Les gens qui n'ont rien à dire
Tout le monde connaît de ces gens dont la principale activité est de rester plantés là, sur le terrain aride de leur insignifiance en attendant que leur imagination pousse.
Tout le monde voit très bien cet instant de solitude que ne peut connaître que celui qui ne sait pas être plusieurs en groupe et s'accapare le silence au milieu du brouhaha.
Il se rencontre, sans toutefois pouvoir se démarquer des autres, en général dans les soirées Erasmus ou sur Meetic, car c'est là que tout le monde est accepté pour peu qu'il ait un pays d'origine ou une carte bleue.
Eh bien en fait, tous les aspects de la vie recèlent leur lot de personnes à la présence nauséeuse qui si elles n'ont pas rien à foutre là, n'y ont en tout cas rien à dire. Qu'elles n'aient ou pas le droit de dire quelque chose n'est pas l'important ; ce qui l'est est qu'elles n'ont rien qui leur vienne : piètres dialoguistes de leur vie elles en entrecoupent les pages de pubs et peuplent leurs attaques cinglées par des répliques râpeuses sorties des pages de Ta mère 2 : la réponse, d'Arthur[1].
Ces personnes-là nous foutent les boules, à nous dont l'avis crucial ne trouve à cause de ces ignares plus aucun espace pour s'exprimer, excepté sur la dÉsencyclopédie que l'on ne remerciera jamais assez pour ça. En tout cas, personnellement, je les hais.
Et pas de cette haine que l'on entretient à l'encontre des chips goût poulet ou des boat people qui débarquent en guenilles sur nos plages préférées, mais d'une haine pure et sans nom ni raison qui force mes doigts à se blottir dans ma paume pour permettre à mes métacarpes de s'imprimer sur leur visage.
Je vais donc leur faire l'honneur immérité qu'ils n'auront plus jamais, en glosant sur leur existence insipide jusqu'à ce que silence s'ensuive.
Qui sont-ils ?
Tout comme Charlie et les juifs, ils se cachent un peu partout. En fait, ils ne se cachent pas vraiment, mais ne laissent dans le souvenir des rares personnes qui les remarquent qu'un vain courant d'air de déjà-vu évoquant une légère perturbation dans la matrice. Leur existence n'a aucune conséquence mais ne peut réprouver l'envie subite de se produire. En voici des exemples comme il en existe par milliers, n'oublie pas mon petit soulier.
Le surnageur
Personne ne fait jamais attention à lui. Presque n'a-t-il, en plus de rien à dire, rien à foutre là.
Jamais d'anecdote croustillante ou de comme y dit toujours à retenir à son sujet, il se fraie tel un poisson corail une existence tapie dans l'ombre de l'ombre de lui-même. Inaperçu à l'échographie, ignoré de l'écho lui-même, celui-là s'est engouffré dans un silence irréméable sans retour d'où il ne peut revenir. Oui , j'insiste.
Je parle de ces personnes peu loquaces le matin qui perdent leur faconde à midi pour devenir muettes le soir. Et ne parlent bien sûr qu'en dormant pour nous faire chier.
Parfois, tout juste se risquent-elles à émettre un son aussi assuré que deux fait quatre pour reprendre une évidence dans un ersatz de c'est toi le qui empruntera la sortie n°1 pour s'échapper des annales. Et cela donnera généralement :
Le personnage dont le nom sera à jamais oublié de tous aura tenté ici de percer dans une discussion pour laquelle il n'avait aucune compétence ad hoc : rappelons qu'être d'une banalité communément normale n'est en rien une compétence.
Et son besson[2][3][4][5], dans une situation analogue, aurait dit :
...que ça n'aurait aucune importance. Quoiqu'une de ces personnes dise, cela tombe toujours à plat et elle se distinguera toute sa vie en ne se distinguant pas.
Le bébé qui s'est oublié
(Ce ne sont que des exemples je rappelle, voilà pourquoi le lien n'est pas évident. Encore une fois vous avez raté l'occasion de ne pas l'ouvrir.)
Il est là, le doigt dans sa bouche tordue par la honte, à embaumer de ses erreurs gastriques les rares pièces encore inodores de la maison...vous l'avez ?
Et il n'a rien à dire, bien sûr ! Pas parce qu'il n'a qu'un an, non, ce serait trop facile. Mais parce que l'absence totale d'excuse pouvant expliquer son comportement sénile le submerge et qu'il a du mal à la digérer (ce qui lui permettra de remettre le couvert 3h après).
Cette horreur à quatre boudins vient partager avec vous son air coi et pestilentiel, et vous rêvez de lui décocher le poing de l'amitié en plein sur ses joues roses tant il vous coupe au mauvais moment de votre sieste[6]...mais vous ou votre femme l'avez pondu un beau matin et il vous faut faire avec. Jusqu'à ce qu'il atteigne ses 80 ans et puisse enfin expliquer pourquoi il souille ses couches.
Le copieur
Il vient dans un sourire de vous assener le coup de grâce qui manquait à votre estime de lui en vous répétant mot pour mot ce que vous ou une de vos connaissances lui a appris la veille : le copieur est avant tout un imbécile qui s'ignore. Il n'a rien à dire, mais ne le sait pas. Il regarde le long de son bras la liste des sujets de conversation qu'il a notée avant de venir vous voir, et dans cette liste figure la mort de votre mère ou la perte de votre emploi.
Il n'hésitera pas une seconde avant de vous le dire, et réfléchira à deux fois avant de se taire la prochaine fois. Parce qu'il est comme ça, tel un doppleganger il singe les faits des autres et se les approprie...et la chimie du cerveau a cela de magique qu'il n'y prend même pas garde et recommencera dès que vous lui en donnerez l'occasion. Or, l'erreur était là : il ne faut jamais donner à ceux qui n'ont rien à dire l'occasion de le dire.
Particularité : c'est souvent un con[7].
Le colporteur
Tout comme le copieur, il n'avait rien à dire.
Jusqu'au moment inopportun où ses cordes vocales se mirent en branle, où sa bouche se dilata et où il éjacula dans votre oreille[8] une ineptie sortie de la rue, du même bois que celles dont on fait régulièrement les Boulogne Boys[9] et l'éloge quand elles sont formulées par BHL.
« Il paraît que Vincent McDoom est le petit ami du fils de la mère Michelle », « fais un peu frisquet ces jours » ou « en fumant ça tu risques un cancer du cul » sont des illustrations de ce qu'un tel individu peut lâcher de pertinent les moments où par malheur vous lui demandez la date. Il est facilement reconnaissable à ses hématomes car souvent je lui ai cassé la gueule.
Voisin/concierge
Généralement du même acabit que le colporteur, il met un point d'honneur à exercer son rôle de haut placé dans la diffusion des ragots en professionnel, trouvant là par là même une raison d'exister et une spécificité qui, juste pour m'emmerder, contredit l'invisibilité que je confère depuis le début aux gens de son espèce.
Car le voisin ou le concierge n'est pas inutile, loin de là. Il rend important les choses triviales comme ne pas descendre ses poubelles ou faire du bruit tard la nuit quand Ducon rentre, ce qui ne manque pas, en plus d'ajouter à la bonne ambiance de l'immeuble, de lui donner un rôle prépondérant dans la vie-même de son microcosme.
Sans lui, les choses inintéressantes le resteraient. Il a et n'a donc en même temps pas sa place dans cet article, ce qui constitue un paradoxe qui bien qu'intéressant en restera néanmoins là.
Stevie Boulay
Force est de constater que le voilà listé ici, et qu'il n'a rien à dire.
Les videurs
D'une propension à la communication proche du degré Kelvin, ces hommes-portes sont avant tout de la viande cochère incapable du moindre spasme céphalique. Voilà pourquoi se tenir debout ou faire leurs lacets tout seuls sont les seuls exploits dans lesquels ils puissent s'illustrer, et qu'il ne faut pas compter sur leur langage gesticulé pour entreprendre quelque mariage d'opinions : ils n'ont rien à opposer si ce n'est l'opposition qui comme le dirait Forrest, est plus stupide que la stupidité d'un frère Bogdanov pris séparément.
Effectivement, ça rentre pas.
S'ils ont quelque chose à dire, qu'ils le disent car nous ne sommes pas fermés à ce qu'ils l'ouvrent. Mais voilà : ils ne sont pas armés pour ça dans cette optique. Qu'entendons-nous leur faire comprendre alors, sinon de ne pas provoquer inutilement de courant d'air avec leur anus en laissant entrer vers l'extérieur leur vide intérieur ? En tous cas, nous n'avons rien de plus volontiers à leur dire nous-mêmes.
Ce qui, il faut l'admettre, met fin à cette brève joute n'intéressant en rien les oreilles et fait place à un dialogue de sourds qui m'oblige in extenso à nous intégrer nous-mêmes dans une dernière partie :
Les gens qui n'ont plus rien à dire
Ceux-là se taisent, c'est inévitable. D'une part car ils œuvraient déjà selon nous de justesse en l'ouvrant lorsqu'ils avaient à dire, ce qui n'est plus le cas...mais surtout d'autre part car ne trouvant plus à redire ils sentent leur interstice oral pris comme par un vide intersidéral et doivent en principe prendre acte instantanément des inconséquences de leur logorrhée. Pour faire simple, non seulement en tant qu'ex-personne qui avait quelque chose à dire ils ont conscience de leur devenir mais lorsque celui-ci arrive ils l'admettent bien mieux que ceux qui, en général, n'ont jamais rien à dire.
Les gens qui n'ont plus rien à dire sont donc tout simplement des gens qui ont dit des choses[10] mais savent se taire pour laisser ne pas parler les autres.
Cohabiter avec eux n'est vraiment pas évident
Le Monde est vraiment trop petit pour que moi et l'ensemble des autres, qui contient le sous-ensemble des sous-autres - ceux qui n'ont rien à dire, cohabitions dans une mièvre cordialité. Je ne dirais pas que c'est votre cas, à vous qui lisez cet article, car il est évident de par le fait que vous écoutiez ce que MOI j'ai à dire...que vous n'aviez rien à dire. Il vous est donc sûrement plus facile qu'à moi de faire comme si tout était intéressant et valait le coup d'être dit.
Et si vous n'avez rien à répondre, dites-vous que vous n'êtes pas le seul, pour vous rassurer. Ce sera un bon début.
Mais moi, comment faire alors ?
Les gens qui n'ont rien à dire n'hésitent en général pas à parler quand même, sans vergogne car cela ne peut de toutes façons plus nuire à leur réputation. D'ailleurs pour peu qu'ils commencent assez vite après que vous les ayez rencontrés, vous pourrez constater leur condition assez rapidement pour vous écarter de leur chemin (il est facile à reconnaître, c'est le chemin relou). Car un bon gens qui n'a rien à dire est celui qu'on évite ou tue avant même qu'il nous gave comme une oie.
Une légère objection pourtant : il faut le laisser en vie. Dans ce monde tuer des gens est, à l'instar de tous les trucs marrants comme se faire des moufles en seins d'asiatique ou éplucher un politicien, formellement déconseillé par la loi. Et dans le pire des cas si vous devez faire se produire l'irréparable, consolez-vous en comprenant que la police n'ira chercher de témoins que dans son entourage, composé essentiellement de cons qui n'ont rien à dire non plus.
Mais merde !
Mais merde, mon grand-père est pas mort à la guerre, mon père a pas baisé ma mère et Jésus est pas mort pour des clous, tout ça pour que des empaffés par légions viennent saboter chaque conversation. Je ne parle même pas de celles que j'aurais pu avoir en sortant parler en vrai avec des filles[11] !
Luc Besson dit : | |
Je te coupe car je viens d'avoir une idée de scénario là : ça seraient trois adolescents doués de pouvoirs magiques dans une cabane au fond des bois. Il leur arriverait que des chinois dans un taxi voudrait prendre leur place dans la vraie vie pour échapper à leur gouvernement fasciste et... |
Mais merde, quoi, si t'as rien à dire : TA GUEULE ! ! !
Petit Jésus
Petit Jésus,
Déjà je voudrais que tu me pardonnes pour avoir blasphémé il y a quelques instants (par deux fois, car j'ai aussi tenté de t'imaginer cloué à une étoile de David), je suis impertinent parfois mais il faut dire que les gens qui n'ont rien à dire me soulent un truc de dingue. Ensuite je voudrais que tu fasses quelque chose pour moi : s'il-te-plaît donne quelque chose à dire à mon fils, sinon il y a fort à parier que je doive l'abandonner prochainement sur le terreplein d'une autoroute à forte circulation. La dernière fois, il avait tellement rien à dire dans la voiture qu'il m'a demandé ce que c'était un sac à foutre. Ce n'est pas de ma faute si j'avais balancé cette insulte au concierge la veille, il m'avait profondément fait chier. Pour finir, si tu existes, fais en sorte que quand je rouvre les yeux dans 5 secondes, tous les fils de pute qui n'ont rien à dire disparaissent de la surface de la Terre. Amen. |
5...
4...
3...
2...
1...
Force est de constater que Dieu et le petit Jésus n'existent pas. De toutes manières j'aurais voulu tuer ce videur moi-même.
Certains
Certains m'accuseront, mais ils n'ont vraiment rien d'autre à dire, de n'aimer personne. Ce n'est pas vrai. Je suis tout disposé à aimer d'ailleurs, mais c'est que tant de frugalité d'esprit m'oblige : je n'aime pas les cons.
Et d'ailleurs pour que mes aimables trous du cul de détracteurs comprennent qu'il n'est rien de plus important pour moi et ma tranquillité que les gens qui n'ont rien à dire puisse cesser de le dire, je propose une méthode alternative de règlement du différend :
Procurez-vous un bouton PAUSE (que l'on peut se procurer chez tout bon magasin vendant aussi des boutons LECTURE et AVANCE RAPIDE)...
Et proposez ensuite à celui qui n'a rien à dire de l'adapter au dur monde dans lequel on vit en lui installant le bouton PAUSE sur le front, comme ceci :
Qu'on ne me dise pas après que je n'ai pas tout envisagé.
Rien à ajouter
Je pense avoir montré en même temps que je passais mes nerfs dessus à quel point je ne souhaitais aux gens qui n'ont rien à dire que d'attraper la syphilis ou de perdre un parent proche. Au moins ça pourrait leur faire quelque chose à raconter d'original qu'ils n'auraient pompé à personne (mais pour la syphilis, c'est pas sûr).
Je les hais, mais c'est qu'ils m'intriguent. J'aurais envie de leur ouvrir le crâne pour en extraire le vide de plein qui y règne, vomir dedans et refermer le tout avec de la glue. Si je pouvais je découperais leur cerveau en lamelles pour les étudier au microscope et me rendre compte de l'absence d'interaction entre leurs cellules grises. Je voudrais leur broyer le moindre axone, éventrer la moindre dendrite, pour étudier chaque synapse de leur esprit absent et en dénicher la tare qui occlut tout à-propos...
Car bon, enfin, quoi...les gens qui n'ont rien à dire n'en pensent-ils pas moins ?
À mon sens et à vue de nez ? Rien n'est plus certain.
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Notes
- ↑ Premier avatar de ceux qui n'ont rien à dire.
- ↑ ça veut dire jumeau en vrai français
- ↑ je tiens vraiment à ce que tout le monde lise cette note pour bien montrer à quel point ce n'était pas un jeu de mots vaseux au sujet d'une personnalité politique remarquable
- ↑ remarquable en ce sens qu'il avait quelque chose à dire
- ↑ mais rien de vraiment important.
- ↑ celui où vous alliez enfin comprendre, dans un élan de lucidité qui n'intervient que quand la nuit porte effectivement conseil, le sens de l'univers
- ↑ Ici je me permettrai une légère digression pour traiter rapidement une question cruciale : Les gens qui n'ont rien à dire sont-ils tous des cons ? Est-ce parce que je les hais tous sans distinction que je vais répondre sans hésiter oui à cette question ? Probablement.
- ↑ ce qui n'est définitivement pas approprié
- ↑ Oui, ce n'est pas évident de voir la corrélation avec le bois précité...enfin maintenant si.
- ↑ ça peut être raciste
- ↑ vraies, elles aussi
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