Roux-garou
Se moquer des roux fait partie intégrante du cortège de loisirs ancestraux qui anime l’existence humaine depuis l’aurore de l’humanité. Le roux subit les taquineries les plus variées, allant de la négation de son humanité jusqu’au lynchage, en passant par une discrimination de bon aloi au sein des écoles, entreprises, salons de coiffure, etc. La loi française ne se trompe pas : en condamnant les atteintes faites aux minorités visibles (Noirs, Juifs, Arabes), elle écarte insidieusement la rousseur des critères de discrimination négative, permettant ainsi de maintenir une cohésion sociale dans la moquerie. Le conflit israëlo-palestinien doit logiquement se conclure par une attaque conjointe des chars juifs et des terroristes barbus contre le pays des roux – l’Irlande – en rapprochant les peuples méditerranéens auprès de ce qui les dérange.
Il est cependant une maladie étrange et surmédiatisée, qui touche de plus en plus des personnes issues de milieux divers, sans attaches avec le monde des roux. Cette tare, connue sous le nom de rousseur-garou, qui attaque sournoisement l’intégrité capillaire des malchanceux, est aussi perfide que peut l’être par exemple François Bayrou.
Apparition du mal
Comme chaque jour, Jean-Yves se rend à son travail en prenant les transports en commun. Comme chaque jour, il s’offre un sandwich aux pruneaux, gage de son intérêt pour la préservation de sa flore intestinale. Comme vous et moi, Jean-Yves est normal : il n’est pas homosexuel. Il prend soin de son corps et il fait du sport. Sa femme Sylvie est non-fumeuse, tout comme lui. Leurs enfants, Pierre et Paul, font du cheval. Jean-Yves a les moyens de payer les cours d’équitation : il est téléconseiller.
Dans la rame de métro qui le conduit du point A au point B, Jean-Yves, qui s'appuie sur la barre, perçoit un malaise parmi les voyageurs. A-t-il fait des miettes avec son sandwich ? At-il oublié un poil en se rasant ? Sa braguette est-elle ouverte ? Si oui, est-ce que sa grosse bite est sortie sans qu’il s’en aperçoive ? Et si oui, est-ce que sa grosse bite en érection pointe le bout de son gland vers les voyageurs, comme un toutou qui quémanderait un su-sucre ?
La dame âgée s’éloigne de lui en se pinçant le nez. Le monsieur qui fait la mendicité ne s’approche même pas de lui pour quémander des pièces. Ce n’est pas que Jean-Yves ait l’habitude de donner, loin de là, mais quand même. Si même les sous-hommes se mettent à l’éviter… A Réaumur-Sébastopol, le contrôleur entre dans le wagon, puis ressort immédiatement, en criant à l’adresse de son collègue resté à quai : « Rentre pas là-dedans, ça pue ! »
L’angoisse saisit Jean-Yves, comme une envie de faire caca – envie qui le saisit aussi, car Jean-Yves mange des pruneaux avec constance dans la vie de tous les jours. Il sort du métro et pénètre dans les toilettes publiques les plus proches, pour se passer de l’eau sur le visage – et aussi faire caca. Le reflet que lui renvoie le miroir des toilettes ne le ménage pas : en quelques minutes, Jean-Yves est devenu roux.
Les hurlements qui viennent des toilettes publiques attirent les badauds, qui fuient écoeurés lorsque Jean-Yves paraît. « Aaah beurk maman ! Caca !» dit un petit ange blond à sa génitrice devant le triste spectacle de l’homme aux cheveux rouges.
« Ecoutez-moi ! » supplie Jean-Yves devant la foule de passants au mieux distants, au pire écœurés. « Je ne suis pas un animal, je suis un être humain ! » Mais les gens passent en accélérant le pas. Craignent-ils que la rousseur les contamine ?
Plus tard dans la journée, Jean-Yves perdra son emploi. Bien sûr, sa rousseur ne sera pas mise en cause. Jean-Yves sera licencié officiellement pour faute lourde avec intention de nuire à l’entreprise – gaspillage d’agrafes. Sa femme ne le reconnait pas lorsqu’il rentre à sa maison. Fait-elle semblant de ne pas le reconnaître ? Jean-Yves est mis dehors comme un chien. Plus tard, Sylvie refera sa vie avec un ventriloque pygmée obèse, ce qui achèvera de ruiner la santé mentale de Jean-Yves, devenu alcoolo puant à la gare du Nord. Mais pas devant la gare du Nord avec les autres sans-abris, non non, à côté, il est relégué dans le coin où ils vont pour pisser – car même les sans-abris schizophrènes ont banni Jean-Yves, ce sale rouquemoutte qui pue.
Points de vue scientifique
La rousseur-garou, soit l’apparition spontanée irréversible de la rousseur chez un individu lambda, fait l’objet d’études médicales controversées. Les scientifiques qui se penchent sur ce mal craignent que l’opprobre des roux rejaillisse sur leur prestige. Pire, ils craignent qu’en fréquentant des roux, ceux-ci leurs donnent des poux.
« Il n’y a aucune raison d’avoir peur » fait remarquer le docteur Schlomo de l’Institut Pasteur de Lourdes. «Jusqu’à présent, la rousseur-garou n’a pas montré de signes de contagion. Bien entendu, la compagnie des roux n’est pas à proprement parler des plus agréables en raison de leur forte odeur et de leur manque d’hygiène. Mais je reste convaincu que l’apparition de la maladie est d’ordre génétique. Pour moi, il n’y a pas de roux-garous. Il n’y a que des roux en sommeil, dont la capillarité finit irrémédiablement par prendre le dessus un jour ou l’autre. »
« Vous voulez dire que pendant toutes ces années j’ai sucé la bite d’un roux ??? » fait remarquer Sylvie. « Oui tout à fait » répond le docteur Schlomo pendant que Sylvie va dégueuler.
« C’est n’importe quoi ! » objecte le professeur Bantomi de l’université de Stuttgart. Le professeur, qui réfute la théorie de la rousseur endormie défendue par le docteur Schlomo, a ses conclusions bien à lui sur l’apparition de la maladie. « C’est n’importe quoi ! Tout ce qu’il dit c’est n’importe quoi ! » Lorsqu’on lui demande de détailler sa théorie, le professeur n’a de cesse d’asséner avec véhémence les mêmes arguments. « Absurde ! C’est n’importe quoi ! »
Le marabout Cissé N’Diolo M’Ba de la prestigieuse faculté de Cambridge, défend une thèse des plus intéressantes. Selon lui, les roux ne seraient que l’une des prmières manifestations de l’apocalypse et de la venue de l’Antéchrist. « Le Deutéronome. » avance-t-il « C’est dans le Deutéronome : alors les cheveux deviendront rouges, rouges comme les poils qu’il y a sur les carottes. Puis les joues se couvriront de taches de rousseur, et vu du ciel, la Terre ressemblera à un immense champ de citrouilles. Alors j’enverrai mes anges de la mort, traquer dans la nuit les païens, les mécréants, les mangeurs de cochon et les mauvais payeurs. » Malheureusement pour nous, le marabout reproduit ici cette citation sans citer l’emplacement précis du texte dans la Bible, ce qui la range une fois de plus au milieu des hypothèses farfelues.
Plus sérieuse, l’action du scientologue Jin Nakamura du centre de méditation Pierre Arditi de San Francisco permet d’envisager un espoir pour les malades par le traitement de l’affection. « Il faut arrêter de voir les roux comme une menace. Ce sont avant tout des victimes, les victimes innocentes de leur répugnante pigmentation. Ce qu’il faudrait, c’est s’arranger pour que les roux arrêtent d’être dégoutants. Pour cela, on peut envisager de raser le crâne de ceux qui s’obstinent à ne pas se teindre les cheveux, et d’appliquer de l’eau oxygénée contre leurs taches de rousseur. Pour les roux les plus marqués, qui arborent les dents du bonheur, il faudra leur casser la dentition à coups de marteau et leur mettre des dentiers. Il faudra bien évidemment se débarrasser de tous les symboles d’espoir qui furent inventés pour laisser croire aux roux que leur statut était enviable, des symboles qui n’ont jamais trompé que quelques insouciants : Guy Roux, Rupert Grint, Fifi Brindacier, Super Carotte ou encore la marque de téléphones mobiles Orange. »
Roux-garou au cinéma
L’apparition dans les années 50 de la tristement célèbre maladie occasionne une révolution artistique sans précédent, comparable avec les années 80 et la découverte du gène de l’indigence scénaristique, qui engendra les célèbres films Philadelphia – dans lequel un sympathique avocat meurt terrassé par une avalanche de bons sentiments et de clichés, ou encore Les Nuits Fauves, premier film d’un toxicomane sans talent au QI de 61, prônant l’irresponsabilité et une manière de vivre à cent à l’heure, comme dans les spots de pub pour le soda gazéifié ou les eaux de toilette du type Hugo Boss ou Givenchy.
I Was A Teenage Wereginger, astucieusement traduit en français par : Moi, le roux-garou, est un film d’horreur avec Michael Landon, qui lança la carrière de l’acteur en traduisant les affres de l’adolescence au cinéma. Dans l’histoire d’un jeune garçon qui découvre sa rousseur-garou, le film raconte en filigrane l’évolution des individus vers l’âge adulte et les difficultés qu’ils rencontrent, lorsque tentés par le communisme révolutionnaire, ils prennent leur carte au parti radical de gauche. Le film se conclut sur un audacieux clin d’œil à la révolution orange, qui aura lieu des dizaines d’années plus tard, en Ukraine.
Le Jour du Vin et des Roux, du célèbre Blake Edwards, est une fable dramatique sur l’incommunicabilité entre les êtres et les roux. Stuart, qui est cadre à General Electrics, rencontre Mary, secrétaire de mairie. Ensemble, ils forment un couple heureux, peu à peu désintégré par l’immersion de la rousseur-garou dans leur union. C’est d’abord Stuart qui découvre les premières taches de rousseur sur les joues de Mary à la faveur d’une scène de baiser troublante, puis peu à peu les cheveux de Mary deviennent rouges. Or, ce film étant en noir et blanc, la transcription de la rousseur s’avère un exercice très difficile pour le réalisateur, qui agence de subtiles métaphores dans les dialogues pour évoquer la transformation :
La fin du film verra le couple disloqué, Stuart laissant Mary affronter une rousseur qu’il n’a plus la force de supporter, ce qui nous montre que les mecs c’est bien tous des connards sans exception.
Roux-garou : un espoir ?
Dans le monde d’aujourd’hui, si la rousseur-garou est encore très mal perçue par l’entourage de la victime, il existe des cas particuliers de roux-garous qui ont su se faire accepter dans la société. Thierry Ripolin, chef d’entreprise roux-garou, est l’exemple même de la réussite à l’américaine (mais en Normandie). « J’ai monté ma boîte à Rouen, car j’aime les Rouennais. Je pensais que les Rouennais m’aimeraient. J’ai tout misé sur la confection de poupées vaudou, je me suis dit : mon vieux Thierry, les poupées vaudou c’est de la bombe de balle. On était dans les années 90 et à l’époque on avait encore le droit d’employer l’expression bombe de balle. Ce fut un échec. Cuisant. Personne n’acheta mes poupées vaudou que je vendais à la criée sur la place du marché. Le pire se produisit lorsque mes cheveux devinrent oranges. J’avais l’impression d’être pestiféré. Ma femme Claudine m’a quitté, cette salope. Je touchais le fond, lorsque j’eus une idée de génie – sans me vanter. J’estampillais mes poupées vaudou roux-friendly, ce qui m’amena immédiatement une clientèle de roux avide de reconnaissance et d’originalité. Bientôt j’usais de ce label roux-friendly pour tous les objets usuels qui constituent la vie d’un roux : désodorisant, chapeaux, tondeuses à cheveux, peigne anti-poux… Le succès ne cesse de coller à mes basques. J’ai même rencontré ma femme, Heather, qui est rousse naturelle et avec qui on se complète. J’espère que vous allez mettre une photo de nous deux dans votre article, au cas où Claudine le lise, comme ça elle sera dégoutée et jalouse, cette salope. »
L’exemple de Thierry est révélateur. Dans cette société sans pitié, où il y a plein de préjugés, seuls l’argent et la réussite sexuelle permettent de s’en sortir, et ce, quelle que soit sa race (roux, Antillais, cultivateur, Allemand).
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