La Saga de la Dé/Épisode 7 : Phase terminale
Les évènements semblent se précipiter à Fangeville et alentour. Clovis et Gérard Danglin, les deux héritiers légitimes d'Anselme Danglin, le patriarche, sont morts tous les deux. Mais hélas, Anselme n'aura pas eu le temps matériel (ni même la motivation) de rédiger un codicille à son testament pour rectifier le tir car lui-même vient de se faire assassiner en plein cœur de la mairie de Fangeville par rien moins que Sigismond Pourquet, son pire ennemi. Or, ce même Sigismond, pris sur le fait par le commissaire Sandrine Lescart et son équipe chic et choc, a avoué la vérité : il est en réalité le premier enfant d'Anselme et Giselle Danglin, ces derniers ayant bu au XVIIIe siècle une potion de jeunesse éternelle qui les a empêché de vieillir ! Plus fort encore, Sigismond révèle à la police que tous les habitants de Fangeville sont les enfants d'Anselme et Giselle et qu'ils sont responsables de la plupart des disparitions depuis plus de deux siècles, aidés en cela par leur fille Amandine. Après ces aveux, Sigismond Pourquet, alias Sigismond Danglin, s'apprête à massacrer le commissaire Sandrine Lescart et ses trois acolytes à coups de tisonnier.
Mais la partie n'est pas encore jouée. Godefroy Pourquet et Raoul Danglin alias Frank Slater ont compris que toute cette histoire était retranscrite dans les pétillantes aventures de Stan le Barbare, dont l'auteur n'est autre que Clytemnestre Danglin, la fille d'Anselme Danglin disparue depuis. Or, grâce à une analyse habile de la situation, ils parviennent à localiser Clytemnestre et se dirigent donc vers la cabane à outils du Père Gorillot, qui semble en savoir bien plus qu'il veut bien le dire. Quant à Giselle Danglin qui est venue arracher sa fille Léa des griffes de Guillaume et Sandrine Poucassère, elle n'a pas encore dit son dernier mot...À peine remis de leur incroyable découverte concernant les liens étroits entre les aventures de Stan le Barbare et l'histoire de Fangeville et de ses habitants, Raoul Danglin (alias Frank Slater) et Godefroy Pourquet arrivent aux abords du lieu-dit Les Latrines à la recherche de la cabane à outils du Père Gorillot où tout laisse à penser que se trouve Clytemnestre Danglin.
Godefroy eut tout juste le temps de terminer sa phrase. À peine la dernière syllabe prononcée, toute la campagne se nimba d’une lumière aveuglante et froide accompagnée d’un son aussi fort qu’aigu qui tenailla les oreilles de nos héros.
La Créature venue de l'espace intersidéral
« AAAAH ! Mais qu’est-ce que ce bruit terrifiant ? », gémit Godefroy.
« Quoi ? Parle plus fort ! J’entends rien avec ce tintamarre venu d’une galaxie très lointaine. », répliqua Raoul.
Blottis l’un contre l’autre comme Charybde et Scylla, Godefroy et Raoul devinrent les spectateurs impuissants d’une scène qu’ils n’oublieraient pas avant des jours : un engin tel qu’ils n’en avaient jamais vus ailleurs que dans les films hollywoodiens à gros budget se mit à descendre tout doucement, semblant ne tenir en l’air que par la volonté d’une technologie bien plus avancée que celle dont était capable l’Humanité terrienne qui utilisait encore le Métro pour aller de Porte d’Asnières à Clignancourt. Sans même se concerter, ils décidèrent d’appeler l’objet volant non identifié « Soucoupe Volante », confirmant par là même leur cruel manque d’imagination car l’objet en question était de forme oblongue et surmonté d’une demi-douzaine de dômes en métal reliés entre eux par une sorte d’armature flexible. Rien à voir avec une soucoupe volante donc qui est habituellement ronde et juste un peu creuse pour pouvoir maintenir stable la tasse volante.
Le silence qui suivit l’atterrissage de l’engin ne fut pas moins terrifiant que le bruit qu’il avait produit quelques secondes auparavant. Et, au bout d’un temps qui sembla une éternité aux deux hommes, la portière droite de l’objet s’ouvrit et apparut alors une créature au physique tel qu’ils n’en avaient jamais cauchemardé.
La partie supérieure était formée d’une espèce de sphère ovoïdale dont le dessus était paré de poils châtain clair de quelques centimètres de longueur coiffés en bataille et des oreilles de part et d’autre. Le visage – si on peut appeler ça un visage – était constitué de deux yeux, d’un nez et d’une bouche composée d’une lèvre supérieure et d’une lèvre inférieure. Légèrement entrouvertes dans un demi-sourire, elles laissaient deviner une série de dents blanches bien alignées. La tête était reliée au reste du corps de la créature par un cou d’où saillait sur le devant une pomme d’Adam étrange. Sur chaque côté du buste partaient deux bras articulés au niveau du coude et du poignet et terminés par un organe préhensile à cinq doigts dont un pouce. Enfin, la partie inférieure, qui correspondait en longueur à peu près à la moitié de la taille de la créature, allait jusqu’au sol et s’achevait sur une paires de pieds.
Voyant la terreur dans laquelle sa présence avait plongé Raoul et Godefroy, la créature de l’espace leva le bras droit en signe d’apaisement et commença à s’exprimer dans un langage tout à fait banal :
Interloqués, Raoul et Godefroy ravalèrent leur salive. Je veux dire, chacun la leur, ne commençons pas à être équivoque. Raoul, se rappelant avec nostalgie ses racines américaines, parvint à surmonter sa peur et répliqua à la Créature de l’espace :
Et en moins de temps qu’il n’en faut à un syndicaliste de la SNCF pour signifier un préavis de grève, la Créature regagna son vaisseau et repartit pour d’autres aventures.
En route pour la cabane à outils du Père Gorillot
Après quelques dizaines de minutes de marche, nos deux amis arrivèrent en vue de la ferme du Père Gorillot où tout laissait accroire que se situait la cabane à outils du Père Gorillot. Mais quelque chose d'anormal semblait flotter dans l'air. Bien qu'il s'agisse là d'une figure de style. Pas comme tout à l'heure avec l'histoire de la soucoupe volante où quelque chose de pas normal flottait littéralement dans l'air. Non, cette fois, l'anomalie se situait au niveau du sol : un véhicule gisait devant l'entrée de la ferme, portières ouvertes et phares allumés au mépris de toutes les règles sur la protection contre les vols et les pannes de batterie. En s'approchant précautionneusement, Godefroy et Raoul purent constater qu'il s'agissait d'une Renault Espace bleu métallisé, jantes alliages, 138 CV Turbo Diesel, 56 000 km, 15 600 € à débattre. Tous ces renseignements étaient en effet écrits sur une petite affichette scotchée sur la lunette arrière du véhicule, accompagnée d'un numéro de téléphone portable.
Sans réfléchir plus avant, Raoul sortit son propre téléphone et décida de composer le numéro susdit. Et comme il l'espérait sans trop y croire, la tonalité qu'il reçut dans l'écouteur de son mobile retentit en écho avec une sonnerie qui semblait provenir de l'intérieur de la ferme du Père Gorillot. Il s'apprêtait à se lancer à la recherche de la source de la sonnerie quand Godefroy l'arrêta d'un geste brusque.
Vexé que son acolyte ait eu cette idée avant lui, Raoul profita de l'attente pour bouder. Puis la prédiction de Godefroy se réalisa :
« Vous êtes bien sur la messagerie vocale de Giselle Danglin mais je ne peux pas vous parler pour le moment. Merci de laisser vos coordonnées et je vous rappellerai dès que possible... »
Pour Raoul, qui entendait pour la première fois la voix de celle qui était sa véritable maman, ce fut un gigantesque choc. Il aurait voulu lui laisser son numéro de téléphone pour qu'elle le rappelle mais il ne parvenait plus à articuler le moindre son. Et alors qu'il reprenait ses esprits et tentait d'expliquer à Godefroy la situation, il vit du coin de l'œil une forme bouger dans la voiture, sortir par la portière et venir dans leur direction...
« Ah non, c'est pas vrai ! Encore une créature venue de l'Espace ! », s'écria Godefroy.
La créature venue de l'Espace Renault
Mais ils furent assez vite rassurés. En fait de Créature, il s'agissait d'une simple pré-adolescente comme on en voit partout tous les jours sur les sites Internet.
« Qui es-tu ? », demanda Raoul
« Je m'appelle Léa Poucassère. Je suis la fille de Sandrine et Guillaume Poucassère. Enfin je crois parce que la dame qui m'a emmenée dans l'Espace m'a dit qu'en fait c'était ma mère et qu'on m'a menti depuis 10 ans et que je ferai mieux de bien travailler à l'école plutôt que d'apprendre par cœur les épisodes de Grand Galop. », répliqua la petite fille.
Godefroy parut surpris par les allégations de la gamine.
Loin de se formaliser de ce manque de chaleur de la part celle qu'il devrait désormais appeler sœurette, Raoul Danglin comprit son désarroi et sa méfiance. Comme lui, elle venait d'apprendre que toute son enfance n'était qu'une immense mascarade dont elle fut la marionnette impuissante dans les mains de manipulateurs sans scrupules et relativement confus car au final, les motivations des uns et des autres ressemblaient à un cliché de David Hamilton, obscur et flou.
Soufflé par cette révélation, Raoul se tourna lentement vers Godefroy pour constater que son compère, livide, cherchait encore à assimiler la nouvelle. Oui, il était bel et bien le père de la jeune fille qui se tenait devant lui. Cette folle nuit d'amour qu'il avait vécue il y a 11 ans avec Giselle Danglin, au mépris de la rivalité haineuse qui présidait aux relations entre les deux familles, avait produit ce beau fruit aux tétons naissants...
Dans la ferme du Père Gorillot
Pour les aider à trouver Giselle, Raoul décida de faire à nouveau sonner son téléphone. Ils purent ainsi repérer la provenance de la sonnerie et la suivre à l'ouïe. Il se retrouvèrent ainsi non pas devant la porte principale de l'habitation comme ils s'y attendaient, mais bel et bien devant la cabane à outils de tous les mystères. Et personne ne répondait au téléphone. Raoul décida d'ouvrir la porte de la cabane à outils. Et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il se rendit compte que l'entrée débouchait non pas sur une collection de tournevis et autre tondeuses à gazon mais sur un escalier qui semblait descendre dans les profondeurs de la Terre. En réalité, il n'y avait qu'une douzaine de marches et les trois héros les descendirent en quelques secondes. Pour déboucher au final dans une pièce démesurément grande.
Godefroy fut saisi par l'émotion en regardant les murs de la pièce. Ils étaient recouverts de planches de BD narrant les aventures de son héros préféré, Stan le Barbare. L'intégrale était là, sous ses yeux, enfin réunie... Et au centre de la pièce, leur tournant le dos, ils virent une femme. Elle était assise sur un tabouret trépied, faisant face à une table à dessin sur laquelle on pouvait voir une planche de BD à moitié remplie. La femme tenait dans sa main un crayon. Elle était en train de terminer une case de la planche de BD. Et en s'approchant, Léa, Raoul et Godefroy n'en crurent pas leurs yeux. Sur cette case, la femme était justement en train de les dessiner tous les trois en train de regarder la femme en train de dessiner la case où ils étaient en train de regarder la femme en train de dessiner la case où ils étaient tous trois.
La femme se retourna doucement. Même de dos, on devinait qu'elle arborait un sourire de satisfaction.
Clytemnestre Danglin les regarda tous les trois à tour de rôle avant d'éclater de rire.
Et, joignant le geste à la parole, la femme pris une petite fiole dont elle avala le contenu. Aussitôt, il ne se passa rien de spécial du genre des éclairs et une musique qui fait très peur avec des tambours. Non. Par contre le visage de la femme commença à se transformer pour devenir au bout de quelques secondes une personne radicalement différente.
Révélations
Et les trois amis de vérifier avec effarement la véracité des dires de Giselle Danglin en voyant dessiné Raoul déguisé en Stan le Barbare en train de se regarder sur une planche de BD.
Tenant sa gomme dans une main et son crayon à papier dans l'autre, Giselle fit volte-face pour retourner à sa planche à dessin afin d'achever son œuvre. Mais elle s'arrêta net. Avec effroi, elle vit que la petite Léa, qui n'avait pas vraiment suivi la conversation, tenait dans ses mains un gros rouleau enduit de peinture noire qu'elle s'apprêtait à faire glisser sur la planche à dessin qui devait sceller le destin de tout le monde. En effet, malgré toutes les précaution qu'elle avait cru prendre, Giselle avait oublié que les enfants ne peuvent pas s'empêcher de saccager les bandes dessinées à coups de feutres, de stylos-plumes ou de rouleau de peinture. Et avant que sa mère n'ait pu accomplir le moindre geste ou pousser le moindre cri, Léa fit courir le rouleau enduit de peinture noire sur toute la feuille.
Et c'est ainsi que tous les habitants de Fangeville s'évanouirent d'un trait, comme s'ils n'avaient jamais existé.
Épilogue
Le commissaire Sandrine Lescart à genoux et mains jointes récitait le Notre Père en s'apprêtant à mourir sous les coups du tisonnier maléfique brandi par Sigismond Pourquet. Mais au moment de recevoir le coup fatal, l'homme s'évanouit d'un trait, comme s'il n'avait jamais existé. Elle en avait connu des aventures, mais là ça dépassait tout. Elle pensait même être en train de rêver et s'attendait à se réveiller en sueur dans son lit, comme à la fin des mauvaises histoires à suspense. Mais elle se rendit compte que tout ceci était bien réel puisqu'elle vit le tisonnier maléfique par terre et pour se convaincre de son existence, elle le ramassa. Puis, elle se retourna et se souvint que ses subordonnées Nadia, Marc et Mouss Diop n'avaient pas eu sa chance et étaient bel et bien morts avant elle sous les coups assénés par Sigismond Pourquet. En voyant le corps massacré de Mouss Diop, elle se rappela avec émotion ses dernières paroles adressées à son meurtrier : « Du calme. Il ne faut pas broyer du noir comme ça. ».
Et du fond de sa cellule, après qu'on l'eut condamnée à 30 ans de prison dont 22 ans incompressibles pour triple meurtre à l'aide d'un tisonnier maléfique qui portait ses empreintes, l'ex-commissaire Sandrine Lescart penserait souvent à ses collègues morts en faisant leur devoir.
Notes
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