Mère morteuse
Malgré les progrès constants de la recherche médicale qui parvient désormais à déterminer près d’un an à l’avance qu’on va tous mourir de la grippe H1N1, tous les êtres humains ne sont pas encore logés à la même enseigne lorsqu’il s’agit de la santé. Notamment sur un point particulièrement sensible, surtout pour les femmes, la maternité.
Certes, la grossesse est aujourd’hui plus facilement accessible par le biais de techniques éprouvées comme l’insémination artificielle, la fécondation in-vitro ou les tournantes dans les caves de banlieue mais cela ne résout pas tous les problèmes. Quand la science ne peut plus rien faire pour aider une femme à devenir maman, elle peut se tourner vers l’adoption mais c’est long et parfois aléatoire[1] ou opter pour une démarche particulière, la location en CDD d’une mère porteuse dans le cadre de ce qu’on appelle familièrement la GPA (Gestation Pour Autrui).
Hélas, il existe de nombreux pays où la GPA est illégale. En France notamment, il est interdit d’avoir recours à un ventre tiers pour acquérir un nouveau bébé et les parents désœuvrés doivent alors se tourner vers des contrées un peu plus conciliantes en la matière dans des lieux parfois reculés comme la Belgique (côté Flandres en plus).
Mais il y a pire. Car si l’État français ferme le plus souvent les yeux quand un couple fait appel à une mère porteuse étrangère pour devenir le propriétaire d’un enfant en bonne et due forme, il est quasiment impossible à une femme de profiter, ne serait-ce que par procuration, de la possibilité d’accoucher d’un bébé mort-né. En France au XXIe siècle ! Ah elle a bon dos l’autoproclamée « Patrie des Droits de l’Homme » ! Et nous ici, à la dÉsencyclopédie, on n’aime pas les injustices. C’est pourquoi nous avons décidé de lancer une grande campagne de sensibilisation pour faire pression sur les instances qui nous gouvernent afin de définir une Loi-cadre entérinant le concept de mère morteuse.
Genèse du projet
Ce concept mère morteuse est lié à l’idée directrice que chacun doit être égal devant la mort, surtout dans une démocratie avancée comme la notre. Il n’y a en effet aucune raison pour que ce soit toujours les mêmes qui en profitent. À ce stade, il me paraît essentiel pour que vous compreniez bien les enjeux de ce projet de vous présenter notre première invitée dont le témoignage va sans doute vous convaincre – si besoin était – de légaliser ce que les bureaucrates avides d’acronymes ont baptisée la NGPA (Nécro-Gestation Pour Autrui). Mais je laisse la parole à Mme Véronique C. de Fleury-Mérogis, qui va vous faire partager son expérience.
Quand je suis retombée enceinte en 1999, j’ai eu beaucoup d’espoir. Sans doute trop car à chacune de mes échographies, le couperet tombait sans appel : le fœtus était parfaitement viable. Jusqu’au bout je n’ai pas voulu y croire et quand j’ai senti les premières contractions, je me suis précipitée dans la salle de bain pour profiter égoïstement de cette expérience. Hélas, à peine était-il sorti de mon ventre[2] que le bébé s’est mis à hurler.
Par deux fois j’avais déjà entendu ce genre de cris alors par expérience, je savais que ça voulait dire que le bébé était vivant. Profitant du fait que j’étais seule, je l’ai étouffé avec un gant de toilette. Mon plan était simple : une fois l’enfant mort, je n’avais plus qu’à jouer les mères inconsolables pour profiter de tous les avantages du bébé mort-né[3].
Mais après avoir terminé d’asphyxier mon enfant, j’ai réfléchi et je me suis rapidement rendue compte que ça n’aurait jamais la même saveur. Même si ma famille et mes amis n’y auraient sans doute vu que du feu, au fond de moi j’aurais toujours su que ce bébé n’était pas techniquement mort-né de façon naturelle et je ne voulais pas vivre toute ma vie avec des regrets. Du coup j'ai jeté le cadavre dans le poêle à mazout et je suis allée faire mes courses à Auchan.On ne peut être qu’ému devant ce témoignage. Comme rester insensible à la détresse d’une mère confrontée à une histoire aussi sordide. Jamais au cours de sa grossesse son gynécologue-obstétricien ne lui a laissé entrevoir le moindre espoir que son bébé pourrait mourir avant de venir au monde. C’est d’ailleurs un reproche qu’on fait souvent à juste titre aux ténors de la médecine : ils n’arrivent jamais à se mettre à la place des patients.
Dans le cas de Véronique, c’est même allé encore plus loin. Pendant les semaines qui ont suivi l’accouchement traumatisant, le gynécologue-obstétricien continuait de la harceler au téléphone et par courrier pour savoir pourquoi elle n’était pas venu à la maternité et ce qu’il était advenu de l’enfant, preuve d’un incroyable cynisme. Engoncé dans son importance, ce pseudo-médecin a même menacé d’envoyer ses sbires, un groupe pompeusement baptisé Services Sociaux, que le gouvernement actuellement en place est heureusement en passe de démanteler. Devant la menace, Véronique a dû toutefois parvenir à convaincre son mari que le danger était réel et ils décidèrent de quitter précipitamment la France. Mais laissons-la nous raconter la suite de cette histoire.
Hélas, il n’était pas aussi simple à l’époque de se procurer des visas pour la Chine et mon mari et moi avons dû nous résoudre à émigrer vers un pays mitoyen en espérant qu’il avait pris exemple sur le voisin chinois. C’est ainsi que nous avons atterri en Corée du Sud. Mais nous avons rapidement déchanté. Après renseignements, il s’avérait que rien n’était prévu à Séoul pour profiter d’enfants mort-nés. On se serait crû en France, c’est dire !
J’ai donc dû encore me débrouiller avec les moyens du bord. Je suis tombée enceinte par deux fois et à chaque fois, il s’agissait encore de ces satanés enfants viables qui me pourrissaient la vie. Bien entendu, je les ai étouffés dès leur naissance mais cette fois, au lieu de me débarrasser des corps, j’ai décidé d’avoir foi en l’Humanité. Je les ai mis au congélateur en escomptant que dans un avenir plus ou moins proche, une Loi autorisant le droit à l’enfant mort-né verrait le jour, ce qui m’aurait permis de sortir alors triomphalement mes deux petits trophées que j’appelais affectueusement Vivagel et Findus car même un enfant mort-né a droit à un nom !
Mais mes espoirs se sont écroulés le jour où mon majordome a décidé de préparer des pavés de saumon au vin blanc. Découvrant mon projet dans le congélateur, il m’a dénoncé à la police coréenne et nous avons été réexpédiés en France. Et le pire est que la justice de mon pays m’a condamnée à 8 ans de prison pour ça ! Alors que c’est mon corps, bande d’enculés de merde ! Si seulement il y avait eu des mères morteuses, rien de tout ceci ne serait arrivé.Calmez-vous Véronique, tout va bien se passer maintenant.
Le projet
En faut-il davantage pour vous convaincre ? Il est évident que chaque femme a le droit de disposer de son corps comme bon lui semble. Si elle décide de donner naissance à un enfant mort-né, grand bien lui fasse et ce ne sont pas les instances gouvernementales, religieuses ou scientifiques qui ont droit de lui dire ce qu’elle peut ou ne peut pas faire avec son utérus. J’irai même plus loin : même son mari ou son compagnon n’ont pas voix au chapitre dans ce domaine. Ce n’est pas lui qui va porter l’enfant pendant neuf mois (dans le pire des cas) alors ils n’ont pas à la ramener.
Mais nos pensées vont aussi à celles qui n’ont pour l’heure même pas la possibilité de concevoir par elle-même un enfant mort-né : les femmes totalement stériles et les femmes trop fécondes. C’est à elles que s’adressent principalement le projet « Mère Morteuse » que nous essayons de mettre en place grâce à une habile politique de lobbying. Nous avons donc créé un consortium avec les principaux acteurs touchant à ce domaine pour présenter un projet de Loi citoyen que nous comptons déposer à la prochaine session parlementaire. Ce consortium est composé à parts égales de représentants des associations, fondations et entreprises suivantes :
- La dÉsencyclopédie
- L’association « Familles de France »
- Le « Mouvement pour la France » de Philippe de Villiers
- Roc-Eclerc, leader français des pompes-funèbres
- Coca-Cola
Après plusieurs réunions, nous nous sommes mis d’accord sur un projet commun dont voici les grandes lignes :
Qui peut faire appel à une mère morteuse
Chaque cas est particulier mais le cadre législatif nous oblige à définir des critères stricts d’éligibilité. Le consortium a défini qu’une femme avait le droit d’embaucher une mère morteuse dans les deux cas suivants :
- Des examens poussés l’ont déclarée totalement stérile
- Elle a donné naissance à au moins 4 enfants, dont au moins 3 viables
Attention, une seule des deux conditions est nécessaire et suffisante pour profiter du programme « Mère morteuse ». Toutefois, le fait de cumuler les deux conditions ne rendra pas la personne prioritaire.
Qui peut devenir mère morteuse
Il est pour le moment difficile de déterminer le nombre de femmes qui voudront faire appel à une mère morteuse. Il y a sans doute de nombreuses femmes désespérées qui gardent au fond d’elles l’espoir d’accoucher d’un mort-né mais qui n’en ont pas les moyens. C’est pourquoi le consortium, qui craint l’afflux de demandes, s’est montré assez souple concernant les conditions d’enrôlement des mères morteuses. Mais souple ne veux pas dire laxiste. Voici ces conditions :
- Être une femme
- Ne jamais avoir eu d’enfants viables
- Avoir fait au moins 4 fausses-couches
Contrairement à l’article précédent, ces trois conditions doivent impérativement être cumulées pour valider la candidature. Ainsi un homme, même s’il a fait 6 fausses-couches, n’est pas éligible. Plusieurs membres du consortium voulaient également ajouter la condition qu’une mère morteuse ait déjà elle-même donné naissance à des enfants mort-nés mais cela nous semblait un peu trop restrictif dans un premier temps et le fait de se baser sur le nombre de fausses-couches apparaissait comme une clause assez consensuelle. Mais bien entendu, il est dans l’intérêt de la candidate au titre de « Mère morteuse » d’indiquer dans son CV qu’elle a déjà connu l’ivresse de la mise au monde d’un petit cadavre. Ça lui permettra de négocier à la hausse ses honoraires comme nous allons le voir dans la dernière partie.
Mise en relation
Pour mettre en relation les futures mamans éplorées par la perte de leur enfant et les mères morteuses, nous comptons mettre en place une association à but non lucratif qui gèrera les dossiers des deux parties. Cela reprendra grosso modo le principe de fonctionnement d’une agence matrimoniale. Les demandeuses et les mères morteuses seront inscrites sur une base de données regroupant un maximum de caractéristiques et l’ordinateur se chargera de trouver les meilleures correspondances sur des critères aussi variés que l’âge, le niveau social ou encore la localisation géographique.
L’inscription se fera par téléphone (un Numéro Vert gratuite sera mis en place) ou par Internet via le site www.www.mere-morteuse.org pour l’heure en cours de développement.
Honoraires
Les tarifs de la prestation seront fixés selon un barème établi par la Loi, de façon à éviter les abus. Les montants sont encore à définir mais cela comprendra :
- Un forfait de départ
- Une indemnité mensuelle
- Une prime de résultat au moment où la mort du fœtus est constatée
- Une prime d’accouchement
Tous les frais médicaux seront à la charge de la demandeuse. Toutefois, si l’enfant est finalement viable, la mère morteuse devra en rembourser 35% ainsi que 45% des indemnités mensuelles déjà perçues. Une mesure destinée à éviter les abus dont pourraient profiter des mères morteuses en réalité plus aptes à faire des enfants vivants qu’elles l’annonçaient. Les frais d’obsèques seront également à la charge de la demandeuse.
Précision importante : les mères morteuses qui seraient déjà enceintes au moment de la signature du contrat pourront demander une prime forfaitaire supplémentaire, prime qui pourra être majorée si le fœtus est déjà reconnu comme non viable par un médecin conventionné.
Le rôle de l'homme
Comme nous l’avons évoqué, le cas des mères morteuses concerne d’abord et avant tout les femmes. L’homme n’aura ici qu’un éventuel rôle consultatif sur la décision. Toutefois, en attendant que les techniques de clonage soient parfaitement au point, il faudra encore trouver un géniteur de sexe masculin[4] pour la procréation. Dans le cadre de la NGPA, on appelle le mâle « la paire porteuse ». Deux cas peuvent se présenter :
Le père est le géniteur
Il peut donner son sperme pour féconder la mère morteuse par le biais d’une insémination artificielle. Nous vous déconseillons cette méthode. En premier lieu elle n’est pas très fiable (environ 10% de succès). Certes, vous pouvez objecter que le manque de fiabilité est plutôt un argument positif quand le but est justement d’obtenir un bébé mort-né. Mais sachez que dans le cas d’une insémination artificielle ratée, la mort interviendra quand l’enfant est encore à l’état d’embryon, voire de simple organisme pluricellulaire non différencié. On ne pourra donc à ce stade pas le qualifier de « bébé » et il serait présomptueux pour une maman de considérer qu’elle a eu droit à son bébé mort.
Pour assurer le coup, il est donc préférable que le père féconde la mère morteuse par les voix naturelles. Ah bien sûr, cela n’est pas sans poser des problèmes moraux mais mesdames, rappelez-vous que pendant que votre mari se tape la mère morteuse de votre futur mort-né, il n’est pas aux putes. Et ça, ça n’a pas de prix.
Le père est anonyme
Le donneur anonyme reste la solution la plus simple et celle qui posera le moins de problème au sein de votre couple. Là encore nous déconseillons le don anonyme de sperme pour insémination artificielle. Il est préférable de convaincre la mère morteuse de se faire sauter à droite à gauche pendant quelques semaines pour maximiser les chances de réussite du processus. Notons par ailleurs que contrairement au principe de mère porteuse, les qualités intrinsèques du père n’ont aucune importance puisque le but final n’est pas d’exhiber un joli bébé tout rose à ses voisines mais de faire pitié avec un cadavre de bambin que personne ne verra jamais derrière les quatre planches de son cercueil blanc idéal pour faire pleurer dans les églises.
À la limite, le « père » serait Noir ou Arabe, ça ne ferait pas de différences. Enfin bon si vous pouvez évitez ce n’est pas plus mal ; il faut en effet rappeler que les chances d’avoir un vrai bébé mort-né à la fin du processus ne sont que de 87% d’après les dernières statistiques.
Considérations d'ordre général sur les mères morteuses
Pour conclure, je me permets de vous soumettre quelques réflexions personnelles sur le problème des mères morteuses. C'est peut-être un peu présomptueux de ma part mais j'ai étudié ce problème depuis longtemps et il me semble de mon devoir de vous faire profiter de mon expérience.
De l'importance de disposer d'un cadre légal
Au fur et à mesure de l'avancée du projet, quelques voix se sont élevées pour dénoncer le caractère contraignant lié à cette loi. Plusieurs personnes ont souligné le fait qu'une telle loi ne ferait qu'exacerbé le caractère interventionniste de l'État déjà omniprésent dans de nombreux autres domaines socioculturels et qu'il valait mieux laisser faire la nature. À ceux-là je répondrais d'abord d'essayer à l'avenir de faire des phrases un peu plus faciles à comprendre. Ensuite, je veux qu'ils comprennent que la loi n'est pas là pour mettre des bâtons dans les roues des femmes en manque de bébés mort-nés ou aux mères morteuses. Bien au contraire, son premier objectif est de fournir toute l'infrastructure indispensable au bon déroulement du processus, depuis la recherche d'une mère morteuse, jusqu'à l'enterrement du bébé mort.
Son rôle est aussi de permettre d'éviter les abus inévitables quand ces pratiques ont lieu sous le manteau. Plusieurs femmes qui ont dû partir à l'étranger pour réaliser leur rêve nous ont indiqué avoir dû débourser des sommes astronomiques pour des résultats parfois décevants (bébé mort plusieurs heures voire plusieurs jours après l'accouchement, chambre d'hôtel sans mini-bar...) J'en profite d'ailleurs pour dénoncer les agences de voyages qui promettent des séjours spéciaux "Bébés mort-nés" dans des pays du tiers-monde. La plupart sont des margoulins qui ne pensent qu'au profit. Notre projet mettra un frein à ces pratiques hors d'âge, la Sécurité Sociale remboursant intégralement les 2 premiers bébé mort-nés par mère morteuse (avec un tarif dégressif de 10% par bébé mort-né à partir du troisième). C'est très rassurant pour les parents.
Notre avis sur les mouvements extrémistes
Pour autant, je veux affirmer ici de façon solennelle que nous ne cautionnons en aucune façon les opérations de certains groupes extrémistes qui se réclament du "droit au bébé mort-né" mais dont les méthodes sont proches du terrorisme. Le groupe Pro-death notamment, qui s'est signalé par le plastiquage de plusieurs maternités aux États-Unis dans lesquelles des mères accouchaient de bébés bien vivants parce qu'elles l'avaient décidé affiche un comportement indigne. Une mère peut très bien décider de garder un bébé vivant si elle le désire, et même pendant plusieurs années si tel est son choix. Nous ne sommes pas là pour juger mais pour permettre à chaque femme de vivre sa maternité comme bon lui semble. J'espère que les dirigeants de Pro-death entendront mon message et qu'ils mettront un terme à leurs pratiques inadmissibles.
Conclusion
Pour l'heure, la balle est dans le camp des députés. Nous croyons fermement à notre projet et avec l'appui de nombreuses personnalités du monde du sport, du spectacle et de la politique, je suis persuadé qu'il arrivera à son terme. Mais lui au moins il ne sera pas mort-né !
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Notes
- ↑ On ne compte plus les parents qui se sont fait arnaquer en se laissant refiler naïvement un enfant Noir ou Jaune (voir ci-contre)
- ↑ Techniquement, il est en réalité sorti de l’utérus via le vagin mais nous n’allons pas en vouloir à Véronique d’avoir oublié certains détails liés à cet épisode malheureux.
- ↑ 1/2 part en plus sur la déclaration de revenus pour l'année en cours
- ↑ Selon l’INSEE, 100% des géniteurs sont de sexe masculin, ce qui en facilite la recherche
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