Rite funéraire
Dimanche papy est décédé, ça veut dire qu’il est mort en langage de grand. Et comme il était mort, pardon, décédé, eh bien on a dû le mettre en bière. Attention, ça ne veut pas dire qu’on l’a fait rentrer dans une canette de Kronenbourg, d’ailleurs ce serait trop petit, et je ne sais même pas s’il rentrerait dans un Magnum de Leffe. Non, en fait on l’a mis dans un cercueil, puis on l’a enterré au cimetière, comme si de rien n’était, comme si comme ça on pouvait l’oublier, à jamais...
Mais ce qui m’a fait le plus de peine ne n’est pas tant le fait d’enterrer « ses pieds sous terre », bien que ça lui aurait fait un peu de ventilation les panards à l’air, non, ce qui m’attriste c’est tout ce qui s’est passé avant, entre le moment où il est décédé, et le moment ou il a enfin pu se régaler de « racines de pissenlit », qui au demeurant passent largement mieux avec une touche de ketchup.
Laissez-moi donc vous narrer cette triste aventure, l’aventure d’un homme qui souhaitait simplement qu’on le laisse en paix, l’aventure d’un corps malmené et trimballé de ci de là sous prétexte que « c’est la proto-colle un point c’est tout »[1], en bref c'est l’aventure d’un papy, mon papy, qui voulait juste tranquillement « rester dans de la pisse » (enfin c’est ce que j’en ai déduit d’après l’inscription en anglais sur sa tombe, une dernière faveur que je m'escrime à respecter à la lettre chaque matin).
Fan de musique
En demandant à papa comment il était mort, j’ai compris qu’il avait succombé à une de ces intoxications alimentaires dues à l’ingestion d’« ail zaïmer ». Je ne savais pas qu’on pouvait en mourir de ça, regardez Chirac il en a de l’ail zaïmer, eh ben ça l’empêche pas de se ramener au salon de l’agriculture tous les ans ! Bon d’accord il est un peu bizarre quand il tripote le zizi des vaches, ou quand il se goinfre de fromage enrichi en caca d’oie, mais il est toujours bien vivant !
« On va avoir besoin des pompes funèbres » a dit papa. Moi ça va, j’avais dévalisé le magasin Foot Locker la veille, grâce à un bon d’achat de papy d’ailleurs. Et comme la mode était au noir ça ferait certainement l’affaire. Mais papa et maman y sont allés quand même, et ils sont revenus avec le catalogue. Enfin c’était un drôle de catalogue, y’avait que les boîtes à chaussure dessus, des boîtes de luxe, tout en bois ! C’est clair que j’avais l’air tarte avec ma pauvre boîte en carton. « Papa, moi aussi je peux avoir ma propre boîte en bois massif d’acajou ? ». Et là je sais pas pourquoi mais papa m’a mis une grosse tatane, en criant que : « c’est déjà bien assez triste comme ça pour que t'en rajoutes avec tes commentaires de décérébré file dans ta chambre sale mioche ! ».
Alors j’y suis allé dans ma chambre, et j’ai pleuré, pas parce que je n’aurais pas de belle boîte pour mes pompes funèbres Foot Locker, mais parce que papa allait certainement choisir le modèle en acajou pour papy, et que papy ne l’aurait surement pas aimé parce que : « ça sent vraiment trop le sapin » !
Parce que
J’étais déjà allé à un enterrement de vie de garçon, c’est mon cousin qui m’y avait invité. Bon d’accord je le connaissais pas le garçon mort, mais on s’était drôlement bien amusé quand même. Moi je trouve ça cool, plutôt que se morfondre autant « se la coller à la Teq paf » ou « sauter deux trois gonzesses » comme l’avait fait toute la bande (enfin pas moi, j'avais juste regardé).
Pourtant quand j’ai dit à papa que je connaissais une bonne boîte de strip-teaseuses discount qui aurait certainement bien plu à papy, j’ai hérité d’une seconde tarte avant de comprendre que c’était différent pour les vieux. Qu’on devait respecter le « deuil », ce qui selon le dictionnaire serait : « l'ensemble des réactions physiques, psychologiques, affectives et comportementales dues à la perte d'une personne aimée », et qui selon moi serait plutôt de « s’habiller en noir, fermer sa gueule, marcher durant des heures aussi lentement qu’un escargot constipé et en conclusion se faire horriblement chier durant toute une cérémonie interminable sans queue ni tête. »
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que l’on a été baptisés à la naissance !Et c’est là que la troisième torgnole m’aurait certainement décapité si je n’avais eu le réflexe d’esquiver le tir, en plongeant derrière le fauteuil de mon petit frère Noa qui de ce fait s’est pris la gifle en pleine gueule, mais il s’en fout il ne sent rien parce que son visage est tétraplagié !
Donc on est allé à l’église, pour faire comme le veut Luce Écoutum, qui serait d’après mes recherches l’épouse défunte de Cornélius Écoutum, fondateur de Donaldville[réf. nécessaire]. Et au vu de ce qui s’est passé à l’église c’est définitivement elle qui méritait une grosse tarte, et pas mon pauvre petit frère Noa qui de surcroît a chopé une insolation et s’est fait piquer par un essaim d’abeilles[2] en restant sur le pas de l’église parce que : « cette commune à la con n’est pas foutue d’installer un accès handicapé à ce putain de bâtiment bordel de merde ! Pardon Seigneur ».
Rupture temporelle
Je sais pas si vous êtes déjà allé à l’Église, alors voici comment ça s’est passé :
Au début ça commençait plutôt bien, un peu comme quand on va à un concert quoi. On vous file un programme, on vous propose une bassine de flotte en forme de coquillage pour vous rafraîchir, et en plus comme on faisait partie de la famille on a pu squatter les meilleures places : juste devant la cène, à la droite du Seigneur.
Mais ensuite ça s’est gâté, et rien qu’au niveau du groupe c’était déjà déplorable. Il n’y avait ni guitare, ni basse, ni percussion, juste une espèce de guignol perché sur un balcon, occupé à souffler dans des tubes comme ces connards de groupes péruviens qu’on retrouve à tous les carrefours. Pire encore, au lieu d’un bon chanteur pour ambiancer la salle ils ont aligné une tribu de vieillards séniles répondant au nom de La chorale du cœur, dont la voix portait encore moins loin qu’un mollard craché par un asthmatique chronique.
Et niveau lyrics je vous raconte même pas, ça donnait des trucs du genre :
Ah les nouilles, ah ah les nouilles, ah le christ est vivant, ah les nouilles ah |
Ouais, ben c’est certainement parce qu’on lui a pas foutu de l’ail zaïmer dans ses spaghettis qu'il est toujours vivant ce con !
Quoi qu’il en soit je me faisais tellement chier que je me suis éclipsé pendant l’entracte, c'est-à-dire au moment ou les gens faisait la queue pour bouffer une pastille menthol et boire un verre de grenadine, et je me suis caché dans une sorte de cabane sous une arche, demeurant pensif sur une banquette de bois, assez collante au demeurant.
Et pour cause, une demi-douzaine de ballons de baudruche remplis de colle à bois traînait dans la cabine, ainsi qu’un magazine de La Redoute ouvert à la page des sous-vêtements. Je délaissais la brochure non sans emporter quelques ballons pour en gonfler un ou deux en sortant, en vue de les accrocher en grappe au fauteuil de Noa.
Et vous savez la suite...
Dernière ligne droite
Comme vous l’aurez compris pas d’apéro, juste une marche funèbre derrière le bolide transportant le cercueil de papy, qui à cette allure de limace ne risquait pas de finir dans le fossé (ça nous aurait pourtant épargné trois kilomètres à pied, ainsi que le fait de devoir creuser un trou, et on aurait pu aller s’empiffrer de saucisses cocktail tranquillement).
En effet on y était, plus glauque tu meurs...
Comment vous dire, on aurait dit qu’un mammouth venait tout juste de déterrer son os de T-rex, en prenant bien garde de foutre trois tonnes de terre cramoisie tout partout, et en laissant le soin à des énormes vers gorgés de pus immonde de remettre les choses en place. À défaut d’une salade de pissenlit papy aurait de quoi grignoter pensai-je tout bas.
Ensuite le conducteur de la limousine pour gens mort est sorti de l’habitacle, le croque-mort comme on l’appelle, certainement parce qu’il doit manger les cadavres quand personne ne peut payer les funérailles, ou si jamais il n’y a plus de place dans le cimetière. D’ailleurs je me demande quel goût ça peut avoir un mort, j’ai vu dans le catalogue de papa qu’on pouvait aussi les brûler pour s’en faire un chocolat chaud, ou même une infusion. Beurk...
Ci-git-papy
Alors que le soleil commençait de disparaitre à l’horizon, annonçant l’issue d’une journée terne et d’une ambiance morose, il se passa en l’espace de quelques secondes une suite d’événements des plus improbables qui soit, alors que Cénotaf[3] s’apprêtait à déposer papy au fond de son trou.
« Crac ! » fit l’épaule de Cénotaf cédant sous le poids du fardeau, tandis que « Zuiiif » fit le corps pâlichon de papy s’échappant de sa prison d’acajou, « Ouf, enfin libre » dut-il penser désormais libéré de cette affreuse odeur de sapin, et « Ah ah ah ! » pouffai-je devant le premier événement risible de la journée !
« Aie ! » s'écria papa dont la main propulsée à destination de ma joue gauche venait de se planter dans la poignée en alu du fauteuil de Noa, puis « Splotch » fit le ballon de colle à bois en explosant à la figure du curé conjointement à un « Zwiiiif » témoignant du glissement du fauteuil de mon frère en direction du domicile capitonné de notre cher papy.
« Vladadam » fit enfin le curé aveuglé plongeant à la suite du cortège dans une fosse qui à ma grande surprise pouvait contenir plus d’occupants qu’il n’y paraissait. L’ultime salut ne fut qu’un simple « Sbroootch » tandis que le mont de terre vérolé s’effondrait sur tout ce beau monde qui décidément souhaitait suivre fidèlement papy, et ce jusqu’à sa mort !
Épilogue
À l'heure où je vous parle je contemple avec mélancolie la tombe fleurie de papy, mon regard posé sur les reliques blanchâtres d'un ballon de baudruche seul témoin des événements passés.
Finalement ce n'était pas si nul que ça ce rite funéraire, papy est au calme désormais, et à moins qu'un fossoyeur ou un nécrophile affamé de chair morte ne s'acharne à déplacer sa pierre tombale, avant de creuser la terre à mains nues en vue de dénicher ses restes putréfiés et infestés de vermine infâme, eh bien à part ça, rien ne pourra plus venir le déranger.
Moi je ne sais pas si ça me plairait d'être enterré, non, à choisir je préférerais tout autant être jeté à l'eau, et dériver langoureusement sur les flots, bercé par le courant d'une rivière, balloté tel un simple fétu de paille livré au caprice des remous d'un cours d'eau verdoyant...
Oui, décidément, ce serait ça mes dernières volontés...
Mais ceci est une autre histoire !
Notes de bas de fosse
- ↑ Certainement de la Loctite, comme on voit dans la pub avec la grue.
- ↑ Je lui avait pourtant dit de freiner sur les Werther's Original !
- ↑ Oui c’est bien le nom du croque mort et non c’est pas du plagiat, c'est Uderzo qui m’a piqué l’idée
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