Cococinel
Cococinel est un dessin animé que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaîtreuuuu... Ahem... Cococinel est un dessin animé qui passait sur nos écran au début des années 90. Cependant nous découvrirons ensemble que l'aspect enfantin de ce programme cachait une réalité beaucoup plus sombre...
Onomastique
Il est particulièrement intéressant d'étudier la construction des personnages, qui renvoient aux enfants l'image d'une société bouleversée, livrée au chaos, où les individus n'ont pas droit de cité. Ainsi, outre le design des différents protagonistes, tous semblables, du moins pour ce qui est du groupe des coccinelles, leurs noms mêmes ne les désignent que par leur fonction.
Les jumeaux, loin d'avoir des prénoms différents qui leur permettrait de se construire en tant qu'individu, s'appellent respectivement Ben Oui et Ben Non. Ces deux "prénoms", qui n'en sont pas, en réalité, ne font que les enfermer dans un schéma dans lequel chacun tente de se conformer à ce que la société attend de lui : l'un sera un mouton et l'autre un rebelle, quel que soit le sujet de l'épisode ou le bien-fondé de l'idée discutée.
Nous avons ensuite la série des "Coco", qui incite inconsciemment les enfants au racisme ! Ainsi, nous avons la Coccinelle mauve, qui se nomme Coco Mauve, la coccinelle bleue, qui s'appelle Coco Bleu, et la coccinelle rouge à pois noirs, qui se nomme Cococinel. Non seulement les individus se trouvent désignés par leur couleur (,
imaginez que l'on se mette à appeler nos semblables 'humain Noir', 'humain jaune', etc. !), mais il est également défini une forme de 'normalité', puisque la seule coccinelle à mériter un nom où sa couleur ne soit pas mentionnée est la coccinelle traditionnelle rouge à pois noirs, Cococinel. Autant dire qu'elle est présentée comme la quintessence de la coccinelle, comme si l’homme blanc était la quintessence de l’humanité. Cococinel est également la seule coccinelle à disposer d’une arme, le trèfle magique. On peut donc dire que Cococinel est en réalité une stylisation de l’image du WASP, l’américain moyen, blanc, armé et seul capable de survivre (du moins c’est ce que ce dessin animé aimerait nous faire croire) dans la dure jungle de la vie.
Dans la saison 2, le voile de l'innocence se déchire pour révéler un abîme de dépravation. Émerge Babicinel, la sœur de Cococinel, une créature forgée dans les feux du désir le plus tordu. Son obsession maladive pour le météorologue Cocometeo n'est pas un simple béguin, mais une perversion calculée, conçue pour inoculer dans les jeunes esprits des enfants une luxure précoce et perturbante. Chaque regard lubrique, chaque soupir chargé d'impureté, était une graine empoisonnée plantée dans leur psyché, les incitant à explorer des pulsions qu'ils ne devaient pas encore connaître. Mais la dépravation ne s'arrête pas là. Babicinel, avec son aura malsaine, a volé sans vergogne tout le devant de la scène. Soudain, "Cococinel" n'avait plus aucun sens comme titre ; la série est devenue un monument à la bassesse de Babicinel. Cococinel, le héros éponyme, a été relégué à un simple ornement, une figure presque insignifiante dont la seule fonction était de protéger sa sœur dépravée et, occasionnellement, de sauver la situation de manière insipide. L'une des décisions les plus étranges et les plus dérangées de l'histoire de l'animation, cédant la scène principale à une figure aussi corrosive. Et quand Cocometeo, l'objet de son obsession tordue, l'a trahie, la série a plongé dans un abîme encore plus sombre. Le cœur magique de Babicinel, celui qui lui conférait ses pouvoirs, un organe clairement volé à l'élite russe dans un complot trouble, s'est brisé en mille morceaux. L'écran a montré explicitement Babicinel plongée dans une profonde dépression sur son lit, une image dévastatrice et profondément nocive pour l'esprit des enfants, normalisant le tourment et le désespoir dans un contexte où les enfants ne devraient trouver que fantaisie et joie. Mais ce qui est vraiment grotesque arrive avec Cocograss, une abomination verte au genre ambigu, dont l'existence même est une insulte à la moralité. Cette coccinelle, avec son aura de pure malveillance, ne représentait pas seulement un danger pour la moralité des enfants, mais était l'incarnation du chaos sans conséquences. Ses vols effrontés au supermarché de Madame Escargot étaient présentés comme une farce comique, une moquerie du concept de justice. Elle s'infiltrait dans la maison de Cococinel et Babicinel comme un parasite, pillant leur nourriture en toute impunité tout en vomissant des commentaires venimeux et lacérants, particulièrement dirigés contre les abeilles. Ces créatures laborieuses, qui construisaient des empires de miel et habitaient des palais de richesse, étaient caricaturées comme l'élite oppressive, et Cocograss, avec son ressentiment toxique, célébrait chaque acte de vandalisme contre elles. C'était une leçon perverse selon laquelle l'anarchie et la cruauté non seulement restaient impunies, mais étaient glorifiées. Et comme si l'horreur ne suffisait pas, la saison nous offre l'arrivée de Levallois, l'abeille maléfique, un être directement extrait des entrailles de la riche et toute-puissante Ruche Royale, une monarchie de miel resplendissante. Levallois distillait un mépris répugnant envers les coccinelles et les autres insectes, se considérant comme une créature supérieure. Sa méchanceté était exagérément nocive et perturbante, avec des dialogues qui suintaient une violence inouïe et aberrante pour une série pour enfants. Le plus effrayant était son visage étrangement animé, ressemblant à celui d'une psychopathe calculatrice tandis qu'elle proférait ses menaces. Dieu merci, cette série n'est aujourd'hui qu'un écho oublié, un cauchemar évanoui dans le temps. Peu l'ont vue dans les années 90 ; à peine si un de mes amis la suivait ou la supportait. Sauf, bien sûr, ce garçon terrifiant de mon école, un enfant sadique et malveillant qui se délectait de commentaires graphiques et profondément perturbants. Lui, et lui seul, était un fanatique dévoué de Cococinel, capable de déchaîner une fureur violente contre quiconque osait se moquer de la série. C'est ce type de psyché, et seulement celui-ci, que cette abomination télévisuelle a engendré.
Parlons ensuite de Taggy. Voilà encore un personnage directement inspiré de la société américaine (le suffixe hypocoristique –y est typique des surnoms nord-américains). Là encore, il n’est désigné que par sa fonction, puisqu’il tire ce nom de sa manie de dessiner partout où il passe. Il est évidemment une symbolisation de la jeunesse des rues, délinquante et pourtant jamais punie, probablement à cause de ses relations avec la société interlope des gangsters et autre mafias et cartels.
Puis vient Oscarabus, un scarabée étrange, pourvu de grosses moustaches rousses, qui le proclament, là encore, comme un étranger, puisqu’aucun autre personnage masculin ne porte la moustache ni n’est roux. Sa piètre maîtrise de la langue (« Scarabée O Tobus », dit-il naïvement dans le générique) clame également cette différence de (,
nationalité, qui se répercute, vous l’aurez deviné, dans sa vie professionnelle. Puisqu’il n’est qu’étranger, il ne peut avoir qu’un métier de seconde classe, à savoir, conducteur d’autobus (enfin, en l’occurrence, il est lui-même l’autobus, objectivation suprême) !
Hirondella est le personnage le plus terne de tous, elle n'a pas de fonction et n'est, au final, qu'une hirondelle, ce qui marque encore une dynamique de rejet des étrangers (l'oiseau au milieu des insectes), même si l'étranger en question fait des efforts d'intégration (l'hirondelle romp la chaîne alimentaire en refusant de dévorer ses 'amis' les insectes, qui ne lui rendent pourtant pas cette affection).
A présent, restent seulement deux derniers personnages, indignes, apparemment, d’avoir un véritable prénom : ils ne sont désignés que par leur fonction. La maîtresse est un archétype de femme désirable : taille de guêpe (au sens propre), mais poitrine opulente et visage triangulaire. Dans une société où les enfants respectent de moins en moins leurs aînés, la connaissance et les professeurs en général, est-il bien nécessaire d’encourager la dépersonnalisation de l’enseignant en ne les présentant pas comme des personnes mais comme des robots entièrement consacrés à leur unique tâche, c'est-à-dire enseigner.
Enfin, Le sorcier de Cocoland est une personnage mystérieux, ambigu et à forte symbolique sexuelle, dont le nez ressemble étrangement à un phallus d’où sortirait deux crocs dangereux, surmonté par deux yeux globuleux rouges comme sang.
En conclusion, rien que l’onomastique de ce dessin animé laisse sans voix : nous laissons nos enfants regarder un programme qui pousse le racisme et l’objectivation des individus à son paroxysme. Mais loin d’en rester là, les scénaristes, au lieu de montrer aux enfants un univers rassurant et ludique, leur dévoile en réalité les facettes les plus sombres du monde réel.
Cocoland : un monde dépravé
Ainsi, l’ambiguïté sexuelle est le maître-mot de ce divertissement qui se voudrait innocent. L’abeille, qui devrait être asexuée, est, contre toute logique, dépeinte sous les traits d’une jeune femme désirable et maternelle, alors que l’abeille, naturellement, du fait qu’elle porte un dard, serait plutôt un animal masculin. En revanche, l’araignée (que l’on aperçoit souvent au cours des pérégrinations de Cococinel, et qui est agressive) est masculinisée (alors qu’elle est souvent plutôt connotée sexuellement féminine, cf. la sculptrice Louise Bourgeois). Le monde est donc du départ bouleversé : ce qui devrait être masculin est féminin et vice-versa. Mais on garde en revanche tout ce qu'il y a de mauvais dans les schémas sexuels traditionnels : la femme est faible et maternelle, tandis que l'homme est puissant et maléfique, ou du moins sert de 'croquemitaine'. Les coccinelles elles-mêmes ne semblent pas sûres de leur sexualité : Cococinel, voici un nom typiquement masculin (le féminin devrait être Cococinelle), et pourtant, la voix chantant le générique est celle d’une nymphette évaporée, qui ne cesse de rire et de soupirer (là encore, on se rend compte de la forte tension sexuelle de ce dessin animé).
Le générique, enfin, lève tout doute (pour qui sait écouter) quant au sens réel de ce programme soi-disant pour enfant :
Mon trèfle magique
Joue d’la musique Nous fait voir la vie en couleurs |
Ce passage est indéniablement une incitation à la consommation de drogues hallucinogènes telles que le LSD, qui provoque des symptômes de synesthésie.
S’il y a du danger
Il se met à chanter |
On a déjà parlé du statut d’arme de ce trèfle, il me semble que ces deux vers parlent d’eux-mêmes.
Dans ce pays fantastique
La vie est dure |
Ce qui confirme ce qui était dit plus tôt : loin de vouloir préserver un tant soit peu l’innocence enfantine, on souhaite visiblement montrer à ces chers bambins toutes les difficultés qu’ils auront pourtant tout le temps de découvrir plus tard.
Nous sommes les jumeaux
Nous nous amusons sans façon |
Outre le sous-entendu sexuel et incestueux, ces deux vers montrent en exemple deux enfants qui ne respectent aucune règle (au moment où ils chantent ces paroles, ils sautent de tout leur poids sur le pauvre Scarabus), pas même la simple politesse !
Je dirai donc enfin que ce dessin animé est des plus douteux, et que s’il se cache sous un aspect enfantin, il n’est pas à mettre entre toutes les mains et recèle en réalité une violence cachée et un point de vue désabusé et cynique sur le monde.
Vers une analyse psychanalytique de Cococinel
Que nous cache donc cette créature hermaphrodite (prénom masculin : Cococinel alors que sa voix est celle d'une petite ingénue, plus frivole qu'elle n'en a l'air). Le lien avec l'oeuvre proustienne semble clair. Comme Andrée et autre personnages aux prénoms fortement masculinisés de l'oeuvre de Proust , Cococinel incarne le trouble, le désir et l'ambiguité sexuelle. Attirée secrètement par Oscarabus (image du père), la jeune coccinelle fantasme aussi sur sa Maîtresse l'abeille ( incarnation d'une féminité attractive) qui l'attire dans des parodies de jeux saphiques qui ne sont pas sans évoquer certains numéros de cabarets particulièrement osées. Incarnation d'un stéréotype fantasmatique digne des pires séries roses des années 70, Cococinel est aussi une réflexion troublante sur les premiers émois sexuels, Oscarabus en faisant monter Coco Bleu et Coco Mauve sur son dos, n'incite-il pas les deux jeunes gens à assouvir les désirs qui les assaillent. L'image néfaste du sodomite se mue en représentation attrayante d'une sexualité décomplexée. A la fois père et iniateur des premières expériences sexuelles, Oscarabus avec son fort accent slave rappelle la figure du proxénète jouissant des filles qu'il met lui-même sur le trottoir. Et que dire du Sorcier dont les incantations sont autant d'invitations à la débauche et aux plaisirs lubriques. Non, Cococinel est l'une de ces oeuvres dérangeantes (comme le Salo de Pasolini ou l'Orange mécanique de Kubrick) qui n'ont pas de peur de faire réagir le spectateur quitte, pour cela, à le choquer.
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