Michel Houellebecq au lycée
Michel se défonce et revient sur son passé:
"Parlons-en, du printemps ! Les mottes de beurre qui flottent au printemps sur les sources avec le cresson..." |
Explication de texte. Electre de Jean
Giraudoux. Acte 2 scène 3. Oreste
se réveille et sent qu'il a la force
de laisser tomber cette histoire de vengeance,
et qu'il pourrait vivre une vie
plutôt correcte, avec, donc, du printemps.
Mais Electre le rappelle à l'ordre,
et à sa quête de la vérité.
Bon, c'est une tragédie grecque. Forcément,
il faut des passages un peu convenus
comme celui-là. D'autre part,
Giraudoux s'est amusé à truffer sa pièce
d'anachronismes, pour montrer l'intemporalité
du récit. Alors oui, pourquoi pas.
Mais des mottes de beurre qui flottent ?
Qu'est-ce que ça vient faire ici ?
C'est pas grave. J'écoute et je note.
Ça doit être bizarre d'être prof, et ce,
quelle que soit la matière que vous enseignez.
De jeunes filles en fleur et des
éphèbes au corps glabre sont présentés
devant vous, et ils vous détestent. L'année
suivante, ça recommence. Ils restent
éternellement jeunes, et vous, vous
vieillissez.
Récréation.
Michel se défonce et revient sur son passé:
Bienvenue dans mon exacte réalité "M'envoyez-pas à ces ratés de somaliens, la géopolitique, ils n'y pigent rien." Me disait le paquet de riz du monoprix. |
On sort. Je me pose dans un coin et regarde
les gens. C'est pas si mal de devenir
adulte. Les agressions physiques
se font plus rares, au fur et à mesure
que les conventions sociales s'installent
autour de nous.
Au collège, j'étais "pas tout à fait à la fin
de la chaîne de la violence". Les enfants
les plus agressifs pouvaient se permettre
de frapper tout le monde, dont moi. Pour
affronter psychologiquement cet état de
soumission désagréable, je me suis
vengé sur des enfants encore plus
faibles. C'est assez pathétique comme
organisation. Mais ça fait des millions
d'années que ça fonctionne de cette manière.
Alors je suppose que c'est efficace.
Les enfants sont des barbares, mais avec
le temps, cela a tendance à s'effacer. Et
la compétition physique peut laisser
place à la compétition sexuelle.
Un peu plus loin, quelques adolescents
de la bourgeoisie hippie se partagent des
cigarettes. Ils ont l'air heureux. Je trouve
ça bien que, biologiquement, l'humanité ait la capacité de se droguer. C'est vraiment
un excellent ciment social. Je ne
suis pas sûr qu'on aurait réussi à essaimer
à ce point sur la planète sans la
drogue. Du président russe qui s'imbibe
à la vodka de 10 ans d'âge, au clochard
vomissant son "mélange de vins issus de
la communauté européenne", la drogue
met tout le monde à égalité, via un nivellement
par le bas. Je m'imagine assez
bien finir drogué.
Nous rentrons, et nous attendons le professeur
d'histoire-géo dans le couloir.
J'entends un bruit de chaussures à talon
derrière moi. De manière plus ou moins
instantanée et plus ou moins discrète,
tous les individus de sexe masculin se
retournent, moi y compris. Peut-être est-ce
l'une de ces supersalopes de la prépa
HEC, montée sur pilotis, avec le talleur
fendu jusqu'au clitoris ? Ou, dans une
optique plus oedipienne, madame Galvez,
la jeune professeur d'espagnol trentenaire
et ses énormes seins de la
genèse, qui s'agitent sous sa chemise ?
Eh bien non. C'est cet animal de Justin-
Etienne, le Camerounais de la classe, qui
essaye de se donner un style post-colonialiste
avec son costume. Qu'il s'habille
comme un occidental, passe encore.
Mais il pourrait éviter ses foutues chaussures
à bouts métalliques qui claquent
sur le sol. Nous entrons dans la classe.
Nos impressions
Michel se défonce et revient sur son passé:
Wikipédia ou rien. |
Monsieur Legris nous demande de donner
nos impressions sur le film qu'il nous
a emmenés voir la semaine dernière,
lors de la sortie culturalo-découvertatoire.
C'était "La gloire de mon père", de
Marcel Pagnol. Aussi étrange que cela
puisse paraître, ce film m'a énormément
stressé. Parce qu'il ne s'y passe absolument
rien. Plus on avançait dans le récit,
de scène à l'eau de rose en scène à l'eau
de rose, plus je me disais que ce n'était
que pour installer un contraste avec un
événement horriblement traumatisant
qui allait survenir lorsque l'intrigue débuterait
vraiment. Cette joyeuse petite
famille allait succomber d'une peste avec
les gros bubons noirs qui éclatent, ou ils
se feraient tous violer un par un par une
secte de pervers schizoïdes. Et en fait
non. Ça reste dans le rose jusqu'à la fin.
De même qu'il existe des codifications
pour les films d'horreurs et ceux à caractère
pornographiques, je pense qu'il
en faudrait une pour les films ne comportant
aucun malheur. On pourrait alors
les apprécier à leur juste intention.
Géraldine Vautrelet
Michel se défonce et revient sur son passé:
Je vis au rythme de mes pas Du liquide plein les roupettes Des putes payées par l'Etat, Ce serait quand même très chouette.
|
Évidemment, personne n'a rien à dire. Le
prof se met en colère et décide d'interroger
une personne "au hasard". Le
choix tombe sur Géraldine Vautrelet. Un
soupir de soulagement envahit la classe,
doublé d'un soupir d'excitation, pour, à
nouveau, les individus de sexe masculin.
Aujourd'hui, Géraldine est moulée dans
le petit jean noir que j'adore. La couture
du milieu lui rentre dans les fesses, et les
sépare en une délicieuse courbe bombée semblant vouloir offrir ses orifices au
premier clochard venu. Avec les minijupes,
on peut établir le grain et la qualité
des cuisses. Mais avec un jean, on
distingue bien mieux les formes. Elle se
déhanche d'un air provocateur et lascif.
Je suppose qu'une légère brise, passant
entre les fenêtres, est venue caresser le
bout de ses seins gonflés et tendus vers
l'avant, car un petit sourire de plaisir
sexuel s'est fugitivement dessiné sur sa
bouche ouverte. Je la regarde bien attentivement,
enregistrant chacune des
images de son corps dans ma mémoire,
pour utilisation ultérieure.
Je m'imagine l'agrippant par les cheveux,
la faisant se pencher sur une table,
et claquant son dos à grand coups de
livre scolaire pour attendrir sa viande,
puis je la forcerai à réciter des poèmes
de Baudelaire tout en filmant son entrejambe
avec une caméra super 8.
Le reste du cours se déroule de manière
assez ennuyeuse et habituelle. Je profite
de quelques courts instants de liberté
mentale pour écrire de petits poèmes sur
mes feuilles.
On sort. C'est la fin de la journée. Cyril
Barabant l'australopithèque discute avec
Géraldine. Bon c'était assez prévisible. Je
leur donne 15 jours pour qu'ils se retrouvent
dans les toilettes des vestiaires
du gymnase, et qu'ils se souillent mutuellement
et sauvagement.
La question fondamentale
Michel se défonce et revient sur son passé:
Qui c'est qu'a fait caca dans la bruyèère? |
Ce que je veux dire, c'est que, le sexe,
c'est sûrement quelque chose de fabuleux.
Et quand je vois tous les gens autour
de moi s'agiter pour en avoir, ça doit
forcément valoir le coup. Mais bon, ça
tient un quart d'heure. Est-ce que ça mérite
de lutter pendant 75 ans pour ça ?
Avant, il y avait bien la religion. La promesse
d'un paradis ou quelque chose du
genre. Mais ça s'est effrité depuis les
derniers siècles.
En attendant, je rentre chez moi. J'aurais
pas perdu ma journée, j'ai récupéré
plein d'images de Géraldine dans ma
tête. En les mélangeant avec celles de
Madame Galvez, je tiens là un cocktail
plutôt agréable pour une, voire deux
masturbations, dans les toilettes de l'internat.
Et après je pourrai écrire. Si le monde
peut être sauvé, je crois qu'écrire serait
l'une des façons de s'en sortir. Ceci
étant, ça ne répond pas à la question
fondamentale qu'on me pose depuis le
début que je suis né :
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