La Saga de la Dé/Épisode 2 : Disparue dans la Grouillette
Le soleil se lève sur Les Latrines. Un beau soleil, comme on n’en voit pas souvent. Un soleil chargé de mort…
Pour Guillaume Poucassère, c’est un jour comme les autres, un jour de labeur. Cet agriculteur, qui vaque à ses occupations quotidiennes (traire une vache, faire des choses en relation avec l’agriculture, etc), ne sait pas que le destin lui réserve un tour bien funeste…
Car au pays de la malédiction, un mystérieux secret guette Guillaume… et aujourd’hui, avant la fin de la journée, sa fille sera
La Famille de Guillaume
Pour Guillaume Poucassère, c’est un jour comme les autres. La vie se résume à peu de choses, c’est un homme simple qui aime travailler. Il aime traire sa vache et labourer son champ de blé, comme tous les agriculteurs. Ce n’est pas le genre d’homme à qui l’on joue des tours. C’est un brave paysan.
Aujourd’hui, comme tous les jours, Guillaume s’est levé sans embrasser sa femme avant d’aller labourer son champ, parce que, comme il dit, « elle pique ». Cela fait bien rire les amis de Guillaume, au café des Latrines, Le Petit coin des copains, même si ça fâche un peu la Sandrine.
La Sandrine, quel sacré bout de femme… Un gros bout, certes, mais un cœur gros comme ça, toujours prête à rendre service, malgré son odeur d’agricultrice. Elle et Guillaume se sont rencontrés au bal populaire des Latrines, et ont eu le coup de foudre en se voyant, car comme le dit Guillaume « y’avait point d’aut’ femelles eud’toute manière ». Le mariage eût lieu dix jours plus tard, Guillaume étant âgé de dix-neuf ans, et Sandrine de quatorze. Ce beau coup de foudre donna naissance à deux enfants, qu’ils appelèrent originalement Matteo et Léa.
Le couple vécut heureux un petit moment, avec Guillaume qui travaillait toute la journée, à traire une vache et labourer son champ, et Sandrine qui élevait les enfants, et qui accessoirement grossissait comme une truie en mangeant toute la journée, mais qui peut blâmer une femme de paysan de s’ennuyer un peu ? La famille était heureuse. Comment se douter qu’une tragédie allait se produire, et que les Poucassère allaient perdre leur fils ?
Lorsqu’il eût 16 ans, en effet, le jeune homme décida de ne pas suivre la voie tracée par son père, la voie de l’agriculture, et déchira le cœur de Guillaume. « Quoi bon Dieu de bon Dieu ??? » s’exclama celui-ci. « J’avions tout ben prévu ! Tu reprends la ferme, tu t’maries avec une bonne femme, et comme ça ta mère et moué on peut faire nos vieux jours ici sans se faire eud’souci ! C’est quoi l’probème ??? »
« Je veux faire des études, père. » répondit Guillaume. Et c’était vrai. Le jeune homme s’était inscrit depuis longtemps et secrètement à un cours de pizza par correspondance, en plus des cours d’agriculture qu’il suivait au lycée de Fangeville, et c’est ainsi qu’il quitta sa famille et Les Latrines, pour poursuivre sa formation de pizzaiolo.
« J’n’ai point de fils ! » répond désormais Guillaume à l’impétrant qui ose lui demander des nouvelles de Matteo. On raconte qu’après avoir quitté sa famille, Matteo n’est en réalité pas devenu pizzaiolo, mais qu’il a bien mal tourné, et a embrassé la carrière de vendeur de chichis au chocolat saisonnier sur la plage de St Georges de Didoune. Une honte pour Guillaume, un homme qui travaille en trayant une vache et en labourant.
Heureusement pour les Poucassère, la petite Léa n’était pas faite du même bois de gredin que Matteo. Elle était travailleuse, et brave, et pas fière avec ça en plus, alors qu’il y en a d’autres qui feraient les farauds, je parle bien sûr des garçons, ha ha, toujours prompts à faire les fanfarons, mais rien dans la caboche, pour sûr. Pas la petite Léa.
Au village, on la revoit encore, à six ans, en train de ramener à la ferme les vingts stères de bois qu’elle a achetées au père Gorillot, en les portant sur ses frêles épaules… Et sans souffler ou faire la maligne ! Une brave petite, qui aide son papa à labourer le champ en tirant elle-même la moissonneuse-batteuse avec une ficelle, à la force de ses bras, pour économiser de l’essence. A même pas huit ans.
Une sacrée gamine, qui à dix ans, n’hésite pas à saigner elle-même le cochon pour en faire du boudin, en l’égorgeant avec son couteau de boucher qu’elle a eu pour sa première communion. Un cochon avec lequel elle avait grandi, en plus, quel courage.
Tout le monde l’aime, cette chouette gosse, même son père, Guillaume, qui pourtant, comme tous les agriculteurs, n’aime pas beaucoup les gens. Au village, que ce soit le curé, le rebouteux, ou le vieux pervers, tout le monde aime la petite Léa.
Une rude journée attend Les Latrines. Une journée ou Léa sera
A la ferme
Guillaume trait sa vache, la Blanquette, pendant que Sandrine fait le ménage en mangeant du pâté. C’est une journée comme les autres à la ferme de la Pouillue, une journée qui commence avec le lever de soleil, et qui se finira au crépuscule.
La petite Léa, dix ans, joue à entasser du fumier. Parfois, elle vient voir son père pour lui chanter les belles chansons que le curé lui apprend au catéchisme du dimanche. Les chants de cette enfant résonnent dans la Pouillue tandis que sa petite voix fluette berce les oiseaux :
Jésus Jésus, quand donc reviendras-tu, Jésus Jésus, toi qui est mon poêle au cœur, la Vierge Marie, qu’a accouché dans la grange, par le Saint-Esprit qui lui a mis sa graine, tralali lali lalère
Et pendant que Sandrine continue insouciamment son ménage, et que Guillaume trait sa vache, ce sont ces « tralali lali lalère » enfantins qui égrènent leur journée, comme une comptine d’enfant sage qui joue à chanter des comptines.
Au loin, on peut voir des hélicoptères de la gendarmerie au-dessus de Fangeville. Pour sûr, il s’est passé quelque chose à la ville, quelque chose qui concerne une fois de plus les Danglin et les Pourquet. Guillaume n’aime pas trop ces gens-là, ce sont « de vielles bêtes machantes ». Guillaume est un brave homme. On entend la voix de Léa…
Jésus Jésus, je collectionne tous tes points, dans les paquets de gâteaux, je découpe tous tes coupons, pour avoir droit à la résurrection, et au paradis, tralali lali lalère…
Guillaume sourit en entendant la voix de sa fille, si sage.
Tralali lali lalère… Sandrine continue son ménage. Ce n’est pas facile de faire les carreaux avec un vieux bout de torchon, mais les paysans n’ont pas loisir de faire les mariolles en achetant du matériel de ménage à la grande ville, comme les riches. Ils n’ont pas la fortune à Rotschild.
Tralali lali lalère…
Soudain le téléphone sonne. Sandrine décroche. C’est une voix inquiétante, une voix de corbeau, une voix méchante et qui veut du mal.
La Sandrine tend l’oreille. Elle n’entend rien, rien d’autre que le silence. Un inquiétant silence dans lequel ne résonnent point les chants de sa petite Léa.
Sandrine raccroche, elle a les carreaux à faire, et en plus elle déteste les gens qui lui téléphonent pour lui vendre des choses. C’est vrai, quoi, on a pas les sous qu’on voudrait alors c’est pas la peine de venir nous tenter avec leurs machins.
La malheureuse Sandrine est très loin de se douter que cet appel cachait le début d’un terrible drame. Parce que désormais, sa fille est
Une visite chez le père Gorillot
Le crépuscule de la journée commence à poindre, et le père Gorillot, soixante-quinze ans, termine sa journée de travail comme tous les jours, en se récompensant par un petit verre de 40 cl de goutte à 80 %. La vie n’est pas facile pour les braves paysans des Latrines, et il faut bien savoir décompresser après une journée dans le stress des champs.
André Gorillot n’a pas toujours été un paysan, cela dit. Il a fait la guerre. Il a vu des choses. Des choses qui hantent ses pires cauchemars, et qui le font passer pour un illuminé parfois, aux yeux des gens du village. Il est revenu de la guerre avec la mort plein la tête, et des histoires que personne n’a envie d’écouter. Des massacres si horribles, que personne ne veut le croire. Des enfants tués. Des villages rasés. Des hommes torturés par de bons pères de familles. Des crimes de guerre. Des monstres et des dinosaures – et c’est en général quand il commence sur ce sujet et poursuit sur les extra-terrestres et la femme nue qui a apparu dans son champ pour faire l’amour avec lui que les gens n’ont plus envie d’écouter.
Il s’assoit sur sa chaise, face à la rue, devant sa petite ferme, comme il le fait tous les soirs, qu’il pleuve ou qu’il neige, et se verse une rasade d’alcool fort, comme le font tous les paysans dès qu’ils le peuvent. Le père Gorillot est un brave homme, même si tout le monde se moque de lui, et sa ferme, le lieu-dit « le Pissoir », est située juste en face de la Pouillue. De là où il est, le père peut voir Guillaume qui trait sa vache dans la cour.
Mais quelque chose tourmente le père. Il voit bien Guillaume et la Blanquette, et il se doute que la Sandrine est dans la maison, probablement à faire son ménage, mais nulle trace de la petite Léa. Est-elle au village ? Est-elle morte ? S’est-elle fait violer ? A-t-elle des petits seins qui poussent, déjà, à dix ans ? Ce sont les questions qui tarabustent le père Gorillot, au moment où une mystérieuse femme qui ressemble étrangement à Giselle Danglin arrête sa voiture devant sa maison. La femme est accompagnée d’une petite fille qui ressemble fort à Léa, mais le père Gorillot met ça sur le compte du hasard. La femme, ténébreuse, s’approche du père.
La mystérieuse femme écume de rage et retourne dans sa voiture. Elle écrit son histoire sur un morceau de papier et le donne au père Gorillot.
Le père Gorillot apprend le papier par cœur puis le déchire, par crainte de se faire enlever la bite, pendant que la mystérieuse femme repart en voiture avec la fille qui ressemble à Léa.
Panique à la Pouillue
La nuit commence à poindre son bec malfaisant sur la Pouillue, et Guillaume comprend que quelque chose ne tourne pas rond quand sa fille ne revient pas après être partie jouer il y a huit heures. La Grouillette, petite forêt qui jouxte sa ferme, lui semble soudain inquiétante. La petite Léa a-t-elle
Guillaume appelle sa femme, la Sandrine. Se souvient-elle de quelque chose ? Non rien. Il devient comme fou, et cherche dans tous les endroits où sa fille pourrait être : dans le placard, sous le lit, dans sa poche…
En désespoir de cause, il se rend chez son voisin, le père Gorillot. Même si c’est un vieux fou, on raconte qu’il sait des choses, et bien souvent, ses paroles énigmatiques résonnent avec la justesse d’une vérité enfouie. Essoufflé par la recherche, il l’interpelle avec le désespoir d’un père à qui l’on a enlevé son enfant.
Le père Gorillot ne semble pas surpris. Il est ivre, comme à son habitude.
André Gorillot se ressaisit. Il se rappelle bien d’avoir appris quelque chose, mais il ne sait plus quoi. Il fouille dans sa mémoire, à la recherche d’un indice crucial, et soudain le souvenir de Giselle Danglin refait surface, au milieu d’obscures pensées opaques.
La Battue
La nuit tombée, il faut bien se rendre à l’évidence : la petite Léa a
La gendarmerie de Fangeville se rend aux Latrines. Les habitants commencent la battue, avec les gendarmes qui ont ramené les chiens à cette occasion. Leur flair est précieux, et puis aussi ça leur fait du bien qu’on les sorte pour qu’ils prennent le bon air. Malheureusement, il faut se rendre à l’évidence, Léa est disparue, et bien disparue.
Après une grosse demi-heure de battue acharnée, on abandonne les recherches. Guillaume décide de faire le deuil de sa fille. Quand à Sandrine, elle accepte la fatalité avec la noblesse d’une femme de raison.
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