Les chroniques de Moncert-sur-Pouillac/Saison 2 : un printemps que tout le monde n’oubliera pas

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Une absence de chaise (détail). A-t-elle été volée ? Et par qui ? Extra-terrestre, loup-garou ou fantôme de BHL ? Ou bien l'auteur de l'article a-t-il eu la flemme pour l'instant de trouver une illustration accrocheuse ? C'est ce que nous saurons en suivant cette 2e saison pleine de surprises, dans la mesure où son auteur n'a vraiment aucune idée de ce qui va se passer.

Depuis le 24-12-2013, le bdo accueille dans ses colonnes un extrait de la Gazette de Moncert, "hebdomadaire d'information locale". Afin que chacun puisse saisir les tenants et aboutissants des nouveaux faits relatés à la lumière des événements passés, nous compilons ici la totalité des extraits diffusés lors de la deuxième saison.

25-03-2014 : Aux frontières du Réel

Décidément, les gens racontent n'importe quoi. Mme Blédur remplacée par sa sœur jumelle disparue depuis trente ans ? C'est bien cette hypothèse farfelue qui a eu cours pendant plusieurs jours la semaine dernière chez un certain nombre d'esprits facilement impressionnables et prompts à tisser des théories fumeuses pour combler leur oisiveté. Heureusement, la Gazette a mené des investigations et résolu ce pseudo-mystère. Nous savons de source sûre et bien informée que Mme Blédur est sortie de chez elle mercredi pour chercher son pain quotidien. Arrivée à la boulangerie, elle a demandé son habituelle baguette "pas trop cuite cette fois-ci" et Mlle Michette, prenant son courage à deux mains, lui a exprimé sa satisfaction de la revoir et a osé lui demander pourquoi elle n'avait plus eu l'agrément de sa visite ces derniers jours. La réponse fut : "J'étais à Pécoisse pour me faire enlever le plâtre et régler quelques affaires qui ne vous regardent pas.". Mme Blédur est donc bien Mme Blédur et non pas sa sœur ni un zombie. Il faut accepter le Réel tel qu'il est, aussi plat peut-il paraître.

Il n'en reste pas moins que cette explication simple et naturelle laisse une zone d'ombre dans la dite affaire de la "Catastrophe du Totem", ou "Catastrophe de l'Église", dénomination qui dépend de l'importance qu'on accordait à ce qui a été détruit : qui était l'énergumène habillé en ninja et qui pilotait l'engin qui le treuillait ? Eh bien, la Gazette est aujourd'hui en mesure de lever un coin du voile sur cette ténébreuse affaire. Bien sûr, tout ce que nous allons vous révéler reste encore à vérifier au niveau de certains de ses détails mais je crois pouvoir dire que nous avons grandement progressé vers l'établissement de la Vérité. Jugez-en plutôt.

Après mûres réflexions, entretiens avec des experts scientifiques réputés, déductions logiques incontestables, il faut se rendre à l'évidence : c'est un engin extra-terrestre qui nous a rendu visite. Tout d'abord, ceci explique pourquoi l'engin volant ne nous était pas familier et pourquoi le corps de son occupant a disparu après l'impact. Quiconque a vu un épisode des Envahisseurs sait que dès qu'ils meurent, les extra-terrestres s'évaporent dans un halo vert pâle. Il reste à déterminer pourquoi ils sont venus chercher le Totem. Et c'est maintenant que nous pouvons oser certaines spéculations sur les inscriptions mystérieuses qu'il comporte et que nous avions imaginé écrites dans des langues anciennes inconnues. Il doit s'agir tout simplement d'une écriture extra-terrestre. Le totem est donc un artefact qui a été créé par nos visiteurs de l'Espace pendant la fête de la cocaille à partir des matériaux qu'ils ont trouvé sur place. Il nous reste donc à résoudre une énigme de taille : pourquoi sont-ils venus chez nous construire quelque chose pour venir le reprendre après ? Sachant qu'ils n'ont pas obtenu ce qu'ils voulaient, vont-ils revenir ? Et s'ils reviennent, seront-ils amicaux ou hostiles ? Les mutilations corporelles que nous avons constatées le lendemain de la dernière fête de la cocaille ne sont pas de bonne augure.

01-04-2014 : La chose

Un bébé qui n'a rien à voir sauf peut-être les mains et les jambes mais ça m'étonnerait.

La semaine dernière, j'avais prédit la possible arrivée d'extra-terrestres. J'ai peut-être eu raison car Raymonde Choubillac, hospitalisée à Pécoisse suite à des événements tragiques que nous avons déjà relatés dans ces colonnes, a accouché d'un prématuré. En réalité, personne ne sait réellement si le bébé est né avant terme mais c'est l'hypothèse diplomatique qui a été émise pour expliquer une partie de sa conformation, qui aurait fortement commotionné l'ensemble du personnel médical impliqué dans sa naissance. Pour l'instant, seul Auguste Choubillac, le futur époux, et actuel frère, cousin, etc de Raymonde, a pu se rendre à son chevet et voir l'enfant qu'il devra reconnaître s'il se marie avec sa soeur, cousine, etc. Mais d'après son témoignage, un peu confus tant il était bouleversé, le reconnaître comme un Choubillac devrait lui demander un certain effort d'imagination et d'abnégation. Et pourtant, un simple examen de leur arbre généalogique - quoi que dans le cas présent, les mathématiciens parleraient plutôt de graphe triangulé - suffit pour deviner les imperfections qu'ont dû assumer une partie non négligeable de leur lignée. De bien mauvaises langues, que nous ne cautionnons pas, ont même eu la méchanceté de prétendre que si les derniers rejetons des Choubillac sont encore viables, c'est très certainement grâce à des mutations génétiques causées par un abus de cocaille, dont la famille est aussi grosse productrice que consommatrice. La diversification génétique par mutation plutôt que par croisement ? Cette grossièreté ne vaut même pas la peine qu'on en parle.


Nos lecteurs se souviennent sans doute des déclarations de la malheureuse Raymonde à propos des relations que le Père Mathieu - paix à son âme - l'aurait forcé à avoir avec lui, et qui aurait été la cause de sa situation actuelle. Auguste eut tôt fait d'attribuer à notre défunt prêtre les caractéristiques étonnantes du fruit des entrailles de sa compromise. Eh bien figurez-vous que la discussion qu'il eut avec elle l'éclaira grandement sur ce point mais d'une manière totalement imprévue. En effet, il s'avèrerait que Raymonde ait quelques lacunes dans son éducation sexuelle relatives à la façon dont on engendre, vu que le Père Mathieu se serait contenté de commettre exactement le même acte sur elle que sur Gédéon. D'une certaine manière, ceci pourrait être à mettre à son crédit car il aurait ainsi pris garde à ne pas la mettre dans l'embarras. Néanmoins, cela pose à nouveau la question de l'identité du géniteur.

Passons une fois de plus rapidement sur une hypothèse émise par Mme Grinelle : la conception immaculée de l'Ante-Christ. Allons, Madame, peut-être est-il un peu tôt pour commencer à vouer un culte à l'inculte ? Non pas que cette possibilité soit à écarter d'emblée mais il aurait fallu d'abord être sûr que Raymonde ait conservé son hymen intact, avant que son accouchement ne provoque ses dégâts. Après tout, les Choubillac se ressemblent tous et on peut imaginer qu'une nuit l'un d'entre eux ait pris l'une pour l'autre. Ou bien, maintenant que nous sommes à peu près certains d'avoir eu des visiteurs d'une autre galaxie, peut-être a-t-elle été fécondée par l'un d'entre eux ? Cela expliquerait pourquoi ils sont venus chez nous : il n'y a que chez un Choubillac qu'ils auraient pu trouver un patrimoine génétique suffisamment proche du leur pour permettre une hybridation.

08-04-2014 : Le sparadrap du Capitaine Haddock

Nous devons commencer par rectifier les propos scandaleux qui ont été émis la semaine passée à propos du dernier né des Choubillac. Les Choubillac sont une famille très respectée, qui a su amasser une véritable fortune méritée grâce à l'exploitation de la cocaille. Sa largesse s'étend jusqu'à financer la presse indépendante locale, ce dont nous lui savons gré. C'est un stagiaire - que nous avons renvoyé depuis - qui a commis ces lignes répugnantes et indignes. Par ailleurs, j'étais un peu bourré donc je ne savais pas bien ce que je faisais. En outre, c'est vrai que des tentacules, ce n'est pas très courant pour un enfant, mais j'arrête là sinon je vais devoir renvoyer un autre stagiaire. Toujours est-il que leur bébé est très beau, même si c'est selon certains critères qui restent à définir. La perplexité attribuée à M. Auguste Choubillac n'a rien à voir avec une quelconque malformation mais avec son incapacité à déterminer le sexe de l'enfant. Oui, je ne suis pas sûr d'avoir très bien rattrapé le coup mais j'avoue être à cours d'idée pour rétablir la situation sans m'éloigner exagérément de la réalité qui finira tôt ou tard par être connue de tous. Pour en terminer avec les rectificatifs, nous devons faire un sort avec cette idée que les Choubillac se ressemblent tellement qu'on ne peut pas les distinguer. D'abord, ils n'ont pas tous le même âge. Ensuite, entre membres de la même génération, ils ont tous des prénoms différents. Bon, passons à un autre sujet car je crois que plus je m'étalerai sur la question, plus je vais m'étaler.

D'ailleurs, rien ne sert de continuer à parler de ce sujet, les habitants de Moncert verront bien ce qu'il en est quand Raymonde Choubillac rentrera chez elle avec son chérubin, officiellement dès que sa dépression post partum aura pris fin, donc d'ici 6 semaines pour les cas standards mais peut-être jusqu'à ce que son rejeton sache voler de ses propres ailes, et je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une image. Mazette, que m'arrive-t-il ? Oh, regardez, là, derrière vous, un sanglier ! Poisson d'avril ! Ha ha. Bon, où en étions-nous ? Il me semble que je parlais de la douceur du printemps qui est enfin revenu. La Nature qui se réveille, les arbres qui refleurissent et les cigognes qui sont de retour ! Ah non, pas les cigognes. Moi, j'en ai pas vu en tout cas. Toute personne qui affirme avoir vu des cigognes aura affaire à moi. Il faut arrêter avec toutes ces allusions malsaines dont personne n'a rien à retirer de bon.

Mais ceci ne doit pas nous éloigner du véritable sujet de notre article : quand les extra-terrestres vont-ils retourner nous visiter après leur tentative avortée de récupération du totem ? Quand je dis avorté, j'aurais pu écrire raté, ça n'a rien à voir avec ce qui aurait pu se passer pour le bien de tous si on avait connu la date et les circonstances de la conception de… rien, en fait. En réalité, je me suis trompé, le véritable sujet de cet article est finalement : la récolte de la cocaille sera-t-elle bonne cette année ? Eh bien, on n'en sait rien. Il faut attendre pour voir. Vu que ça a lieu fin novembre, ça nous fait presque neuf mois à attendre. Ah non, attendez, je recalcule, si on compte des mois à cinquante jours, ça fait un peu plus de cinq mois seulement. Oui, d'accord, des mois à cinquante jours, c'est un peu n'importe quoi mais c'est tout ce que j'ai trouvé sur le moment. En fait, il y a trois saisons à attendre. Là, il me semble que c'est une expression qui n'est pas consacrée et qui ne fait donc aucune allusion à quoi que ce soit qui aurait un rapport à un événement récent normalement dit heureux mais que je ne qualifierai pas car je sens bien que plus j'écris, moins mon avenir journalistique est assuré.

Il ne me reste donc qu'à vous souhaiter une bonne semaine, moi je file chez Gaston, il y a un tournoi de baby-foot qui est prévu tout à l'heure. Non, de foot je voulais dire. Si si, Gaston accepte qu'on joue au ballon rond dans son bar. C'est sûr qu'il en tient une couche. Ahem, adieu donc.

15-04-2014 : Pouillacola c'est ça !

Mardi dernier, comme annoncé dans le dernier numéro de votre revue préférée, le tournoi de foot s'est bien déroulé chez Gaston. Oui, c'est vrai que d'habitude on joue à un autre jeu qui y ressemble vaguement, avec des bonshommes en plastique qui tournent autour d'un axe et tapent dans un genre de ballon de la taille d'une balle de ping-pong mais en plus lourd. Certes, il y a un nom spécial pour désigner ce jeu. Mais Auguste Choubillac est passé au journal pour discuter de choses et d'autres juste avant que je parte chez Gaston. Je me suis alors dit qu'il y avait des sujets qui ne sont décidément pas intéressants à traiter ni même à rappeler par des allusions déplacées. Comme je ne me voyais pas relater le tournoi en utilisant des périphrases compliquées et que j'avais écrit que ce serait un tournoi de foot, j'ai demandé aimablement à Gaston de ne pas faire mentir la Gazette.

L'endroit le plus propre et accueillant du bar de Gaston (avant le passage de Boniface).

Je ne vais pas vous décrire le bar de Gaston, car s'il y a bien un endroit connu et apprécié de tous à Moncert, c'est bien celui-là : une ambiance chaleureuse, des boissons délicieuses et bon marché, un service impeccable et souriant en la personne de Josette qui jamais ne s'offusque quand on rend un hommage tactile à la partie la plus charnue de son corps, des toilettes toujours très propres même après que Boniface soit passé. Il était donc normal que Gaston refuse au début. Mais comme c'est moi qui lui demandais et qu'il sait combien je tiens son établissement en haute estime et que lorsque je suis content de quelque chose je ne peux pas m'empêcher d'en parler dans mon journal, il a réfléchi et a finalement accepté. Le tournoi n'était pas très intéressant car j'ai perdu dès le premier tour. Il faut dire mon œil au beurre noir et mes trois côtes cassées ne m'ont pas permis d'exploiter à fond mon potentiel. Bref, disons simplement que c'est Gustave qui a gagné la finale quatre verres cassés à deux.


Cet événement sportif s'est prolongé par un traditionnel pot de l'amitié où chacun a payé sa tournée à tour de rôle. Cette tradition nous semblait impossible à suivre au début, étant donné qu'il ne restait plus grand chose d'intact dans la salle, notamment les étagères qui servait à entreposer les bouteilles et les verres. Mais heureusement Gaston est parti à la cave pour aller piocher dans sa réserve de Pouillacola. Vous ne connaissez pas le Pouillacola ? C'est normal, plus aucun aventurier ayant eu une connaissance gustative de ce breuvage n'est encore là pour en parler. Il a été inventé par Gaston lui-même peu avant que sa belle-mère ne décède dans des circonstances non élucidées. D'après celui-ci, son nectar est fait à base d'eau de la Pouillac partiellement désinfectée par une dose massive de cocailline, plus quelques ingrédients dont il garde jalousement le secret pour ne pas aller en prison. A chaque tournée, Gaston distribuait une bouteille à chacun, il l'ouvrait, on trinquait à notre santé en faisant quelques signes de croix pour s'encourager mais on n'arrivait pas à lever le coude. On avait trop mal au bras d'avoir tant couru. A la fin de la soirée, chacun est reparti chez lui avec sa caisse de Pouillacolas ouvertes mais non entamées en faisant attention de ne pas trop la secouer pour ne pas abîmer le parquet. Gaston a donc pu rentrer partiellement dans ses frais. Personnellement, j'ai fait bon usage de toutes ces bouteilles et j'ai enfin compris pourquoi les toilettes de chez Gaston sont toujours aussi propres même après le passage de Boniface.

22-04-2014 : Le Maître du Haut-Château

N'approchez pas plus près. Il va vous tomber sur la tête.

Le Comte de Moncert est très souffrant et pourrait vivre ses dernières heures. C'est d'autant plus inquiétant que personne n'a de nouvelles de son fils parti il y a huit ans pour soi-disant suivre sa propre voie, et qu'on ne dispose donc de personne en mesure de lui succéder. En plus d'un comte, nous perdrions aussi notre maire, ce qui pourrait compliquer nos relations avec l'Extérieur (Pécoisse et le Grand Au-Delà).


Jusqu'ici, tout était simple. Tous les cinq ans, M. le Comte vient sur la place du village pour la cérémonie du vote de renouvellement. Toute la population l'attend et, dès qu'il arrive, l'acclame au cri de "Le maire n'est pas mort, vive le Maire !". M. le Maire s'en retourne alors à son château. Il est vrai que cette cérémonie a quelque chose d'un peu étrange mais elle résulte des accommodements que nous avons eu à faire avec les autorités extérieures dont nous dépendons malheureusement en partie et dont la forme politique est encore plus bizarre. Grâce à ce titre "honorifique" qui semble beaucoup compter pour les étrangers, nous pouvons avoir des relations avec certaines de leurs institutions et bénéficier de l'électricité, que nous serions bien incapables de produire nous-mêmes. Au sujet de ces élections, j'ai une anecdote cocasse que je vais vous raconter maintenant.

Il y a bien longtemps, lorsque c'était le père de M. le Comte qui veillait encore sur nous, un Moncertois - issu d'une famille que je ne nommerai pas car j'ai beaucoup de respect pour elle et ma santé - s'était absenté quelques temps de notre village et était revenu avec des idées pour le moins originales. Il réclamait qu'on fasse imprimer des bulletins que l'on mettrait dans une enveloppe dans le secret d'un isoloir, puis dans une urne, qu'on ouvrirait à la fin de la journée pour comptabiliser les bulletins. A quoi pouvait bien servir toutes ces complications pour réélire notre maire ? Nous ne l'avons compris que lorsqu'il nous a expliqué que l'idée était d'avoir plusieurs candidats. Oui je sais, notre ami était un peu spécial et plein d'imagination. Ca a bien fait rire tout le monde à l'époque. Il y en a même un qui a dit que, tant qu'à faire, on allait faire voter les vaches et les fourmis ou même les femmes. Quand le Comte a entendu parler de cette histoire, il a demandé pour rire qui voulait être candidat contre lui. Evidemment, notre fanfaron n'était plus à ça près et il s'est déclaré candidat. Le Comte a fait un grand sourire et a dit "chiche". A l'époque, on n'avait pas encore la TSF donc on sautait sur toute bonne occasion de se divertir. Et ça faisait longtemps qu'on n'avait pas brûlé de sorcière. Alors on a organisé tout ce carnaval comme notre boute-en-train l'avait décrit. Le problème est que certains se sont tellement pris au jeu que le Comte perdit les élections à trois voix près. Tout le monde était consterné et aucun des plaisantins qui avaient voté pour l'autre n'en menait large. Quand le Comte est arrivé, tout le monde a baissé les yeux. Il a lentement parcouru du regard toute l'assemblée et l'atmosphère est devenue très lourde. Puis il a éclaté de rire, on a tous poussé un ouf de soulagement et on a entonné un "Le Maire n'est pas mort, vive le Maire" et tout est rentré dans l'ordre. Pour assurer nos arrières, Monsieur le malin a quand même fini comme décoration de l'arbre aux Sept Pendus (on l'a appelé comme ça car à l'époque lointaine où il a inauguré son service, nos ancêtres ne savaient compter que jusqu'à sept). C'est une chance d'avoir eu un si bon comte, même s'il est vrai que la dîme a subitement augmenté l'année suivante. En tout cas, on n'a plus jamais recommencé.

Un brin d'humour ne fait jamais de mal et permet d'évacuer momentanément nos angoisses. Mais il ne nous fera pas oublier que, après le pouvoir spirituel, c'est maintenant le pouvoir temporel qui pourrait vaciller et plonger notre village dans l'obscurité d'un avenir incertain. Prions Dieu qu'il nous montre la voie, et pourquoi pas aussi les Grands Visiteurs venus des tréfonds de l'Espace pour nous sécuriser de tous les côtés. Amen et amenez-vous.

29-04-2014 : Comte immoral

Afin d'en connaître plus sur l'état de santé actuel du Comte de Moncert, son château étant rigoureusement gardé par ses gens et ses chiens, nous avons choisi d'interviouver Gaston Chernu notre célèbre médecin-barman.

La gazette : Que pouvez-vous nous dire de la santé du Comte ?
Gaston Chernu : Vous comprenez bien que je suis tenu au secret médical qui m'interdit de vous révéler quoi que ce soit à ce sujet.
La gazette : Même par inadvertence ?
Gaston Chernu : Croyez-bien que je fais toujours très attention à ce que je dis concernant la vie privée de mes patients.
La gazette : Ah bon, c’est une maladie honteuse ? Le cancer des testicules ? Allez quoi… Pour la Gazette de Moncert ! Ça ne sortira pas du département.
Gaston Chernu : N’insistez pas je vous prie. Je resterai muet comme une carpe à ce sujet.
La gazette : Carpe, c’est une indice caché, c’est ça ? Carpe… poisson… morue ! il a contracté la syphilis avec sa femme de chambre !
Gaston Chernu : Mais vous racontez vraiment n’importe quoi. D’ailleurs la syphilis se traite très bien de nos jours. De la pénicilline et des compresses de Pouillacola et tout est réglé en peu de temps.
La gazette : Une autre MST alors ? Ne me dites pas qu’il s’agit du SIDA ! Ah mais je ne me doutais pas que le Comte en était ! Mais c’est logique car M. Frémont ne pouvait pas l’être tout seul ! Et ça expliquerait qu’il n’ait eu qu’un seul héritier, un bâtard qu’il a dû donc reconnaître uniquement pour que sa lignée perdure. Et le pauvre enfant aurait tout appris par hasard et ce serait la cause du départ du château ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?
Gaston Chernu : Mais vous affabulez complètement. D’autre part, je vous rappelle que le SIDA se traite très bien au pouillacola.
La gazette : Ah bon, vous guérissez aussi le SIDA avec ça ?
Gaston Chernu : Le pouillacola est très efficace pour abréger les souffrances. Aucun patient ne s’est jamais plaint de ce traitement. Leurs héritiers non plus.
La gazette : Et vous utilisez le pouillacola pour traiter d’autres maladies ? Je vois que vous en avez sur vous mais je ne dis pas ça pour avoir un nouvel indice.
Gaston Chernu : À vrai dire, dès que la maladie est grave et à un stade terminal, le pouillacola doit être préconisé.
La gazette : Et comment vous est venue cette idée ?
Gaston Chernu : Comme vous le savez, je n’étais que barman à l’origine. Je cherchai à créer un cocktail désaltérant mais il s’est plutôt avéré altérant. Comme j’en avais préparé tout un stock, j’ai eu l’idée de développer une autre activité en parallèle pour recycler toutes ces bouteilles.
La gazette : C’est amusant, c’est le processus inverse de celui de votre concurrent direct, le Coca-Cola, qui a été inventé par un pharmacien dans un but thérapeutique.
Gaston Chernu. : Oui mais mon breuvage doit plutôt être mis en parallèle avec celui de Molotov. Son cocktail est tellement fort que les Russes ont eu l'idée de jeter le verre avant de le boire à l'inverse de ce que veut la tradition là-bas.
La gazette : Vous avez raison. Je pense que c'est la même intuition qui m'a conduit à vider une bouteille de votre spécialité directement aux toilettes plutôt que de la vomir. Mais revenons à nos moutons. On va jouer à un jeu. Vous allez penser à un nombre et je vais le deviner en vous demandant de faire une série d’opérations. Alors votre nombre secret, vous le multipliez par 345, vous en prenez la racine carrée, vous lui ajoutez l’âge du capitaine et le nom de la maladie du Comte. Alors, ça fait quoi ?
Gaston Chernu : 246458andouille.
La gazette : Ok merci pour cet entretien.

Et voilà. C’est à force de ruses et d’investigations poussées que nous sommes en mesure de révéler que M. le Comte est affecté par la tandouille, MST transmise possiblement par son épagneul préféré pendant une orgie à laquelle pourraient avoir participé de nombreuses personnalités très respectées de notre village mais dont je tairai les noms pour l’instant car il faut aussi que le prochain numéro de la Gazette se vende.

06-05-2014 : Ping Pong Master

Le temps passant sans nouvelles en provenance du château, les rumeurs les plus folles ont circulé à propos de l'état de santé du Comte de Moncert. A qui profite ces calomnies ? Il n'est pas difficile de le deviner. Qui a intérêt à affaiblir l'autorité du pouvoir temporel, soutien indéfectible du pouvoir spirituel, afin de conforter sa secte dont on se doute qu'elle souhaite accaparer tous les pouvoirs ? Nous sommes allés interroger Auguste Choubillac pour en avoir le coeur net. Eh bien, rien ne vaut une discussion franche entre gens de bonne compagnie. Les arguments frappants d'Auguste Choubillac ont eu tôt fait de nous convaincre qu'il n'avait rien à voir dans cette sombre histoire et que toute religion nouvelle est dénoncée comme secte par les tenants de l'ordre établi en voie de dégénérescence.

Nous sommes donc allé voir M. Chandru, notre vicaire, qui ne doit sa place de premier représentant de l'Église dans notre village que grâce à la mort suspecte de notre curé et dont il est évident à tous qu'il est le principal bénéficiaire. Nous lui avons demandé depuis quand le Comte était mort et s'il n'avait pas un intérêt personnel à maintenir le mensonge qu'il était toujours en vie afin de conserver un soutien fictif puissant à sa religion moribonde. Il nous a répondu que nous n'avions qu'à vérifier par nous-même et que lorsque nous aurions constaté que le Comte était certes malade mais encore bien lucide, nous pourrions nous entretenir avec lui au sujet de nos opinions sur la chrétienté. Très troublé par cette contre-argumentation, nous ne savions plus quoi penser.

C'est pourquoi, nous avons décidé de tenir la ligne éditoriale qui a toujours prévalu : l'indépendance à l'égard de tous les pouvoirs pour nous mettre au seul service de la Vérité. Il faudra donc attendre encore un peu que les choses se décantent afin de constater quel camp aura vaincu et finalement eu raison.

Néanmoins, le climat actuel étant devenu vraiment délétère, il nous a quand même permis de prendre une position ferme et courageuse. Nous avons commencé à faire circuler une pétition contre les calomnies qui se répandent contre les uns et les autres. Elle a déjà recueilli sept croix et nous ne désespérons pas d'allonger la liste lorsque nous la présenterons aux personnes sachant lire. En voici le contenu.

Nous déclarons solennellement ne plus supporter que l'on colporte tous ces ragots à propos de M. le Comte de Moncert-sur-Pouillac. Qu'on arrête de l'accuser, à tort ou à raison, d'être déjà mort, d'avoir eu des moeurs sodomites avec des animaux lors de soirées sataniques, de ne pas être le père de son fils, d'héberger des extra-terrestres, et nous en passons des encore meilleures, mais ceux qui suivent l'actualité en lisant des revues de qualité en sauront peut-être plus prochainement. Il faut que le calme et la paix des esprits reviennent. Nous appelons chacun à faire preuve de sagesse et de modération.

Je soussigné, Mme/Melle/M. ......... , soutient cette appel et m'abonne à la Gazette pour une période de six mois renouvelable par tacite reconduction. Je bénéficie ainsi d'une réduction de 15% par rapport à l'achat au numéro et, si j'envoie dès à présent mon coupon-réponse, je recevrai en cadeau une magnifique bouteille de Pouillacola à peine débouchée, idéale pour vos repas avec votre belle-famille ou les amis à qui vous devez de l'argent.

13-05-2014 : La folie des grandeurs

Nous avons un nouveau pape et il est moncertois ! Il s'agit évidemment de notre bien-aimé ancien vicaire, qui a eu l'idée excellente de revivifier la communauté catholique moncertoise et internationale en prenant l'initiative de s'auto-proclamer nouveau chef de l'Eglise Catholique Romaine. Une bonne partie des habitants en ont été très satisfaits. Être le nouveau centre de la Chrétienté est prestigieux et nous rend encore plus fiers de nous, si cela est encore possible. Certes, le Palais du Pape manque encore un peu de majesté. Mais quelques planches de bois et des clous devraient suffire à combler les infiltrations du toit.

Bien sûr, il reste à régler la question du faux pape François, qui devrait abandonner logiquement son titre usurpé dès qu'il sera au courant de cette décision. D'ici là, il faudra tolérer à nouveau l'existence temporaire de deux papes comme cela a malheureusement eu lieu jadis, lorsque ceux d'Avignon et de Rome revendiquaient l'authenticité du titre. Mais gageons que le Vatican, ce repaire de pédophiles nazis mangeurs de pizzas aux enfants, saisi par le remords de ses innombrables péchés, aura la révélation de s'auto-dissoudre sans que nous ayons besoin d'intervenir, nos forces n'étant pas encore tout à fait prêtes à renverser notre adversaire corrompu.

Car, comme le dit Sa Sainteté Pie XIII, l’Église est en pleine déliquescence. L'envoi d'une personne à pigmentation indolente et odoriférante pour remplacer notre regretté curé a été pour nous le premier signe de la décadence de cette institution. Et nous n'avions pas le temps d'attendre un deuxième signe car les totemistes sont très fortement soupçonnés de vouloir prendre le pouvoir qui serait laissé vacant si le Comte venait à mourir sans qu'on retrouve son héritier. En instituant Moncert-sur-Pouillac nouveau support territorial du Saint-Siège, Pie XIII récupérerait aussi le pouvoir temporel sur notre village et damerait le pion à Auguste Choubillac.

Il faut s'attendre à ce que ce dernier réagisse. Beaucoup chez les totemistes le verraient bien devenir Empereur de Moncert mais il lui faut d'abord établir fermement son pouvoir spirituel sans lequel il n'y a pas de légitimité pour le pouvoir temporel. Et comment M. Choubillac pourrait-il devenir Auguste Ier tout en étant prophète et chef spirituel ? Autant la séparation de l’Église et de l’État est une aberration, autant leur fusion est absurde, vu que ça ne s'est jamais fait. L'idéal serait que Pie XIII reste pape et M. Choubillac devienne empereur et qu'ils coexistent. Mais quelque chose me dit que la Raison seule ne saurait guider le sort de notre communauté et que les passions continueront de dicter leur texte à nos livres d'Histoire.

Comptez sur la Gazette pour vous conter toutes les péripéties à venir avec toute la fidélité dont nous sommes capables, en les adaptant quand même aux attentes en terme de croustillant que nos lecteurs attendent de nous. Toute Vérité est bonne à dire du moment qu'elle plaît aux puissants. Car quand la légende est plus belle que la réalité, il faut imprimer la légende et elle deviendra ainsi la réalité officielle.

20-05-2014 : C'est pas moi, c'est lui

Après six semaines de convalescence à l'hôpital de Pécoisse due à son accouchement spectaculaire, Raymonde Choubillac est revenue parmi nous, accompagnée de son chérubin bien évidemment. C'est peu de dire la curiosité qui s'est emparée de tout le village concernant le nouvel enfant qu'il accueille. Cependant, il semblerait que personne n'ait encore eu la possibilité de le voir tant ses parents ont maintenu à l'écart toute personne pourtant venue pour les féliciter et s'enquérir de la santé du bébé. Et encore, si Mme Grinelle n'avait pas été comme d'habitude postée à sa fenêtre pour surveiller si tout allait bien, nous n'aurions même pas su que Raymonde était de retour. Heureusement, la Gazette dispose d'un réseau de sources fiables qui nous ont permis d'en savoir un peu plus sur la question.

Nous tenons d'abord à préciser que si nous avons autant d'informateurs, c'est que nous ne révélons jamais l'identité des mystérieux anonymes qui nous appellent en déguisant leur voix. C'est cette relation de confiance qui permet d'avoir à la fois la quantité et la qualité des informations de troisième main que nous vous retransmettons après les avoir adaptées à vos attentes. Mais ne faisons pas plus attendre notre cher lectorat. Voici les faits.

Selon une certaine dame que nous appellerons Mme Pagrinelle pour que son identité soit préservée, l'enfant que tenait Raymonde dans ses bras était complètement enveloppé dans un grand drap qui le mettait à l'abri des regards, ce qui était vraiment louche car il faisait chaud. Ceci confirme malgré nous la possibilité que le rejeton des Choubillac ait une conformation extraordinaire. Selon celui que nous nommerons ici Papapepie, il s'agit très certainement de l'Ante-Christ, venu sur Terre pour aider son père satanique et dépravé à faire advenir la fin des Temps. Quant à une troisième personne, que nous désignerons par Pamoi, il devient pour elle de plus en plus certain que le dernier des Choubillac a une origine extra-terrestre. La seule vraie question serait de savoir si c'est un être venu d'ailleurs qui a fécondé Raymonde ou si les Choubillac ne seraient pas déjà des extra-terrestres depuis longtemps, voire depuis toujours. Cette hypothèse hardie expliquerait pourquoi les Choubillac se marient toujours entre eux. Ce choix serait dicté par des contraintes biologiques d'engendrabilité plus que par des dépits amoureux, la vue d'un Choubillac pouvant difficilement déclencher une passion positive. Je rappelle que c'est Pamoi qui a cette opinion et que cela ne reflète en aucun cas celui de la Gazette. La perplexité d'Auguste Choubillac quand il a vu pour la première fois le nouveau né serait-il donc d'avoir eu un enfant à forme beaucoup plus humaine que prévu ? Tout s'emboite parfaitement maintenant. Comment Pamoi n'y a-t-il pas pensé plus tôt ?

27-05-2014 : Le réveil

Aujourd’hui, nous publions une lettre que nous a envoyé Mme Michu. Suite à son regrettable accident que nous avions signalé en janvier dernier, elle avait été hospitalisée à l’hôpital de Pécoisse, où elle n’avait pas repris connaissance jusqu’à récemment. Imaginant que quelqu’un se soit inquiété de son état de santé, elle a envoyé une lettre à la Gazette pour nous donner de ses nouvelles.

« Chers amis,

Je tenais à vous rassurer sur ma santé. Je me suis réveillé hier dans cette chambre que je découvrais pour la première fois et j’ai eu tellement peur que j’ai voulu m’enfuir. Que ne me serait-il pas arrivé si j’étais parvenue à sortir de cet établissement ? Sans doute aurai-je croisé des étrangers qui auraient voulu abuser d’une personne encore fragile. Heureusement, je ne peux bouger ni mes bras ni mes jambes alors j’ai préféré rester tranquillement où j’étais. Cette lettre est dictée à un gentil infirmier qui prend en note tout ce que je lui dis. Il prend aussi bien soin de moi. Merci, jeune homme. Ah, ça aussi vous le notez ? Ce n’est peut-être pas la peine de tout écrire, non ? Bon, tant pis, faites comme vous voudrez. Il est mignon mais il est un peu simplet, non ? Ahem. Toujours est-il que même si je crois avoir toute ma tête, je ne me souviens plus bien de ce qui m’est arrivé. Vous m’expliquerez tout quand je reviendrai. Jeune homme, vous pouvez commencer un nouveau paragraphe.

Oh mazette. Bon. Je ne sais pas non plus combien de temps je suis restée inconsciente. J’ai peur que mes fleurs ne dépérissent donc je demande à M. Frémont s’il veut bien les arroser chaque jour quand il passera devant chez moi. S’il a toujours la grippe, peut-être le Père Mathieu voudra-t-il bien passer de temps à autre, le temps que M. Frémont se rétablisse ? Pendant que j’y suis, j’aimerais m’excuser auprès de Mme Blédur à propos de ce que je lui ai dit de son fils l’an dernier. Mon état actuel m’a fait comprendre que la vie est trop courte pour perdre son temps à se quereller inutilement pour des broutilles. Après tout, si son fils est un goujat, ce n’est sans doute pas sa faute. Il a peut-être été mal élevé. Jeune homme, vous pouvez passer à la ligne sans écrire ce que je suis en train de vous dire ?

Zut, trop tard. Mais qu’il est con. Il ne me reste qu’à vous saluer tous et à espérer vous revoir tous en pleine forme bientôt. Mme Anémone Michu. Voilà, j’ai terminé. Est-ce que vous pourriez me changer mon sac de drainage urinaire car il est bien rempli et j’ai encore envie. Nom de Dieu, posez ce stylo s’il vous plaît ! »

Nous nous réjouissons tous de l’amélioration relative de l’état de santé de Mme Michu. Peut-être vais-je lui envoyer les anciens numéros de la Gazette afin qu’elle se remette à jour. Mais pas tous les numéros d’un seul coup, la pauvre. Comment va-t-elle réagir quand elle apprendra que ses fleurs dont elle s’occupe avec tant de passion sont assurément déjà fanées ?

03-06-2014 : Le corbeau

Le rapport avec cette section est que je trouve que cette gazelle a un corps beau. Je ne vais quand même pas mettre la photo de Scarlett Johansson à chaque fois.

Moncert a un corbeau. Je ne parle évidemment pas des volatiles noirs qui tournent autour de l’Arbre aux Sept Pendus les jours où la population exerce à bon droit son juste courroux. Non, je veux dire qu’il y a une personne qui envoie des lettres malveillantes à plusieurs membres respectables de notre communauté. Dès que la rédaction a eu vent de cette affaire sordide, elle a cherché à recueillir un maximum de documents susceptibles de fournir des renseignements. Il va de soi que les destinataires de ces messages nauséabonds et offensants n’étaient pas prêts à divulguer leur contenu. Car même si ce que le corbeau racontait était partiellement voire totalement faux, elles craignaient de nuire inutilement aux personnes mises en cause. Ici, à Moncert, la plupart des gens sont foncièrement honnêtes et respectueux de l’intimité d’autrui. Les mauvaises langues ne sont pas bien vues mais écoutées par politesse et avec circonspection. Pour preuve, pas plus tard que la semaine dernière, une certaine dame m’a encore exprimé son dégoût de ce qu’un certain individu lui avait répété à propos de ce que Mme Grinelle avait vu l’autre soir, pendant qu’elle était à sa fenêtre pour vérifier que tout allait bien. Eh bien cette dame ne comprenait pas pourquoi M. Champied lui racontait des histoires à propos d’une possible liaison entre Gustave Fauvert et Josette la serveuse de chez Gaston (comme quoi la victoire de Gustave au tournoi de foot en salle aurait fait tourner la tête et balancer encore plus les hanches de Miss Popotin et que Mme Grinelle les aurait vu marcher ensemble, parlant avec un entrain et des manières qui laissaient peu de doutes sur l’état de leur relation ou de ce qu’elle allait devenir, mais ceci ne nous regarde pas). Cette dame donc, Mme Cuque, me faisait remarquer qu’il était un peu hypocrite de la part de M. Champied de propager une telle rumeur tout en jugeant que Mme Grinelle était une sacrée pipelette proche de la mythomanie.

Il nous a donc été difficile de faire notre travail de journalistes d’investigation. Mais la foi en notre mission d’établissement et de propagation des faits sait soulever des montagnes et nous ne reculons devant aucun sacrifice pour vous offrir ce que vous nous demandez. Nos rédacteurs se sont donc déplacés de maisons en maisons pour demander à chacun s’il n’aurait pas reçu une de ces lettres. On nous a quelques fois répondu non mais le plus souvent on nous recevait avec courtoisie. Unanimement, les gens nous ont confié leur mécontentement et leur souhait que le coupable soit rapidement identifié et puni. Par contre, lorsque nous demandions à voir les lettres reçues, nous étions systématiquement confrontés à un refus poli mais ferme. Les personnes directement incriminées avaient généralement pris soin de les brûler immédiatement et de vite oublier leur contenu. Bizarrement, lorsque la missive concernait un de leurs voisins ou de leurs connaissances, on nous l'amenait comme pour prouver qu'on avait bien été victime du corbeau mais on ne nous laissait pas y jeter un œil.

Néanmoins, bien souvent, sans doute troublé par la méchanceté humaine, on oubliait de ranger le courrier compromettant laissé sur la table lorsqu'on partait nous préparer bien aimablement une infusion de cocaille. C'est alors que mû par un désir professionnel de connaître la Vérité dans les détails, nous empruntions le précieux document. Nous avons eu la chance que personne ne s'en aperçoive avant que nous ayons quitté les lieux. Pour Mme Michu, ça a été plus facile car elle est retombée dans le coma quand elle a pris connaissance de ce que le corbeau voulait qu'elle sache. Et elle avait simplement laissé la lettre sur sa table de chevet. S'en prendre ainsi à un être sans défense est vraiment abject. Le corbeau ne perd rien pour attendre.

Nous allons donc pouvoir publier l'intégralité de ces ordures condamnables.

Peut-être certains d'entre vous trouveront nos méthodes discutables. Pourtant, nous affirmons haut et fort le caractère éminemment moral de nos actes. Premièrement, nous nous engageons à rendre leur lettre à toute personne qui souhaite la récupérer. Ensuite, chacun est libre de ne pas lire les reproductions que nous allons vous soumettre. Tous ceux qui les liront avaliseront donc par leur acte notre démarche. Et mon petit doigt me dit, chers lecteurs, que vous serez nombreux à aimer vous scandaliser de ce que vous allez découvrir la semaine prochaine. Oui, la semaine prochaine. Achetez le prochain numéro, vous en aurez pour votre argent.

10-06-2014 : Le voleur

Scandale ! Les lettres du corbeau que nous avions recueillies la semaine dernière pour vous les faire lire dans ce numéro nous ont été volées. On s'attaque à la liberté de la presse ! Le Comté est en danger ! Toute la rédaction s'insurge contre ce forfait. D'autant plus que nous soupçonnons le voleur de vouloir monnayer ses larcins auprès de ceux qui sont dénoncés et salis dans ces textes immondes. Exploiter financièrement le malheur des gens est profondément détestable et nous condamnons vigoureusement de tels agissements.

Nous qui nous faisions une joie de partager le contenu de ces lettres avec les fins connaisseurs que vous êtes, nous allons devoir repousser à une date ultérieure ce que nous vous avions promis, le temps que le scélérat soit démasqué et appréhendé avec son butin. Heureusement, une lettre que j'avais mise de côté a échappé à la main du gredin. C'est celle qui était destinée à Mme Michu et que nous lui avions emprunté momentanément car elle n'en avait pas l'usage pendant sa rechute dans le coma. Voici ce qu'elle dit :

« Sache la Michu que je t'observe depuis bien longtemps et que je sais tout. Oui, tout. Tout ce que tu as commis et avec qui. Si j'étais toi, j'aurais honte. Quand je rendrai ça public, ta réputation subira quelques réajustements et il n'y a pas de doute qu'un certain nombre de personnes viendront te demander des comptes. »

Quelle méchanceté ! S'attaquer ainsi à une personne sans défense est un acte qui révulse le cœur, d'autant plus qu'il est probable que ce texte soit la cause de l'état actuel de Mme Michu. Pour qu'elle ait subi une si vive émotion, il doit bien y avoir quelque chose de vrai dans ces accusations. Nous ne pouvons que spéculer. Mais ce n'est pas notre rôle. Par contre, si certains d'entre vous ont des compléments d'informations à ce sujet, nous sommes prêts à leur prêter une oreille professionnelle, aussi pénible soient-elles à entendre. Mais attention, nous ne recueillons pas les ouï-dire. Ou alors, il faudrait qu'ils soient très crédibles et très étonnants.

Voilà, nous sommes désolés de ne pouvoir mieux vous tenir au courant pour l'instant au sujet des ignominies qui ont circulé par voie postale. Dès que nous aurons remis la main sur ce qu'on nous a subtilisé, je pourrai très précisément vous raconter cette histoire dont je me souviens tout à coup, dans laquelle M. Martineau, qui n'a plus un accès facile à sa vache Gertrude toujours dans l'arbre suite à la mémorable dernière fête de la cocaille, est accusé d'avoir reporté sa libido sur une autre vache, et que cette situation scabreuse mettrait une ambiance détestable dans le troupeau, dont le premier effet est que la qualité du lait s'en ressentirait. C'est vrai que maintenant que j'y pense, j'ai l'impression que le lait à un petit arrière-goût depuis quelques semaines. Mais je ne peux en dire plus, ce serait de la spéculation hasardeuse. En tout cas, concernant mes prochains petits déjeuners, je me contenterai d'une infusion de cocaille à la place mon habituel lait-cocaille. On n'est jamais trop prudent..

17-06-2014 : Le facteur sonne toujours deux fois

Nous avons retrouvé les lettres volées ! Mais pas le voleur, qui ne perd rien pour attendre. C'est grâce à une longue et minutieuse enquête que nous sommes parvenus à mettre la main sur la totalité des textes envoyés par le Corbeau. Le voleur les avait dissimulées dans la boîte beige située juste à côté de la boîte marron où je les avais entreposées. C'est vraiment très habile de sa part d'avoir caché son butin juste à côté de l'endroit où il l'avait dérobé alors que tout le monde pensait qu'il était bien loin ! Soit ce malfaiteur est un génie, soit il a lu "La lettre volée" d'Edgar Poe et, dans ce cas, il est cultivé. Ce constat nous permet d'éliminer la totalité des habitants du village. Je dis ça pour asseoir la bonne réputation de notre population dont on aurait du mal à imaginer qu'elle abrite deux personnes malhonnêtes en son sein.

Le mauvais côté du fait que le voleur est un étranger, est qu'il sera difficile de l'attraper. Néanmoins, il n'y a qu'à attendre qu'un étourdi parvienne jusqu'à chez nous pour nous occuper de son cas comme nous avons l'habitude de le faire. Si ce n'est pas lui, il prendra pour l'autre. De toutes façons, les étrangers se ressemblent tous. Non, ce qui est inquiétant, c'est le Corbeau. Quelqu'un que nous côtoyons tous cherche à nous nuire. Ça instille une très mauvaise atmosphère de suspicion qui pourrait donner lieu à de regrettables incidents.

Mais qu'importe ces considérations, aussi fines soient-elles, je me dois de vous donner ce que vous attendiez depuis longtemps : la révélation du contenu de ces lettres abjectes. En voici une au hasard :

« Sache le Choubillac que je t'observe depuis bien longtemps et que je sais tout. Oui, tout. Tout ce que tu as commis et avec qui. Si j'étais toi, j'aurais honte. Quand je rendrai ça public, ta réputation subira quelques réajustements et il n'y a pas de doute qu'un certain nombre de personnes viendront te demander des comptes. »

Oui, nos fidèles lecteurs auront remarqué qu'à part le destinataire, c'est le même texte que celui pour Mme Michu que nous avions publié la semaine dernière. D'ailleurs, c'est le cas de toutes les autres lettres (à part celle concernant M. Martineau et sa vache, mais le voleur a dû la cacher encore ailleurs, tant elle est est vraiment pas piquée des hannetons). Il est vrai que j'aurais pu vous le dire avant. Mais je vous aurais privé d'un suspense insoutenable qui a mis du piment dans votre vie toute cette dernière quinzaine.

La question maintenant est de savoir qui a écrit toutes ces lettres et pourquoi. On pourrait penser que leur caractère évasif cherche à masquer l'absence totale d'information que le corbeau détiendrait au sujet de ses victimes. Mais c'est l'hypothèse la moins probable car cela impliquerait que personne n'a rien à craindre donc aucune catastrophe ou fait divers ne se produira donc il n'y aura rien à raconter dans la Gazette dans un proche avenir. Non, il faut se résoudre à la possibilité qu'une personne en sache beaucoup sur tout un tas de nos concitoyens. Il n'est pas dans les habitudes de la Gazette de se hasarder à spéculer mais ça pourrait être une personne souvent postée à sa fenêtre pour vérifier si tout va bien. Ou pas. Je ne fais allusion à personne en particulier, surtout qu'il s'agit d'une informatrice qui alimente la Gazette avec des faits jamais vérifiables mais toujours intéressants à répercuter. Nous tenons donc à sa santé. En tout cas, il est important qu'elle garde l'usage de la vue et de la parole. Les jambes, c'est moins important car on voit très bien assis sur une chaise. Mais j'arrête là, je risque de raconter tout ce qui pourrait se passer cette semaine et il n'y aurait plus rien à raconter dans le prochain numéro.

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