L’individu s’approche, nous tenant en joue avec un pistolet. Je le reconnais immédiatement : le Chinois de ce matin. J-C et moi-même nous levons, sans gestes brusques.

— Bonjour monsieur Icton. Bonjour monsieur Erian. Vous êtes bien bavard monsieur Erian… dit le Chinois.
— Je n’ai rien dit, parole ! C’est un vrai pistolet ? glapit J-C.

Ce sont ses derniers mots. Le Chinois l’abat froidement d’une balle dans la tête.

— Pauvre J-C, dis-je, lui qui n’avait pourtant pas beaucoup de plomb dans la cervelle…
— Très drôle monsieur Icton. Tournez-vous. Une dernière prière ?

Je me retourne et ferme les yeux. Très vite, je pense à tous ceux que j’ai détruits, à tout ce que ma vie a engendré de souffrances et de destins brisés. Je pense à mes parents, qui voulaient que je sois prêtre. À ma sœur, à qui j’ai demandé un rein prétextant une greffe, alors que c’était pour l’échanger contre de la colombienne. À mon chien Snoop, que j’ai attaché à un poteau d’aire d’autoroute pour être tranquille en vacances à Ibiza l’année dernière. Je ferme les yeux et j’attends la mort, bien méritée. La poisse quand même.

BANG.

La détonation vibre dans l’air bien plus longtemps que ce que j’imaginais. On dirait qu’il m’a raté, il reste peut-être un espoir, je me retourne et soudain j’aperçois… Bobby Jo, mon fidèle éboueur, une arme à la main ! Le Chinois gît par terre, mort d’une balle dans le dos.

— Dépêchez-vous patron, on n’a pas beaucoup de temps, dit-il.
— Comment as-tu su, Bobby Jo ?
— Oh oh oh, le vieux Bobby Jo aime bien laisser traîner ses oreilles patron. Et il ne manque jamais d’aider un collègue dans la galère !
— Bobby Jo, tu es plus qu’un simple employé, oui, tu es… un véritable ami !
— Du calme patron ! me répond-il en fixant le cadavre de J-C déguisé en femme. Bobby Jo ne mange pas de ce pain au chocolat-là !
— Ha ha ha sacré Bobby Jo. Tu as le camion-benne ? Oui ? Alors on fonce, il n’est peut-être pas trop tard !

Where’s my mind ?

16h00

Le camion-benne file à toute allure sur le périphérique, doublant les automobilistes qui sortent du bureau. C’est bientôt l’heure de pointe, et si je ne mets pas en question l’habileté de Bobby Jo à conduire son bolide, je redoute les embouteillages inhérents à cet horaire.

— Oh oh, Bobby Jo a un mauvais pressentiment ! s’exclame-t-il en regardant dans le rétroviseur.

Effectivement ce n’est pas bon du tout. Un gros chauve avec des lunettes de soleil, enfourchant une grosse Harley Davidson nous file le train. Et je reconnaîtrais entre mille le type qui a composé l’album Trompe le monde. Frank Black.

— Accélère Bobby Jo ! Il nous rattrape !
— Bobby Jo peux pas aller plus vite patron ! Y a des prolos qui reviennent du boulot partout sur la route !

La poisse.

Frank zigzague entre les voitures comme s’il s’était agi d’un jeu d’enfants. Arrivé au niveau du camion-benne, il saute de sa Harley et s’accroche à l’arrière du camion benne. La moto abandonnée sur la route percute un car scolaire qui s’embrase immédiatement.

— L’ordure ! je m’exclame. Bobby Jo, le mariage, où va-t-il se dérouler ?
— À votre avis ? Où Ophélie a-t-elle trouvé la foi en Dieu patron ?
— Saint Vincent ! Bien sûr ! Fonce Bobby Jo, je m’occupe du gros lard !

Frank est en train de scotcher un bâton de dynamite sur le flanc gauche du camion, en restant agrippé à la benne amovible.

— Fils de pute ! Comment comptes-tu t’en tirer ?

Il sourit, et découpe une longueur de scotch avec ses dents. Je monte sur le toit du camion, en restant accroché comme je le peux.

— Attention un pont patron ! crie Bobby Jo.

Je me baisse. De justesse. Frank vient de finir son œuvre et essaie d’enflammer le bâton de dynamite avec son zippo Dolittle. Je me suspends en gardant mes mains sur le toit du camion et j’essaie de le faire tomber à coups de pied. Mauvaise idée. Frank attrape mon pied droit et commence à tirer pour que ce soit moi qui chute.

— Lâche-moi grosse brute !
— You’re gonna die ! éructe-t-il.

À la force de mes bras je réussis à remonter sur le toit. Ce gros plein de soupe est toujours accroché à la benne. Je comprends mieux comment il fait : il s’est accroché avec un baudrier et un mousqueton, ce qui l’empêche de tomber. J’ai une idée, mais pour cela il faut que j’accède à l’espace de séparation entre la benne et le camion. Douloureusement, j’y parviens à force de ramper sur les coudes, je m’introduis dans le cloisonnement. Frank comprend alors et son teint blêmit en trois secondes.

— Si tu l’aimes tant que ça ta benne, pourquoi tu l’épouses pas ? je crie, en éclatant de rire, et surtout en détachant la benne du châssis.
— NOOOOOOOO, hurle-t-il.

La benne et le gros Frank s’éjectent alors du camion-benne et s’élèvent à quatre ou cinq mètres du sol, puis retombent dans un grand choc. Frank s’est fait aplatir sur la route comme un œuf éclaté par un lingot de plomb. Je remonte dans la cabine.

— Va falloir rembourser la benne à Bobby Jo patron !
— Mets-ça sur ma note cowboy… dis-je, sans avoir le temps de souffler.

La mariée ne porte pas de culotte

17h00

Bobby Jo est allé aussi vite qu’à son habitude et l’église est devant nous. Je m’introduis subrepticement dans la cérémonie, déguisé en pote d’Ophélie Winter grâce aux vêtements de rappeur que Bobby Jo avait spécialement prévu à cette occasion.

Ophélie a voulu faire un mariage discret. Il n’y a que la famille et quelques dizaines de proches du couple Winter-Minne. Les huiles sont là : Patrice Laffont, Laurent Petitguillaume, Sophie Davant, Evelyne Dhéliat pour le marié, Pascal Nègre, Charly et Lulu et MC Solaar pour l’épousée. Que du beau monde que je prends silencieusement en photo avec mon Minolta espion P312.

Mais ça ne me suffit pas. Personne ne remarque le Jamaïquain qui est monté sur le toit de l’église et fait discrètement descendre par un vitrail le fil d’une canne à pêche, en direction d’Ophélie Winter.

— Vas-y Bobby Jo, on va l’avoir cette mégère… je marmonne.

La cérémonie est rapide, très rapide. Le prêtre en est aux vœux. Si la cérémonie se déroule si vite, Bobby Jo ne va pas avoir le temps d’ôter la robe de mariée d’Ophélie depuis le toit de l’église avec sa canne. Il ne me reste qu’une chance.

— Si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il le dise maintenant ou se taise à jamais ! clame le prêtre.

C’est le moment ou jamais, je me lève, grimé en rappeur.

— Wesh moi m’sieu l’curé yo j’m’oppose !

Brouhaha dans la salle. Tout le monde se retourne vers moi.

— Et pourquoi vous opposez-vous ? demande le prêtre.

Je regarde le fil de pêche descendre, plus bas, plus bas…

— Wesh yo, euh j’veux dire quoi !
— Que voulez-vous dire ? redemande le curé excédé, pile au moment où l’hameçon s’accroche à la robe d’Ophélie..

Parfait.

— J’veux dire que Ophélie Winter c’est rien qu’une biaaaattttchhhe !!! je crie.

Au même moment, Bobby Jo remonte sa gaule d’un coup sec et arrache la robe d’Ophélie. Des cris se font entendre dans l’assistance, Ophélie est choquée. C’est pire que tout ! Je m’attendais à ce qu’elle ne porte pas de culotte, mais il y a plus dingue : elle porte le vieux slip kangourou moule-boules tout crasseux d’Olivier !

Les gens sont dégoûtés. Olivier et Ophélie fondent en larmes.

— C’était un jeu érotique, dit Olivier ! Il n’y a rien de sale ou de malsain ! Regardez : moi je porte ses sous-vêtements, dit-il en dévoilant le porte-jarretelles rouge sous son smoking.

C’est magnifique, mon Minolta n’en a pas perdu une miette. Le mariage est foutu. Les gens sortent, consternés. Le prêtre repose sa bible et s’enfile ostensiblement un verre de vin de messe, cul sec. Les enfants de chœur sont morts de rire, et les demoiselles d’honneur pleurnichent dans leurs petits bouquets. Soudain Ophélie se tourne vers moi.

— Richard P. Icton ! Je t’ai reconnu ! TU ES UN HOMME MORT !!!!
— Et toi t’es pas mon genre poupée ! je lui réponds, en lui lançant le fameux émetteur qu'elle m'avait implanté : un simple tic-tac à la menthe, rejeté par mon organisme diabétique pendant le trajet…

Bobby Jo a regagné les commandes du camion-benne. Il ne me reste plus qu'à quitter l'église, serein, après une dure journée de travail menée à bien. Lorsque je m'installe à la place du passager et que Bobby Jo met le contact, l'envie de faire une petite sieste me prend. J'ai bien le droit à un peu de repos, non ?

— Au fait patron, j'ai entendu dire que Jean-Luc Delarue, incognito, se mettait minable au Martini, dans un bar à hôtesses du 11ème arrondissement.
— Allons boire quelques bières, Bobby Jo...

Hard work, la vie de paparazzo…

ELLE PORTE UN VIEUX SLIP SALE ET ÉPOUSE UN TRAVESTI : LES INVITÉS PRÉFÈRENT QUITTER LE MARIAGE RATÉ D’OPHELIE AVANT QU'IL DÉGÉNÈRE EN PARTOUZE BISEXUELLE
VOICI : LE JOURNAL QUI A TOUJOURS LA GRANDE CLASSE AVEC LES STARS !


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