La Saga de la Dé/Épisode 5 : L'évasion de l'impossible
Raoul – car il faut bien appeler les Frank par leur nom - ne se rendit pas tout de suite compte que la tête de sa toute nouvelle sœur Amandine venait d’éclater comme une pastèque trop mûre tombant du sommet d’un pastèquier. Ce n’est qu’au bout d’une dizaine de mètres, quand le corps malencontreusement décapité par le coup de fusil de Guillaume Poucassère s’effondra dans l’étier bordant le chemin de la Pustule qu’il s’interrogea.
Mais devant le mutisme aussi troublant que rare d’Amandine, il ne put que se rendre à l’évidence et aux toilettes pour gerber sa race devant le corps affreusement mutilé. Amandine était morte. Gravement.
Il lui fallu quelques minutes pour reprendre ses esprits et faire le point sur la situation. Il ne s’appelait donc pas Frank Slater mais Raoul Danglin (voir épisode 1). Le cadavre de sa sœur Amandine trainait à ses pieds affalé dans une tourbière nauséabonde du Mordor (voir épisode en cours), son autre sœur, sa jumelle Clytemnestre, venait d’être enlevée par ladite Amandine mais seule cette dernière savait où elle se trouvait (voir épisode précédent[1]), ce qui laissait peu d’espoirs quant à la possibilité de la retrouver. Son frère, Clovis, lui vouait une haine farouche et injuste car il n’avait pas pris le temps de le connaître mieux, et avait au contraire tenté de l’assommer et de le noyer dans la Saumâtre (ça aussi c'est dans l'épisode 1). Sa mère Giselle avait disparu à sa naissance (ça s'était il y a longtemps mais on en parle dans les épisodes 1 et 2). Et il avait un contrôle fiscal au cul (voir Code des Impôts, Art. 5562B). Ses espoirs reposaient donc désormais sur son père Anselme (voir épisode suivant, juste pour foutre l'auteur dans la merde) mais il ne comptait pas trop là-dessus et surtout sur son autre frère, Gérard. Oui, lui seul pourrait l’aider. Mais comment le trouver (voir carte Michelin N°351 "Fangeville et alentours").
Le lendemain, au pénitencier central de Fangeville
Godefroy Pourquet ne comprenait toujours pas ce qui lui arrivait. Partagé entre la joie d’avoir pu mettre la main sur un exemplaire du N°1246 de Stan le Barbare qui manquait cruellement à sa collection et l’angoisse de finir sur la guillotine pour le restant de ses jours, il ne savait que penser. Pour le moment il devait tenter de comprendre comment le corps adulte de Grégory Ronchin avait pu être retrouvé au bord de la Saumâtre 30 ans après sa disparition alors qu’il n’était qu’un enfant à l’époque. Qui l’avait tué et surtout, pourquoi l’accusait-on lui ? Mais alors qu’il était perdu dans ses pensées, une succession de chocs métalliques lui indiqua que quelqu’un était en train d’ouvrir la porte de son cachot. C’était le gardien.
De la visite ? À cette heure ? Godefroy se leva et suivit le maton le long des couloirs jusqu’au parloir du pénitencier pendant près de 4 mètres. Lorsqu’il entra dans la pièce réservée, il s’arrêta tout net comme un chien devant un jarret de veau. Devant lui se tenait la dernière personne au monde qu’il pensait venir le voir en prison, Gérard Danglin, l’ainé de la fratrie de la famille de ses pires ennemis.
Godefroy savait qu’il était innocent et bien trop pacifique ne serait-ce que pour étrangler une vieille dame. Sa mère Josiane avait pourtant essayé de l’initier à ce rite de passage mais il n’avait pas pu aller jusqu’au bout. Pourtant s’il voulait découvrir la vérité, il fallait qu’il s’échappe de sa geôle et Gérard Danglin était sa meilleure chance.
Le soir même, Godefroy put mettre en place un stratagème diabolique pour s’évader. Il trouva la dalle sur laquelle était gravée l’inscription kabbalistique "sortie secrète pour s’évader" dont il s'était toujours demandé à quoi elle pouvait bien servir. Il la souleva et entra dans le conduit sans oublier de replacer la dalle de façon à augmenter la perplexité de ses geôliers quand ils découvriraient la cellule vide. Il n’omit pas d’emporter avec lui le N°1246 de Stan le Barbare que le directeur du pénitencier avait daigné lui rendre.
Godefroy rampa pendant des heures dans un véritable labyrinthe de tuyaux. À un moment donné il se demanda s’il n’avait pas oublié de baisser le couvercle des toilettes de sa geôle et songea à faire demi-tour. Mais il n’était pas certain de retrouver le chemin donc il continua. Il pourrait toujours s’excuser par courrier plus tard auprès de l’administration pénitentiaire.
Enfin au petit matin, Godefroy aperçut une lueur au bout de son tuyau. Il accéléra le rythme et, arrivé au bord, se laissa tomber dans le vide. Après une chute impressionnante de 85 centimètres, il s’affala dans la Saumâtre, la rivière à macrouilles de Fangeville. « Enfin libre », hurla-t-il in petto.
Mais le chemin de la vérité serait encore semé de bien des embûches et c’est en serrant contre son cœur le N°1246 de Stan le Barbare que Godefroy commença à pleurer comme un enfant à la pensée rétrospective de toutes ses aventures. C’était un homme d’une grande sensibilité, toujours aimable et prêt à rendre service, jamais un mot plus haut que l’autre et en permanence attentif aux besoins d’autrui. Et désormais il avait un but : trouver et assassiner le fameux Raoul Danglin pour payer sa dette d’honneur à Gérard. On était comme ça, chez les Pourquet.
Une rencontre fortuite
Raoul Danglin mit plusieurs heures à retrouver son chemin vers Fangeville. Fatigué, maculé de boue, de sueur et du sang de sa sœur Amandine, il ne savait que faire. S'il allait voir la police maintenant, personne ne croirait à son histoire. À tous les coups il serait accusé du meurtre d'Amandine et on l'expédierait croupir pour le restant de ses jours en prison sans autre forme de procès que son procès. Bien sûr la solution de facilité serait de rentrer dare-dare aux États-Unis, reprendre sa place dans le foyer des Slater et faire comme si de rien n'était mais il ne s'appellerait plus Frank Slater s'il s'abandonnait ainsi à la lâcheté. D'un autre côté il était établi qu'il ne s'appelait précisément pas Frank Slater mais Raoul Danglin donc à la limite ça pourrait passer.
Mais non. Il devait savoir la vérité.
Il était impossible que sa sœur ait agi seule. Comment aurait-elle pu en seulement 30 ans kidnapper et trucider autant d'enfants sans avoir au moins un complice ? Oui... Plus il y pensait et plus c'était évident. Ce complice ayant vu qu'Amandine venait de lui avouer la vérité, il avait préféré la tuer dans la force de l'âge et à la tête avant qu'elle ne le dénonce. Un complice qui était aujourd'hui certainement sur ses traces à lui et qui ne lui ferait pas de cadeau.
Pendant ce temps Godefroy Pourquet, tout juste évadé du pénitencier, se laissait sécher à la lune à lisant et relisant inlassablement le N°1246 de Stan le Barbare qu'il pensait ne jamais revoir. Et plus il le lisait, plus il se posait de questions. L'histoire principale racontée dans cet exemplaire le laissait songeur. Elle parlait d'un enfant mystérieusement disparu dans le village de Mudtown et de l'enquête menée par Stan le Barbare pour retrouver le coupable. L'histoire décrivait aussi les mœurs étranges de deux familles rivales qui semblaient s'affronter de façon violente et permanente. Hélas, il ne se souvenait pas de la suite qui était racontée dans les numéros suivants du magazine. Mais qu'à cela ne tienne ; il pourrait rentrer discrètement chez lui et les récupérer pour en savoir plus. Son évasion ne devait pas encore être connue et il y avait peu de chances que la police gardât son domicile.
Arrivé près de sa maison familiale, il s'approcha discrètement de la fenêtre de sa chambre commodément située au rez-de-chaussée. C'est de cette fenêtre qu'il avait entendu jadis la conversation entre Grégory Ronchin et son ravisseur. Marchant sur la pointe des pieds, il ramassa une grosse pierre qui trainait par là et la projeta de toutes ses forces à travers la vitre. Cette dernière répondit par un GZZZZZZZZZZZZZZZING assourdissant. Il est vrai qu'elle ne venait pas de s'évader et n'avait donc aucun intérêt à rester la plus silencieuse possible.
Heureusement, malgré l'heure tardive, personne ne sembla prêter attention à tout ce vacarme. Godefroy se glissa dans sa chambre et se dirigea vers sa cachette secrète contenant les 2851 exemplaires de Stan le Barbare, une grosse armoire bretonne hors d'âge. Ouvrant la porte, il ne put réprimer un "Oh" de surprise :
Tout avait disparu. Sa collection. La seule chose qui lui donnait encore le goût de vivre. Il ne restait plus rien. Pas même le slip en fourrure plastifiée offert sous blister avec le numéro 2000. Devant tant d'acharnement du destin, Godefroy n'eut plus qu'un seul recours : s'effondrer dans son lit et pleurer. Il resta ainsi des heures, prostré, à se lamenter sur son sort alors que pendant ce temps des enfants meurent de faim partout dans le monde. Puis sur le coup de 5h23 du matin, il se rappela sa promesse faite à Gérard Danglin. Il ne sera pas dit qu'il quitterait ce monde sans s'être acquitté de sa dette. Il devait trouver et détruire Raoul Danglin. En plus ça lui calmerait les nerfs car là, il avait vraiment les boules. Sans compter que dans tous les épisodes précédents on écrivait son nom "Godefroid" et que maintenant c'était "Godefroy". C'était vraiment pas son jour.
Une rencontre fortuite (en fait c'est maintenant)
En sortant de sa chambre par où il était entré quelques heures auparavant, Godefroy alias Godefroid se dit que le vent de la chance avait peut-être enfin tourné dans sa direction. Aux premières lueurs de l'aube naissant de l'aurore matinale dans un halo de rayons solaires en provenant de l'horizon oriental, il aperçut à quelques centaines de mètres la silhouette hagarde d'un homme qu'il ne reconnaissait pas. Or il connaissait tout le monde à Fangeville. Par déduction, ce ne pouvait donc être que Raoul Danglin car la saison touristique ne battait son plein que à Fangeville que le 13 septembre, date de la Sainte-Ursuline, patronne des sabotiers et des pêcheurs de macrouille.
Encore empreint de la colère liée à la perte de sa collection de Stan le Barbare, il courut vers sa proie en hurlant de toutes ses cordes vocales :
On ne saura jamais comment Raoul Danglin - car c'était bien lui - eut vent de la menace, mais en entendant ce cri déchirant le matin, il se retourna avec sveltesse[2] et fit face à son adversaire. Surpris par la vivacité de son ennemi, ainsi que par sa masse musculaire légèrement sous-estimée en raison de la distance qui les séparait au départ, Godefroy s'arrêta net dans sa course.
Après les épreuves qu'il avait vécues, cette menace ridicule semblait à Raoul Danglin un simple camouflet. Il partit d'un rire gras et, toisant Godefroy qui n'en menait pas large, lui tint à peu près ce langage :
Et Godefroy de raconter ses découvertes concernant les ressemblances troublantes entre les évènements de Fangeville et les aventures de Stan le Barbare. Les deux hommes parlèrent pendant plusieurs heures. La haine et la vengeance, ingrédients permanents des relations entre les Danglin et les Pourquet semblaient pour quelques instants évanouis dans un tourbillon d'amitié et de confiance. À la fin, Raoul prit la parole.
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