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Babylon, roots, man »
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Sacha Guitry à propos des ravages de la drogue sur le cerveau
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Que dit un rasta quand il n'a plus rien à fumer ? "C'est quoi cette musique de merde ?! " »
Mais pourquoi j'ai accepté de faire ce bouquin, Bon Dieu ? Pourquoi j'ai signé ce putain de contrat pour répondre aux questions de mon abruti de fils, au lieu de le laisser prendre sa drogue et me foutre la paix ? Ah ça y est, je me souviens, 10000€ pour 4 heures de travail, j'avais trouvé que ça valait le coup. Enfin, comme l'a dit Lamartine, "Ayant vendu mon livre, il a bien fallu le faire". Ah, c'est pas ce putain de merde d'inculte à la con qui serait capable de citer Lamartine !
Et d'abord, pourquoi ces cons du Seuil m'ont proposé d'écrire ça ?
Comme vous pouvez le constater, je suis au Seuil.
La collection "expliqué à"
Je suis sûr que, même si vous savez à peine lire (et quand on voit que vous fréquentez la dÉsencyclopédie, on peut supposer que c'est le cas), vous avez dû entendre parler de livres du type "Une chose expliquée à mon fils/ma fille". Faisons donc un bref historique de cet attrape-couillons.
Un jour, un crâne d'œuf des éditions du Seuil a eu l'idée d'aller chercher un écrivain[1] et de lui demander d'expliquer à sa fille que le racisme, "c'est pas bien". Et le pire, c'est que commercialement parlant, ça a marché, preuve que les gens sont prêts à acheter n'importe quoi dans notre putain d'époque à la con. Enfin non, en fait le pire c'est pas ça, c'est qu'ils ont proposé plein de variantes, et qu'à chaque fois ça a marché. Par exemple, "La faim dans le monde expliqué à mon fils", ou encore "L'humour dans Wikipédia (difficilement) expliqué à ma fille".
Mais ils se sont aperçus que pour continuer à se faire de la thune, il faudrait renouveler tout ça.
Pourquoi donc renouveler cette collection ?
Parce que ces gros malins de commerciaux se sont aperçus que c'étaient des pré-ados et une poignée d'adultes qui gaspillaient leur fric pour ces bouquins[2], alors qu'eux, ils auraient bien aimé piquer la thune des ados (ça serait pas plus mal, au lieu qu'ils dépensent tout en SMS et à se faire des coiffures de demeurés). Du coup, il fallait que les enfants en question soient assez ados et assez attardés pour permettre au lecteur de s'identifier.
Mais quel type d'ado prendre ? Car il faut que l'interlocuteur plaise à tous ces abrutis. Or, un punk serait haï par certains métalleux, un métalleux serait méprisé par un néo-hippie, et depuis 1976 (ou 77, de toute façon, tout le monde s'en fout), les vrais punks vomissent les hippies. Quant aux ados BCBG, malgré leur gentillesse, ils sont victimes des quolibets de tous les autres attardés. Même chose pour un wesh, la gentillesse en moins.
Un ami Une vague relation qui bosse au Seuil m'entretenait de ce problème (à part qu'il avait l'air de ne pas être dégoûté par ces abrutis d'ados-ce crétin). Soudain, il me fixa fixement.
— Au fait, t'as pas un gosse, toi ?
— Euh............. Si
[3]
— Et il a pas cette coupe bizarre qui caractérise les auditeurs de
reggae... les breadlocks ?
— Euh............. Si
[4]
— Parfait ! Ça te dit de faire un livre avec lui ? Les
racailles aiment bien les rastas qui leur achètent des trucs, les hippies considèrent qu'ils sont des leurs, les punks
un minimum cultivés savent que les auditeurs de reggae ont été les premiers à les tolérer, et les métalleux se diront "cool, un chevelu".
Malgré que se profile la perspective repoussante de passer un peu de temps avec l'autre petit merdeux, je n'hésitai pas une seconde. Cependant, je tentai d'améliorer encore un peu le produit :
— Et les BCBG, on en fait quoi ?
— Oh, on s'arrangera pour que ça parle de
cours. Et puis de toute façon, si leurs
parents leur disent d'acheter, ils achèteront.
— Et... Pour ceux qu'on ne peut pas mettre sous une étiquette ?
L'employé de la maison d'édition me regarda, l'air stupéfait.
— Mais enfin... Ils ont beau être parfois
intelligents, ce sont des ados !
Alors puisqu'il faut écrire ce bouquin, viens ici, petit sert-de-rien !
Comment ça, je suis immonde ? Si votre mioche ressemblait à ça, vous me comprendriez !
— Oui, papa ?
— Je vais t'apprendre un peu la grammaire française.
— Mais, papa... Si tu t'occupais un peu de moi, tu saurais que j'ai 19.65 de moyenne en
français, et que je n'en ai pas besoin... Quand même, je ne suis pas le fils de l'autoproclamé plus brillant
professeur de linguistique de
France pour rien.
— On s'en fout, petit con ! Fais semblant de ne pas y connaître grand chose, pose des questions censées être pertinentes, et je te donnerais 15€ d'argent de poche. Et éteins ce putain de
pétard,
nom de dieu !
— Cool, je vais pouvoir me payer un 15€ !
— Tu pourrais aussi investir en
Bourse puis fonder ta start-up, mais visiblement, ça dépasse Môssieur ! Et dire que j'ai des réductions sur les actions Eurotunnel, et que tu ne veux même pas en profiter ! Ah, elle est belle la jeunesse ! Bref, commençons par...
La double négation
Pour ceux qui auraient besoin d'un cours de rattrapage, c'est
par ici.
—
Donc, si j'ai bien compris, je suis censé demander "Papa, c'est quoi la double négation ?"
— Pour une fois t'as compris quelque chose, espèce de bon
aryen.
— Papa, c'est quoi la double négation ?
— Eh bien en français, la négation est marquée deux fois. Une fois avec "ne", et une fois avec un autre marqueur, souvent "pas
— T'es con, ou tu le fais exprès ?
— En l'occurrence, je le fais exprès, pour que tu puisses clarifier les
choses, parce que là, c'est vraiment pas clair.
— Ah... Eh bien, ici, le premier "No" est une interjection et il serait traduit par un simple "non" en français. Non qui peut en outre remplacer une phrase négative entière.
— Mais on pourrait éviter de faire une double négation ?
— Dans un langage soutenu, oui : Par exemple, si le dernier
policier qui t'a arrêté avait été plus éduqué, plutôt que par "Crache des noms, petit fils de
pute, ou je te crève", il aurait commencé par "je ne puis croire qu'il ne s'agisse d'une substance prohibée"
— Si l'éducation était le seul paramètre à entrer en jeu, tu ne parlerais pas comme lui.
— Ta gueule, petit con.
— Mais en plus tu me racontes des conneries ! Pierpoljak, il dit bien "j'sais pas chanter autre chose que du reggae, j'sais pas rouler autre chose que des tarpés" ! Il se débarasse du "ne" sans que ça lui pose le moindre problème !
— Oui mais c'est un abruti qui chante pour d'autres abrutis, et d'abord c'est pas du français correct ! Na !
— Putain, tu te rends compte que tu passes tes journées à faire des cours ou des recherches sur des sujets comme ça... Tu dois vraiment avoir un
boulot de merde !
— Je t'emmerde, petit con, c'est pas de ma faute si j'étais trop nul pour faire un doctorat de
lettres modernes ! Puis d'abord, on a d'autres trucs à voir. Comme
Nature et fonction
Cette fois, c'est
ici et
ici. Enfin, si vous y comprenez quelque chose.
Heureusement, ce livre devrait servir.
— Car vois-tu, mon cher fils (oui, je viens d'être appelé par le Seuil qui me conseille de surveiller mon langage), il y a deux notions fondamentales pour l'étude de la langue : la nature et la fonction.
— Mais c'est quoi la différence ?
Bob Marley, c'était sa nature de chanter du reggae, et c'était aussi sa fonction.
— Petit con... Oups... Je voulais dire... En grammaire, ce n'est pas la même chose. La
nature est, plus ou moins, invariable : c'est ce qu'est un mot.
— Ah, alors quand je me sers d'une carte de
bus pour m'en rouler un, la nature de "bus", c'est "ton-car" ?
— Non, c'est un nom, et "ton-car", c'est sa fonction, c'est-à-dire ce à quoi il sert dans le bedo... la phrase. La fonction peut également être sujet, attribut, COD,
papier à rouler, briquet... Putain, mais le pire c'est que tu me contamines avec tes conneries de junkie !
— Écoute, si ces
questions-réponses te font autant
chier que moi, autant finir au plus vite non ? Donc, quel est l'utilité d'un repérage des natures et des fonctions ?
— Le repérage de la nature peut permettre de savoir s'il est possible de remplacer un terme par un autre ; ainsi, dans la proposition "Car Babylone te rend mauvais, man", la conjonction de coordination "car" peut être remplacée par les
locutions conjonctives "parce que", "étant donné que" et "vu que", ainsi que par la conjonction "puisque".
— Ouais mais non, c'est trop long, et en plus, "puisque", ça fait un peu chanson de Raphaël.
—
TG NOOB LOL ! Quant à la fonction, elle est importante en ce qui concerne les
accords. D'ailleurs, nous allons nous en apercevoir tout de suite avec la...
Transitivité
— Papa, peux-tu m'expliquer ce qu'est la transitivité, et l'intérêt de ce concept ?
— Oui, je le peux.
— Eh bien, fais-le !
— En grammaire, la transitivité, directe ou indirecte, est une propriété éventuelle des verbes qui désigne leur aptitude à accepter un complément d'objet. En français, la transitivité influence le choix de l'auxiliaire employé dans la conjugaison. Tous les verbes transitifs se conjuguent avec « avoir » ; c'est aussi le cas de beaucoup de verbes intransitifs, certains cependant se conjuguent avec « être ».
— Et tu peux me dire à quoi ça sert d'avoir
Bac+8, si c'est pour répéter ce que dit
Wikipédia ?
— C'est plus rentable de donner des conférences que d'écrire sur une encyclopédie libre
— Et en plus, t'es bien content d'être considéré comme un
expert. Bref, comme ça a à voir avec les verbes, peux-tu les classifier en fonction de leur transitivité ?
— Donc, abruti n'est pas un complément d'objet ?
— Non, c'est un abruti... pardon, un attribut du sujet, toi, parce que c'est une de tes caractéristiques fondamentales, espèce de sert-de-rien.
— Hérédité, sans doute. Donc si certains sont intransitifs, certains sont transitifs, donc capables de se mettre en
transe même sans écouter du Bob Marley défoncé ?
— Oui, enfin sauf pour la fin. Ils peuvent accepter un complément d'objet.
— Eh bien, il existe également les verbes ditransitifs...
— Transitif.
— Ta gueule, on a presque fini de pigeonner les lecteurs... Oups, ça, faudra le supprimer du compte-rendu... On en était où ?
— La ditransitivité, papa.
—
Ah oui c'est vrai. Donc, certains verbes peuvent accepter deux compléments, ce sont les verbes ditransitifs. Prenons pour exemple "J'ai transmis une cigarette magique à mon voisin". Si on la représente sur cette feuille, le sujet, "je", est sur la première partie de la feuille, le verbe "transmettre" sur la deuxième, le COD sur la troisième, le COS sur la quatrième et on n'a qu'à dire que la cinquième, c'est le point. Si le verbe avait été simplement transitif, on aurait dû supprimer la troisième ou la quatrième branche.
— D'abord,
moi, je préfère les feuilles divisées en 7, alors t'avais qu'à ajouter des compléments circonstanciels ou une
apostrophe !
— Si tu n'est pas d'accord, c'est pareil ! De toute façon, quand tu auras 18 ans, tu dégages, et je serai enfin débarassé de tes conneries de drogué.
—
C'est toi le drogué ! Tu crois que je ne suis pas au courant de la
cocaïne qui est cachée sous ton matelas ?
— Et alors, qu'est-ce que ça change ? Si tu me dénonces, j'aurai le temps de tout écouler avant que la police arrive !
— Sauf si elle aussi est au Seuil.
TOC6TOC
— Police, ouvrez !
— Monsieur, vous êtes en état d'arrestation. Vous êtes soupçonné de trafic de drogue, de maltraitances sur mineur avec circonstances aggravantes, et de faux et usage de faux.
— Comment ça ?
— Un prof de fac qui a aussi peu de vocabulaire et qui commet des erreurs dans son propre domaine, on voit bien que son diplôme est faux.
— Raaaah salaud de rasta de merde tout ça c'est à cause de toi !
— Non, papa, moi je t'ai pas dénoncé. Si la police est arrivée, c'est à cause de...lui !
Police et narrateur-faux prof, en chœur : Qui êtes-vous ?
— Moi... Je suis l'
auteur de l'article... Je comptais garder tout ce petit monde sous contrôle, mais apparemment, j'ai été trop présomptueux. Que voulez-vous, c'est un risque à prendre lorsqu'on est un écrivain médiocre et ambitieux.
— Donc vous vous êtes rendu coupable d'incitation à la consommation et au trafic de stupéfiants, à la violence sur des mineurs, et votre manipulation de nos personnages peut être qualifiée d'abus de faiblesse, ou d'autorité, au choix. Votre compte est bon, monsieur, vous êtes en état d'arrestation.
— Mais... Vous ne pouvez pas m'arrêter !
— Bien sûr que si. Je vous rappelle que je suis fonctionnaire de police.
— Oui, mais c'est moi qui écris, et si je ne veux pas être arrêté, il suffit que je stoppe ce texte à temps. Il y a quelques minutes, vous auriez pu faire raconter mon arrestation par le narrateur, mais vous lui avez passé les menottes. D'ailleurs, il ne les avait pas parce que j'avais oublié de le dire, mais cette omission est réparée.
— Peu m'importe ces subtilités, je vous arr
AHAHAHAHAH ! JE SUIS LIBRE !
Notes
- ↑ Bien sûr, encore un salaud d'arabe !
- ↑ Comme si ils pouvaient pas les télécharger sur Emule
- ↑ Comprenez mon hésitation, j'avais un peu honte de l'avouer
- ↑ Idem
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