La conquête de l'espace

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Dans les locaux exigus où était rassemblée la commission sur l'aménagement de l'espace, le président s'adressait aux divers représentants du pays, venus étudier les possibles solutions sur le problème le plus pressant du moment.

"Mes chers concitoyens ! Il est temps de se rendre à l'évidence : nous sommes à court de place dans notre beau pays. Avoir quelques mètres carrés est devenu un luxe que seuls les plus riches peuvent s'offrir. Nous avons enterré tout ce qui peut l'être et empilé en hauteur tout le reste. Si nous ne trouvons pas une solution rapidement, nous allons devoir littéralement construire nos maisons sur les décharges d'ordures. Et je ne dis pas ça pour exagérer : elles seront vraiment dessus, pas juste à côté. Imaginez un immeuble où le sous-sol est rempli de déchets, c'est ce qui nous attend dans les prochaines années.

En un mot comme en cent, nous avons désespérément besoin de nous étendre.
- Mais comment pouvons nous faire, monsieur le président ? Si c'était aussi simple, on n'aurait jamais eu besoin de combiner les crématoriums avec les fours à pain des boulangeries, ou les fontaines avec les urinoirs...
- On pourrait toujours envahir un pays à côté non ? proposa un autre membre
- Ils sont à court de place, eux aussi, il faudrait tout raser chez eux.
- Construisons plus haut. Passons la limite pour les tours de 500 à 1000m de hauteur !
- Et si on asséchait la mer pour gagner sur les côtes ?"

Tandis que les idées fusaient, certaines simplement stupides, d'autres vraiment très stupides, un homme se dressa et demanda le silence dans l'assemblée.

"Messieurs ! Je suis le capitaine Raul Caballa et je vous donne ma parole que jusque à mon dernier souffle je m'efforcerai de résoudre ce problème.
- Et comment comptez-vous vous y prendre exactement ?
- C'est simple : je vais partir à la conquête de l'espace !"


Préparatifs

Les membres de la commission n'avaient à ce moment aucune illusion sur les chances de succès du capitaine mais il semblait plus simple et surtout beaucoup moins pénible de le laisser partir dans ses idées de conquête que de chercher à le raisonner. D'autant qu'il n'avait pas réclamé d'argent au gouvernement, ce qui fait qu'il n'y avait rien à perdre dans son entreprise.


C'est ainsi que pendant que le reste de la communauté se creusait la tête pour trouver une solution, notre héros entama ses préparatifs. En une semaine, il avait rassemblé des fonds, des vivres et un équipage. Après les avoir tous convoqués, le capitaine s'adressa à eux : "Maintenant que nous sommes au complet, il nous manque encore un vaisseau : nous n'allons pas partir dans l'espace par la volonté du Saint-Esprit. Encore qu'un coup de main de sa part ne ferait pas de mal... Prions mes frères !"

Tous prièrent silencieusement. Rien ne se passa.

"Donc il nous faut un vaisseau. Que tout le monde se mette à en chercher un, allez !"


Le lendemain, le second informait son supérieur qu'il avait trouvé et l'équipage se rassembla à nouveau.

"Alors, pourquoi nous as tu fais venir au port ?
- C'est le meilleur endroit pour trouver un vaisseau non ? Regardez un peu ça !"

Le second pointait du doigt un grand voilier qui flottait paisiblement le long d'un quai. Surpris, Raul prit la parole : "mais, c'est un bateau ça... Quand je disais vaisseau, je voulais dire un vaisseau spatial.
- C'est un vaisseau et il est spacieux.
- Tant mieux mais c'est toujours pas ce qu'il nous faut !
- Il est aussi spécial.
- Comment ça ?
- Les quartiers de l'équipage comportent un spa.
- Et pour toi ça remplace un vaisseau spatial ?
- Bien sûr, qu'est-ce que ça pourrait donner d'autre ?
- Un vaisseau spécieux, par exemple.
- Quoi ! C'est même pas un mot ça !
- Que quelqu'un mette ce crétin à fond de cale !


Le navigateur, Pablo Merluza, intervint à ce moment pour rappeler au capitaine qu'ils n'avaient toujours pas de vaisseau (ni spatial, ni d'un autre genre) et que donc par la force des choses, ils n'avaient pas de cale et encore moins de fond de cale. "Très bien, je vais laisser passer pour cette fois, admit Raul. Mais donnez un dictionnaire à ce clown, qu'il apprenne au moins un mot. Il va me falloir un deuxième second aussi..."


Deux jours de plus se passèrent avant qu'enfin la scientifique de l'équipe, le professeur Bacalao, trouve un vrai vaisseau spatial. L'équipage se rassembla rapidement sur le pas de lancement, prêt à partir à l'aventure et à marquer l'histoire ; ou alors à mourir sous peu, mais comme la petite troupe ne comptait que des optimistes ou des inconscients, personne ne s'en soucia.

Le capitaine aborda la jeune femme avec le sourire. "Alors, vous nous avez trouvé quelque chose de bien j'espère ? Où est-il ce vaisseau et pourquoi vous nous avez donné rendez vous à la casse du centre spatial ? On aurait pu aller directement sur le pas de tir.
- Il n'y a pas de casse, nous sommes déjà sur le pas de tir, répondit-elle.
- Mais ? Le tas de ferraille derrière vous ?
- Oui, c'est notre nouveau vaisseau.
- C'est une blague ? On dirait une tonne de pièces détachées soudées ensemble.
- C'est plus ou moins ça, avec notre budget je n'ai pas pu trouver mieux. En fait ce vaisseau a été construit par une association de fans de Star Wars qui voulaient s'en servir pour explorer l'univers et essayer de trouver la planète d'origine des jedis.
- Ils ont réussi à faire ce truc ? Et il peut voler ?
- Bien sûr. À la base, c'est un morceau de la station Mir remonté avec des surplus du programme spatial soviétique. C'est de la récupération, mais j'ai confiance. J'ai passé la nuit avec notre mécanicien de bord à inspecter l'engin et l'essentiel est en ordre de marche.
- Si ce vaisseau est si bien, pourquoi l'ont-ils vendu ?
- Le système de propulsion hyperspatial ne marche pas parce que le générateur d'antimatière est mal calibré, mais surtout parce qu'il y a trop de lois de la physique qui l'en empêchent. De toutes façons, les anciens propriétaires pensent qu'ils ont trouvé la trace d'une porte des étoiles et ils comptent s'en servir à la place.
- Ils croient vraiment réussir comme ça ? Ils sont complètement cinglés.
- Je sais, ça n'a aucun sens de mélanger Star Wars et Stargate. C'est contraire à toutes les lois de la science fiction..."


Départ

Quelques heures plus tard, tout l'équipage était à bord, les soutes remplies de tout le matériel nécessaire à l'expédition et les réservoirs pleins.

"Où dois-je mettre le cap, capitaine ? demanda le navigateur.
- Qui sait où nous allons trouver de l'espace... Mettez le cap sur la planète la plus proche, c'est un bon endroit pour commencer à chercher, je suppose.
- Préparez vous au décollage. Compte à rebours !"


En arrivant près de Vénus, l'équipage constata que la planète ne manquait pas de place, mais qu'elle était aussi complètement impraticable. Le vaisseau repris donc sa route, espérant tomber au hasard sur de l'espace libre. Enfin le second appela le capitaine sur le pont. "Venez voir ça monsieur Bacalla, je crois que j'ai quelque chose !" Il pointait du doigt un petit astéroïde qu'on voyait à travers la verrière principale. "Il y a du monde sur ce caillou. Vous les voyez ?
- Oui je les vois, répondit le capitaine. Justement ça ne nous arrange pas, on cherche de l'espace libre. Ce météore est déjà occupé...
- Regardez de plus près les habitants. Ils ne vous paraissent pas bizarre ?
- Ils ont un drôle d'air, c'est vrai. Comme si ils avaient vu quelque chose de stupéfiant. Ou peut être qu'ils ont pris quelque chose de stupéfiant ?
- Et regardez maintenant sur cet autre astéroïde, là bas, il y a les mêmes.
- Ils ont aussi cet air... On dirait qu'ils sont surpris, estomaqués par quelque chose.
- Oui, ils ont l'air sidérés. Donc entre ces deux groupes, il y a l'espace intersidéral !


Le capitaine restait sans voix, se contentant de lancer un regard exaspéré vers son second. "Vous n'êtes pas convaincu monsieur ?
- Dites moi, monsieur Lucio, vous avez encore beaucoup d'autres inepties de ce genre à me soumettre ?
- En fait, j'avais aussi pensé à l'espace Shengen, mais...
- Que quelqu'un mette cet imbécile à fond de cale, et cette fois on en a une !
- Et de l'espace publicitaire, ça n'irait pas non plus ? criait le second second pendant que le reste de l'équipage le trainait vers les soutes.


Avec tout ça nous n'avons pas avancé d'un poil et en prime il me faut un troisième second. Toi, le mousse, tu feras l'affaire. Quel est ton nom ?
- Line !
- Line ? C'est un nom de fille ça non ?
- Effectivement, mon capitaine.
- Je me disais aussi, la mini-jupe ne fait pas partie de l'uniforme normal...

Engagez vous dans la marine !

Mais qu'est-ce que ça veut dire ? On ne prend pas de femmes à bord normalement, c'est toujours une source de problèmes.
- Et le professeur alors ?
- C'est pas pareil : elle, elle est moche.
- Ne vous inquiétez pas capitaine, je ne vous causerai aucun souci. Je suis une vraie crème et je ne dis pas ça pour me faire mousser !
- Ok, c'est trop tard pour faire demi-tour de toutes façons alors tu es mon second maintenant. Félicitations !
- Merci capitaine. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
- Pour être honnête, je ne sais pas trop où aller.
- Et si nous demandions notre chemin ? Il y a bien quelqu'un qui saura où trouver de l'espace.
- Bonne idée. Monsieur Merluza, trouvez un autochtone, nous allons avoir besoin de renseignements."

Directions

Une demi journée se passa avant que le navigateur repère enfin quelqu'un dans le vide spatial. Devant le vaisseau, un homme passait devant une étoile au loin. Il était équipé comme un plongeur sous-marin et nageait gracieusement, calmement, dans le vide.

Plongeur2.jpg

Le vaisseau s'approcha de lui et l'équipage l'aida à monter à bord. "Merci de m'avoir pris à bord, j'avais envie de faire une pause justement, les remercia le plongeur.
- C'est un plaisir, répondit le capitaine. Nous avons justes quelques questions à vous poser, j'espère que cela ne vous dérangera pas d'y répondre.
- Du moment que ce n'est rien de trop compliqué...
- Oh non, c'est pas la mer à boire, ne vous en faites pas. D'abord, excusez ma curiosité, mais comment faites vous pour nager comme ça dans le vide ?
- Vous ne savez pas nager ? C'est assez simple en fait, prenez quelques leçons et vous verrez.
- Non, je veux dire qu'on ne peut pas avancer, même avec des palmes, sans eau ou sans air.
- Bien sûr que j'ai de l'air, qu'est ce que vous pensez qu'il y a dans ces bouteilles ?"


Le capitaine expliqua alors son expédition à la recherche d'espace à conquérir. Le plongeur lui répondit en riant : "Mais vous êtes en plein milieu de l'espace. Vous en voulez ? Il est tout autour de vous ! Ça ne vous était pas venu à l'esprit qu'un vaisseau spatial voyage dans l'espace ? Et ça fait des jours que vous tournez dedans...
- Alors je n'ai qu'à conquérir l'espace par là ? Disons celui qui est à ma droite, c'est déjà bien assez vaste, je ferai l'autre côté plus tard.
- Ah non vous ne pouvez pas, cet espace là est à moi. J'étais là le premier alors allez vous trouver votre propre espace.
- Vous pouvez bien nous donner un petit morceau quand même, nous ne pouvez pas utiliser tout ça pour nager dedans.
- Si je reste à discuter avec vous, c'est sûr que je ne peux pas. Alors excusez moi, mais je vais vous laisser. Merci de quitter mon espace vital maintenant."


Le vaisseau reprit donc son chemin, dans la direction directement opposée au nageur spatial. Alors que le capitaine commençait à croire qu'il n'y avait plus d'espace à conquérir dans la galaxie, son second entra dans sa cabine : "Monsieur, le professeur a trouvé quelque chose, elle voudrait que vous la rejoigniez sur le pont."


La scientifique regardait par la verrière du vaisseau, l'air fascinée. "Qu'est-ce que vous avez à m'annoncer, professeur ? demanda directement Raul.
- Regardez un peu ça monsieur !
- Quoi ? Je ne vois rien de ce côté.
- Exactement ! C'est fantastique !
- Excusez moi de ne pas partager votre enthousiasme, j'espérai trouver quelque chose en commençant ce voyage, pas m'émerveiller devant rien du tout.
- Vous ne comprenez pas, si vous ne voyez rien, c'est parce qu'il y a un trou noir juste ici ! Personne n'avait pu en observer d'aussi près jusque à aujourd'hui.
- Personne n'a jamais pu en observer puisque on ne peut rien voir dans ce bidule... Dites moi, je ne suis pas un expert en astronomie, mais on ne devrait pas rester à l'écart de ce genre de trucs ?
- Peut être, personne ne sait vraiment ce qu'il se passe dans un trou noir, on ne connait pratiquement rien sur leur fonctionnement. Mais une chose est sûre : ils sont tellement massifs qu'ils "aspirent" tout l'espace qui est autour d'eux par la force de leur gravité.
- L'espace, vous dites ? Peut être qu'on devrait aller voir de plus près. Monsieur Merluza, cap sur le trou noir !
- À vos ordres capitaine répondit le navigateur. Mais comment je fais pour savoir où il est ? Je ne peux pas le voir.
- Allumez les projecteurs avant. Tant que vous ne voyez rien c'est que vous êtes dans la bonne direction !"


Au fond du trou

Avançant à l'aveuglette, le vaisseau s'engouffra dans les ténèbres absolues. Toutes les lumières du bord devinrent de moins en moins brillantes, jusque à ce que tout l'équipage soit contraint d'opérer à tâtons. Le temps parut s'étirer, s'allonger et faire une sieste. Soudain, après ce qui aurait pu être des jours ou des mois, la lumière fut à nouveau.


"Il semblerait que nous soyons toujours en un seul morceau. C'est un bon début, remarqua le capitaine.
- Je crois que nous sommes au fond du trou noir, annonça le professeur Bacalao.
- Alors pourquoi est-ce que c'est aussi brillant ici ? demanda le troisième second.
- Le trou noir piège la lumière qui l'atteint et elle reste ici, autour de nous.
- C'est très joli, mais est-ce qu'il y a de l'espace à conquérir ici ?
- Bien sûr ! L'espace est incroyablement concentré ici, c'est comme une énorme veine d'espace pur ! jubila le professeur.
- De l'espace concentré ? Qu'est-ce que ça veut dire exactement ? lui demanda le capitaine.
- Le vide dans ce trou noir est beaucoup plus vide qu'à l'extérieur, tout simplement ! Si vous voulez, dans le vide il n'y a rien. Hé bien là il y a moins que rien !
- Alors voilà ce que nous allons faire : remplissez les cales avec ce vide, nous le ramenons à la maison.
- Oui mon capitaine ! répondit tout l'équipage à l'unisson."


Peu après, le premier second revint vers le capitaine pour lui demander : "excusez moi, mais comment on fait pour remplir de vide nos cales ?
- Vous les videz et quand c'est fini, vous les videz encore un peu plus, c'est compris ?
- Et que doit-on faire de ce qui est dans les cales maintenant ?
- Tassez ce qui est utile à l'intérieur et balancez le reste dans le trou noir.
- Pour le second second, on en fait quoi ?
- Bon, d'accord. Gardez le."


Une heure plus tard, le vaisseau était vide à ras-bord et près à repartir. "Comment fait-on pour rentrer, monsieur Caballa ? demanda le navigateur
- C'est une bonne question, la gravité nous empêchera de ressortir, intervint le professeur.
- Ce ne sera pas bien difficile, rassurez vous, leur répondit le capitaine.
- Mais enfin monsieur, la gravité...
- La situation est peut être grave, mais pas désespérée. Monsieur Merluza, repartez par où nous sommes venus, en marche arrière. Un trou noir ne peut pas être bien malin, il ne se rendra pas compte que nous allons dans le mauvais sens."


Le vaisseau repartit donc à l'envers. Arrivé vers le bord de la zone lumineuse, il commença à perdre en vitesse. "Ça y est, la gravité nous retient ! s'exclama la scientifique.
- Coupez toutes les lumières du bord, nous allons passer inaperçus dans l'obscurité ! ordonna le capitaine." Plongés dans le noir complet, l'équipage ne pouvait se rendre compte si il se déplaçait ou non, jusque au moment où les étoiles réapparurent au loin à travers la verrière : ils étaient passés. Immédiatement, le vaisseau mis le cap sur la Terre, pour enfin rentrer au bercail et fêter la réussite de leur expédition.


Une fois sur Terre, le capitaine présenta à la commission sur l'aménagement de l'espace son vide concentré, expliquant qu'il pouvait contenir des mètres cubes entier d'espace ordinaire. Impressionnés, les représentants reconnurent le potentiel de cette "essence de trou noir" et ordonnèrent au capitaine de repartir le plus tôt possible pour en ramener autant que possible. Pour profiter au mieux de ce nouvel espace, les soutes du vaisseau furent remplies au maximum de déchets divers, destinés à être laissés dans le trou noir à la place du vide retiré.


Et c'est ainsi que fut créé le premier service de transport d'ordures spatial.


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