Foot à la maison
Je suis devant la télévision, avachi sur un canapé moelleux à souhait. Je regarde un match de football, la main gauche tenant une bière, Kro premier prix ou Karmeliet, selon que je me déguise respectivement en bof ou en alcoolique. Ma compagne, assise à mes côtés, feuillette un magazine people dans l’espoir de découvrir avec stupéfaction que Lady Gaga a de la cellulite, ou que Bradéhangelina ont adopté un 58ème enfant venant de l’Ouganda, qui s’appelle Victorius-Hannibal et joue aux échecs.
Qu’importe. Mon équipe préférée a démarré le match tambour battant, et mon petit doigt me dit qu’ils ne vont pas tarder à ouvrir le score. Bref... je vis une soirée parfaite, devant un beau match à suspense...
C’est alors que « L’HORREUR ! » commence : son Voici est fini, elle décide donc de regarder la téloche avec moi.
Le problème
Elle parle tout le temps
À la question « C’est qui les rouges ? », semblant pourtant innocente de prime abord, je tressaille. Elle a entamé la conversation, et brisé ma merveilleuse routine. Le piège se referme sur moi, et je ne peux pas m’en sortir...
Craignant de la vexer, et d’ainsi lui donner du grain à moudre, je lui réponds d’un ton calme mais détaché : « C’est mon équipe préférée. Tu sais bien, le Football Club Gentil ! ». Ce à quoi elle répond du tac-au-tac d’un commentaire tactique intéressant « Ouais bah leurs maillots ils sont trop moches. »
...
Par esprit de revanche, je suis bien tenté de lui faire une remarque désobligeante à propos du chemisier vert pomme infâme qu’elle porte en ce moment, pour lui dire par exemple que je ne m’en servirais même pas comme d’un sac à vomi tellement il est laid. Je parviens à me retenir in extremis. Diplomate, je pousse alors un soupir à peine audible, suivi d’un sourire forcé, à la manière du salut d’un pétomane timide, mais néanmoins amical.
Je me reconcentre immédiatement sur le match, car mes Gentils sont à l’attaque. Allez les gars ! Elle sent tout de suite l’ouverture et s’y engouffre :
(Ndlr : en réalité, il ne s’agit pas d’un silence d’approbation, mais plutôt de consternation, bien qu’il n’ait que peu de chance d’être interprété comme tel par la suite)
(Ndlr : voila, qu’est-ce que je disais...)
Elle ne comprend rien
Soudain, après un une-deux rondement mené, l’attaquant se retrouve devant le gardien adverse, qu’il ajuste d’un magnifique plat du pied. Même pas le temps de sauter de joie que l’arbitre a refusé le but... Faisant fi de la présence féminine pourtant ô combien inopportune à mes côtés, je me lève en hurlant « Putain, mais il est pas hors-jeu ! Jamais de la vie ! ». C’est alors que je réalise mon erreur.
Envahi par les sueurs froides et autres manifestations d’angoisse caractéristiques (lombaires rigides, nuque raide, claquements de dents), je me retourne vers elle dans l’espoir qu’elle n’ait pas entendu. Chaque seconde semble durer une éternité, je pourrais compter les battements d’ailes d’un colibri sans problème. C’est alors qu’elle pose LA question, tellement attendue mais toujours aussi crainte de tout homme dans ma situation : « C’est quoiiiiii un hors-jeuuuuuuuu ? », avec son air le plus niais. Que fais-je ? Simuler une surdité passagère ? Non, elle va insister, et peut-être même lourdement. M’évanouir ? Bof, je vais rater une partie du match. Prenant mon courage à deux mains, mais toujours la télécommande dans la troisième, j’opte pour la solution la plus périlleuse : lui expliquer.
Mais maintenant, elle est lancée, et en pleine confiance. Elle embraye sur tout ce qui lui passe par la tête, bien décidée, dans un souci manifestement anthropologique, à comprendre jusqu’aux moindres petits détails ce sport si complexe et mystique qu’est le football.
Elle m’énerve
C’est alors qu’après une pathétique contre-attaque, ponctuée par douze contres favorables, un hideux tirage de maillot, un hors-jeu de quinze mètres et une frappe qui ne franchit pas la ligne, les adversaires ouvrent le score.
Personne ne l’avait vu venir, et moi encore moins, trop occupé à deviser sur la coiffure de l’ailier gauche avec la dinde assise sur mon canap’. Je suis effondré. « Ils ont mis un but ? », demande-t-elle avec sa perspicacité légendaire en voyant ces enflures de tarlouzes faire le tour de la pelouse en s’embrassant. Je me demande quel effet aurait une réponse du genre « Non, bien sûr que non. Ils se disent bonjour, PINTADE ! ». Même pas le temps de formuler quoi que ce soit qu’elle apprend la vérité de la bouche du commentateur : oui, aussi étrange que cela pouvait paraître, ils se sautaient dessus avec des grands sourires parce qu’ils avaient marqué. Grosse gourde.
De mon côté, je n’en mène pas large : je suis sonné, un peu groggy par ce coup de poignard, complètement contre le cours du jeu. J’ai la mine déconfite, l’œil morne, la bave aux lèvres, le teint livide. Un grand éclat de rire rompt le silence de plomb qui venait de s’installer. « Ah ah ah ! Ils sont trop nuls ton équipe ! Ils vont en prendre un autre je suis sûre. » Je commence à trembler de rage.
Sombre pute de mes deux,
Tu vas me faire le plaisir de fermer ton clape-merde Avant que je te foute une dérouillée. |
Pas le temps de respirer cinq minutes que sur un corner, mon équipe a du mal à se dégager, les joueurs glissant sur le terrain arrosé abondamment par les adversaires avant le match, sans doute conscients de leur infériorité. Le ballon reste dans la surface de réparation, tape un dos, glisse sur une épaule, et finit par tomber sur le crâne de l’attaquant qui passait là par hasard, et qui en plus était en train de lacer ses chaussures. But... Cette fois-ci, elle comprend immédiatement. « Encore ? » Silence radio de mon côté. Je n’en mène pas large.
Je m’effondre sur l’accoudoir le plus proche. « Bah allez on s’en fout, c’est que du foot ! » Que du foot ? Ma patience est mise à rude épreuve. « Ahahah ! En plus, je te l’avais bien dit qu’ils étaient minables ces gros nuls ! Hihihi ! » C’en est trop.
Encore un mot, sinistre salope,
Et je la condamne au fer à souder Ta grande gueule de connasse volubile. |
Comment m’en sortir ?
Il faut que je me calme. Réfléchis cher lecteur, respire, voila, respire et réfléchis ! Des tas d’hommes ont certainement vécu la même situation. Ils s’en sont pour la plupart sorti sans accusation d’homicide aggravé par actes de barbarie, il doit donc certainement exister une solution idoine pour s’en sortir. Enfin, j’espère.
Céder à mes pulsions primaires ?
Là, sur le moment, je n’ai pas d’autre idée que de lui foutre une énorme mandale dans la poire, si possible en l’insultant copieusement. Bien que cela ne serait pas de bon ton concernant la pérennité de notre couple, je suis convaincu de l’efficacité d’un tel procédé pour atteindre mon objectif premier, à savoir la paix.
Avantages :
- La loi de la jungle, il n’y a que ça de vrai. Si ça marche pour les lions et les babouins, il n’y a pas de raison que cela ne fonctionne pas ici. C’est qui le mâle dominant hein ?
- Muscler mon corps par du combat, faire travailler mon esprit par des recherches de propos à caractère vulgaire, en voila une activité bien saine !
Inconvénients :
- Elle pourrait porter plainte, et le bracelet électronique dont on m’affublerait ne correspond pas vraiment à ma définition de l’esthétique, celui-ci ne se mariant que très peu avec ma fière Rolex.
- Les quinze kilos qu’elle se promet de perdre depuis 8 mois en feront sans doute une adversaire particulièrement coriace, pour ne pas dire redoutable. Le sumotori est, à ce qu’il paraît, une discipline très technique.
Une tactique sexuelle sournoise ?
Après tout, même si elle fait parfois sa mijorée avec sa migraine ou ses hémorroïdes, on sait très bien tous les deux que les porte-jarretelles et autres dessous affriolants qu’elle s’achète, ce n’est sûrement pas pour s’en servir de filet de pêche sur un thonnier au large du Cap Ferret. Non non. Et tous ces strings qui débordent de la commode hein ? C’est pas pour servir de corde au tir à l’arc ou pour ficeler des paupiettes, si vous voyez ce que je veux dire...
Bref, dans le plan machiavélique que j’ai imaginé, il va falloir utiliser toute ma ruse pour l’attirer dans la chambre avec des pensées impures. Il va falloir la jouer fleur bleue, voire romantique, avec par exemple un « Oh putain chérie, je suis trop en chien là, on va niquer ? ». Pleine de sous-entendus à caractère sexuels, cette phrase devrait lui faire deviner mes fausses intentions. Une fois dans la chambre, il ne me restera plus qu’à la ligoter au lit, telle une innocente vache volontaire au crochet du boucher. Et le tour est joué !
Avantages :
- J’aurai le canapé pour moi tout seul, me permettant ainsi de me prélasser, me coucher, chahuter et râler en toute tranquillité en insultant vivement mes joueurs préférés de « bons à rien pédophiles surpayés ».
- Cela pimente notre vie de couple, en particulier au niveau de la copulation, ainsi qu’elle me le réclame depuis des lustres. Fini le train-train
quotidienhebdomadaire missio-levretto-dodo ! Elle ne pourra pas s’en plaindre.
Inconvénients :
- La chambre est à seulement quelques mètres du salon, si bien que si elle se met à pousser des hurlements de phacochère empaillé vivant, en réclamant sa libération immédiate, je risque de perdre un pourcentage non négligeable de mes capacités auditives.
- Après ce coup de traître, la fréquence et la qualité de nos ébats risquent d’en pâtir. Déjà que chaque nuit j’ai l’impression de tasser un pudding avec mon pénis puisque 50% d’entre nous ont tendance à piquer du nez en plein coït, après un coup d’éclat de ce genre, mes attributs génitaux me seront aussi utiles que des Santiags à un cul-de-jatte.
Un mensonge éhonté ?
En jouant sur sa crédulité, propre à son statut de femme, et sa faible connaissance footballistique, je pourrais lui faire croire que le match est fini à la mi-temps. Bim, au coup de sifflet de l’arbitre, je n’ai qu’à me lever, éteindre la télé en maugréant des propos d’une vulgarité de bon aloi au vu de la situation, puis me diriger en trainant des pieds vers la chambre. Elle m’y rejoindra sûrement quelques instants plus tard, avec l’intention louable de me ronfler dessus au bout de cinq minutes, comme tous les soirs. C’est gagné, je n’aurai plus qu’à me lever et rejoindre le salon à pas de loup-garou.
Avantages :
- Elle réchauffe le lit.
- Quand elle dort, elle ne parle pas. Enfin... pas aussi bruyamment que réveillée. Ses propos sont également moins énervants, puisqu’incohérents. Exemple : « Ma mère a une tête de crayon... et non des moindres ! » bafouillé à la manière d’un nourrisson analphabète la bouche pleine de cailloux prête plus à sourire amicalement qu’à lui castagner le museau.
Inconvénients :
- Il est envisageable que par le plus grand des malheurs, elle décide de regarder un autre programme toute seule. Le cas échéant, la tristesse intense qui s’abattrait sur moi me ferait ressembler à une pâle copie d’un acteur de série B Américaine lorsqu’il découvre qu’il ne pourra jamais se marier avec la femme de sa vie, du fait qu’il s’agisse en réalité d’une belette en gestation.
- Si elle se réveille en me voyant arriver une heure plus tard avec une odeur de bière marquée, elle pensera que je suis sorti faire la bringue avec des potes, et m’attaquera sans coup férir avec la lampe de chevet, quelle que soit l’argumentation que je pourrais déployer.
Inviter sa meilleure amie ?
Mais bien sûr ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Inviter la grosse Gisèle jusqu’à la fin du match, c’est l’assurance qu’elle me prête autant d’attention que Mike Tyson à la musicophilie de son adversaire lorsqu’il lui arracha l’oreille d’un coup de canine bien senti.
Avantages :
- Trop occupée à discuter chiffons, poterie, nettoyage de casseroles en cuivre, ou que sais-je, elle en oubliera totalement l’activité qu’elle exerçait à plein temps, à savoir me casser les roustons.
- Je pourrai inciter ce quintal invasif et nomade à me ramener de la bière pour me remercier de l’invit’. Mes réserves se sont en effet légèrement épuisées récemment, sous le coup de la pression (subtil jeu de mot tiens, je vais le noter quelque part).
Inconvénients :
- Si par le plus grand des malheurs elles décident de s’installer à proximité, le volume de conneries débitées sera multiplié au minimum par 2, ce qui deviendra vite invivable, et me mettra en situation d’extrême fureur, tel un pitbul sanguinaire devant un home-cinema diffusant une émission-cuisine de Maïté.
- Sa meilleure amie est moche et conne. Rien que lui parler au travers du combiné téléphonique me donne de terribles crises d’urticaire. Ou peut-être est-ce de l’herpès, tellement cette vieille salope doit être un sac à MST.
Utiliser mon corps comme moyen de défense ?
Ah, les merveilles de la nature ! À l’instar des pieuvres qui crachent de l’encre sur leurs prédateurs, ou des hérissons qui se roulent en boule toutes épines dehors au moindre danger – hors voitures – je pourrais, moi aussi, utiliser mes qualités biologiques naturelles pour faire fuir la nuisible bestiole assise près de moi. En plus, je ne manque pas de projectiles à catapulter gaiement : vomi, urine, excréments, crottes de nez et cire des oreilles, voire même quelques rognures d’ongles de pied. Voila qui devrait faire l’affaire.
Avantages :
- La bière que j’ingurgite constitue un combustible idéal pour me transformer en usine à rôts, et les oignons consommés en quantité industrielle lors du repas me transformeront en véritable arme de guerre homologuée ;
- La bière que j’ingurgite décuple également mes capacités urinaires, ma vessie-citerne m’assurant, en plus d’un stock de munitions liquides quasi-illimité, une puissance de jet digne d’un Kärcher nouvelle génération.
Inconvénients :
- C’est complètement répugnant et dégueulasse. Et ce d’autant plus si elle réplique. Et ce d’autant plus si elle a ses règles.
- Regarder le match, même dans le calme, avec une atmosphère composée d’embruns de hyène scatophile, les pieds baignant dans une flaque de vomi purulente sentant le renard javelisé, ce n’est pas forcément le cadre le plus agréable qui soit.
Épilogue
Par dépit, je décrète officiellement que ce match est nul, et je zappe sur TF1 où ils diffusent Secret Story, cédant ainsi aux suppliques de ma moitié. Devant le piteux spectacle qu’offrent les énergumènes filmés, je comprends subitement les causes de la récession du niveau littéraire chez la jeunesse en France.
« Putain de sa mère la pu... bip ! Celle salo... bip lui a sucé la bi... bip comme une grosse chienn... bip la conna... bip de pu... bip ! J’lui déchire sa chat... bip de pouca... bip ! » J’ai l’impression d’écouter du rap français remixé par Jean Roch.
« C’est pas nous qu’on a prise la salade et la mayonnaise pour que les fous c’est nous qu’on fasse la bagarre avec ! lol » Des larmes commencent à couler le long de mes joues.
« Je suis heureux t’as capté ? Heureux ! E, R, E ! » Je viens de prendre successivement trois coups de Bescherelle, de Larousse et d’album de Truand de la Galère en pleine face, il est temps que j’aille dormir. Je me lève difficilement, sentant sur mes épaules le poids du désespoir, et titube tant bien que mal jusqu’à mon lit, sur lequel je m’affale de tout mon long. Je suis presque dans les bras de Morphée lorsqu’une présence s’immisce dans mon cocon douillet, me susurrant tout bas « Pfiouuuu, je suis lessivée ! Je m’endormais devant la télé. » Une occasion d’être enfin tranquille pour voir la fin ! Je regarde le réveil en me levant. Merde, le match s’est terminé il y a 10 minutes... Je me recouche. Je suis triste. Je veux mourir sur-le-champ.
Puis elle ajoute : « Tout compte fait, j’aime bien les soirées foot avec toi mon amour... »
Cet article a été voté dans le "best of" de la Désencyclopédie! |