FUCK YOUR ASS!
THE FUCKER IS HERE AND HE WILL FUCK YOUR ASS!
En ce 22 Décembre, Clodia Pega regardait à la télévision, la cérémonie de l'unique tirage annuel d'El Gordo, la fabuleuse loterie de Noël. Comme toujours, depuis 18 ans, elle avait acheté 3 dixièmes du même numéro, cette année le 20.297. Depuis près de trois heures, le rituel pousuivait son cours, des enfants ânonnaient les numéros gagnants, dans une sorte de mélodie répétitive. Inlassablement ils allaient chercher les boules gagnantes qui sortaient d'une gigantesque sphère, ainsi que le lot qui correspondait tiré lui d'une autre sphère plus petite. Puis ils revenaient vers l'avant scène pour chantonner les numéros. Clodia commençait à se désespérer, on en était au 123ème tirage et son numéro n'était toujours pas sorti. D'ailleurs, El Gordo, le gros lot de 3 millions non plus. C'est alors qu'elle vit ceci :
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Les PassionsUn peu plus de deux années s'étaient écoulées, Clodia Pega avait commencé à concrétiser ses projets. Elle avait deux passions la cuisine et la corrida. Elle aimait la paella et le safran, les taureaux et les matadors. Elle était donc devenue la propriétaire d'un restaurant à Valencia. Elle y résidait tout l'hiver et le début du printemps. Puis elle se rendait dans la région de Villarrobledo où elle avait acheté à bas prix 25 hectares d'une terre en friche. Un lot empli d'énormes rochers qui affleuraient un peu partout et le rendait impropre à la culture. Une belle terre tout de même avec de l'herbe assez tendre et des bosquets. Elle y avait fait construire une ganadería, un petit ranch afin de gérer son patrimoine, une petite douzaine de taureaux qui vivaient à l'état sauvage ou presque. Des taureaux de combat destinés aux corridas. Elle discutait avec Miguel et Juan, les gérants de son domaine pour choisir les bêtes qu'elle irait ensuite négocier pour la corrida. Enfin, elle passait l'été à Séville où elle avait ses places louées à l'année dans les arènes. Elle était connue dans toute la région, depuis longtemps déjà, comme une passionnée de corridas. Elle connaissait son monde, les organisateurs aussi bien que les toreros. Mais depuis ce fameux 22 décembre, on la regardait differemment, avec un respect mêlé d'envie. La vie avait pris une autre saveur pour Clodia, une saveur excitante et épicée.
El ToroLa propriété de Maria Reneta s'étendait... Ho ! A perte de vue. C'est qu'il en fallait du terrain pour cultiver les crocus ! Oui, de l'espace et de la patience. En automne, on ceuillait les fleurs pour en retirer les étamines, l'or agricole de l'Espagne, le safran. Maria avait des amis à l'étranger qui avaient bien voulu investir dans son exploitation, seule elle n'aurait pas pu réunir les capitaux nécessaires et les banques étaient assez sévères en matière d'emprunt. Ses amis vivaient maintenant avec elle, à Villarrobledo, Willy Kinder un anglais très distingué et qui après mure reflexion avait puisé dans ses économies pour monter cette affaire et Martin Khan de Pont-à-Celles, un belge de bonne famille qui lui avait fait profiter de son héritage. Tout le monde s'y retrouvait, le safran ça rapportait. Hélas depuis deux années, Maria se lamentait. La pute, il n'y avait pas d'autre mot, qui avait acheté les terrains en friche en bordure de sa propriété laissait vagabonder des taureaux en liberté. Elle avait fait le nécessaire, cette Pega et en plus c'était son nom, pour encercler sa lande à bestiaux de solides grillages et barbelés. Mais ce n'était pas suffisant pour El Gordo, une saloperie de taureau qui pesait certainement plus d'une tonne, une masse de muscles impressionnante qui avait pris fantaisie de venir brouter et ravager ses cultures, ses chers Crocus Sativus. Quand ils commençaient à fleurir, l'animal enfonçait négligement les grillages et venait dévaster les jolies fleurs. Il fallait se rendre à l'évidence, cette bête rafolait du safran.
Les cueilleurs ne voulaient plus venir travailler chez elle, ils avaient peur. Il fallait qu'elle les paye une fortune pour qu'ils daignent s'occuper de ses champs. Et encore, quand El Gordo apparaissait, tout le monde pliait bagage pour la journée. Willy Kinder avait bien essayé de lui tirer une fléchette soporifique mais ce taureau là n'était visiblement pas fait comme les autres, il s'était assis au milieu des crocus en continuant à les dévorer. Puis au bout de cinq à dix minutes, il s'était relevé et avait continué comme de si de rien n'était. Martin Khan de Pont-à-Celles regardait tout ça en sirotant une bière, il aurait fallu l'abattre mais la Pega ne voulait rien savoir, c'était son taureau fétiche, celui qui devait lui apporter gloire et honneur dans l'arène de Séville. Maria fulminait, elle ne rêvait que d'une chose : faire des brochettes de ce boeuf de compétion, des brochettes assaisonnées au safran.
El MatadorPour Pedro Garcia, il était important de savoir à qui il avait à faire. Sa réputation de matador était en jeu à chaque fois qu'il mettait les pieds dans l'arène. Aussi prenait-il le temps de visiter les régions d'où provenaient les taureaux. Il les observait de loin avec des jumelles, appréciait leur musculature, leurs réflexes, se faisait une idée de leur comportement. Il tenait des carnets où il notait tout. Il était justement en train d'observer une bête énorme, qui l'impressionnait un peu par sa puissance mais qui le faisait franchement rire quant à son profil de taureau de combat. N'était-il pas, en ce moment même, en train de brouter des crocus, assis comme un bienheureux au milieu du champ ? Il ajusta ses jumelles pour contempler le regard de l'animal. Il avait les yeux dans le vague comme s'il était en extase, il machait volupteusement les fleurs. Il n'y avait pas d'autre perspective pour Pedro Garcia, ce taureau était en train de prendre son pied ! Un accro aux crocus, voilà ce que c'était. Ce ne serait sûrement pas celui-là qui lui ferait perdre son sang froid l'été prochain.
Les TouristesCe fut un été vraiment hors norme à Séville. Il faisait 37º à l'ombre en plein après-midi. Robert Toulouse et Fernand Tiercelin déambulaient dans les rues. Ils venaient de s'enfiler une paella des plus copieuse arrosée comme il se doit d'un vin rouge exceptionnel aux dires de Robert. Ils essayaient de se repérer, retournant le plan de la ville dans tous les sens pour trouver le chemin des arènes. N'y tenant plus, ils firent une pause dans une bodega, une pause œnologique comme il se doit. Robert Toulouse parlait un peu espagnol, il demanda péniblement la direction des arènes, ils avaient des places pour la corrida de cette après-midi. Le serveur lui répondit, mais Robert ne comprit rien du tout, l'autre parlait trop vite et le vin lui était monté à la tête depuis longtemps déjà. Il revint à la charge et se fit tracer la route sur le plan. C'était compliqué... Dehors une foule de gens avait envahit la rue. Le serveur lui sourit et lui fit signe de suivre le mouvement.
— Ils vont tous à la corrida ?
— Sí, señor.
C'était un peu bruyant, apparement tout ce petit monde n'était pas satisfait. Fernand Tiercelin trouva une bonne âme qui parlait français. Il se renseigna sur les taureaux et les matadors. Son interlocuteur avait l'air d'être un érudit, mais visiblement pas un passionné. A bien l'écouter il fallait ranger tout ça à meurtre, torture, scandale, assassinat et même dépravation. Pourquoi pas tout simplement, mammifère et sportif ?
La ManifRobert était en train de lever la paille avec une bonnasse quand ils arrivèrent aux arènes. Il pensait bien avoir son ticket mais cette dernière lui demanda de lui badigeonner le dos de sang. Il la regarda d'un air dubitatif. Que voulait-elle donc faire ? Du sang ? Elle en avait apporté un bon litre, du sang de boeuf, lui affirma-t-elle. Le décolté de la demoiselle et son dos plongeant étaient certes attirants, mais de-là à les saloper avec cette mixture encore liquide (boudiou, pourquoi ça n'avait pas coagulé, ça ?), il y avait une marge. La jeune-fille le pressait, elle avait un rôle à tenir. Elle lui fit son plus beau sourire et Robert s'exécuta. Oui son dos était maintenant bien rouge. Cela lui donna soif, la couleur sans doute qui lui rappelait le vin. Puis elle lui demanda de lui coller, au beau milieu, une espèce de queue faite de lanières jaunes, rouges et vertes. Il négocia son numéro de téléphone et obtint satisfaction, la belle était maintenant en retard. Il s'exécuta et finit par comprendre le but de la manoeuvre lorsqu'il vit, sur l'avenue qui menait aux arènes, un alignement de jeunes allongés à même le sol, tous affublés de la même manière. Il n'y avait plus de doute, ils venaient de suivre une manif anti-corrida. « Houlala ! Faut pas trainer là. » et il entraina Fernand avec lui vers les arènes.
La Corrida
El Gordo venait de pénétrer dans l'arène. Il s'y promenait avec désinvolture et regardait les spectateurs. Les naseaux retroussés, il semblait chercher quelque chose. On commença à l'asticoter un peu, mais visiblement cela ne le perturbait pas trop. Les peones avaient beau le provoquer, il ne se décidait pas, chargeait un peu puis revenait toujours vers le même point. Pedro Garcia vint l'insulter, le provoquer si près, qu'El Gordo se sentit obligé de foncer. Il chargea soudainement de manière violente et inattendue. Les cornes du taureau passèrent au ras de l'abdomen du matador. Et puis il revint nonchalement en trottinant vers le même endroit. Il se tenait là et ne bougait pas, les naseaux ouverts, respirant bruyamment. El Picador y los BanderillerosSimón Lliedo, le picador était assis, derrière la barrière, sur son cheval caparaçonné de rouge. Il observait avec dédain ce taureau sans bravoure, ce manso, qui revenait sans cesse vers lui. Ses pensées se focalisaient sur la nuit qu'il venait de passer avec Julia. Hé oui ! Il était vraiment bien monté, il en tirait un orgueil mérité. Sa nuit avait été des plus folles, à baiser dans tous les coins, à ne plus arrêter. C'était vrai qu'il avait une belle bitte, lui. Mais Julia n'était pas en reste, quelle chatte ! Seigneur quelle chatte ! Ils avaient fini vautrés tous les deux dans l'entrepôt du père de sa belle, parmi les sac d'épice, les sacs de safran... Simón revint à lui, il était temps d'aller piquer ce couard de bestiau. Il sortit dans l'arène et commença à faire des manoeuvres pour positionner le taureau sur sa droite. El Gordo le suivait, venait se serrer contre le cheval, le poussait tant et si bien qu'il lui était impossible de le piquer correctement. Pire, ce dernier le regardait avec des yeux quémandeurs, comme s'il attendait qu'il lui donne quelque chose. Il était si empressé et bousculait sa monture avec une telle force qu'elle ne tenait pas sur ses appuis et était obligée de bouger, de changer de place. Lui-même avait du mal à rester en équilibre. Il n'arrivait même pas à prendre de la distance, le taureau le suivait de près partout, le collait comme une putain. Une pega ! La première trompette retentit sans qu'il ait pu faire quoi que ce soit.
Les banderilleros entrèrent en jeu. Les peones cherchaient à attirer El Gordo, mais celui-ci était resté à l'endroit où le picador avait disparu. Si le taureau ne chargeait pas, le spectacle devenait décevant. Le président de la corrida demanda à se qu'on utilise les banderilles noires, la marque d'infamie des taureaux sans bravoure. Clodia Pega se sentit rougir de honte. Elle rageait intérieurement, commençait à perdre contenance. Les peones se démenaient, ils en étaient venus à insulter le taureau pour le provoquer. El Gordo se retourna alors vivement, chargea brusquement et violemment l'un des peones directement, comme si le leurre de la muleta n'avait aucun effet sur lui. Il prit le peón de front, le souleva avec sa tête et le jeta à terre. Puis il le poussa sur le sol, monta dessus et le piétina. Enfin il releva le tête, tourna lentement sur lui-même en regardant tout le monde, les peones, les banderilleros qui se tenaient un peu en retrait. Le public se raviva, on criait, on invectivait le taureau. El Gordo semblait être sorti de sa rêverie. Il sentait d'où venait le danger. Il dédaigna vivement les avances de muleta des peones pour charger directement un des banderilleros. Sa musculature se dessinait dans sa course, sa puissance se révèlait. Il atteignit rapidement une vitesse importante et sa cible qui n'était pas préparée laissa choir ses banderilles et courut se réfugier derrière la barrière. El Gordo le poursuivit et enfonça le bois, cassa quelques planches. Il n'avait pas été piqué, il était encore vif et plein de ressources. Il fit volte-face et à nouveau chargea un autre banderillero, il ignorait complètement les muletas qui tentaient de l'attirer, son oeil était accroché par le noir des banderilles qui s'agitaient au loin. L'homme avait vu venir le taureau, il l'attendait en cambrant le dos et en relevant ses banderilles. Mais la masse du taureau qui était lancé depuis l'autre bout de l'arène eut raison de lui. Il prit peur et sauta prestement derrière la barrière.
L'EstocadeOn renonça à lui poser les banderilles. Pedro Garcia pestait, il allait devoir affronter un taureau en pleine possession de ses moyens. Un manso, un couard que l'on n'arrivait pas à toucher. C'était un paradoxe dont il se serait bien passé. Quel honneur y avait-il à affronter un manso ? D'un autre côté ce taureau restait dangereux. La seconde trompette venait de sonner, il devait en finir. Il se présenta dans l'arène sous les applaudissements. El Gordo respirait profondément, il ne bougeait plus, les sens en alerte il attendait. Pedro s'approcha de lui. Il le fixait, l'observait. Puis il s'arrêta, il venait soudain de reconnaître ce taureau. Oui, c'était bien lui, les petites taches blanches sous son œil droit en forme de croisillons ne laissaient aucun doute. Ce taureau, il l'avait déjà vu, c'était celui qui broutait tranquillement des crocus. Il en fut troublé. Cet animal avait un comportement singulier et ce qu'il en avait vu l'automne précédent ne lui laissait rien présumer de bon. Il était bien possible que cette bête soit folle, qu'elle en ait un grain. Et la musculature imposante d'El Gordo le rendait encore plus redoutable. Apparemment, il ne réagissait pas au leurre de la muleta. Qu'allait-il pouvoir faire pour le travailler ? Ses assistants tentaient de divertir ce taureau, mais lui ne se déplaçait presque pas ou alors faisait semblant de charger, ce qui, dans le contexte effrayait plus les peones que s'il était vraiment passé à l'acte. Non, ce taureau le regardait lui, Pedro Garcia, cela devenait clair. Comme s'il savait pourquoi lui, Pedro Garcia, était là. Comme si il avait un compte personnel à régler avec lui, Pedro Garcia. Il fit signe à ses assistants de s'écarter. Il allait lui, Pedro Garcia, envoyer cette bête ad patres.
El Gordo s'avança. Peu à peu il fit reculer le matador au soleil. Ce dernier agitait sa muleta, mais le taureau était de marbre. Il marchait sans se départir à la rencontre du torero. Il inclinait parfois légèrement la tête pour bien voir son adversaire. Pedro Garcia, lui, sentit s'installer quelque chose qu'il n'avait pas connu depuis longtemps, il commençait à se sentir angoissé. Il se retrouva à la lumière, cet enfoiré de taureau avait fini par l'amener face au soleil. Il s'arrêta, élargit sa muleta et parla avec El Gordo. Il le provoquait, faisait des bruits irritants. Puis il déploya sa muleta devant lui et s'approcha. Brusquement, El Gordo chargea, Pedro eut tout juste le temps de faire glisser la muleta sur le côté droit, mais le taureau dévia sa route pour passer à sa gauche. Il s'effaça de justesse et sentit la corne du taureau frôler, une nouvelle fois, son abdomen. En une fraction de seconde il se vit éventré, les boyaux à l'air. El Gordo revenait de sa charge tranquillement en trottant. Il contourna le matador et vint se replacer d'où il était venu, dos au soleil. Pedro décida d'en finir, tant pis pour les passes. Il jeta sa muleta et positionna son épée. Lui aussi, il allait charger ! Il allait tuer cette bête d'un coup bien placé. Clodia Pega reprenait confiance en elle-même. En fin de compte son taureau s'avérait être un adversaire interressant, peut-être même qu'il survivrait au-delà de la troisième sonnerie, elle sentait une fierté justifée s'emparer d'elle. C'est alors que tout s'enchaîna. Le chef s'orchestre décida de lancer la musique, cette dernière passe et ce taureau en valait bien la peine. L'orchestre se mit à jouer Paquito el Chocolatero, pasodoble entrainant et bien connu des corridas. Clodia sortit son poudrier pour se refaire une beauté. Un rayon de soleil se prit dans le miroir et vint rebondir sur les lunettes de Fernand Tiercelin qui s'endormait en ronflant et penchait dangereusement vers Maria Reneta. Celle-ci le repoussa méchamment si bien que le rayon vicieux vint finir sa course dans les yeux de Pedro Garcia. C'est le moment qu'El Gordo choisit pour charger à nouveau. Pedro aveuglé avait baissé son épée. Le taureau le percuta de plein fouet et l'envoya valser sur le côté. Le matador se releva promptement, il avait légèrement mal à l'épaule droite. El Gordo était en train de refaire son numéro pour se positionner dos au soleil. Les deux protagonistes se retrouvèrent face à face. Pedro tenait son épée fermement malgré la douleur. Mais il sentait qu'une crainte inconsciente s'était installée. Étrangement le taureau relevait la tête et reniflait avec force. Que se passait-il donc ? C'est alors qu'il s'aperçut que ses nerfs avaient laché et qu'il s'était oublié, son pantalon était mouillé d'urine. Pedro Garcia se sentit humilié, il jeta son épée avança d'un pas décidé vers le taureau. Il sortit un revolver et tira trois balles en plein milieu du front d'El Gordo qui s'éffondra. Puis il se retira sous les quolibets et les insultes du public. Sa carrière de matador venait de prendre fin, mais au moins lui, Pedro Garcia, était encore en vie.
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Ce texte est publié sous double licence CC-BY-SA et CC-BY-NC-SA. L'original est une exclusivité du collectif Houmoriska qui en détient le copyright. |
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