Louis Pasteur

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« Lui, pasteur ? Vous rigolez, je ne l'imagine pas travailler dans une Église ! »

Louis Pasteur était un bébé tortue de Floride, autiste et mort dans les années 1990.

Première rencontre

Dans les années 90, c'était en début d'année, mes parents me dirent que je pouvais avoir une tortue, sans raison particulière. Je devais avoir environ 10 ans. Bien sûr j'étais très enthousiaste (les Tortues Ninja étaient déjà à la mode).

Jardiland

Papa nous emmena, mes cousins et moi, à Jardiland. Il y avait un aquarium hexagonal immense avec des massifs rocheux, des fontaines et des cascades. Il était si grand que je pouvais imaginer le commandant Cousteau émerger en scaphandre d'un moment à l'autre. Quoique plus tard que tôt, car j'avais lu dans Today in English qu'il était « the late Commandant Cousteau ». Un commercial de Jardiland nous recommenda de choisir les tortues les plus actives. Il dit aussi autre chose mais je ne l'écoutais plus trop, j'étais déjà absorbé dans la tâche ardue de choisir mon futur copain. Très vite je remarquai une tortue à la chute d'une cascade, qui se débattait à contre-courant. Elle se faisait souffler au fond de l'aquarium et revenait encore et encore en vraie battante. Mon choix était scellé : ce serait elle et aucune autre. Je la montrai au vendeur et il faillit en prendre une autre, avant que je ne rouspétasse : non c'est pas celle-là que je veux, c'est l'autre, mais non pas celle-là ! Une fois toutes les (bonnes) tortues capturées, on les mit dans des sachets transparents remplis d'eau, comme les poissons rouges à la kermesse. On nous remit également un petit rocher et un pot de bâtonnets alimentaires qui sentaient bon la crevette (ça me donnait toujours envie d'en manger, mais bon j'étais pas désespéré à ce point).

Mes cousins et moi, nous comparâmes nos tortues. Je leur dis que les leurs étaient très mignonnes, mais dans mon coeur, c'était ma tortue la plus jolie, évidemment. Sa tête était mieux proportionnée et plus fine, elle était aussi moins vulgairement rayurée, et plus sombre. C'était incontestablement un très beau spécimen. Puis nous choisîmes les noms. Zoé et Mikey (prononcé à l'anglaise : maï-ki) pour mes cousins, alors que moi j'optai pour Louis Pasteur.

Sur le chemin du retour, Pasteur n'arrêtait pas de se démener comme un beau diable contre le sachet, moulinant sur place à vive allure face au pare-brise arrière. J'étais très content d'avoir la tortue la plus fougueuse, mais son hyperactivité avait quelque chose de vaguement inquiétant. Peut-être me disais-je que si elle en faisait trop, elle n'aurait plus assez d'énergie pour jouer avec moi à la maison.

La nouvelle vie de Pasteur

Première expérience

L'institut Pasteur...
... et le rocher qui va avec.

À la maison, on confectionna un aquarium de fortune avec un baquet à légumes, le petit rocher au milieu, et de l'eau tiède du robinet. Je mis Pasteur à l'eau (il s'agitait encore envers et contre tout) et il monta immédiatement sur le rocher. J'étais super content qu'il utilise aussi rapidement son joujou. Je le regardai, fasciné, pendant 10 minutes. Puis je regardai 10 minutes. Et encore 10 minutes. Maman m'appela à table. Pause de 20 minutes. Puis je revins : elle était toujours sur son rocher, toute sèche. Je regardai 10 minutes. Puis 10 à nouveau. Puis je trouvai que c'était ennuyant. Alors je le remis dans l'eau. Il nagea super vite et il grimpa de nouveau sur son rocher. Je le remis à l'eau, et aussitôt il reprit d'assaut le rocher comme s'il était allergique à l'eau. Après quelques dizaines d'essais, je me résignai le temps de me préparer pour demain, car demain c'était école. Il fallait que j'aille faire dodo.

Le lendemain

Comme tu peux l'imaginer, je me réveillai avec aplomb. J'étais impatient de savoir comment ma tortue avait passé sa nuit. Je ne mis pas longtemps : sur le rocher.

Pour son premier repas parmi nous, je répandis quatre bâtonnets dans l'eau. Puis je poussai Pasteur à l'eau. Il s'agita un peu puis se laissa porter par le petit courant, indolent, dérivant au large les quatre membres en étoile. Les bâtonnets passèrent indifféremment sur les côtés de sa tête. Bon, il n'avait sans doute pas faim. Je le laissai, car je devais aller à l'école, avec la promesse de le revoir vers 18h.

Au retour des cours, j'étais tout excité de savoir ce qui s'était passé. Avait-il englouti, que dis-je, pillé son premier repas ? Un chose au moins avait changé : il était remonté sur son rocher. Mais les quatre bâtonnets flottaient toujours, qui s'effilochaient et se décomposaient comme des arrière-pensées. Définitivement il n'avait pas faim.

Louis Pasteur

Je plaçai Pasteur au creux de ma paume et lui caressai la tête. Il était trop mimi. Il eut un petit mouvement de recul, puis se laissa faire. Ma mère passa dans le coin et me demanda comment ça se passait, si j'étais content de ma tortue. Je lui dis que j'étais très content, sauf qu'elle voulait pas manger. Ma mère était aussi d'accord que Pasteur ne devait pas avoir faim. Puis elle s'étonna que je lui caressasse la tête. « Tu sais Émile, c'est une tortue. Ça se caresse pas les tortues. » Quand elle partit je repris les caresses. Je lui doigtai par petites touchettes le bout du nez, et il rentra défensivement dans sa carapace. Alors je lui caressai les pattes. Je sais que c'est space de caresser un animal sans pelage. C'est juste que c'était naturel chez moi, c'est toujours comme ça que je traite mes pets.

Une nouvelle théorie

Quelques jours passèrent. Pasteur passait son temps à somnoler sur son rocher, et tous les bâtonnets s'étaient dissous. L'eau commençait à sentir fort la tortue et les crevettes, et je compris qu'il était temps de la renouveler. C'est en la changeant que je constatai à quel point elle était froide. Rappelle-toi, ça se passe en hiver. C'est alors qu'une nouvelle théorie me tomba dessus telle une pomme de Newton.

Il m'apparut que peut-être Pasteur montait sur son rocher parce que l'eau était trop froide. L'idée tourna à l'intérieur de ma tête comme un électron dans un accélérateur de particules. Elle chemina un temps avant qu'en j'en vienne à la conclusion définitive qu'il fallait donner à Pasteur son repas seulement après avoir renouvelé le baquet en eau chaude, en postulant que Pasteur ne se mettrait à table que si les conditions de captivité n'étaient pas exactement celles du climat tropical de la Floride. C'est donc ce que je fis, puis je lançai le chélonien dans le bain. Bien sûr rien ne se passa, et comme tu peux t'y attendre, l'eau refroidit assez vite.

Un non-évènement

Des jours, puis des semaines passèrent sans qu'elle n'avale rien. Je la voyais parfois ouvrir sa bouche dans l'eau, et je me disais qu'elle devait boire, c'était déjà ça. Mais je ne comprenais pas. Et je ne comprends toujours pas d'ailleurs, ça sentait tellement bon que moi-même j'avais envie de les manger.

Je pensai que je ne devais pas lui laisser assez de temps, que le refroidissement de l'eau suivait une courbe fort escarpée qui devait aller à l'infini comme la fonction tangente quand tend vers , et j'avais beau mettre Pasteur quand l'eau était très chaude, toutes mes tentatives restèrent vaines. C'est pourquoi je suppliai ma mère d'acheter un chauffage d'aquarium. Elle me dit que c'était pas la peine, que je pouvais changer l'eau plus souvent. Elle ne comprenait pas et ça me rendit très triste.

Impasses

Quand les semaines passent et que votre pet n'a toujours rien mangé, il peut t'arriver de conjecturer qu'il est malade, juste comme ça. C'est ce qui m'arriva. Mais quand je demandai à ma mère la possibilité d'aller voir un vétérinaire pour Pasteur, elle me dit que c'était qu'une tortue, que ça se faisait pas de déranger un vétérinaire pour une tortue, qu'un chien déjà c'était limite en ce qui la concernait (de toute façon même un poney elle l'aurait laissé crever, j'en suis convaincu maintenant avec le recul), et que de toute façon le vétérinaire reviendrait plus cher que la tortue elle-même, de sorte qu'on aurait dit qu'elle traitait et le vétérinaire et la tortue comme des marchandises. Son argumentaire, ou plutôt sa façon de le dire, devait avoir été très convaincant, car je ne lui demandai plus rien de très significatif en rapport avec le bien-être de Pasteur depuis lors.

Visite des cousins

Pour égayer la vie de Pasteur, je faisais comme nous l'avait conseillé le vendeur de Jardiland : je reconfigurais régulièrement la scène de vie de l'aquarium. En d'autres termes, ça revenait à déplacer le rocher. Je le déplaçais le long de la paroi, et toujours Pasteur le retrouvait.

Les tortues des cousins

Louis Pasteur avec des copains

Mais un jour, mes cousins me rendirent visite. Ils avaient apporté leur aquarium et leurs tortues, et à vrai dire elles se portaient très bien. Finalement ils avaient sans doute mieux choisi leur tortue que moi. Mais c'était peut-être aussi dû à la fourniture de l'aquarium : un filtre à eau, des rochers, dont un en forme de pont, réhaussés de plantes vertes créant une ambiance de paradis artificiel pour tortue.

Je pense que la société de congénères revigora ma tortue, parce qu'elle nagea vélocement dans le super aquarium. Mes cousins ne se doutèrent pas une seconde que ma tortue était sous-nutritionnée. Mais de toutes les tortues, Mikey était la plus impressionnante, avec un teint de champion.

Je fis un test. Je mis Mikey et Pasteur dans mon baquet, séparées l'une de l'autre par le rocher au milieu, puis je versai quelques bâtonnets équitablement de part et d'autre. Mikey croqua ses bâtonnets en moins de temps qu'il en faut pour le dire. La mienne se laissait flotter comme un cadavre. Puis soudain Mikey traversa le rocher en un éclair et s'empiffra de tous les bâtonnets de Pasteur ! J'étais super impressionné. Un moment, elle mordit même dans l'œil de Pasteur dans sa boulimie.

Finalement mes cousins partirent, et je compris que le problème n'était ni l'eau, ni l'aquarium, ni les bâtonnets, mais la tortue elle-même.

Un bref hoquet d'espoir

Élevez votre Pasteur avec les meilleures préparations alimentaires équilibrées !

Ce soir, je refis un repas à Pasteur, mais sans plus d'espoir que depuis de nombreux jours. J'allais encore assister à son indifférence et un échantillon de sa longue attente de la mort.

Mais ce soir-là, quelque chose se produisit. Alors que je venais juste de mettre Pasteur dans l'eau chaude, elle happa un bâtonnet qui passait devant son nez. Le bâtonnet lui échappa (de peu) et elle mordit à nouveau dedans. Elle arriva tout juste à le déchiqueter en deux moitiés, avant de cesser son effort. Hyper enthousiasmé, je poussai la nourriture vers elle. Un bâtonnet toucha son nez et elle rentra dans sa carapace. C'était fini pour aujourd'hui.

Le lendemain, j'étais très, très déçu de la tournure des évènements. Il avait manqué un rien, un poil de cul de singe albinos centenaire, pour que Pasteur remonte le ravin. Et tout ça, c'était à cause des bâtonnets, beaucoup trop durs ! Depuis lors, je me résolus à toujours mettre Pasteur en présence de bâtonnets que lorsque ceux-ci auraient été assez ramollis par l'eau. Mais cette résolution ne paya pas, parce que plus jamais Pasteur n'essaya à nouveau de happer le moindre bâtonnet.

La fin

Une nuit

Un mois après l'acquisition de Pasteur, ou peut-être un peu plus, je ne me faisais plus d'illusions. Ce n'était plus qu'une question de temps avant que la nouvelle de sa mort ne tombe comme un couperet brutal, sanguin, inhumain. Il était presque inerte, passant son temps à dériver dans l'eau (je l'avais privé de son rocher pour le forcer hors de sa zone de confort,et je ne le remettais que pour la nuit), et sa carapace était devenue toute molle (c'était d'après mon oncle dû à un manque en calcium — la carapace c'est de l'os, si tu veux), et un bord de la carapace avait une petite entaille.

Le soir, pour la première fois, peut-être parce que je sentais la fin si proche, je le pris dans mon lit et le coinçai douillettement entre deux couettes, seule la tête émergeant pour respirer. Je le trouvai bien au chaud, et fus content pour lui. Tu peux dire aujourd'hui que c'est répugnant de dormir avec sa tortue, mais à l'époque je n'avais pas la moindre impression d'être anormal. Ce n'est que plus tard dans mon adolescence qu'on me fit la première remarque sur le fait de dormir avec un réptile (un bébé python).

Cette nuit là, je ne parvins pas à fermer les yeux[1] et j'eus une obsession. Et si je déchirais la carapace ? Est-ce que je verrais les entrailles ? Verrais-je clairement le coeur battre à l'air libre ? Y verrais-je du foin, de la paille et des fragments de bois, dans cette amorce de la rage de ne pas vivre ? Où est-ce que je découvrirais qu'une tortue n'est finalement qu'un petit lézard sous une carapace d'usurpateur du trône saurien jadis occupé par le majestueux Tyranosaurus Rex ?

Je me redressai puis constatai qu'il n'avait pas bougé de place. Il avait les yeux fermés, on aurait dit un mort. Inquiet, je lui touchai le nez. Il ne répondit pas. Encore. Pas de réponse. J'insistai et il se rétracta enfin. J'étais soulagé. Je le sortis et le posai sur le tas de couvertures. Je louchai sur l'entaille. Et si ? Je pinçai un côté de l'entaille avec le pouce et l'index gauches, puis l'autre côté avec le pouce et l'index droits, et je les écartai, l'un vers le haut, l'autre vers le bas. De toute façon elle est morte, Émile. Tu peux y aller. Allez vas-y.

Finalement je me dis qu'il fallait lui laisser sa pudeur. C'était bien la seule chose à laquelle il devait s'accrocher pour avoir vécu aussi longtemps. Je le retournai prestement entre les couettes et je m'endormis, l'esprit lourd.

Quand tout s'arrête

Ce n'est pas seulement Pasteur qui ascendit au paradis des tortues. Aussi bien portantes qu'elles pussent l'être, Zoé et Mikey moururent également, chacune à sa façon. Zoé fut déchiquetée par l'un des cochons d'Inde de mes cousins[2]. Mikey quant à lui, le grand avaleur de sabres Tetra ReptoMin gammarus devant l'Éternel, il mourut ironiquement d'indigestion après avoir avalé accidentellement du savon alors que l'oncle calcium dégraissait sa carapace. Vers la fin de sa vie, il avait un comportement étrange et bien morbide : il baillait avec une sorte de sifflement rauque, des bulles s'échappaient en écumant hors du nez.

Quand Pasteur ne se réveilla finalement plus à mes pichenettes redoublées sur le nez, n'opposant plus qu'un regard glauque et vitreux, je le montrai à ma mère, les yeux en larmes. Je ne savais plus quoi faire avec sa dépouille. Peut-être l'incinérer ? C'est ce qu'avait fait l'un de mes oncles avec son chien. Ma mère me prit ma tortue des mains, l'enroula de plusieurs tours de papier toilette puis la balança à la poubelle. J'esquissai un petit geste de la main mais je me retins. J'avais aussi pleuré dans des circonstances similaires à propos d'une chaussette trouée que ma mère avait jetée de la même façon.

Ce n'est que bien plus tard que j'appris ce que mes cousins avaient fait de leurs tortues. Ils les avaient enterrés dans un pot de fleurs, à l'intérieur de boîtes d'allumettes. Je trouvai ça super. J'aurais tant voulu que Pasteur repose dans une sépulture aussi cool. Je suis sûr que ça lui aurait plu.

Pasteur aujourd'hui

Le génie de Pasteur

Il est souvent mentionné dans la littérature scientifique et aux comptoirs intellos que Pasteur a découvert des choses. Oui, mais alors au paradis. Je me fous pas de ta gueule. Je dis qu'il a sans doute vraiment découvert des choses, mais depuis l'au-delà. Parce que dans sa vie ci-bas, je peux t'assurer qu'il a rien branlé.

Bon, je concèderai une chose sur Pasteur, si on me pointait un flingue sur la tempe. Pasteur a une contribution majeure à son actif, dans le sens où il a eu un grand effet sur moi en m'apprenant le sens des responsabilités (c'est ça le vrai effet Pasteur). Je n'ai jamais eu de petit frère ou de petite sœur, mais avec Pasteur j'ai eu l'occasion de m'occuper d'un être vivant pluricellulaire certes auto-euthanasiant, et de le mener jusqu'à la fin de sa vie le plus honnêtement possible. Et puis je me souviens aussi qu'à l'époque, je m'étais fait vacciner contre l'hépatite B, l'un des 10 virus les plus redoutables du monde[3].

Les critiques de Pasteur

Certains critiquent, disent que Pasteur n'est pas ceci, cela, blablabla. Moi je l'ai rencontré quand il était encore tout petit, et jusqu'à la fin de sa vie je l'ai accompagné comme une mère. Je me souviens de la première fois où je l'ai vu à Jardiland, du baquet qui lui servait d'aquarium, du petit rocher auquel il tenait comme la vie, de sa petite simplicité de tortue. J'ai pris soin de lui comme d'un petit frère, j'ai pleuré mes tripes quand il est mort. Pour vraiment le connaître il faut avoir connu ces heures d'ennui à constater qu'il ne faisait rien, si ce n'est sécher sur son rocher. Il mérite sûrement pas qu'on le traite comme ça. Maintenant laissez-le tranquille, surtout vous les américains qui mettez en doute sa contribution à l'élaboration du vaccin contre le choléra des poules. N'importe quoi ! Laissez-le donc dans son aquarium !

L'après-Pasteur

Après Pasteur, j'acquis une autre tortue de Floride nommée Henri Poincaré, au cours de vacances à Bangkok vers la fin des années 90. Celle-ci mangeait sans problème et avait l'air de constitution robuste. Cette fois j'avais fait très attention à la dureté de sa carapace. Sur le vol retour cependant, je commis une grave erreur : je la sortis de sa boîte pour la laisser dormir à l'aise sous une couverture. Elle n'arrêtait pas de se débattre et puis finalement elle m'échappa des mains et tomba sur le plancher. Incapable de la voir, j'avertis ma mère qui avertit l'hôtesse de l'air. On n'arriva pas à la retrouver, et ma mère me cogna la tête pour ne pas avoir l'air laxiste aux yeux de l'hôtesse.

Léon Foucault

Ma victime la plus récente était une tortue rouge adulte, Léon Foucault, importée aussi de Thaïlande par un autre cousin (du côté paternel cette fois). C'était une tortue très en forme, très colorée, très vivace, qui mangeait absolument tout ce qu'on lui tendait.

C'était en été cette fois, le jardin était généreusement baigné par le soleil, la pelouse pas encore tondue avait des airs d'amazone effarouchée. Je massais le front nu perlant de sueur, frappé par l'assommoir solaire. Je venais de laisser Foucault vagabonder. Je n'avais pas de chien, alors ne t'attends pas à ce que je te dise qu'il fut décapité par le chien. En fait, Léon se trouva un coin frais à l'ombre d'un panneau boisé délaissé sur la pelouse, surélevé sur un bord par de grosses pierres longeant au pied de la clôture, sans doute pour se protéger de la chaleur. Comme elle semblait contente, je la laissai tranquille et allai jouer à la Nintendo.

Le problème c'est que lorsque je revins chercher Foucault, elle n'était plus sous son panneau. Un bref examen du jardin me fit battre mon cœur : je ne la trouvais pas, je flippais, j'avais encore perdu une tortue mais cette fois d'un autre ! En repassant le jardin au peigne fin, je repérai une ouverture en bas du grillage, suffisamment large pour laisser passer la tortue.

J'alertai immédiatement la famille. On organisa une grande battue tout autour du jardin, car elle ne pouvait que s'être enfuie par le défaut de la clôture. Le soleil se coucha vite, trop vite. Tout le monde rentra bredouille, et j'essayai tant bien que mal de ne croiser le regard de personne, honteux de ma négligence. L'espoir de la revoir était infime : Foucault était une tortue très aventureuse et très rapide. Elle pouvait être n'importe où après quelques heures en liberté.

De nombreux jours plus tard, alors qu'on avait tous oublié ce drame, mon père retrouva Foucault. Tu ne devineras pas. Non. Figure-toi qu'elle était dans le jardin, sous le panneau boisé ! Elle était morte, complètement dessechée et elle s'était retirée dans sa carapace.

Si l'on reprend le fil de toute cette histoire, on pourra argumenter que soit elle était toujours dans le jardin, mais j'en doute fortement, soit elle était partie faire un tour dehors, et elle était revenue mourir dans le lieu de ses maîtres. Même si à l'époque ça m'avait bien fait pleurer, aujourd'hui ben je trouve que ça ferait un super film, et un super guide genre Comment dessécher Foucault, tortue fidèle.

Voir aussi

Notes

  1. Quand je dis que je n'arrive pas à fermer les yeux, c'est bien sûr une image. J'arrivais à les fermer mais pas à dormir. Alors pourquoi je dis que j'arrive pas à les fermer alors que je les ferme ? Ta gueule !
  2. Ils habitent quasiment dans une ferme.
  3. Quoi ça a pas de rapport ?
 
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