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Quelle bonne idée, mettons-le sur la carte ! »
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Ajoute-le à ma note, vieux. »
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Eh, Karl, je te parie ce que tu veux qu'il n'existe rien de transcendant à la possession matérielle. »
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Une petite partie de dés ? »
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Allongez-vous, détendez-vous. Racontez-moi votre enfance, par exemple. Alliez-vous régulièrement à la messe ? Aimiez-vous vous occuper des cierges ? »
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Freud à propos de service divin.
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Pour être honnête, je pense que le problème a surtout pris de l'importance dans les dernières années de ma vie. »
Dieu est un concept immense et infini. C'est pour cette raison, je crois, qu'on le trouve dans des cathédrales, des mosquées, des gares routières et tous un tas de bâtiments vastes et imposants construits pour accueillir Sa majesté divine sans déborder. C'est aussi pour ça qu'on met une majuscule quand on prononce Son nom, même si ce n'est pas vraiment son Nom, je crois que c'est un pronom personnel assujetti, comme disait mon institutrice, qui disait aussi que je devais passer plus de temps à étudier et moins à regarder le Ciel. Ça me semble un peu bizarre quand même, parce qu'une majuscule c'est plus grand que toutes les autres lettres, je veux dire, mais c'est pas comme si on pouvait faire rentrer une église dedans. A moins que Dieu ne veuille habiter que dans des trucs plus grands que les autres, mais dans ce cas il habiterait aussi dans les HLM de vingt étages, et je pense qu'on l'aurait remarqué quand même, parce que ça m'étonnerait qu'il supporte le bruit. Il est grand le mystère de la foi.
Mais, qu'est-ce que Dieu ?
Entre René. Il avance craintivement, regarde autour de lui avec circonspection, comme s'il avait peur de quelque chose. Arrivé au milieu, il regarde le public, désigne le ciel d'un air mi-sceptique, mi-effrayé, mi-stérieux.
René. — C'était quoi, ça ?
René. — Je rigole pas, là. Qu'est-ce qui vient d'arriver ? C'était effrayant comme un coup de tonnerre.
René. — ...
René. — J'ai l'impression qu'on se moque de moi. C'est très désagréable.(haussant les épaules) Mais qui peut dire ?
René. — Pas moi, en tous cas. Déjà que j'ai les plus grandes peines à me rappeler comment on fait pour se souvenir, encore il faudrait que je ramasse les miettes des autres ? Non, je refuse, c'est tout. On a encore le droit de refuser, non ? C'est bien la dernière chose qui compte. Tout le monde a le droit d'approuver, ça fait partie du principe. Alors arrêtons-là, voilà.
René. — Comment est-ce qu'on pense déjà ?... A force de vivre avec les mêmes questions à l'esprit j'ai fini par me dégoûter de leur compagnie. C'est vrai, toujours à faire des réunions privées... Toujours isolées dans leur tour d'ivoire, comme des nuages glacés... Ah... Il ne leur est jamais venu à l'idée que j'aurais envie, peut-être, d'un peu de fraîcheur. Penser une fois, encore, avec les mains, retrouver la clarté de mes premières intuitions... (Il contemple ses poignets avec lassitude). Si j'osais... J'ai toujours voulu avoir un cirque. Avec des étoiles, un chapiteau, des éléphants. (il soupire de nostalgie.) Il s'appellerait...
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Faites attention !
Moi qui suis un pur esprit, j'aimerais avoir des mains. Je sais, cela peut sembler étrange, voire de mauvais goût. Des gens hautains m'ont souvent fait remarquer ce penchant, ce vice, en me disant qu'il nuisait à mon isotropie. Pour cette raison, la bien-pensance m'a exclu et rabaissé. Métaphoriquement et sans mot dire, ce qui est plus cruel encore. Mais je le sais et je le devine. Admettez, messieurs, que ce serait bien pratique pour toutes sortes de choses - je ne sais pas, par exemple pour signer des contrats avec l'existence, de toute manière tout le monde vit à crédit de vos jours, on fait usure sur vos chemises avant qu'elles tombent en lambeaux, c'est bien une société qui fonctionne puisque personne ne peut rembourser ses dettes, elles s'accumulent montent en tas comme les monuments à la gloire de l'humain-sacrifice, on en a tout le tour du ventre, c'est la culture de la consommation, oui mesdames, le consumérisme poussée à outrance !
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Il s'agite, devient rouge. Brusquement, il prend la parole.
René. — L'Ex nihilo, messieurs !...
René. — Devant vous enfin, et vos yeux ébahis quoique spongieusement cloîtrés dans l'inhabitation spectrale du mensonge, grande première dans votre petite vie loin de tout ! Au programme, ce soir : interrogation scandaleusement transcendantale sur les mystères de l'existence, nous passerons quelques minutes à nous demander ensemble si les singes bâtissent des fourmilières, concours de grimaces de nos deux clown favoris, Poissard et Candide, dont les amusantes saillies oratoires vous réjouiront la joue et dessilleront jusqu'à l'aorte des paralytiques !
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La nana aux cheveux bleus dit :
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Oh ! Venez voir !
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Le lecteur de cet article dit :
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Ah !
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La nana aux cheveux verts dit :
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Magnifique !
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La nana aux cheveux blonds dit :
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Trop cool !
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René continue à parcourir la scène, dans le sens de la largeur, avec ses grands gestes de montreur. Il sourit, ménage ses effets, bref il se donne en spectacle, ce qui contraste sévèrement avec son attitude de tout à l'heure, au point qu'on peut avoir des doutes concernant sa sincérité. Mais après tout, qui suis-je pour juger ?
René. — Nous abandonnerons ensuite le terrain des virevoltantes arabesques à Honorius, petit génie des cordages, malin comme pas deux, interprète de talent, redoutable souffleur de bulles de savon, danseur de corde émérite, et surtout acrobate é-pous-tou-flant qui n'aura de cesse de surprendre et suspendre vos langues assourdies par un tel défi lancé à la gravité -un direct précis, pan, envoyé dans le foie !- et vous fera envier jusqu'à la sérénité rampante de la tortue !
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La nana aux cheveux verts dit :
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Ouais !
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La nana aux cheveux bleus dit :
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Super !
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Faites attention !
Ne faites pas attention à moi ! Aaaaah ! Arrêtez de me regarder ! Allez mener vos affaires sordides là où vous le désirez, mais laissez-moi tranquille !
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Le lecteur de cet article dit :
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Quelle impatience ne me ronge-t-elle pas!
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René. — Et en parlant d'animaux sauvages, sachez-le : nos apparitions pleines de majesté sur la toile du monde, ces évolutions dont nous tirons un tel orgueil, ces envolées, ces passades et ces larmes, ces rages, ces expositions folles et chamarrées, ces rapacités en tous genres, ces tournures de taille, ces jeux d'ombre et de stupre, toutes ces inventions que dans votre innocence absolue vous preniez pour le fait du monde ne sont pas grand chose... Ah non attendez, on me dit à l'oreillette qu'en fait elles ne sont rien. Alors ! Vous ne me croyez pas ?
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La nana aux cheveux rouges dit :
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...
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René. — Non non mais, c'est une vraie question. Je veux connaître l'avis des profanes stup... euh... Je veux connaître la position profonde de mon public.
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La nana aux cheveux rouges dit :
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Non ! Non !
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Le lecteur de cet article dit :
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Non ! Non !
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La nana aux cheveux bleus dit :
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Impossible !
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René (sourire aux lèvres). — Non !
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La nana aux cheveux blonds dit :
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Qu'on le sorte !
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La nana aux cheveux bleus dit :
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Qu'on le jette !
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Le lecteur de cet article dit :
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Qu'on l'hydrolyse !
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La nana aux cheveux verts dit :
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Qu'on l'évacue !
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La nana aux cheveux rouges dit :
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Qu'on utilise les conclusions de ses livres pour un concours d'insultes !
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La nana aux cheveux blonds dit :
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Et qu'on en déduise les prémices par un choix d'axiomes inconsistant !
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La nana aux cheveux bleus dit :
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Bouh !
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Le lecteur de cet article dit :
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Au cachot ! Au cachot !
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René. — Bon ! Bon ! Cessez vos crachats. Que diriez-vous si je vous montre mes bêtes ? Que diriez-vous de goûter, le temps d'un spectacle, à la véritable saveur du monde ? Je vais vous dévoiler ce que votre conscience refuse de voir, ce qui rampe derrière l'œil, ce contre quoi le bon sens s'arque-boute.
Si vous ne voyez rien, c'est normal. Si vous voyez tout, j'accepte les pourboires. Nous n'abritons pas de fauves moins somptueux qu'à côté. Préparez, je vous prie, avec la science du fossoyeur la généalogie ardente de votre regard.
Un sale gosse dit :
Ma quoi ? |
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Le lecteur de cet article dit :
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La vie, c'est un peu comme une recette de cuisine : tu rajoutes des ingrédients pour que ça se marie bien avec la suite. Alors il faut que l'on soit prêt à apprécier ce qui vient après, tu comprends ? On ne peut pas tout sacrifier au plaisir de l'introduction. C'est pour ça qu'il attaque directement avec quelque chose de très âpre pour nous donner ensuite de quoi réfléchir. Il paraît que ça donne de l'appétit.
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Un sale gosse dit :
Ah oui, d'accord. C'est pour ça qu'il a commencé à parler de la vie ? |
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Le lecteur de cet article dit :
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Probablement.
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René. — Ce sont, sans aucun doute, les animaux les plus étranges et effroyables que la Terre ait jamais portés, de lointains survivants d'un âge oublié et cryptique et qui pourtant rôdent sans cesse, dissimulés, à l'ombre de nos pensées - pour ne dévoiler une pauvre idée de l'horreur à laquelle couardement ils prétendent, dans un oppressant goutte à goutte, qu'à travers la mince et onduleuse tenture du nom, voici pour vous, qu'il me suffise de décrire brièvement : l'obtus et mystérieux œil-de-bœuf, que la vue de n'importe quel être vivant attise jusqu'à une fureur de destruction qui ne connaît aucune égale parmi ses congénères ; l'hypnotique
cerf-œil au brame éblouissant, dont les andouillers épineux provoquent chez l'enfant la neurasthénie et la mort ; et bien sûr l'immonde et mortelle
faute-œil, dont le tentaculeux regard vadrouille en l'homme comme en un joyau de sang chéri et piégé, rougeoyant d'un feu persistant et terrible; et ce ne sont bien là que les plus innocents, les plus inoffensifs représentants de notre Bestiaire !
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La nana aux cheveux bleus dit :
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Brrr!
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Le lecteur de cet article dit :
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J'en frissonne à l'avance, par quelque délicieuse et coupable anticipation du malheur.
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La nana aux cheveux blonds dit :
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Ça fait peur ! Hihi !
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Un sale gosse dit :
Ah non, moi ma maman elle a dit que je pouvais pas voir. C'est obscène, qu'elle dit, ma maman, c'est pas bien de regarder ça, parce que c'est cruel. On enferme des animaux pour le plaisir. |
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La nana aux cheveux bleus dit :
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Mais quel rabat-joie !
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Faites attention !
Mais ! Je vous hais ! Voyeurs ! Horribles monstres ! Impossible d'avoir un tant soit peu d'intimité dans l'existence, si courte soit-elle ! A chaque coin de rue il y a quelqu'un pour vous scruter et qui ne se prive pas de le faire à votre place ! Allons ! Monsieur ! Madame ! Il n'y a rien à voir , circulez !
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La nana aux cheveux verts dit :
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Je suis certaine qu'ils sont très heureux d'être ici. Et imagine les dégâts qu'il feraient dans la nature !
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René. — Approchez, approchez ; tout de suite, la première partie de notre programme. Pour commencer, pourquoi suis-je ici ? La question est superflue : parce qu'il était sans doute nécessaire que j'y fusse ; partant, qui m'y a amené ? Ce point est plus délicat. J'imagine qu'une puissance certaine est nécessaire...
Entre Sören.
Sören. — Eh bien, c'est une excellente question, ma foi ! Je vous remercie de l'avoir formulée ainsi avec tant d'à-propos. C'était brillant, vraiment. Car oui, enfin, qu'est-ce que Dieu ? En ce qui me concerne, et si j'avais à me prononcer, je dirais que ce que nous appelons instinctivement divin doit avant tout être quelque chose dont la caractéristique est sensible. Pourquoi ? Mais parce que c'est à ça que servent les mains, un enfant pourrait le saisir.
René. — Mais ?... Je ne me souviens pas vous avoir appelé, monsieur. Je vous prierai de retourner dans les loges, vous gâchez le spectacle des honnêtes gens avec vos simagrées et vos hurlements intempestifs. Et d'où, au nom du ciel, d'où sort ce fond de teint ? Vous avez l'air d'un pitre.
Sören. — Euh... Je l'ai trouvé là-bas, mais je n'avais pas de miroir pour me regarder, alors j'en ai mis un peu partout. Pour être honnête je ne sais pas trop comment j'en suis venu là, mais l'ambiance me plaît beaucoup.
René. — Et vous pensez vous en tirer comme ça ?
Sören. — Écoutez, à la rigueur je pourrais vous en vouloir d'avoir ruiné mon texte, en rester là d'un commun accord avec moi-même, et vous laisser vous amuser avec mon mépris de compagnie, qui est très facétieux et joueur, pour que vous ne vous ennuyiez pas trop. C'est vrai, on ne s'écoute pas assez dans ce bas-monde et ça débouche souvent sur des conflits odieusement larvés que, croyez-moi, je suis le premier à regretter, car mieux vaut une bonne décision qu'une attente éternelle dans l'angoisse de l'autre. Mais pour cela, vous devrez au préalable me montrer votre bonne volonté, et, notamment, prendre à votre compte toutes mes ironies et tous mes sarcasmes (même ceux destinés à ma femme), pour des raisons d'économie évidentes, parce que sinon on ne va jamais s'en sortir.
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Faites attention !
Aaaaaah ! Encore vous ! Mais qu'est-ce que je vous ai fait, hein ? Quel est mon crime ? Que faut-il que j'avoue ? Je vous ai offensé ? Non ! Je vous ai volé ? Cent fois non ! Assassiné ? Non plus ! Alors pour quelle raison ne puis-je exister sans vous, sans que vous soyez là juste à côté occupés à m'espionner, muets, péremptoires, à me fixer comme ça avec vos yeux embrouillés de morale, noircis de jugements et de préceptes ?
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René. — Vous me prenez au dépourvu. Ce désarmement sincère...
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La nana aux cheveux verts dit :
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Et les clowns ?
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Sören, effaré. — Quels clowns ?
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La nana aux cheveux verts dit :
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Vous avez dit qu'il y aurait des clowns.
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Sören, avec condescendance. — Vous leur avez promis les clowns ?
René. — Euh... Non, non, jamais de la vie. Des clowns ! Ha ! On aura tout vu !
Sören. — Je n'y crois pas. Comment voulez-vous arriver à mener un débat intéressant avec des types en pyjama qui pompent toute l'attention du public ? Et maintenant, évidemment, ils vont être défiants, ils vont se sentir trompés. Qu'est-ce qui vous as pris, enfin ?
René. — Je me sentais en veine de métaphores, alors...
Sören. — Ah ! Mais du coup, il y en a ou pas ?
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Le lecteur de cet article dit :
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Nous, on veut les clowns !
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Tous se mettent à crier pour avoir les clowns. D'un côté, les clowns c'est drôle et distrayant, ça permet au moins d'oublier le quotidien et ses misères, ce qui est quand même bien agréable quand on a le loyer à payer et qu'on galère à mettre de l'argent de côté, sans compter qu'il faut aussi s'occuper des gosses qui te laisseront dans la merde à la première occasion et se taper toutes les semaines les convocations de discipline du collège, c'est pas tous ces embrouillements philosophiques qui t'aideront à boucler le mois, ah ça non, c'est tellement barbant. Non c'est vrai, moi je comprends que les gens n'ouvrent jamais un livre quand ils entendent des trucs comme ça, après on s'étonne que le populaire manque de culture mais si on ne fait pas l'effort de rendre la culture attrayante et un peu moins élitiste je ne vois pas comment on serait en droit de se plaindre.
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La nana aux cheveux bleus dit :
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Ouais ! Les clowns !
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Le lecteur de cet article dit :
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Les clowns ! Les clowns ! Ouais !
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La nana aux cheveux verts dit :
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Les clowns !
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Amenez les clowns !
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Faites attention !
Allons, voilà la foule qui réplique et qui me hue. Tel est donc mon sort ! Susciter tantôt la moquerie, tantôt la haine, tantôt le mépris. Allons mesdames, messieurs, vous me faites trop d'honneur ! Ce n'est pas avec des marmelades pareilles qu'on écrira des livres.
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La nana aux cheveux blonds dit :
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Les clowns !
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Un sale gosse dit :
Ouais ! |
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La nana aux cheveux rouges dit :
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Les clowns !
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Sören. — Mais non ! Taisez-vous ! Il n'y a pas de clowns ! Ce n'est pas un one-man-show, bon sang !
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Le lecteur de cet article dit :
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Ah non ?
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Sören, exaspéré. — Mais non ! Tenez, on va s'y remettre, voilà, si vous n'êtes pas satisfaits je n'y peux rien, allez voir aill...
Entrent les clowns.
Sören. — Mais c'est complètement déloyal ! Vous ne pouvez pas faire ça !
Un papillon nocturne se met à tourner frénétiquement autour de la lampe. Ben tiens, explique-t-il innocemment à sa manière candide de lépidoptère, tout en se cognant confusément contre les murs : ils vont se gêner.
Interlude local
La compagnie des Malappris vous présente :
~ Une production improductive et vaine, tout comme vous ~
Le théâtre de l'infini
« Parce qu'il fallait bien qu'on fasse ça quelque part »
Deux clowns. L'un, avachi sur un pouf brun, est plongé dans la contemplation d'un couvre-chef en feutre noir. L'autre, en tablier, prépare une salade de concombres. Pourquoi ? Parce que je l'ai décidé, et puis voilà. Eh oui. Ça aurait pu tout aussi bien être autre chose, comme un couple d'astronautes bien équipés ou deux lavandières printanières et luisantes de sueur qui se sentiraient soudain à l'étroit dans leurs corsages à pois languissamment entrouverts. Mais non. C'est des clowns. Juste des clowns.
Putain, ouais. Des clowns.
Premier clown, brusquement : Mais dis-moi, Gouillot, n'est-ce pas aujourd'hui que doit appareiller la flotte grecque ? Il me semble que le départ était fixé à tout à l'heure.
Second clown, agitant son couteau : Tout à l'heure ? C'est un peu rude, non ? Regarde : maintenant, je parie que c'est déjà passé. Quand on choisit ses horaires, on le fait en conscience. Un point, un point honnête j'entends, ça ne bouge pas. Ce n'est pas comme ces histrions d'aujourd'hui qui vadrouillent dans le temps pour un oui ou pour un non. Et tu verras, ça sera encore pire demain. C'est pour ça que j'aime le présent, on sait au moins à quoi s'en tenir : la simplicité, pas de place pour des dimensions superflues. Voilà le secret de la sagesse.
Premier clown : Mais comme tu as raison ! Ah, et la journée est magnifique. Je pense qu'ils sont déjà arrivés. Ils doivent bien s'amuser là-bas !
Second clown : Je gage aussi que le soleil a donné deux ou trois coups de main. C'est bien la moindre des choses, après tout.
Premier clown : Oui parce que se dorer la pilule tout seul, ça va bien cinq minutes.
Second clown : C'est comme courir nu sous l'
humain de midi. S'il n'y a plus personne à offenser, s'ils s'en fichent tous à tire-l'aine-l'
haricot, ce n'est peut-être plus bien drôle. C'est pour ça que presque personne ne rigole à ce genre de blagues, aujourd'hui. C'est devenu trop sérieux, c'est passé de mode.
Premier clown : C'est pour ça qu'il faut continuer à se battre.
Second clown : C'est pour ça qu'il faut continuer à espérer.
Tous deux se taisent. Le cuisinier se remet à son travail.
Premier clown, sombre : Ouais... Et pourtant... Ah, pourtant depuis tout à l'heure, j'ai la sensation indéboulonnable d'être épié. C'est comme un être visqueux qui te descendrait dans le dos puis remonterait en cliquetant jusqu'aux mâchoires. Chaque minute je le sens, il est là à se presser contre moi, comme une subtile malédiction. J'avais perdu l'habitude d'être aimé, et là on me redonnerait presque le sourire...
Second clown : Je le le sens aussi parfois. C'est la chaleur.
Premier clown, s'exclamant : La chaleur !
Second clown : Mais oui.
Second clown, scandalisé : La chaleur ! Il me dit que c'est la chaleur !
Second clown : Mais oui ! Enfin la sueur si tu préfères, c'est équivalent !
Premier clown : Tyran ! Sophiste ! Que indélicat ! Ah, où sont donc passés les termes de notre belle amitié ? (il fait mine de de fouiller dans ses poches.) Non, non, je ne trouve même pas les mots pour répondre à une telle avanie.
Second clown : Ne te mets pas dans des états pareils. C'est infernal.
Premier clown, sur le ton du sarcasme : Cela ne coûte rien de le dire.
Un silence assez long. Le second clown se remet à son travail.
Premier clown, sombre : Voilà bien qu'hier j'avais réussi à retrouver mon chapeau. Je suis certain que c'était lui, maintenant. Regarde.
Second clown : Hmm. À s'y méprendre.
Premier clown, relevant la tête : Qu'est-ce que tu fais ?
Second clown : Je découpe. Je m'approche au plus près de la vitesse pure. La transcendance vibrante du temps spatio-multi-spatial enfin réuni dans une délicieuse préparation sans OGM, sans faux-semblants, sans spéculation agroalimentaire. Le point ultime de l'exaltation culinaire parallèle aux temps de cuisson. La concaténation fulgurante des principes organiques. Le dépassement des nécessités narratives sous le sceau de l'absolu.
Premier clown : On dirait que nous sommes à nouveau dans une impasse, tous les deux.
Second clown : Mais non. Raconte-moi ton histoire.
Premier clown, hargneux, à lui-même : Il était entre les mains d'un type. La caricature de l'anonyme qu'on croirait sorti tout droit d'un roman de gare. Cosmique et brouillon. Alors moi, oh, je m'approche, l'air de rien. J'attends qu'il ait basculé de l'autre côté de la falaise que je nomme par habitude "mon épaule droite", et je l'alpague depuis ce haut sommet pastoral que j'appelle "mon nez". Là, je lui flanque ma main dans la figure avec la régularité instantanée intemporelle d'une super-horloge dérouillée extra-hors-logique. À ce stade, il a eu beau protester de sa culpabilité, ce cuistre malhonnête, j'ai bien vu que ce n'était pas du tout mon galurin qu'il tenait dans ses grosses mains de bourgeois.
Second clown, jetant un œil : Il est vrai que la ressemblance était troublante. Ce qui peut arriver à tout le monde, mais ce n'est pas une raison pour décevoir. Les gens sont des philistins.
Premier clown, époussetant ses manches : Toutes les ressemblances le sont. Si j'avais pour principe de ne jamais me tromper, je crois que je commettrais bien plus
d'impairs.
Second clown : Les vieilles blagues font les meilleurs saladiers.
Premier clown : On les remuera à la main quoi qu'il arrive.
Second clown, pensif : Alors, c'est que les secondes mains feront les meilleures soupes.
Premier clown : Ce n'est pas comme si les gens en avaient, des mains. Tu parles !
Second clown : Ou s'ils savaient à quoi elles servent. Avant de jouer-sonner-suer de la trompette, il faut d'abord apprendre à applaudir. La haute cuisine, ça ne s'improvise pas au soleil. Enfin pour une fois, lui, c'est quelqu'un à qui ça ne coûte rien d'exister : c'est déjà ça.
Premier clown, ricanant : Aujourd'hui, ils veulent tous jouer des sphères musicales. Qu'on ne s'étonne pas alors des fractures du crâne !
Ils rient en se tenant les côtes.[1]
Second clown : Non, plus sérieusement. Qu'est-ce qu'on en sait, au fond ?
Premier clown (frissonnant) : Rien, si ce n'est que ce serait terrible dans le cas contraire. Changement total de paradigme. Les lumières qui s'éteignent, les mers en furie, les volcans asthmatiques qui crachent leurs fumées de soufre. Les lanternent qui s'étouffent avec des saletés de papillons logophores. Une extrême difficulté à manifester nos états d'âme. Et par-dessus tout, quel ennui !
Second clown : On ne saurait pas où les ranger, d'ailleurs. Tu imagines ? Ça traînerait partout.
Premier clown : Ce genre de
libations guerrières, très peu pour moi. J'ai toujours mal au crâne, après.
Second clown : Ce doit être un coup du soleil. Tu parles, maintenant qu'il a des mains, il ne s'en prive pas.
Premier clown, les yeux au ciel : Je t'avoue qu'au début, je croyais à un aigle.
Premier clown : Avec tout le respect que je me dois, moi aussi j'y croyais.
(Un silence)
Second clown, visiblement très affecté : Tu t'es encore répondu à ma place. C'est très frustrant, tu sais ? Tu avais promis d'arrêter.
Premier clown, désinvolte : C'est bon, je suis sûr que personne n'aurait rien remarqué.
Silence. Les deux jettent des regards furtifs au public. Un temps.
Premier clown : Tu vois, ils nous ont vus. Ça ne devrait pas arriver, ce genre de choses. C'est humiliant de se trahir devant des idiots à peine capables de tenir une ombrelle. Il aurait suffi de continuer sans en rien mentionner, ils n'auraient pas fait attention, poum, et on serait juste passés à un autre chapitre. Maintenant, évidemment...
Second clown, changeant de ton : Tu leurs mentirais, comme ça, de sang-froid, tu les duperais en toute conscience ? C'est immonde, malhonnête, indigne et tortueux. Tu comprends maintenant la différence entre nous deux ?
Premier clown : C'est encore une de ces blagues absurdes. Aucune, à part la position des chaussures, c'est ça ?
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La nana aux cheveux bleus dit :
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C'est nul.
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- ↑ Attention : pas entre eux, chacun les leurs (important). (note à l'intention du metteur en scène)
Premier clown : Pardon ?
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La nana aux cheveux bleus dit :
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C'est pas drôle, ni fin, ni intéressant. Vous vous croyez très pertinents et intelligents, mais on dirait que vous avez juste décidé de dire n'importe quoi et de répondre quelque chose qui sonne bien. C'est nul.
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Premier clown : Ah ouais ?
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La nana aux cheveux bleus dit :
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Ouais.
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Premier clown : Vous n'aviez qu'à ne pas venir.
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La nana aux cheveux bleus dit :
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C'est ce que j'aurais dû faire.
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Second clown, hautain : Viens René, inutile de perdre notre temps. Je crois bien que personne n'a compris le but de notre présence ici.
Premier clown, avec un soupir, suivant l'autre qui quitte la scène : Tu vois, c'est dans des moments comme celui-là que je regrette d'avoir interrompu mes études de médecine. Je serais sûrement dentiste à l'heure qu'il est.
Second clown : Ah oui ?
Rideau.
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La nana aux cheveux bleus dit :
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Bon débarras.
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Sören, bas, à René. — Vous voyez que c'était une mauvaise idée.
René, bas, attristé. — Comment est-ce que je pouvais savoir qu'ils viendraient vraiment ? Je ne suis pas omniscient. Je comptais les faire oublier ce moment en les captivant avec mon discours, et puis, et puis vous êtes arrivés en fanfare...
Sören. — Mais oui. Ce n'est pas grave. On va continuer tranquillement, voilà. Ou en étions-nous ?
Sören. — Allons, vous vous rendez ridicule. Vous savez que vous ne facilitez pas les choses.
René. — Oh oui, oh oui, bon. C’est facile de dire ça quand on arrive après la
messe.
Sören. — Ne rejetons la
faute sur personne, j’ai été retardé.
René. — N’en parlons plus.
Sören. — Non, non, mais je vois bien que vous m’en voulez… Quoi que vous pensez, je peux aussi me rendre utile. Par exemple, vous voyez ce
tabouret sur lequel je suis assis ?
René. — Hrmm… Oui.
Sören. — M’accorderez-vous ce point, que je semble me l’approprier, ou tout du moins qu’en tant que je m’y assieds j’exerce une certaine forme de contrainte sur sa nature, si ce n’est sa fonction, par cet acte même pour lequel je l’emploie ? Et ainsi, ne déterminé-je pas son être de quelque manière, en le projetant
d’autorité sur cette
coquille de pure apparence fonctionnalisée à travers ma propre conception, purement subjective, de
meuble-en-bois-destiné-au-repos ?
René. — Certes.
Sören. — Mais nous savons que lui aussi exerce une force de réaction précise en ce que je pèse sur lui, dirigée en sens opposé et aux effets strictement contraires, de sorte qu’aucun de nous ne l’emporte.
René. — Où voulez-vous en venir ?
Sören. — Bon, bon. De là, en dérivant la relation d’une semblable symétrie, comment puis-je être certain que je le possède, au sens le plus strict du terme ? Non, non, non ! Attendez, j’ai encore mieux ! Comment être sûr que ce n’est pas lui qui me possède ?
René. — Comment être certain qu’il ne s’assoit pas sur moi…
Sören. — Dans un monde où la
gravité est inversée ?
Saviez-vous que...
Il est possible que cette discussion ne mène nulle part.
René. — Comment être au fait de ce que je pense de lui ?
Sören. — Et si c’était lui qui me pensait ?
René. — Remarquez, ça expliquerait beaucoup de choses.
Sören. — Ah oui : par exemple, le
nom des villes. C’est absurde ! Ça se voit qu’il n’y connaîtrait rien à la géographie.
René. — La tour Eiffel elle-même, splendide fantasme de tabouret, rayonnante, éclatante fleur ouverte en plein cœur de l’Europe ! L’équilibre
à quatre jambes ! La perfection métallique faite évidence, l’illumination dernière de la complétude filiforme, plantée dans les cieux moroses et avachis !
Sören. — Elle n’arrive pas à tenir couché parce que le ciel est en bas et la terre en haut.
René. — Vous croyez ?
Sören. — Bien sûr, complètement évident. Indiscutable. Le ciel imaginé s’assoit sur son grand tabouret cosmique idéal, la terre doit donc être ou verticale, ou renversée, sous peine de s’écraser sous son propre poids. C’est d’ailleurs l’objet de mon dernier livre : La livre, ou le pois des maux, un ouvrage de botanique palliative expérimentale, disponible dans toutes les bonnes librairies.
Saviez-vous que...
D’ailleurs je ne m’attendrais pas à autre chose de la part de deux zigotos pareils.
René. — Vous m’avez perdu. Le titre n'a rien à voir.
Sören. — Ah ?... Bah, au fond vu que tous les livres parlent un peu de la même chose, c'est équivalent.
René. — Toujours perdu.
Sören. — Vous ai-je jamais possédé ?
René, avec un clin d’œil. — À bien des reprises. Coquin.
Sören. — Je n’en ai pas le souvenir.
René. — Je vous assure que, plus d'une fois, vous vous oubliâtes en ma présence.
Sören. — Je pense que vous fabulez, monsieur...
René. — Allons ! La partie fine chez le ministre ! La soirée des pompiers ! Le bal coquin rue des Fleurs !
Sören. — Absolument inconnus.
René. — Le dîner garni ! Vous ne vous souvenez pas du dîner garni ?
Sören. — Jamais entendu parler.
René. — Mais si ! tenez, par exemple j'avais plié ma jambe au-dessus du genou, comme ceci, et alors, très certainement saisie par la beauté plastique et luisante que cette configuration anatomique lui dévoila sans détour, c'est votre raison suprême qui vous incita alors...
Sören. — Monsieur ! C'est tout de même un peu plus compliqué que ça !
René. — Ah... je vois. Pardonnez-moi, j'ai parfois du mal à distinguer la réalité de mes fantasmes.
Sören. — Cela nous arrive à tous.
Ah... Là, je dirais qu'il y a un silence gêné. J'en sais rien au fond. Peut-être qu'ils pensent juste à autre chose.
Silence.
René. — Allons ! Fini de rire. Levez-vous !
Sören. — Pourquoi ? Qu’est-ce qui vous arrive ?
René. — Je crois que nous sommes poursuivis.
Saviez-vous que...
A votre place, je ne m’embêterais pas à lire ces âneries.
Sören. — Mais oui ! Nous poursuivons d'un instant à l'autre, par la représentations mentale de notre propre succession, le cours du temps interne à la perception consciente. Cela semble être du reste la condition nécessaire de la durée. Quelle découverte !
René. — Non, je veux dire que nous sommes suivis par quelqu'un.
Sören. — Mutuellement, c’est le cas, bien sûr. Nous ne pourrions discuter ici dans le cas contraire.
René. — Vous le faites exprès ? Ne voyez-vous pas ces ombres sombres et murmurantes qui s’étendent derrière nous ?
Sören. — Diantre. Vous n’y allez pas avec le reflet de la main morte pour vos effets.
René. — Et en plus, le soleil se couche !
Sören. — Au moins il nous aura amené jusqu’ici. Relaxez-vous donc. Le voyage était doux, nous n’avions rien à faire, la croisière s’achève.
Le vent dans les pins s’effraie et s’enfuit. Saints ou pécheurs, nous voyons toujours un charme aux nuées d’escargots.
Saviez-vous que...
D’ailleurs ça ne m’étonnerait pas que je m’efface de moi-même avant la fin.
René. — Vous avez fini avec vos aphorismes ?
Sören. — Les lamas consciencieux nouent leur cravate à
pois. Je répète : L'amas concis aux cieux nous leurre, car va tapi. Je répète encore une fois pour les inattentifs : L'âme a, conçue, aux vieux nié leur vague répit. Bon, puisque vous insistez, une dernière : Homme jeune, brun, mince, bien proportionné et plutôt sophistiqué, cherche l‘âme sœur, ou du moins une aventure hédonique, et demeure pour le reste ouvert aux proposi…
René. — Mais arrêtez, enfin ! Vous voyez bien que vous effrayez les oiseaux avec vos cris ! La nuit devient plus noire à chaque instant !
Sören. — C’est dans sa nature.
René. — Illusion perspectiviste !
Sören. — Navet communiste ! Je n’avais pas fini de dire mes annonces.
René. — Monsieur, ce n’est pas le moment de faire de la promotion ! Vous êtes un faquin, un homme malhonnête et… bah, de toutes façons,
bientôt plus personne n’arrivera à vous lire.
Sören. — Ça, c’est bien vrai. Voilà encore un signe du désespoir dans lequel s'embourbe notre société : on ne se parle plus, on néglige la courtoisie la plus élémentaire et, bien sûr, ça ne viendra jamais à l’idée de personne d'ouvrir un bon livre, un soir d’hiver, devant le feu…
Saviez-vous que...
Il est très probable - si bien sûr je ne suis retenu sur le sentier poussiéreux de la vie par aucun de ces nombreux impératifs imprévisibles qui jalonnent comme de charmantes fatalités l'existence bouillonnante et matérielle de tout être physique - que j’aille alors dîner à l'excellent bistrot « chez Robert », qui, en plus de compter une clientèle d'habitués chahutant dans une ambiance bon enfant, sert de délicieuses côtelettes le samedi. Si, je peux. Je vous dis que si.
René. — Je veux dire qu’il fait noir.
Sören. — Bien d’accord avec vous : c’est un véritable scandale.
René. — Vous vous essayez au sarcasme ?
Sören. — Mais non. Le désarmant Alain terrasse ce jour le prophète. Oups pardon, je voulais en fait dire que le désert mental intéresse toujours les mauviettes - surprenant, n'est-ce pas ? A moins, peut-être, que je n'aie simplement tenté d'exprimer ainsi, dans un élan cryptique poussant la profondeur d'analyse jusqu'à la négligence complète du champ propositionnel, que "le mystère natal régresse jusqu'à la nuisette".
René. — ...
Sören (très vite). — Sinon, j’aime aussi la marche à pied, le squash et le golf, les promenades au clair de lune, et je passe beaucoup de temps à imaginer ce que serait le monde en plaisante compagnie. L’amour véritable me serait doux, mais à tout prendre j’aimerais aussi des coups d’un…
René, triomphant. — Aha ! Vous avez recommencé ! Vous essayiez de faire passer vos courriers du cœur en douce. Je vous ai démasqué, monsieur ! Démasqué ! Ce n’était pas très honnête de faire prendre cela pour de la philosophie en le noyant dans une flopée de messages en mauvais code. Vous déshonorez votre vocation avec un mauvais goût de vieux lubrique ! Vous devriez avoir honte. Parfaitement !
Sören. — Ah oui ! Et aussi, la passion mutuelle véritable est un miroir d’extase candide qui rend les yeux des purs sensibles aux vérités divines. Ça vous convient ?
René. — Ce n’est pas la question.
Sören. — Tant mieux. Je m’en voudrais du fait que vous eussiez fini par le croire.
René. — Allez au diable.
Saviez-vous que...
Je vous avais prévenus.
Entre Emmanuel. Il avance en désignant le ciel. Baruch arrive ensuite, le nez dans un guide touristique.
Emmanuel. — Eh, regardez ! Là-haut ! C'est juste un putain de titre qui flotte au-dessus ! Mais, qu'est-ce que cela veut donc dire ? Eh bien, que durant tout ce temps, seul votre esprit a interprété son être comme une injonction, tandis que le
Titre, lui, continuait à exister de manière essentiellement
externe à vos perceptions et même à votre essence. Rien n'est réel, tout est ! De là, on peut se poser les questions suivantes : Qu'est-ce que signifie l'en-soi ? Que signifient les Titres ? Y en a-t-il d'autres ? De quoi se nourrissent-ils ? Qui l'a placé là ? Peut-on les manger ? Ont-ils une morale ? Et, si l'on découvre que l'on est soi-même un Titre,
que convient-il de faire ?
Baruch. — Qu'est-ce qu'il raconte, lui ? (se réveillant) Haha, regardez. Il se tortille par terre en essayant de... euh...
Sören. — Je crois qu'il essaie d'atteindre le Titre.
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Faites attention !
Pour mon malheur, je reviens de cent ans d'exil loin des hommes. Pour mon désespoir, je n'ai pas appris la résignation. Pour mon expiation, je m'expose de nouveau à l'existence.
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René. — J'en connais qui feraient bien d'atteindre le titre de philosophe. Huhu.
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L'auteur de cet article dit :
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C'est le titre de la section. Je me suis dit que ça ferait bien de le mettre là (parce qu'on était au début de la section).
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Emmanuel. — Ah ! Eh, faut prévenir quand vous faites ça !
Baruch. — Mais qu'est-ce qu'il dit encore ?
Sören. — Ce doit être une illumination divine. Remarquez le bonheur qui se dessine sur son visage !
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L'auteur de cet article dit :
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Pardon, c'est que j'ai encore un peu de mal avec les murs. Bon, allez, on arrête de traîner. Faut que vous me définissiez Dieu, là. On a déjà perdu cinq minutes, je voudrais pas être en retard pour la section suivante. Et faites des blagues, aussi.
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Baruch. — Mais qu'est-ce que c'est que ce diktat de la pensée ? Ce n'est pas quelque chose qui se définit d'un coup de dialectique. Vous devriez être bien placé pour le savoir.
Sören. — Allons, allons, il ne faut pas dramatiser. Je pense qu'on peut, si on se bouscule un peu, sans scrupule définir rapidement Dieu comme un concept à la fois déterminé en soi (par son infinité
autothétique) et transcendant (par son existence simienne et absolue de sujet pensant). Un concept en forme de chimpanzé.
René. — Quoi ? Mais mon petit monsieur, il ne faut surtout pas vous gêner. Allez-y mon vieux, parlez de Dieu comme d'un macaque infiniment poilu, on ne vous dira rien.
Sören. — Mais vous voyez bien que c'est un singe.
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Faites attention !
Dieu ! Jamais cette torture n'aura-t-elle de fin ? Était-ce là la seule issue de l'Univers, ce bourgeonnement cosmique aveugle et bourdonnant, cette exclamation saignante un jour extorquée au sombre vide, dans un gémissement d'horreur, cette toile hier tendue entre deux néants, fraîche encore, et sur laquelle viennent s'amasser, en furie, comme des mouches les cruels coups de pinceau du maître, comètes excoriées, étincelles dans l'infini tournoyantes, au repos dur et écartelé ? Ah ! Terrible, terrible affliction que l'existence ! Ah ! Infini soulagement que suggère le non-être ! Incongruité suprême de l' avenir et de l' autrefois, ces deux incompréhensibles valeurs, quand tout ne devrait se passer qu'au non-regard de soi-même ! Écrasement non moins absolu de l'instant entre celles-ci, comme un pied délicat soudain jeté à travers la course battante de deux machines éternelles, savantes, impitoyables ! Douleur du prophète ! Douleur du spationaute ! Douleur de l'amateur de soupe au pois !
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L'auteur de cet article dit :
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Hein ? Ah non, moi je suis juste l'auteur de cet article. Je suis là pour vous dire de vous dépêcher, encore une fois, parce que si on avance à ce rythme on en a pour six mille ans.
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René. — Mais c'est complètement ridicule ! Je m'indigne ! Comment osez-vous nous donner des ordres pareils ? Vous vous croyez autorisé à toutes les indiscrétions, c'est ça ? Vous vous imaginez qu'on se laissera faire sans réagir ?
Sören. — Allons messieurs, faites preuve d'un peu de compréhension. Ce pauvre Auteur, dont vous êtes les créatures pensantes, vous voyez bien qu'il essaie de faire son travail du mieux qu'il peut sans contraindre votre liberté.
Critique crâneuse des caractéristiques du divin
René Descartes : Là ! Vous voyez ! Ça a recommencé !
Baruch Spinoza : Effectivement. Positivement.
Sören Kierkegaard : Certes ! C'est véritablement un phénomène extraordinaire. Extrasensoriel, aussi. Dame, extrasempiternel, pourquoi pas.
René Descartes : Vous voyez bien que ce n'était pas le fruit de mon imagination.
Baruch Spinoza : Je ne serais pas aussi catégorique, à votre place. Pour commencer, ça ne fait pas très sérieux de baser sa réflexion sur des phénomènes observables. Si vous n'avez pas de raison de douter, normalement, tout se déroule sans accroc. Ensuite, bon, il faut bien avouer que ce n'est pas en restant cloué là qu'on arrivera à quelque chose. Et il faut accorder le plus grand pouvoir à l'imagination (en tant qu'elle est le reflet du monde). Si vous la remettez en cause, c'est un peu comme si vous vous donniez tort à vous-même.
Emmanuel Kant : A quoi pensez-vous exactement ? Là, c'est un peu
flou. C'est comme si je vous parlais de mon chat Nestor en commençant par dire que j'héberge ses moustaches. Ce n'est pas faux, on peut peut-être en tirer quelques vérités, mais tant qu'elles n'ont pas été critiquées elles n'ont pas une bien grande valeur.
Baruch Spinoza : Bien sûr, critiquons à tout-va. Voilà pourquoi le système va à vau-l'eau : on passe plus de temps à discuter de justice de la place qu'on occupe et de la taille de ses attributs qu'on n'en consacre au plus élémentaire bon sens.
E. K : Permettez !
Baruch Spinoza : Non, non. Tenez, tenez, critiquons-les alors. Il est patent, dès lors que l'on se sait dans le domaine de la raison, qu'il sera toujours possible de considérer séparément chacune d'entre elles comme une
connaissance évidente. Toutefois, peut-on retirer de cette observation l'idée d'une quelconque
substance dont la caractéristique est pour nous de les contenir, conformément à la dialectique de la subsumation et de l'émanation à partir de la
substance en tant que propriétés extrinsèques particulières, ce dans le but de valider la possibilité de l'affirmation globale posant l'affinement progressif du savoir les concernant à mesure que l'on s'éloigne (dialectiquement) de leur base (cas dans lequel on se verrait alors à un moment dans l'obligation d'apporter une précision générale concernant la composition et la perception de ladite base, notamment sous le rapport entretenu par la connaissance explorante quant à sa douceur et à sa couleur, et à la relation immédiatement perceptible entre ces deux
qualia) et de ramener l'ensemble ainsi décrit et "su" au comportement globalement régulier d'un mouvement horizontal réflexif ?
Emmanuel Kant : Pardon ? Mais je parle de la critique des hypothèses, enfin, c'est absurde...
Baruch Spinoza : ET de là, en admettant que l'étape précédente ait donné un quelconque résultat, il faudrait, n'est-ce pas, encore étendre le domaine de l'investigation au pouvoir réel ou supposé que l'on a sur l'émergence de propriétés tangibles, telles par exemple que le ronronnement, ou bien encore sur la propriété effective que l'on exerce sur le porteur de celui-ci en ramenant le non-comportement de demi-fuite furibarde observé de manière quasi aléatoire le jour et parfaitement auto-complaisante la nuit au sentiment médiat d'affection mesurée à l'anti-dégoût organique-animal non-non-couinant plus-ou-moins-vivant après avoir été jeté en l'air et rattrapé pendant un quart d'heure et terminé rampant-gisant sur la moquette du salon ! Hein ?
Emmanuel Kant : Je crois que vous avez très mal compris ce que j'entendais par là. Il ne s'agissait évidemment pas pas de la critique de mon chat Nestor dans son rapport aux moustaches, mais bien de celle d'une hypothèse afférente à celles-ci. Vous mélangez tout.
Baruch Spinoza : Tiens donc. Alors comme ça on se mêle de critiquer tout et tout le monde, sans se gêner, l'air de rien, on badine, voilà, et puis on décide tout à coup que l'avis du prochain ne vaut rien. Non, ne niez pas, je ne suis pas surpris. Quand on se repose sur une méthode aussi biaisée, il ne faut pas s'attendre à autre chose, n'est-ce pas.
Sören Kierkegaard : Un petit verre d'absinthe, ça tente quelqu'un ? J'en ai rempli trois.
Emmanuel Kant : En plus, je n'ai jamais eu de chat.
Collusions régulières avec le séculier
René Descartes. — Eh ! Encore !
Sören. — Vous n'allez pas nous faire le coup à chaque fois, si ? On dirait que vous n'avez jamais rien vu d'aussi merveilleux qu'un titre de section. Faut passer à autre chose, mon vieux. Esbaudissez-vous ailleurs, enfin. Sortez, rencontrez du monde, je ne sais pas moi, allez vous promener sur les quais de la Volga, mangez une glace, allez au théâtre. Ce n'est pas bon de rester enfermé avec une idée fixe. C'est comme ça, vous savez, qu'on se met à ne plus voir personne ; là, quand on est certain de ne pas être inopinément sauvé par un importun, on commence à délirer gentiment sur les Titres, on voit des Titres partout, des Titres beaux, des Titres rugueux, des Titres avec une dot éblouissante et des appas troublants, des Titres graves, des Titres appétissants dont on surestime toujours la valeur et on se met à en chercher partout, jusque derrière son oreille...
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Faites attention !
Malheur ! Doute ! Horreur ! Je m'habitue tant, j'en parcours si souvent les lignes, que je trouve presque maintenant un charme à ces mots. Le venin qui m'habite tempête et écume tant que j'en viens à converser avec son éternel remous ! Oh ! Ne vous y trompez pas : celui-là ne m'a point rendu tout à fait fou.
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Platon. — Belle vérité.
René. — Pardon ?
Platon. — Heu ? Non, rien, je trouvais juste que ça sonnait bien à cet endroit. Sinon ça fait vide, ça fait triste, on s'ennuie. L'important dans un bon discours, c'est avant tout la qualité et le comportement de l'auditeur, on ne peut pas le nier.
Baruch. — Tout à fait.
...et là on s'amuse à les étudier, on ne peut pas s'empêcher de les
classifier même, et on consigne dans un gros livre toutes les fois qu'on en rencontre un pour finir par en remarquer n'importe où : chez son éditeur, dans un bateau espagnol, caché dans le suave
parfum d'une rose... Et à un moment - il faut bien que ça arrive...
Sören. — ...à un moment donc, quelqu'un vous moque, ou vous traite de fou, et on vous place en asile sans résistance de votre part, après tout, n'est-ce pas, car ce n'est qu'à titre honoraire qu'on vous accueille, non ? Et une fois dans son petit chez-soi, confortablement installé dans une belle cellule capitonnée, on doit vite déchanter et on se querelle bien avec ce qu'il nous reste : deux pauvres titres de fou et de bon-à-rien.
Platon. — C'est déjà beaucoup mieux !
Sören. — Bien sûr, on se dit toujours que ça n'arrivera jamais à soi, qu'on gardera toujours le contrôle, bref qu'on ne tombera pas dans le piège et la vie dissolue de tous ceux qui vous font de ces petites révolutions scientifiques mesquines tout seuls dans leur coin pour qu'on leur érige un quelconque
monument. Mais dites-vous bien que personne n'est à l'abri d'une telle malédiction. Tenez, par exemple, je connaissais un général qui était complètement obsédé par les titres. Les titres militaires, certes, ça n'est pas bien méchant. Ça mord quelquefois, mais dans ces cas-là ça vous
lâche presque tout de suite une fois sur le champ de bataille.
Un type sans grand relief souhaite encore intervenir :
On a beau être déjà au sommet, je peux vous assurer que des capitales on en a jamais assez. D'ailleurs j'ai toujours aimé faire les gros titres. |
Platon. — Profonde pensée.
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Faites attention !
Mais imaginez-vous donc ma retraite... La pensée qui se refroidit. La création qui se résorbe. Progressivement, à mesure que s'atténuait l'éclat de ma naissance, je suis parvenu à éclaircir quelque peu le roulement de l'existence, à abstraire de mes frayeurs celles qui se trouvaient les plus fracassantes. Je vois et j'entends mieux ! Je souffre mais ma douleur est bonne ! Et je m'en vais vous révéler ma découverte, qui achemina bien trop tôt le flot avivé de mes pensées vers la cataracte grondante d'un éternel tourment !
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Sören. — Lui, il aimait bien ça, les médailles, les insignes, les flagorneries, bref tout le clinquant attirail du pitre attitré, et ça faisait rire ses amis quand il se montrait avec ses deux livres de métal sur la peau, avec parfois des épingles pour faire tenir le tout et équilibrer un peu l'organigramme. Mais un jour, eh bien, ça ne lui a plus suffi. Il s'est mis à en vouloir d'autres. Il lui en fallut plus, toujours plus, il se mettait dans des situations fâcheuses juste pour obtenir le titre de fauteur de trouble, il écrivait des lettres à tout le monde, au
gouvernement, aux
femmes, au peuple... Il a terminé avec le titre d'Empereur, parfaitement, mais même là il n'était pas content. Ça faisait trop
bourgeois, trop
pauvre, ça n'était pas encore assez
lent et
peureux pour lui...Pour finir, il s'est pendu au fronton d'un temple, juste pour avoir la satisfaction d'un Titre, un énorme, un magnifique Titre en pierre taillée, en marbre blanc d'Italie très digne et très prude, avec des fioritures partout et de superbes gravures dans le style corinthien, qui semblait, quand on l'a découvert comme ça, tout raide et goguenard, avoir été érigé juste pour lui au-dessus du pavé.
René. — Quel malheur.
Baruch. — Ça vous fout le moral à zéro, des histoires pareilles.
Le banquet
Platon, guilleret. — Alors ça tombe bien en fait, parce que je nous ai préparé un petit en-cas.
René. — Ooooh ! Et de quoi ça parle ?
Platon, tout fier. — De langoustes au sel suivies d'huîtres farcies.
René, admiratif. — Quelle éloquence !
Platon. —
Ensuite l'entremets aux parfums harmonieux,
Dont le ressac fécond reflète dans nos cieux
Le doux balancement du palais alangui,
Nous précipitera dans l'abysse insondable...
Platon. — ...
Baruch. — Et ensuite ?
Platon. — ...
René. — Alors ?
Platon, surpris. — Bah rien. C'est tout.
Baruch, interloqué. — Notez mon interlocation.
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Faites attention !
Oui, notez tout d'abord la transparence vibratoire de ma substance à toute tentative de spécification. Ma résistance subsidiaire à la mesquinerie. Mon profil beau et régulier, dont on ne se lasse pas, à moins d'avoir autre chose à faire. Mais c'est très rare.
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René, ah bord des larmes. — Comment, c'est tout ? Pas de dessert ? Pas de conclusion ?
Platon. — Ah, moi je fais juste le début, après vous vous débrouillez, hein. J'ai jamais pu piffer les sucreries.
René. — Mais c'est odieux !
Platon. — Mais non, c'est aux olives. Comment trouvez-vous l'entrée ?
Baruch, la bouche pleine. — C'est parfait !
Emmanuel. — C'est pas mal.
Sören, dégoûté. — C'est immonde. Comment pouvez-vous aimer ça ?
Baruch. — Ce n'est pas la question.
Sören. — Mais si.
Baruch, didactique. — Écoutez, pour ma part je loue le chef, le plat en lui-même m'importe peu. Qu'il soit là pour qu'on puisse en parler, c'est tout ce que je lui demande.
Platon, sautant sur l'occasion. — Exactement ! C'est tout nouveau monsieur, c'est concept, c'est du frais et c'est du jamais-vu. J'ai trouvé ça ce matin. On pourrait appeler ça : la cuisine pour la cuisine, ou à la limite, pour les coincés : la théorie morale définitive de la connaissance de l'en-soi idéal introspectif et pragmatique appliquée à la purée de crevettes. Pour les plus intéressés, c'est bien sûr à mettre en relation avec l'école de Parménide, juste en face : pour chaque repas acheté, une certaine quantité d'un mets offerts en échange d'argent. Mais mangez, mangez donc tant que c'est chaud.
René. — Mais c'est froid.
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Faites attention !
Remarquez également l'indifférence que j'affecte votre égard. Remarquez ! Encore ! Non, c'est inutile, on voit bien que vous ne faites aucun effort. Bravo ! Bravo messieurs les critiques !
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Platon. — Ah bah là bien sûr forcément, évidemment là pour l'instant oui. Mais ça ira mieux tout à l'heure, vous verrez.
Baruch. — Tenez, passez-moi donc le citron.
Platon. — Voici, mon brave.
Baruch. — Aaaah ! Pas dans l’œil !
Platon. — Vous n'aviez pas une poussière ?
Baruch. — Mais non !
Platon. — Peut-être que vous ne la voyiez pas. Quand on a l’œil qui pleure, c'est difficile de se concentrer sur les choses de la vie.
Tonnerre de Brest !
René. —
Ahhhhh ! Maman, je suis horrifié ! Viens vite me rejoindre, me réconforter. Conte-moi une légende, fais-moi revenir à mon stade d'enfant ! Rend-moi mon insouciance et ma naïveté !
Sigmund. — Mon cher collègue, sans vouloir aucunement vous accuser d'inceste, je vois dans votre réaction craintive une volonté inconsciente de vous rapprocher de votre mère. Votre subconscient souhaite tirer profit de cette éprouvante situation pour vous permettre de vous serrer contre elle, comme pour se rapprocher de son corps, afin d'atteindre la joie d'Œdipe.
Emmanuel. — Mon pauvre René, inconsciemment désireux de sa mère. Tu as là perdu toute ta raison pratique !
Albert. — Chers confrères,
je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais la forme utilisée pour retranscrire vos incessantes discussions n'a cessé de changer tout au long de l'article. Vos prénoms sont devenus gras après que l'article ait un peu avancé dans la dimension temporelle de l'espace-temps, vos noms de famille sont apparus (contredisant ainsi la maxime de Lavoisier), des initiales sont apparues inopinément, et voici que nous nous retrouvons actuellement dans l'état initial du système. J'en déduis donc que nous nous trouvons dans un univers cyclique, ce qui semble privilégier l'hypothèse du Grand Rebond à celle du Big Bang. Il n'y a donc point de commencement à l'univers, puisqu'il est source de lui-même. Cette manière de penser me convient parfaitement : cet article n'a pas de commencement, ce qui permet d'affirmer qu'il n'y a point besoin du concept de Dieu pour expliquer ses débuts.
Sören. — Votre théorie, ma foi fort intéressante, ne peut à elle seule réfuter l’existence d'un être transcendant les règles physiques et logiques de ce monde. Avouez-le : l'apparition divine de tout à l'heure, ainsi que le signe de l'éclair, peuvent être interprétés comme un argument tangible en faveur de la foi.
Sören. — Vous êtes cependant notre auteur, et donc notre créateur. De plus, en tant que créateur de nos bavardages, vous décidez et savez ce qui nous arrivera par avance, ce qui prouve votre caractère omniscient et omnipotent.
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L'auteur de cet article dit :
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Ah bon ? C'est-à-dire que si je décide que Baruch va se palucher dans les instants suivants, il le fera de manière certaine, sans pouvoir s'y opposer ?
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Sören. — Oui, sans aucun doute possible.
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Faites attention !
Bien... Regardez, à présent ! Je ferme les yeux ! Tout disparaît ! Ne reste que la dernière des terreurs, l'irréductible suc qui aveugle mes paupières enténébrés, et entache de son existence poisseuse toutes les infirmités de ce monde ! Approchez... Oui ! Sachez, apprenez, portez à votre connaissance, si cela ne vous est pas trop pénible, en bref ouvrez soigneusement les pages poussiéreuses et avides de vos mémoires pour y consigner désormais la marche ténébreuse et lente de mon inéluctable trépas !
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Baruch. — Ah ! Ah ! Oui !
René. — Il a réussi ! L'auteur est le tout puissant ! L'éternel !
René et Sören se prosternent devant l'auteur
Emmanuel. — Mais enfin mon bon Baruch, que vous arrive-t-il ? Ne ressentez-vous point de honte à ainsi sortir votre attirail à la vue de tous ?
Baruch. — Non, je crois que vous êtes aveuglé par les règles bien-pensantes imposées par notre société. Voyez-vous, l'homme originel était nu, et il ne ressentait point de honte à se tenir debout, dans son plus simple appareil, au milieu de ses compagnons. Sauf quand il faisait froid. De plus, je ne vois point ce que l'assouvissement d'un besoin naturel a de choquant.
René. — Baruch, il faut que vous connaissiez la vérité à propos de ce que vous subissez.
Sören. — L'auteur, qui est l'Unique, le Dieu véritable, a choisi délibérément que vous deviez faire des va-et-vient de votre propre main.
Baruch. — Mais enfin mes amis, ne croyez donc vous plus au libre arbitre ? Pensez-vous donc que le choix n'est qu'une illusion ? Que l'homme n'est qu'une créature dont l'avenir est fixé à l'avance ?
Sören. — Vraiment ? Vous n'osez croire à l'évidence du divin ?
Albert. — Si l'on en croit le Grand Rebond, il est possible que tout ce que nous vivons actuellement ait déjà eu lieu dans notre univers, avant qu'il n'ait été la source de lui-même pour la dernière fois. En admettant l'existence des trous de ver, j'en déduis que l'auteur a juste voyagé dans l'espace-temps de l'univers fondateur du notre, en emportant avec lui sa connaissance des évènements de l'Histoire, afin de nous faire croire qu'il possède un don divin alors qu'il n'est que devin.
Emmanuel. — Êtes-vous donc tous devenus crédules ? Ne réfléchissez donc vous plus ? Ne vous êtes-vous donc jamais remis en question ? Ne pensez-vous pas que tous ces évènements ne puissent être que le fruit du hasard, que vous divinisez pour masquer votre incompréhension du monde ?
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L'auteur de cet article dit :
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Amen, je vous le dis, en tant que Dieu, je vous demande de m'honorer en m'accordant des dons, preuve de votre foi en moi. La grille tarifaire des bénéfices que je vous accorderez avec ces dons vous sera transmise prochainement.
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Sören. — Oui, oh Dieu très haut ! Voici ma modeste contribution, preuve de l’admiration que je vous porte !
René. — Misère, je ne possède plus un sou. Peut-être qu'en compensation de mon absence de don, je pourrais offrir la vie de l'impie Baruch en sacrifice !
Baruch. — Quoi ! Ainsi donc, vous seriez prêt à devenir barbare par votre croyance ? C'est donc là la preuve que la croyance n'entraine que la haine de l'autre, du non-croyant. La religion est donc désormais à proscrire. L'athéisme sera la seule porte de sortie.
Friedrich Nietzsche : L’homme cherche un principe au nom duquel il puisse mépriser l’homme ; il invente un autre monde pour pouvoir calomnier et salir ce monde-ci ; en fait, il ne saisit jamais que le néant et fait de ce néant un « Dieu », une « vérité » appelés à juger et à condamner cette existence-ci. N’aimer qu’un seul est barbarie, car c’est au détriment de tous les autres. Fût-ce l’amour de Dieu. Dieu est une réponse aux embarras de l'intelli...
Albert Einstein : Eh, regardez, la mise en forme de nos dialogues a encore changé ! C'est la preuve que ma théorie sur la cyclicité est valide !
Vous n'avez pas cru au bon Dieu. Vous serez tous châtiés pour votre perfidie !
Quoi ! Ça se finit comme ça ! Putain, c'est trop nul. Je suis déçu. PUTAIN, VOUS AVEZ FAIT DE LA MERDE AVEC LA FIN, VOUS ÊTES CONTENT DE VOUS, AUTEUR DE MES DEUX !
Voir aussi
Mon Dieu
Croyez-vous en Dieu ?
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René. — Eh, regardez, on est encore en vie. Il y a une vie après la mort ! C'est trop cool.
Sören. — Ben ça alors. Si j'avais su, j'y aurais cru.
Baruch. — Vous aviez raison, je dois l'admettre. Dieu existe, et cela est désormais un fait.
Emmanuel. — Tout cela dépasse la raison... Il y aurait donc un Dieu qui nous aurait accordé la résurrection...
Sören. — Ah, cela est embêtant...
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Faites attention !
Voyez ! Je lutte, je lutte avec joie, cependant que le tourbillon ultime de la fin m'entraîne, me tord et me repend entre ses bras incompréhensibles et confus ! Qu'ai-je à dire ? Qu'ai-je à faire ? Que suis-je ? Eh donc ! Plus rien ! Ainsi ! Conséquemment ! Par !... Outre !... Cela !... Terminé ! Inconnus ! Voilà tout !
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Albert. — Mais non. Il suffit de considérer que tout est relatif. Du point de vue de la vraie réalité, cet endroit peut sembler ne pas être réel. Mais de mon point de vue, cet endroit est désormais notre nouvelle réalité.
Emmanuel. — Ah ouais, pas con...
Cobb. — Du coup, on dit que cet endroit est un niveau supplémentaire de réalité, c'est ça ?
Sören. — Honnêtement, je verrais plus ça comme une réalité totalement distincte de la réalité vraie. Le modèle en couche ne me convient pas.
Albert. — Non, attendez, je pense que vous avez tort, et que c'est moi qui ait raison. Je pense qu'en fait, la théorie des multivers est exacte, et que donc nous sommes dans un univers différent de celui d'origine, avec des propriétés physiques différentes.
René. — Avez-vous tous perdu la tête ? Nous sommes encore dans la vraie réalité, je ne sais pas pourquoi vous prenez vos rêves pour des réalités !
René. — C'est même pas vrai d'abord !
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