Quête
13h22 : Mon vieux téléviseur grésille dans un coin de mon taudis en diffusant une rediffusion d'un téléachat. J'émerge lentement, difficilement au beau milieu de canettes de bière et de boites de pizza. Chaque mouvement pour sortir de mon lit est atroce, entre ma gueule de bois et les horribles grincement des ressorts sous mon poids. Au pied du lit, une bouteille de whisky s'est écoulée sur un vieux tapis élimé récupéré à la mort de mes grands-parents.
Vêtu de mon t-shirt rouge délavé et de mon jean troué, je sors de mon appartement. Le journal du voisin, abandonné sur le palier m'apprend que 25 000 personnes sont mortes la semaine dernière dans une catastrophe que la fuite du plafond a préféré effacer. Un clochard ronfle dans l'escalier. Normal, la porte a été fracassée quand les flics sont venus arrêter cette famille de sans-papiers nord-coréens hier. Il y en a même un qui a préféré sauter du cinquième plutôt que de retourner dans son pays. Je met un pied dehors. Pas de bol. Il pleut. Et je viens de marcher dans une merde.
Je sens que ma journée au Pôle Emploi va être pourrie.
Quel est ce marasme, l'ami ? N'es-tu point en train de gâcher les plus belles années de ta vie à te morfondre ? Sors de chez toi, pars en quête d'aventures et de richesses dans de lointaines contrées. Ta destinée t'attend, héros !
Ah... Oui. C'est vrai. Mon jeune ami, c'est la crise. Il n'y a plus de richesse, ni ici ni ailleurs. Quand à l'aventure, je crains que tu n'aies d'autre choix que d'aller pourfendre le taliban dans les montagnes d'Afghanistan ou dans le 93. Je suis vraiment désolé.
En même temps, tu vis vraiment dans une époque de merde. Plus de princesses à sauver donc plus de dragons donc plus de vaillants chevaliers donc plus d'épées magiques donc plus de temples maudits donc plus de sorciers donc plus de trolls.
Ah, si, il y a des trolls quand même.
Allons, pour te consoler, je vais te raconter une histoire. Une histoire dont tu seras le héros. Une aventure médiévale. Une épopée héroïque. Une légende qui durera des siècles et des siècles sur laquelle tu pourras fantasmer pour oublier ta vie de merde.
Prépare toi, Lecteur, à devenir un aventurier médiéval et fantastique.
Prologue
Ô Lecteur, toi qui arrive si vaillamment des terres perdues de Chatuzange-le-Gobelin. Puisse la gloire te trouver dans les rues de Barys, la capitale du majestueux royaume de Fronz.
Tu débarques au port de Barys, la tête pleine de rêves et les cheveux pleins de croûtes, pour te faire un nom par toi-même. Avec toutes les économies de ta famille en poche, cinquante pièces de cuivres rutilantes, tu es prêt à prendre un nouveau départ dans ce monde plein d'opportunités. |
Ce vieux con de boulanger avait raison : son pain était le moins cher de toutes la ville. Mais ce n'était pas mon seul problème. J'étais seul, dans une grande ville, sans un sou en poche. Après trois jours à errer dans les rues à la recherche d'un moyen de gagner de quoi boire, manger et dormir (dans cet ordre), je m'apprêtais à pousser la porte d'une taverne pour y mendier un croûton de pain.
Je fis un bond de trois pieds en arrière et trébuchai sur un pavé. Une créature une fois et demi plus grande qu'un homme, avec la peau verte et vêtue d'un habit sombre se tenait derrière la porte, comme si elle s'apprêtait à sortir. Un troll. Il se dirigeait vers moi d'un air calme, souriant, une étrange massue carrée à sa main gauche. Il étendit son long bras droit vers moi. Je fermai les yeux, transi de peur. Il me saisit le poignet et m'aida à me remettre sur pied. Je rouvris les yeux. Le troll remettait en place un totem en forme de papillon noir qu'il portait autour du cou. Je ne répondis rien, j'attendais la mort.
Le troll me regardait comme si j'étais un tecktonik épileptique à la fête des Lumières, avec un mélange de pitié, d'empathie et de crainte que je lui saute dessus.
J'étais au milieu de la rue, en train de hurler de peur devant un troll qui avait l'air ma foi très urbain. J'allais de toute évidence très bien.
Il éclata d'un rire franc, attirant l'attention d'une bande de joueurs de cartes dans le coin de la taverne. Le troll avait insisté pour qu'on rentre boire quelque chose de chaud. Il m'avait jusque là laissé avaler mon grog en silence.
Un homme complètement ivre s'appuya sur l'épaule du troll.
J'acquiesçai poliment et, voyant ma choppe finie, je sortai mes cinquante pièces de bronze. Le troll les considéra, réfléchit un instant, puis me demanda :
Chapitre 1
Ô Lecteur, sitôt arrivé à Barys, tu as fait la connaissance d'un puissant Troll avec qui tu as fait un pacte de sang. Maintenant, entre lui et toi, c'est à la vie, à la mort. Le loyer tu partageras, ta vaisselle tu laveras, pas trop de bruit quand il dort tu feras. |
Ça faisait deux mois que j'habitais avec Didé. Tout se passait plutôt bien. Il m'avait trouvé un travail dans un petit restaurant appartenant à un cousin éloigné de son beau-frère, M. Factif. On y servait de la viande de minotaure grillée à la broche entre deux tranches de pain, le tout avec des patates coupées en long et frites et de la sauce piquante. C'était un boulot assez fatiguant car la viande de minotaure, ça se découpe à la machette. Et un troll, ça en a besoin de beaucoup.
En même temps, je prenais des cours de magie à la fac'. Je m'en sortais pas mal, en belote et au poker surtout. Et puis un jour, M. Dtimesgoodtimes me fit venir à sa table.
Dtimesgoodtimes était grand et costaud, même pour un troll de pierre. Je ne savais pas ce qu'il faisait dans la vie, mais c'était un troll ayant les moyens de voyager en mustang alors qu'il restait toute la journée (ou presque) dans le restaurant. Il paraissait même que c'était son restaurant.
Il m'observait à travers la fumée de son gros cigare. Il devait être aussi long que mon avant-bras. Je m'efforçais de soutenir son regard.
Il me fixa pendant deux bonnes minutes. Je ne fréquentais pas des trolls depuis suffisamment longtemps pour savoir si c'était une bonne chose. Factif, lui, s'était rapproché de moi. Visiblement, il attendait la réaction de son patron.
Le troll Dtimesgoodtimes éclata de rire.
Cinq minutes plus tard, nous ressortions. Angaros était un vrai pro : il m'avait fourgué une longue robe rouge sombre avec une capuche et une longue dague qu'il m'avait décrite comme peut-être magique pour 8 pièces d'argent empruntées. Quand à Didé, il était ressorti avec une énorme arbalète de siège sur laquelle était montée une baïonnette.
Chapitre 2
Ô Lecteur, l'appel de l'aventure était trop fort. Tu as accepté de faire partie d'une formidable quête. Tremblez, ennemis, devant la bravitude de nos braves héros ! |
La nuit et la brume étaient tombées sur le quartier du N'œftroi, le quartier nain de Barys. Ce qui n'avait rien de réjouissant, vu que le N'œftroi avait déjà mauvaise réputation de jour par temps clair. Je frissonnais autant de froid que de peur, un peu en retrait de Didé qui fumait au coin de la rue.
Une bande de nains passa près nous en lançant quelques injures, mais en restant suffisamment loin de Didé. Soudain, une main se posa sur mon épaule.
Une autre main me réveilla. En me donnant des baffes, plus précisément. Didé m'aida à me relever. Les propriétaires des deux mains m'observaient, avec mépris pour le premier, inquiétude pour la seconde.
Le temple n'était même pas caché. Ni fermé, malgré qu'il soit onze heures passées. Lorsque nous entrâmes, un prêtre cessa le catéchisme, referma sa bure et vint à notre rencontre.
Personnellement, je n'ai pas réussi à voir ce qu'il s'était passé ensuite. Trop rapide. Mais Sig avait fait une clef de bras au prêtre, Didé le tenait en joue avec son arbalète et Elena se dirigeait vers les enfants en pleurs.
Pas de doutes, Sig s'y connaissait. Le prêtre nous mena à un autel maculé de sang et de pâte à tartiner goût noisette, fit pivoter un chandelier. Un raclement sourd se fit entendre, et l'autel se déplaça, laissant apparaître un escalier chichement éclairé à la bougie.
L'escalier était raide, creusé à même la pierre. Didé et Sig encadraient le prêtre, le menaçant de leur armes respectives. Je marchais derrière avec Elena.
Je priai silencieusement pour qu'un piège se déclenche subitement et me tue sur le coup. Rien. C'est toujours étonnant que dans un monde où la population du panthéon divin se compte en milliers, aucun d'entre eux n'écoute.
L'escalier se finissait sur une lourde porte en bois.
Didé mit en joue son arbalète. Ses traits tenaient plus du tronc de platane qu'autre chose. Il tira dans la porte.
Là encore, c'est un peu flou. Je me rappelle avoir vu Sig et Didé foncer en hurlant à travers les débris de la porte et la poussière que sa dislocation avait soulevé. J'avais sorti ma lame. Elle scintillait un peu.
Sig avait sous-estimé le nombre d'ennemis. Malgré que deux adeptes aient été cloués au mur opposé par le trait, il en restait toujours une dizaine. Didé en tenait quelques-uns à l'écart avec la baïonnette, et Sig en avait déjà découpé deux dans le sens de la largeur. Deux s'approchaient de moi, le cimeterre à la main pour l'un, le bâton de sorcier pour l'autre.
Je parais fébrilement un coup de taille, et un sort s'écrasa sur une barrière invisible à quelques centimètres de moi. Elena.
Je retirais ma dague du cœur du prêtre. J'avais déjà pris quelques coups de lame de part et d'autre, et une boule de feu m'avait atteint au bras. Elena essayait de me protéger du mieux possible, et à défaut de me soigner. Je voyais trouble, je titubais. Didé ployait sous les coups de cinq fanatiques. Sig reculait lui aussi. Le sorcier face à moi lançait un sort. Il fallait que je le pare.
L'avantage avec les mondes fantastiques, c'est que les chances sur un million ont toutes les chances de se réaliser.
Le sort toucha l'acier de plein fouet qui parut l'absorber. De petits éclairs bleus le parcoururent silencieusement pendant, mettons, deux secondes, juste pour tenir le spectateur en haleine. C'est assez difficile de ne pas plagier Harry Potter et Georges Lucas en matière d'effets spéciaux. Pour rester sobre, disons qu'une tempête d'âmes en furie déferla sur les prêtres, les réduisant à l'état de légumes. Puis la tempête s'arrêta.
Sig et Didé se relevèrent et se tournèrent vers moi. J'affichais ouvertement mon incompréhension. Renonçant à comprendre, nous achevâmes les blessés et emportions tout ce qui avait de la valeur. Dix minutes plus tard, nous étions prêts à repartir, le sac sur l'épaule. Elena nous interpella.
Nous nous éloignions malgré les protestations de notre soigneuse dans la nuit et le brouillard. Ma dague ne scintillait plus.
Chapitre 3
Ô Lecteur, vainqueur de la secte abominable de Nut et La, maître d'un sort de légende. Qui arrêtera ton irrésistible ascension ? |
Ma dague n'a jamais relancé de sort, mais j'ai trouvé mon utilité dans le groupe à partir du moment où j'ai su maîtriser le sort de découpe-en-deux-mais-tadaaam-l'assistante est intacte. Je ne faisais juste pas le recollage. Dans l'ensemble, Sig me méprisait toujours autant et Elena était toujours aussi chiante.
Un jour où je me rendais au Centaure qui Fume, j'ai remarqué une certaine agitation dans les rues. En arrivant, je vis le restaurant. Ou plutôt un énorme tas de gravats. Et Didé se tenait devant, à coté d'une orque à couettes bardée de piercings, et de tout un tas de mecs pas en uniforme.
Ils continuèrent un moment leur enquête, puis, ayant aperçu un jeune nain avec une casquette à l'envers et un survet' bleu ciel, ils décidèrent de lui courir après. Je restais seul solennellement avec Didé.
Les jours suivant furent consacrés au deuil. Puis après la mise en cailloux, on essaya de se consacrer à trouver du boulot. On avait déjà une certaine expérience du milieu, c'était déjà ça.
On enchaîna plusieurs boulots légaux mal payés comme garder des donjons, verbaliser les charretiers qui roulent trop vite ou encore faire des virées dans les quartiers populaires pour tuer des membres de minorités. À chaque fois que l'on se présentait pour une mission un peu plus importante, on nous répondait.
Puis un jour, un des grands ducs du royaume nous fit mander.
Tout ce qu'il nous avait filé, c'était une carte. Des diamants... Le trésor d'un royaume... Ça fait rêver comme ça, mais quand vous vous tapez trois semaines à cheval dans du sable pour arriver en plein milieu d'une jungle hostile, ça prend une autre allure. Bouloulou-bantou-bantou, la capitale, ne ressemblait à aucune ville. C'était la planète Bouloulou-bantou-bantou. On y trouvait des explorateurs fronzais tout pales au milieu de la population locale couleur ébène. Et globalement, c'était la guerre. Les partisans du vieux roi affrontaient les partisans du nouveau. On trouva par chance un indigène qui accepta de nous conduire jusqu'au palais parce qu'il avait de la famille retenue là-bas.
Le palais se trouvait dans la jungle. Aucun chemin praticable hormis une route bien gardée. On passa donc dans la jungle, ce qui permit d'essayer de manger un steak de crocodile (ça ne cuit pas, étrange non ?). Après trois jour de marche, le palais nous apparut. Un petit palais en pierre, bâti au milieu d'un marécage. La populace miséreuse qui travaillait autour ne donnait pas l'impression de vivre à proximité d'un trésor.
Sig nous fit le topo.
Et effectivement, après les 263 salles du donjon (qui avait l'air plus petit vu de l'extérieur), on tua le roi avec une stratégie du type courir tout autour de la salle en criant et en lançant des trucs et on obtint le super objet de quête Diamant de Bantou (Force +3, gargouillis de ventre -2, protection contre les aveugles). Il restait plus qu'à le ramener à Barys
Chapitre 4
Ô lecteur, tu as réussi des actes dignes des plus grands héros de l'histoire, tu es un peu l'égal d'Aragorn ou du mec qui te fait deviner sous quel pot de yaourt se trouve la boulette. Que mille vierges soient à tes pieds ! |
La joyeuse compagnie s'en retournait en Fronz chargée du butin du pillage du donjon du seigneur m'Ktoubouktoubou Bé. Sur le chemin, nos héros rencontrèrent un émissaire venu de Barys.
L'émissaire eut tout à coup l'air gêné.
Après avoir échangé les politesses d'usage avec l'envoyé, la troupe reprit son chemin.
À Barys, tout avait changé : Zarquo avait autorisé les quarante Kak, une guilde de mages noirs, à s'installer en ville contre une forte somme d'argent. Ils ont racheté tous les ateliers de la ville. Ils avaient payé leurs employés avec de l'or transmuté qui se changea en plomb le lendemain, puis, profitant de cette crise, rachetèrent tout le reste pour une bouchée de pain. Zarquo avait en outre attisé la haine entre les races, ce qui avait créé d'immenses émeutes qui avaient abouti à une répression sanglante.
J'essayais de ne pas regarder les familles de mendiants réduits à se battre pour les restes d'une poubelle.
Le palais royal, par contre, étincelait. Les gardes hésitèrent à laisser entrer Didé, mais nous fûmes introduits auprès du vizir.
Épilogue
Ô Lecteur, tel un saint homme tu as renoncé à la richesse et à la gloire, et tu t'es retiré loin des lumières de la ville. Tu es et tu seras à jamais une légende ! |
Le soleil est déjà haut dans le ciel : Ma dague magique grésille dans un coin de la ruine me servant de maison en déblatérant d'anciennes malédictions. J'émerge lentement, difficilement au beau milieu de fioles de potion et de carcasses de bêtes sauvages. Chaque mouvement pour sortir de ta couche est atroce, entre ma gueule de bois et les horribles craquements des planches sous mon poids. Au pied du lit, une bouteille d'hydromel s'est écoulée sur une vieille peau de troll élimée récupérée à la mort dudit troll.
Vêtu de ma cape rouge délavée et de mes cuissardes de cuir, j'ouvre la porte de ma mansarde. Un héraut gueulant dans la rue m'apprend que le seigneur des ténèbres a encore lancé un sort de peste noire sur une ville. Un mendiant ronfle dans un tonneau. Normal, la herse de la ville a été fracassée quand les barbares ont lancé un raid pour piller les stocks de nourriture hier. Il y en a même un qui a préféré s'empaler sur une lance plutôt que de retourner dans sa tribu les mains vides. Je mets un pied dehors. Pas de bol. Il pleut. Et je viens de marcher dans une merde.
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