Illittérature:Un monde absurde/Tome 1 : Vacances dans un monde absurde

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Un monde absurde







Tome 1 : Vacances dans un monde absurde






Vous vous êtes déjà demandé ce qu'il y avait à l'intérieur de vos toilettes ? Non ? Vous êtes des gens bizarres alors... Moi, cette question m'obsède. J'y pense jour et nuit. Nuit et jour. Le soir, le matin, le midi, en me levant, en mettant mes chaussettes, sous la douche, en faisant l'amour, en passant la serpillière, en descendant d'une marche, en me couchant, en dormant,... Je ne parle évidemment pas du mécanisme de la chasse d'eau, ou de toutes les autres petites merdouilles en plastique que l'on peut trouver dans ses latrines. Je parle de l'eau des toilettes. Imaginez un instant le trajet de cette eau. Ce trajet vers l'inconnu. Cela doit être palpitant. Plus palpitant que ma vie de merde de PDG d'une multinationale. Ne rien faire, dans son bureau, mais être sûr de gagner de quoi vivre toute une vie en un mois. Où est l'aventure là-dedans ? Ne suis-je pas à plaindre ?


Un soir, philosophant, ou plutôt philo-somnolant tranquillement au-dessus de mes chers WC, je me sentis comme attiré par ce trou qui frottait délicatement mon arrière-train. Il fallait que je l'observe. Que je réalise mon rêve. Mon rêve de toujours. Je me mis à approcher mon visage de ce trou. Je sentis l'eau claire qui parvenait à mon visage. Puis je vis le tunnel. J'eus l'impression que mon corps voyageait à travers celui-ci. Une impression qui me rendait heureux. Une impression que l'aventure venait à moi. En fait non, c'était moi qui allais à l'aventure, mais on va pas chipoter.


Je ne sais pas où je viens d'arriver. Cet endroit a l'air de ressembler à la Terre que je connais, quoiqu'il ait l'air plus naturel. Mais j'ai tout de même l'impression que cet endroit est différent. Il a l'air étrange...


...


...


J'ouvre les yeux péniblement. Je ne me souviens pas de m'être assoupi. Mais, trop fatigué pour réfléchir, je décide de stopper toute réflexion relative à ce sujet. Je me lève, et commence à marcher, pour éviter de me rendormir par inadvertance. Soudain, j’aperçois deux hommes au loin. Je m'approche d'eux. C'est stupide, je viens juste de me lever, et ne suis pas encore en mesure de tenir et suivre une discussion. Je continue cependant à m'avancer, et je commence à être suffisamment proche d'eux pour entendre leur conversation.


— Tu ne peux pas savoir ce que je ressens pour elle. Je crois qu'il y a un truc entre nous.

— Ah, quel dommage !

— Comment ça, quel dommage ? C'est plutôt cool, non ?

— Ben non, c'est vraiment con qu'il y ait un truc entre vous.

— Hein ? Pourquoi ?...

— Parce que ce truc, c'est genre un mur ou n'importe quoi d'autre qui est entre vous, et qui vous empêche de vous rapprocher, c'est ça ?

— Ben non, justement. On est de plus en plus proches.

— Pourquoi tu me parles d'un truc entre elle et toi, alors ?

— Peut-être parce que c'est une expression, connard !

— Comment oses-tu me parler ainsi, enculé !


Je suis juste à côté d'eux. Ils ne me remarquent pas, étant encore absorbés par leur discussion. Un homme sensé n'aurait pas pris le risque d'interrompre une telle conversation, qui risque de s'envenimer, et de se transformer en véritable dispute. Mais un homme à moitié réveillé n'est pas sensé :


— Euh... Bonjour !


Et merde. Mon entrée est un peu ratée. Les deux hommes me regardent. L'homme qui a un truc entre lui et une fille m’adresse la parole en premier :


— Bonjour, cher inconnu. Excusez-mon ami, il est un peu soupe au lait.

— Mais enfin, je ne suis pas une soupe !

— Ta gueule ! Eh bien, étranger, que viens-tu faire dans nos terres ?

— Ben euh... Je...


Et voilà ! J'aurais dû me douter que venir parler à des inconnus dans un état de concentration minimal était une mauvaise idée. Réfléchir à la raison de ma venue, créer une phrase en direct, et la prononcer, c'est trop me demander. L'homme soupe au lait, mais pas soupe, reprit :


— Ben euh, quoi ?

— Allons, soit courtois avec les inconnus, enfin !! Peut-être voudriez-vous nous faire part de la région que vous habitez ?

— Ben... Que... La France...


Malgré mon état actuel, je réussis tout de même à faire émerger une pensée dans ma tête. Une pensée qui me dit que je suis ridicule. Et en plus, l'homme m'a demandé la région où j'habite, pas mon pays. Il doit bien se douter que c'est la France.


— La France ? Tu connais ça, toi?

— Non. C'est quoi ? C'est le nom du truc qui est entre toi et Pétule ?

— Triple crétin de mille putains !


Leur dispute reprenant de plus belle, je décide de partir discrètement. Cela m'évitera de refaire une nouvelle gaffe. Et en plus, ils ne font plus attention à moi.


...


...


Ah voilà, cet arbre sera parfait. Je m'assois contre son tronc. Maintenant que j'ai repris pleine possession de mes capacités mentales, je peux réfléchir un peu aux événements qui viennent de se dérouler. Une chose me préoccupe plus que le reste. Les hommes que j'ai croisés semblaient ne pas connaître la France. Bien sûr, ils étaient originaux, peut-être fous, ça devait être ça. Mais un étrange flash-back me revient. Le tunnel... Je constate un fait, d'une évidence déconcertante. Je ne suis là que depuis mon réveil. J'ai l'impression étrange de me rappeler que j'ai eu une existence passée, mais celle-ci est subitement devenue plus floue. Je me concentre pour retrouver des détails. J'ai des images qui me reviennent. Je me vois moi, en plus jeune. Je vois des gens que je ne reconnais pas. Peut-être mes parents. Je vois les WC... La multinationale... Ça me revient maintenant, je suis PDG, et je suis venu ici par les toilettes. Non, c'est pas possible, on n'accède pas à un lieu en passant par ses chiottes. Quoique... Qu'est-ce que je foutrais là si j'étais encore dans le monde réel ? Je devrais déjà être parti pour aller bosser. Mais non, je suis forcément dans le monde réel, vu qu'il n'y a que celui-là.


Qu'est-ce que c'est que ce bruit ? Je tourne la tête, et je vois une créature. Elle ressemble à une créature mythologique, connue sous le nom de licorne. Elle s'approche, passe à côté de moi, et me bouscule. Exaspéré, je lâche :


— Putain de bestiole de merde !


La licorne se retourne, me dévisage, et dit dans un soupir :


— Encore quelqu'un de pas net...

— Comment ça, je suis pas net ? C'est toi qui regardes pas où tu marches, bordel !


La licorne me redévisage. D'un air surpris, elle me répond :


— Vous... Vous me voyez ?

— Mais évidemment que je te vois. Bon, maintenant, j'attends des excuses !

— Et... Vous avez senti que je vous ai bousculé ?

— Bien sûr que oui, c'est quoi cette question ?

— Mais c'est impossible ! C'est impossible ! Je n'existe pas, vous n'auriez jamais dû vous rendre compte de ma présence !

— Comment ça vous n'existez pas ?


Mais la licorne s'est enfuie, avant même que je ne finisse ma question. Je l’aperçois au loin, continuant de crier :


— C'est impossible ! Impossible !


Bon là, plus de doute. Je ne suis pas dans le monde réel. Si j'étais dans le réel, et que quelque chose qui n'existe pas rencontre quelque chose qui existe, c'est celui qui existe qui fuirait devant l'autre. Quoique... La licorne est-elle vraiment inexistante comme elle l'affirme ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que je commence à avoir faim. Je vois au loin un regroupement d'une dizaine de maisons. Il doit s'agir d'un village. Enfin, si ces maisons existent... Je ne sais ce que j'y trouverai, mais je sais une chose : si la faim tue ici comme dans notre monde, alors je dois trouver à manger. J'irai là-bas chercher un supermarché, ou juste une épicerie, ou juste une ferme. Même si c'est un risque non-négligeable d'aller dans un lieu inconnu, dans un monde inconnu...


...


...


Je marche dans le sentier qui semble mener au village. Ma faim commence à se faire de plus en plus grande. Je ne sais pas combien de temps cela me prendra pour rejoindre le village. Peut-être même que je devrai faire une pause pendant la nuit. Si il y a une nuit dans ce monde...


— Le sentier est un petit chemin parsemé de cailloux. Souvent emprunté par des marcheurs de toute sorte, il tend à devenir un raccourci pour accéder à Petit-Moulin.


Je ne sais pas d'où vient cette voix. Je m'arrête, et regarde autour de moi. Je ne vois rien.


— Des traces de pas toutes fraîches sont visibles sur le chemin. Devant elles, on peut apercevoir un homme. Il est immobile, et regarde craintivement autour de lui. Soudain,

un autre s'approche de lui en courant.


Un autre homme arrive en effet vers moi. Comme la Voix l'a dit. Une fois en face de moi, il me dit :


— Que faites-vous planté là ! Fuyez !

— Hein !! Pourquoi ?

— Allez, par là !


L'homme m'emmène vers une cabane, dans la forêt, cachée par les arbres. Un peu réticent au début, je décide de me laisser faire, car je ne comprends pas ce qu'il se passe.


— Ouf, on n'entend plus rien...

— C'est peut-être une question idiote, mais pourquoi s'est-on caché ?

— Pour fuir l'auteur descriptif. Enfin, j'espère que c'en était un...


Étonné, de sa réponse, je repris :


— Mais pourquoi espérez-vous que ce soit quelque chose que vous avez fui ?


Il me regarde. D'un air qui veut dire "Oh putain, c'est un ignorant". Il reprit :


— Vois-tu, jeune insouciant, quand on entend une telle voix, il y a deux possibilités : Soit c'est un auteur descriptif, auquel cas c'est juste un lettré qui exerce son art à l'oral,

soit c'est une Voix Off.

— Et alors ? Qu'est-ce que ça fait si c'est une Voix Off ?

— Alors, vois-tu, une Voix Off, c'est...

— Oui, bon, je sais ce qu'est une Voix Off, quand même...

— Non. Il n'y a que ceux qui viennent de la réalité qui le savent !


L'autre regarde ma tête. Une tête qui montre un effet de surprise. Il reprit :


— Es-tu un être du monde réel ?

— Oui...


Suite à ma réponse craintive, il comprit que je venais d'arriver. Du moins, c'est ce qu'il me semble. Il continue donc :


Une Voix Off, ici, c'est une Voix qui ne sort d'aucun corps. Nul ne sait ce qu'elles sont. Lorsqu'une Voix parle, et que tu l'entends, tout ce qu'elle dit à ton propos

se réalise.

— C'est une sorte d'être omniscient et devin, donc ?

— Non ! Quand la Voix est proche de toi, elle parle. Souvent, elle te dit de t'immobiliser. Puis, après, elle t'ordonne toute une suite d'instructions ridicules, et ses ordres surplombent ta volonté. Tu ne peux rien contre. Pour la plupart des cas, la Voix ordonne finalement au sujet de se suicider, avant d'en chercher un autre à

persécuter !

— Mais comment a-t-on pu s'échapper alors ?

— Parce que les Voix laissent parfois une chance à leur victime de s'en sortir. Elle a dit que tu étais immobile, elle ne t'a pas ordonné de le rester.

— Comment avez-vous atterri dans ce monde ?


Ma question n'avait rien à voir avec la discussion en cours, mais me hantait depuis tout à l'heure. Un peu surpris, il répondit :


— Et bien en fait, c'est simple, j'étais chez moi, et...

— Et ?

— ...

— Monsieur, ça va ?


— Monsieur ??

— Ma tête... Ahahah !!!!

— MONSIEUR !!!! Vous m'entendez ?

— Non, je ne vous entends pas ! Et je ne vous parle pas, je suis muet !

— ...

— ...

— Monsieur ?

— Ahahhhhhhhh ! Tu es encore là ? Fuis !

— Non, je vais vous aider ! Y a-t-il un hôpital par ici !

— Non, tu... ne peux... m'aider... Je sombre... C'est... fini ...

— Je suis là !! Je ne vous laisserai pas tomber !

— Tomber... Ma canne, je n'ai plus ma canne, je vais tomber !!

— ...

— Ma canne ! Tu l'as volé !!


Il me saute dessus. Je recule. Il tombe par terre. Soudain j'entends :


— Les deux hommes sont dans la cabane. La porte se ferme à clé !


L'homme, dont le regard semble désormais vide, se concentra au maximum, pour réussir à dire :


— La fenêtre... est... ouverte...


Ni une, ni deux, je saute par la fenêtre. Je continue ma route en courant. En m'éloignant, je l'entendis encore crier :


— Ma canne ! Ma canne ! Oui bougie, c'est toi qui l'a volé ! Je vais te tuer, bougie ! Par la force de... de... de... deux... trois...


Puis soudain, il se tait. C'est surement la Voix qui le lui a ordonné. Quant à moi, je ne ralentis pas, et fixe mon objectif des yeux : le village !


...


...


J'arrive au village. Il a l'air d'être tout à fait banal, et normal. Je vois des gens qui jonchent les rues. Des enfants qui jouent. Des commerçants avec leurs étalages. Tout pour me rappeler mon ancien monde. Tiens, ici, il y a une auberge. Je vais prendre une chambre. Et un repas. J'entre.


— Bonjour !

— Bonjour, jeune manant de bas étage !

— Je viens pour...

— Acheter mes chapeaux ? Mes beaux chapeaux ! Les chapeaux d'Albert ! Je te garantis : C'est du top-qualité ! Tu auras beau marcher dessus, ...

— Oui, bon, c'est gentil, mais...

— Ou alors, tu voudras peut-être de ce porte-clé de fabrication artisanale ? On en trouve qu'ici dans la région !

— Non, pas du tout, je...

— Il s'agit du seul porte-clé qui ne peut pas porter de clés. En fait, les clés sont incluses dedans ! C'est plus prati...

— JE VEUX UNE CHAMBRE !

— ...

— S'il vous plaît...

— Non, mais tu te crois où ? Tu es chez un aubergiste ici, pas chez un poissonnier !

— Mais...

— Tu ne veux pas de mes chapeaux, les meilleurs de la région ! Ni de mes exceptionnels porte-clés ! Quel irrespect ! DEHORS !

— ...

— DEHORS ! Ou je te les fais manger !


Je sortis, pour ne pas entraîner un conflit beaucoup plus violent. Quelle bizarrerie ! Un aubergiste qui vend des chapeaux. Cela ne m'étonne même plus. Mais bon, je ne suis pas là pour tergiverser, je dois trouver une chambre. Le pseudo-aubergiste m'a dit : "Tu es chez un aubergiste ici, pas chez un poissonnier !". Et bien essayons le poissonnier ! Qu'ai-je à y perdre ? Rien. Je n'ai pas de réputation à défendre, et si je venais à en acquérir une mauvaise, je trouverais un autre village.


— Bonjour...

— Bonjour, jeune turlupin !

— Je voudrais...

— Louer un tabouret ? J'ai tout plein de tabourets...

— En fait, je viens pour...

— ... qui peuvent servir pour tous types d’événements. Regardez, on peut même...

— Hum, hum ! En fait, je viens pour...

— ... s’asseoir dessus, c'est fou, non ? Un autre produit le permet-il ?

— JE VIENS POUR LOUER UNE CHAMBRE !

— ...

— ...

— Mais quelles sont ces turpitudes ? Vous savez très bien que ce type d'offres se trouvent chez un aubergiste !

— Oui, mais l'aubergiste m'a dit que les chambres à louer se trouvent ici !

— Comment ? Il divague devant les clients ? Il va entendre mon mécontentement ! Gilbert, tu vas voir de quel aubergiste je me chauffe !


Étonnant. Le prétendu aubergiste prétend s'appeler Albert, mais le soi-disant poissonnier l'appelle Gilbert. Faut-il encore s'étonner ? Bon, maintenant, je vois les deux hommes en train de s'engueuler dehors. Je vais devoir chercher ailleurs. Mais... Quel est ce panneau ? Un petit morceau de bois cloué sur le mûr indique "Chambres à louer : deuxième porte à droite". Bon, ils se foutent un peu de moi, là, quand même ! Mais bon, profitons de leur inattention, et allons faire une petite sieste gratuite.


Allongé sur un lit, je pense aux événements qui viennent de se produire dans ma vie. Me voilà prisonnier d'un monde où rien n'est logique. À y réfléchir, cela devrait me faire peur. Je devrais regretter notre monde, si paisible, si tranquille. Mais je m'étonne moi-même. J'ai l'impression d'être bien ici. Notre monde n'est que trop paisible et tranquille. J'ai rêvé d'aventure depuis mon enfance. Et elle est venue à moi. J'ai beau ne savoir ni ce qui m'arrivera, ni si j'ai de grandes chances de survie, j'ai envie de rester. De rester dans ce monde. Et même si au final une Voix-Off, une licorne, où des habitants dérangés mentalement venaient à me tuer, quelle importance. Je suis convaincu qu'une courte vie ici me conviendra mieux qu'une longue vie nulle et chiante. C'est décidé, je reste ici. J'ai vraiment envie de changer le court de ma vie. Ce sera un peu comme des vacances. Oui, c'est ça ! Je ferai de ma vie une longue période de vacances. Pas des vacances chiantes, allongé sur son transat. Des vacances de découverte, d'étonnement. Des vacances qui n'auront pour fin que ma mort. Cela est surement loin de la conception traditionnelle des vacances, mais qu'est-ce-que les vacances, sinon un moment où la vie échappe à l'insoutenable quotidien ? Bon, assez réfléchi ! Faisons-la, cette sieste !


...


...


— Alors, docteur, comment va-t-il ?

— Couci-couça...

— Je sais que vous ne voulez pas brusquer les consciences des proches, mais je vous en prie, dites-moi tout sur son état...

— Je dois vous avouer que son cas est intrigant.

— C'est-à-dire ?

— Pour l'instant je n'ai que des suppositions. Il faut que je discute avec mes collègues de son cas si spécial.

— Va-t-il bien ?

— Il va parfaitement bien.

— Son état s'améliore, donc ?

— Non, son état a toujours été le même depuis sa venue dans cet hôpital. Son cerveau marche parfaitement bien, il n'a aucun traumatisme, aucune lésion... Mais...

— Mais ?

— Mais il est dans le coma. C'est incompréhensible ! Il n'a aucune raison d'être dans le coma !

— Docteur, un nouveau patient vient d'arriver, et doit être opéré immédiatement !

— Excusez-moi, Monsieur, je dois vous laisser.


Je vois le docteur s'éloigner, puis disparaître au bout du couloir. Mon frère... Les médecins seraient donc dans l'incapacité de comprendre ce qui lui arrive. Il n'aurait rien. Mais est dans cet état d'inconscience depuis une semaine déjà. Depuis qu'il a failli se noyer dans les toilettes. C'est une chance qu'il ait laissé la porte ouverte, et que j'aie pu lui sortir la tête de la cuvette juste après qu'elle ait touché l'eau. Je ne peux qu'être d'accord avec le docteur : son coma est incompréhensible. Sa tête a à peine effleuré l'eau. Il est impossible que son coma soit dû à cela. Quand j'ai retiré sa tête des toilettes, et que j'ai vu sa tête inexpressive et inerte, j'ai cru à un AVC. Mais le docteur est formel : son cerveau est encore totalement fonctionnel. Est-ce que son coma est dû à un choc, suite à la perspective de noyade ? Est-ce que son corps va totalement bien, mais que c'est son esprit qui ne répond plus ? Comme les programmes de Windows, que l'on doit fermer à coup de "ctrl alt suppr" ? Non, tout cela est absurde...


— Excusez-moi...


Oups, je gène une infirmière qui pousse un brancard.


— Désolé.


Je m'écarte pour la laisser passer. Bon, je ne vais pas rester planté ici, au milieu du couloir. Je vais aller rendre une visite à mon frère. Mon frère aux symptômes si surprenants. Je m'approche de sa chambre, et pousse la porte. Deux autres personnes sont là. La première, c'est ma mère. Cela ne m'étonne pas, vu tout l'amour qu'elle nous a donné dans notre enfance. Le second est le vice PDG de l'entreprise de mon frère. Je l'ai toujours trouvé prétentieux. Je ne l'ai jamais vu sourire devant personne, hormis l'argent et le succès. Je suis sûr qu'au fond de lui, il est bien content que mon frère soit dans le coma, sachant que cela lui permet d'exercer la fonction de PDG par intérim. Mon frère, lui, est allongé sur un lit, dans la même position qu'hier. Qu'avant-hier, aussi. En fait, je crois qu'il n'a pas changé de position depuis qu'il est ici.


— Bonjour Tom !


Ce vice PDG sait comment avoir l'air sympathique et compatissant. Bien des fois, j'ai voulu croire en cette apparence. Mais je reste persuadé qu'elle est trompeuse. Je pris une chaise, et m'assis à leur côté.


— Mon fils...

— Quel dommage que cela soit arrivé.

— Mon fils... Pourquoi...

— Vous pouvez être fière de lui, madame. Que ce soit dans son quotidien, ou au travail, il a été un homme exceptionnel.

— Mon fils... Dans cet état...

— D'ailleurs, Tom, nous ne vous remercierons jamais assez de l'avoir sauvé in extremis d'une terrible noyade.


Je ne répondis pas. En fait, je ne l'écoutais même pas. Cet homme exprime sa compassion avec trop d'aisance pour que cela soit sincère. Je ne suis pas venu pour lui, de toute façon. Je suis venu pour mon frère. Je regarde ses yeux. Ils me semblent plus expressifs qu'auparavant. Je pense qu'il rêve. C'est ce qu'il peut lui arriver de mieux, en ce moment. J'espère qu'il rêve.


...


...


— Fais attention où tu mets les pieds !

— Mais je n'ai pas de pieds !

— Ah ouais ? Et comment tu fais pour marcher !

— Arrête de me parler sur ce ton, sale anti-zérojambiste !

— Moi ? Moi, je suis un sale anti-zérojambiste ?

— Oui, toi toi mon toit.


Ah, ces classiques disputes, cette incompréhensibilité totale, cet air vivifiant... Quoique, peut-on être sûr qu'il y ait de l'air dans ce monde ? De toute façon, quelle importance ? Le plus curieux des scientifiques laisserait cette question de côté en voyant cet endroit. Voir l'animation de ce village est plus surprenant que n'importe quelle théorie de l'espace-temps. Je crois que je pourrais passer ma vie uniquement à regarder ce qu'il se passe ici. Et moi qui parlais de ne pas passer ses vacances sur un transat...


— Hein ! Comment me parles-tu ? Vas-y, répète pour voir !


Le fil de mes pensées fut interrompu par cet homme. Fascinant. C'est fascinant ! Ici, j'ai l'impression que tout peut arriver, n'importe quand. Je décide de lui répondre, plus pour savoir ce qu'il va bien pouvoir me dire que pour me défendre de ses accusations.


— Je ne vous ai rien dit, cher monsieur.

— Y a-t-il besoin de parler pour dire, et de dire pour parler ?


Cette question semble venir de nulle part. Je tente comme réponse :


— Je ne sais pas.

— Je sais pas à pas, papa ne sait pas ces pas dans le cépage !


Je regarde l'homme en face de moi. Après avoir dit cette phrase, il se figea. Comme s'il attendait quelque chose. Peut-être attend-il ma réponse. Mais assez perdu de temps. Aujourd'hui j'ai prévu une excursion hors du village. C'est bien moi qui parlais de ne pas rester sur son transat en vacances, non ?


Je prends mon bâton, et commence ma route. Une pensée me traverse l'esprit. Mais je l'oublie aussitôt. J'essaye de m'en souvenir, mais elle ne revient pas. Je vois un homme au bord du chemin.


— Tout va pour le mieux, monsieur ?

— Oui, tout va on ne peut plus bien.


À voir sa tête, on dirait que ma réponse l'a surpris. Mais oui ! L'idée que j'ai oublié, c'est que j'avais faim, mais que je n'ai pas mangé. Et que pourtant, je n'ai plus faim. Tant mieux, ça nous débarrassera du repas, cette perte de temps quotidienne.


Je continue, et entre dans la forêt. Le sentier semble continuer quasiment en ligne droite. Je fais quelques pas. Soudain, je remarque un fruit sur un arbre. Je le cueille, et croque dedans. Le goût est excellent ! Je ferme les yeux pour mieux apprécier cette exquise saveur. Après 15 secondes, je les rouvris. Le fruit avait disparu de ma main. Le sentier avait disparu sous mes pieds. L'entrée de la forêt avait disparu derrière moi. Soudain, au beau milieu des arbres, je vis surgir un poisson géant. Avec ses nageoires, il tentait tant bien que mal de prendre appui sur les troncs d'arbres pour se propulser en avant. Il fuyait un requin gigantesque, qui le coursait, en avançant de la même façon. Sauf qu'il arrivait mieux à avancer que le poisson. Et moi, je suis là, regardant la scène avec fascination, comme si elle se produisait dans un aquarium. Mais... Ils ne sont pas dans un aquarium... Ça veut dire qu'il faut que je m'enfuie ? Dans le doute, on va dire que oui. Oups, le premier pas que je viens de faire a fait craquer une branche. Le requin laisse sa proie pour me fixer, avec ses yeux. J'essaye de m’enfuir en courant, et... Ah !!! J'ai à peine fait deux pas que sa grande gueule est déjà en face de moi. D'un coup, il m'engloutit tout entier.


— Bonjour monsieur ! Qu'est-ce qui vous fait venir chez moi ?

— Hein, mais où suis-je ?

— Mais enfin, chez moi, cela paraît évident !

— Vous habitez... dans le requin ?

— Un requin ? Ces sales bêtes des montagnes ? Vous n'y pensez pas !

— ...

— Peut-être puis-je vous offrir un rafraîchissement ?

— Oui. Volontiers.

— Parfait.


Il me prend le bras. Il m’entraîne vers la porte. Que veut-il donc me faire faire ? Il ouvre la porte, et... Ahhh ! Il m'a poussé hors de chez lui ! J'entame alors une chute dans le vide. Une chute dans le vide absolu. Je cherche désespérément quelques branches où m'accrocher. Il n'y en a pas. Et, mais je vois un petit parallélépipède rectangle qui se rapproche. De plus en plus. Je suis près de lui maintenant. J' entre dedans. C'est une cheminée, et... Aïe !! Je me suis éclaté contre le sol de cette maison.


— Alors, ce petit rafraîchissement vous a plu ?


Je ne réponds pas. Je suis trop obnubilé par le fait que je ne ressens aucune douleur. Tiens, d'ailleurs, comment se fait-il que je sois de retour dans cette maison ? Si j'avais su que mes vacances comprendraient un saut en chute libre, je n'y aurais pas cru. Après cela, je me relève.


— Bon, je vois que je vous ai remis en état. Je vous raccompagne dehors ?

— Oui.


Il ouvre la porte. Je sors. Ayant fermé mes yeux par réflexe, je les rouvris, constatant que je ne tombais pas dans le vide. Oh, me revoilà dans le village ! Qu'est-ce que c'est dingue ! Comment se fait-il que je me retrouve ici ? Je n'en reviens pas ! Ce monde est fantastique ! Ah, mais j'ai oublié ma veste chez... Je ne sais plus son nom... Je suis sûr qu'il me l'a dit...


Bon, peu importe. Je vais retourner la chercher.


J'ouvre la porte. Je me retrouve dans un endroit sans âme qui vive. Un endroit désertique. Non, ce n'est pas le mot... C'est un endroit volcanique. Un peu effrayant, mais l'inconnu est excitant !


— L'individu ayant franchi le pas de la porte contemple le paysage autour de lui.


Oh non ! Une Voix-off ! Elle me parle ! Ça ne peut être un auteur descriptif, il n'y a personne ici ! Vite, il faut que je rouvre la porte pour m’enfuir !



C'est dingue, j'ai l'impression d'avoir déjà entendu cela.


Un poney apparaît, et...

— Oh non, pas un poney ! Vous pouvez pas faire apparaître une licorne à la place, comme celle que j'ai vu l'autre jour ?

— Silence, impudent ! Je fais apparaître un poney, parce qu'il va te torturer. Ça va être super dégradant pour toi de te faire humilier par un poney !

— Pff... En fait je suis sûr que vous prenez un poney parce que vous n'êtes même pas capable de contrôler une licorne.

— Qu'oses-tu dire ? Et pourquoi je ne pourrais pas les contrôler ?

— Parce qu'elles n'existent pas !

— Et alors ? Moi je n'existe pas non plus, et j'arrive à me contrôler ! Bon, trêve de plaisanterie, un poney apparaît, et...

— Pas la peine de finir, il y en a déjà un là. Ah non, il y en a deux maintenant...

— Ah oui, c'est vrai.

— Bon, sinon, j'aimerais bien savoir comment ça marche votre truc, là. C'est quoi, c'est de l'hypnose ?

— Hein... Euh, non, pas du tout. En fait, c'est simple. On dit un truc, et cela s'accomplit.

— Oui, mais comment ça marche ?

— Ben je sais pas moi. La suite de mots a un sens, et donc ce que veut dire la suite de mots s'accomplit.

— Oui, mais quel est le sens du mot sens ?

— Bon, monsieur, on a assez perdu de temps comme ça !

— En fait, le sens du mot "sens" est "sens", parce que l'homme en a décidé ainsi, vous voyez ?

— Le poney s'avance, et...

— Et donc, si jamais je décide que le sens de "poney" est "licorne", et que vous dites "poney", il se passe quoi ?

— ... le poney prépare ses sabots pour écrabouiller la tête de...

— Ah, vous voyez, c'est une licorne qui vient !

— Bon, ça suffit ! Poney, efface toute trace de cet individu dans ce monde !

— Quel dommage ! Je crois que je viens de décider que le mot "individu" veut dire "Voix-off" !

Bordel de...


Et tout-à-coup, je ne vis rien. En fait, j'entendis, plutôt. La Voix est en train d'agoniser en poussant d'horribles cris. Je regarde quelques instants le poney, qui maintenant veut dire "licorne" je vous rappelle. Je m’aperçois qu'il n'a pas bougé depuis qu'il est apparu.


— Merci d'avoir effacé les traces de cet individu !

— Moi ? Je n'ai rien fait ! Je...


— Oui, c'est ça !

— Et si je décide que vous existez ?


...


...


— Que vient-on faire par ici ?

— Tu le sais très bien. Le maître nous a donné une mission.

— Quelle mission ?

— Tu n'as pas à la connaître. Mon rôle est de réussir la mission. Le tien est de me protéger.

— Pff... OK...


Vu le chemin que l'on emprunte, je peux être sûr, presque avec certitude, que l'on se dirige vers le village abandonné peuplé. Ce lieu est une curiosité bluffante. Personne n'y habite, mais la multitude de personnes qui le peuplent lui permettent d'avoir l'air normal, en l'entretenant.


— Que va-t-on faire dans ce lieu cauchemardesque ?

— Tu le verras bien assez tôt.

— Ne me dis pas que l'on va chez le mage ?

— On y ira. Le maître le veut.


Quelle demande étrange du maître ! Ce mage, puissant à l'époque, est désormais un vieillard un peu maboule. Il ne fait plus que quelques prédictions de devin, dont personne ne sait si elles sont vraies, tellement elles sont...


— Si ça peut te rassurer, on ne va pas chez lui. On va juste regarder les prédictions qu'il a collées au mur.


On entre dans le village. Une femme qui n'est pas là est en train de passer le balai devant chez elle. Un homme qui n'est pas ici repeint la mairie. Et un professeur qui est ailleurs est en train d'enseigner à ses élèves absents. Ce spectacle m'étonnera toujours, et est difficilement conceptualisable par quelqu'un qui ne l'a jamais vu. Nous nous avançons vers la maison du mage. Je me suis toujours posé deux questions à son propos. Est-il absent de ce lieu comme les autres ? Et est-ce lui le responsable de la spécificité de ce village ? Ah, nous voilà devant le mur !


— Regarde celle-là : "Une goutte de pluie tombera sur une feuille d'arbre la prochaine fois qu'il pleuvra dans la forêt" !

— Et celle-ci : "La fin du monde n'aura pas lieu dans le passé" !

— Lis celle-là !

— "L'homme qui viendra lire cette prévision portera des chaussures." Ahah !

— Au moins, on peut dire que cette prophétie s'est réalisée !

— LOL ! Bon, on peut partir, il n'a prédit que des futilités, comme d'habitude.

— Attends, regarde, il y a ça en bas à droite !

— Hum, intéressant... On va rapporter ça au maître !


...


...


Je suis le poney. Ne croyez pas que je veux dire que je suis le poney, non, je veux juste dire que je le suis. Étant perdu et seul au milieu de volcans, je ne pouvais qu'accepter sa proposition de rester quelques temps chez son peuple.


On arriva près d'une colline. On entra à l'intérieur. Pas par une porte qui mènerait à une galerie, creusée dans la roche. Non. On est juste entré dans la colline. Le poney me laissa dans une chambre pour que j'y passe la nuit, et me promit qu'il me présenterait aux autres le lendemain. Ah, le lit, bien qu'il soit de forme octogonale, est parfaitement confortable. Allongé, fermant les yeux, je me remémore les derniers événements marquants. Le poisson, le requin, le grand saut, l'individu, ... Est-ce que ces vacances me plaisent ? Oui !


...


Ahh ! Je crois que je viens de passer une bonne nuit. Un poney me guette, sur le pas de la porte. Il me fait signe de l'accompagner. Je le suis (mais je ne suis pas lui). Il me montra une place à table. Bien que je ne ressente plus d'appétit, je décide de consentir à prendre un petit-déjeuner, par politesse. Un poney vient, et m'apporte des céréales. Un autre, du lait. Un autre, des tartines. Un autre, des trucs à tartiner. Puis ils s'en allèrent. Allez, je me lance, je vais prendre un peu de céréales. Je les fais glisser vers ma bouche, et je les avale. Oh, quelle surprise ! Ces céréales ont traversé mon corps, et se sont retrouvées par terre. Par simple curiosité, j'essaye de faire de même avec le lait. Même résultat. Une grosse flaque de lait sur le sol.


— Vous avez mangé à votre faim ?

— Oui, oui... C'était... parfait !

— Bien ! On va vous conduire à l'assemblée.


Le poney me conduit à travers plusieurs couloirs. J'ai du mal à le garder dans mon champ de vision, les poneys à quatre pattes prenant beaucoup de place dans les couloirs. Mais à quoi peut bien ressembler l'assemblée ?



Un nombre incalculable de poneys se trouve devant moi. Réunis dans une même salle. Le poney que j'ai rencontré hier est à côté de moi.


— Chers poneys inexistants, aujourd'hui se déroule notre 2ème assemblée générale. Celle-ci a été réclamée par vous !

— Oui, en effet. Je tiens à vous présenter cet humain, qui propose de décider que l'on existe !

— Humain, exposez votre demande !

— Ben, je crois qu'il a tout dit. Hier, après qu'il m'ait sauvé de l'individu, je lui ai dit que je pouvais décider qu'il existe.

— La parole est à l'inexistant expert en droit !

— Le Code Civil jamais écrit est formel. Une assemblée qui n'existe pas ne peut ni prendre une décision, ni imposer une loi.

— Cher humain, votre requête est honorable. Mais selon notre juridiction, l'assemblée n'a pas le pouvoir de vous laisser décider que l'on existe.

— Mais c'est absurde !

— Désolé, humain, mais on ne peut aller contre nos institutions.

— Mais au pire, je décide que vous existez sans votre accord, et après vous approuvez ce que je dis une fois que vous existez.

— Qu'en pense l'expert en droit qui n'existe point ?

— La loi inexistante est claire ! L'alinéa 1.6.8 bis précise que les effets d'une décision ne peuvent prendre effet avant que l'assemblée n'ait pris la décision...

— ...

— ... De plus, l'alinéa pi bis bis précise que si l'assemblée prend une décision, celle-ci doit être retranscrite sur un formulaire B853...

— ...

— ... Et enfin, l'alinéa -1 précise qu'aucun formulaire B853 ne peut être rempli suite à un vote de l'assemblée...

— ...

— ... Ce qui veut donc dire que même si l'assemblée existait, elle ne pourrait voter en faveur de cette demande.

— Je suis navré humain, mais votre requête est ref...

— Quel est ce bruit que l'on entend dehors !


...


...


Je regarde mon frère allongé sur son lit d'hôpital. Il n'a toujours pas repris conscience. Il n'a toujours pas changé de position. Les médecins constatent toujours que tout va bien chez lui. Ils continuent toujours à s'arracher les cheveux en étudiant son cas. Un truc a changé. Il sourit. Cela, au fond, me rassure. Cela veut peut-être dire qu'il ne souffre pas. C'est le plus imp...


— Ce qui lui est arrivé est vraiment horrible. Je comprends votre peine.


Oh non ! Moi qui était très bien tout seul, voilà que je vais devoir supporter la présence de ce PDG par intérim !


— Vous l'aimez comme un frère, n'est-ce pas ?

— Oui... Parce que que JE SUIS son frère, peut-être...

— Bien entendu. Nous l'aimons tous comme un frère.


Je ne supporte pas ce type. C'est un opportuniste. J'en suis sûr. Il croit être obligé de venir ici pour légitimer sa prise de pouvoir dans l'entreprise.


— Quand il sortira, mon frère reprendra sa place ?

— Hein... Euh... Ben... Tout dépendra de... euh... son état de santé...

— Ouais, c'est bien ce que je pensais.


Il me fixa de ses yeux grands ouverts pendant plusieurs secondes. Vu comme il a l'air sûr de lui, il ne doit pas concevoir la possibilité que l'on puisse lui tenir tête.


— Vous savez, il est de ma responsabilité de préserver votre frère d'une charge trop lourde s'il n'a pas les capacités pour la porter...

— Cela vous arrange bien, j'imagine.


Je n'ai pas pu me retenir de lâcher cette phrase. Je vis monter en lui la colère. En d'autres lieux, il m'aurait surement crié dessus une réplique presque culte, mais il doit surement vouloir se modérer en présence du corps de mon frère.


— Mais enfin... Je ne vous permets pas...

— Je me permets. On voit très clair dans votre jeu.


C'est surement la phrase de trop pour lui. Je le vois devenir furax. Il me prend par l'épaule, colle sa bouche à mon oreille, et me chuchote :


— Écoutez-moi bien. Il n'est pas question qu'un merdeux comme votre frère qui s'est presque noyé dans ses toilettes, et qui est dans le coma pour aucune raison,

se mesure à moi pour le poste de PDG. C'est la loi du plus fort ! Vous devriez avoir honte de lui ! Il n'est qu'un fou ! Il a surement fait exprès de foutre sa putain de tête dans l'eau des chiottes ! Personne d'autre n'a réfléchi à la question : "Comment a-t-il fait pour avoir cet accident ?" Il est tout à fait conscient, et il était dans une position tout à fait stable quand on l'a trouvé, selon vos dires ! Réfléchissez-y, Tom !


Maintenant que son discours est fini, il me lâche l'épaule, et sort de la pièce, d'un pas rapide. J'en étais sûr : c'est bien un enfoiré.


...


...


C'est la panique générale dans la colline des poneys. Je n'arrive pas à savoir de quoi il s'agit.


— Excusez-moi, mais que se passe-t-il ?

— C'est une attaque ! On est attaqués !


Une attaque ? Cool, il fallait quand même que j'en voie une pendant mes vacances !


— Tout le monde en position face à l'ennemi !


Tout le monde se positionna. Mais pas face à l'ennemi. C'est bizarre, ils se sont figés dans la colline, et... Oh, la colline a disparu, tout à coup !


— Feu !


Comment décrire ce que je vois en face de moi ? C'est difficile. Je n'arrive pas à savoir s'ils sont minuscules ou géants. J'ai l'impression qu'ils sont les deux à la fois !


— Ne reste pas figé ici, les nains géants vont te bouffer !


Allez... Je vais suivre ce conseil, et ce mouvement de foule. Mais quand même, des nains géants... C'est grandiose. Cela me rappelle un peu le principe de superposition quantique, l'une des seules choses qui m'ait réellement fasciné dans le monde réel. Et ils marchent sur le ciel, aussi, même si ce n'est pas ça le plus surprenant. Tiens, ici, il y a un petit abri. Allons-y.


— Bombardement en vue, repliez-vous !


Un peu craintif, je jette un regard en l'air. Un nain géant est en train de profiter de sa position aérienne pour décrocher les étoiles du ciel, et nous les jeter dessus ! Je décide de quitter l'abri, pour mieux voir ce spectacle.


— Replie-toi, trou du cul !


L'éclat de cette étoile qui s'abat sur nos têtes, et qui de plus en plus s'approche de nous est une chose divine. Ahh !! Qu'est-ce que... Un poney m'a foncé dessus, et m’entraîne à l'écart de la bataille.


— Ramène-moi là-bas, sale bête !

— Je... Je ne peux pas... J'ai pris une vitesse trop grande pour vous sauver...

— Et alors ?

— Et bien... Je ne peux contrôler ma trajectoire avec cette vitesse...

— Mais c'était trop beau !

— Tu en verras d'autres...

— Non, j'y retourne !


Je lâche le poney, et je saute dans le vide.


Ah, voilà, ça c'est du bel atterrissage. Brutal, mais qui ne casse rien ! Après avoir repris mes esprits pendant 10 secondes, je décide de mettre au point une tactique. Je n'en trouve pas. Tant pis, on va y aller au hasard. Ils arrachent des étoiles pour nous les lancer ? Et bien moi, je vais arracher... euh... des fleurs ! Oui ! J'arrache la tulipe. Je la lance. Mouais. C'est nul. Je retente. J'arrache un pissenlit. Je le lance. Mais au moment de le lancer, je pense en moi-même :


« Cette fleur est un boulet de canon. »


Elle alla haut dans le ciel, et arracha un bras au nain géant. Je prends un tournesol (c'est dingue, le nombre d'espèces de fleurs différentes qu'il y a ici !), et je le lance en pensant :


« Cette fleur est un missile. »


Ce tournesol vola haut, et arracha une jambe au même nain. Puis je pris un coquelicot. Pour celui-ci, je pense :


« Cette fleur est un missile anti-aérien ! »


La fleur monte, monte, monte très haut. Elle fait exploser le même nain au premier contact, ainsi que deux de ses camarades, derrière lui.


...


...


— Maître ! Maître !

— Qu'y a-t-il, cher disciple ?

— Maître ! Regardez la prophétie qu'on a ramenée !

— Faîtes-voir ! Mmm...

— Alors, Maître...

— C'est inquiétant... Très inquiétant...

— Vous croyez qu'elle est vraie ?

— Je ne sais pas. Mais on ne peut prendre le risque de la négliger.

— Que va-t-on faire, maître ?

— Cherchez.


...


...


— Positionnez-vous. Chargez. Tirez !


Une multitude de fleurs, qui dans ma pensée sont des missiles anti-aériens, sont tirées par les poney. Toutes les premières lignes des géants nains furent décimées. Dire que les poneys étaient éparpillés, attendant leur mort. Il a fallu que je cueille moi-même le plus grand nombre possible de fleurs, que je persuade des poneys égarés de se réunir à nouveau, et cela tout seul.


Positionnez-vous. Chargez. Tirez !


Des lignes entières tombèrent à nouveau. On a encore assez de fleurs pour tirer une fois. J'espère que ça suffira.


— Positionnez-vous. Chargez. Ti... Repliez-vous !!!


Une étoile, sans prévenir s'écrase devant nous. Plusieurs poneys reçoivent des éclats d'étoile, et tombent à terre. Mais pas question d'abandonner.


— Positionnez-vous. Tirez !!


Un nombre innombrable de nains géants tomba ce coup-ci. Mais il en reste quelques-uns. Non, ce n'est pas ça. Il n'en reste qu'un. Il n'a pas l'air de vouloir abandonner. Il cherche désespérément une étoile... Et il en a vu une ! Si on ne trouve pas des munitions rapidement, il nous tuera un par un.


— Que fait-on, chef ?


Et bien voilà qu'ils me considèrent comme leur chef. Il ne faut pas les décevoir. Alors, qu'avons nous ? Ah, on a un canon.


— Qu'un poney entre dans le canon !


Un poney, au milieu de l'armée, s'avance. Il entre dans le canon.


— Qu'allez-vous faire ?

— Je vais t'utiliser comme projectile contre le géant nain !

— Mais c'est dangereux pour moi, ça !

— Oui, c'est dangereux. Pour les êtres réels.


Zut, le géant a eu le temps de prendre l'étoile ! Il l'a dans ses mains, et est prêt à nous la jeter dessus !


— Vite ! Tirez !


Le poney part, très haut. Je lève les yeux au ciel : le nain géant a eu le temps de lancer l'étoile.


— Planquez-vous !


L'étoile fracasse le sol dans un vacarme terrible. Ahh, un éclat est rentré dans ma jambe ! Mais... Il en est ressorti... Sans laisser de blessure sur ma jambe ! Je regarde l'état du champ de bataille. Plusieurs centaines de poneys sont blessés. Certains sont mourants. Je crois qu'ils existent, maintenant. Je lève les yeux au ciel : Le nain géant agonise. Il me regarde avec des yeux pleins de colère. Puisant dans ce qui lui reste de force, il forme une boule. Une boule de vent. Et, mais... Il la jette sur moi !


...


...


— Tu entends les bruits qui viennent de là-bas ?

— Évidement !

— Je pense qu'il faut aller voir.

— Il vaut mieux alerter le maître, non ?

— Je sais ce qu'on va faire. Je vais aller voir, et toi, tu vas aller alerter le maître.

— Pas con ! Comme ça, quand le maître arrivera, tu pourras lui expliquer la situation !


...


...


Dans quel lieu est-ce que je me trouve encore ? Bon, il ne faut pas se plaindre, c'est cool. Je viens de gagner une bataille, alors autant découvrir d'autres endroits, qui risquent de m'impressionner autant. Mais quand même... Elle devait être puissante sa boule de vent, pour m'emporter aussi loin. Bon aller, on va dire que j'ouvre les yeux.


Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Des hu... des briques empilées, partout ! Et moi, empilé au milieu d'eux ! Ils ne bougent pas, et ont l'air inertes. Je me lève, et décide d'aller voir. En me faisant discret. Ce serait mieux si je ne me faisais pas repéré. Oh ! Des pierres vivantes qui construisent leurs maisons avec des briques. Enfin, je veux dire des hum... Zut, j'arrive pas à le dire.


— Que fais-tu là, toi ?

— Ah... Euh, ben, je traînais dans le coin, et...

— Bon, je pense que le chef doit décider de ce qu'il va faire de toi.


J'arrive devant le chef des pierres. Il me dévisage avec ses... Ah ben non, il n'a pas d'yeux...


— Comment se fait-il que tu ne sois pas avec les autres briques !

— Mais je ne suis pas une brique ! Je suis un hum... un hum... une briq... Ah !!!

— Eh eh, tu ne peux rien contre nous. Le mètre de ce monde nous a donné le pouvoir de dominer votre espèce !

— Comment ?

— Il a décidé que votre espèce est désormais un objet de construction que l'on appellera "brique", et que nous, les pierres, sommes désormais vivantes, et pourvues d'intelligence.

— Mais alors... Pourquoi suis-je encore conscient ?

Le mètre nous a prévenu : l'esprit de certains résistera peut-être un peu. Mais pas bien longtemps.

— Excusez-moi, mais normalement vous devriez dire "maître", et non pas "mètre".

— On s'en fout, la différence ne s'entend pas à l'oral !

Je suis une bri... Je suis une briq... Je suis un hu... Je suis un hum... Je suis un hum... ain...

— Pas la peine d'essayer de chuchoter, on t'entend. Je dois dire que j'admire la capacité de résistance de ton esprit. Mais cela est vain.

— Chef ! Le mètre du monde nous ordonne de tuer la brique qui pourrait résister à sa décision.

— Tu veux dire "les briques" ?

— Non, il a dit "la brique".

— Bon, on va devoir te tuer, brique !


Mon aventure s'arrête donc ici. Je vais mourir. Je reste cependant persuadé que tout cela valait le coup. Ici, je ne me suis pas ennuyé une seconde. Je pars sans regret.


Les vacances sont finies. Apportez une hache en brique taillée !

— Euh... Excusez-moi, mais...

— Mais quoi ?

— Comment savez-vous que je suis en vacances ?

— Ben... euh... C'est juste une expression pour dire que ton agréable petite vie de merde va prendre fin. En fait, le terme "vacances" représente un peu ce qui est agréab...

— Non, parce qu'en fait, je suis vraiment en vacances, là.

— Et bien, on n'a qu'à dire qu'il faut prendre l'expression au sens propre ! Bourreau, fais ton travail !

— Vous n'arriverez pas à me tuer...

— Ah oui ? Et pourquoi ?

— Parce que j'ai décidé que vous ne me tuerez pas.

— Encore faudrait-il que tu aies un pouvoir sur le destin, jeune insouciant !

— J'ai résisté à un individu...


En entendant cela, ils sursautèrent. Je vois la crainte monter en eux. Leur assurance s'est envolée d'un seul coup.


— Tu as bien dit un... individu ?

— C'est bien ce que j'ai dit !

— Il représente une grande menace ! Tuez-le tout-de-suite !


Le bourreau s'avance d'un pas rapide, prépare sa hache, et l'enfonce dans mon crâne.


— Pas de chance ! Je viens de décider que la hache est désormais inoffensive !

— Tuez-le ! Vite ! Ou il nous tuera !

— Je ne vous tuerai pas... Si vous m'emmenez au grand maître !

C'est "grand mètre" le nom original...

— Vous avez dit que c'est pareil !

— ...

— Alors, vous m'emmenez à lui ?

Jamais, plutôt mourir !


Une météorite s'abat d'un seul coup sur la pierre qui venait de prononcer cette phrase.


— Quelqu'un d'autre s'y oppose ?


...


...


Le voilà ! Le mètre de ce monde. Il porte bien son nom, vu qu'il est un mètre à ruban. Je suppose qu'il me regarde.


— Qui es-tu ?

— Cela importe peu.

— Qui es-tu ?

— Une briq... Un hum... Un humain !

— Je vois. Si tu es capable de dire ce mot, c'est que tu es celui qui résiste à mes pouvoirs !

— Il prétend avoir résisté à un individu, messire !

— Si cela est vrai, alors j'ai le privilège d'avoir un adversaire digne de moi.

— Pourquoi avez-vous pris cette décision sur les hum... les hum... ains...

— Tu as l'air d'avoir beaucoup de peine pour tes semblables, qui ne t'inspiraient que du dégoût dans le monde réel !

— D'une part, les hum... les bri... LES HUMAINS de ce monde sont moins sérieux que dans l'autre. D'autre part, je suis moi-même un hum...ain.

— C'est justement parce que tu es une brique que j'ai pris cette décision. Tu es devenu un danger pour moi.

— C'est-à-dire ?

— Tu commences à modeler ce monde selon tes envies. Je ne peux laisser en vie un être possédant ce pouvoir.

— Je décide que tu meurs !

— Tu ne me battras pas ainsi. Tu ne connais encore que peu de choses sur les combats de volonté !


Ah ! Un tronc tombé du ciel à une vitesse incroyable me cloue au sol. Mmh... Impossible de me relever. Une épée apparaît devant le mètre. Son ruban entoure l'épée, et d'un geste, il la fait se diriger vers ma tête. Sans réfléchir, je décide de disparaître.


Je réapparaîs 50 mètres plus loin. Je crois que j'ai compris le truc. Nous avons chacun une volonté trop forte pour être touché directement par les décisions de l'autre. Il faut donc modifier l'environnement autour de nous, et battre l'adversaire grâce à lui. Je fais donc apparaître une bombe géante à côté du mètre. Ce dernier plaça un mur surblindé autour de la bombe avant qu'elle n'explose.


Je vois. C'est un coriace ! Ce n'est pas pour rien qu'il est mètre du monde. Je crée deux enclumes géantes, et je les fais se déplacer pour écraser le mètre entre les deux. Et... Quoi, l'enclume se dirige vers moi ! Vite, il faut réagir ! Je crée, euh... un trampoline ! Je saute dessus, et cela me permet de faire un grand bond. L'enclume passe ainsi en dessous de moi.


— Belle défense ! Je n'y aurais pas pensé !


Je me retourne. Ah, le salaud ! Il avait placé un aimant gigantesque juste derrière moi ! Il faut que je fasse attention aux contre-attaques. Je regarde le mètre. Il a profité du peu de temps que lui a donné sa contre-attaque pour mettre en place deux tours qui me tirent dessus avec des mitrailleuses automatiques. J'imagine un mec de Carglass devant moi. Désolé pour les impacts, mec. Puis j'imagine un miroir rebondissant tout autour des tours. Oui, j'ai de l'imagination ! Les tours se mettent donc à s'autodétruire, en étant touchées par leurs propres balles. Mais où est passé le ruban ? On voit qu'il est un professionnel de ce genre de combat.


Mais... Ah ! Une épée me traverse le corps ! Il est juste derrière moi, le salaud ! Cependant, à l'image de l'éclat d'étoile, cela ne semble pas me causer de blessure.


— Tu résistes à cela ! Ton esprit est donc bien plus fort que ta corporalité ! Impressionnant !


Je me retourne. Il a disparu ! Il réapparaît 50 mètres plus loin. Il crée des pics ultras pointus dans la zone où je suis. J'esquive avec chance les pics qui s'élèvent autour de moi. Je crée une épée tranchante, et je tranche un pic, que je lance sur le mètre. Le mètre cesse ses pics pour créer une colline devant lui, dans laquelle le pic se plante.


Je me téléporte derrière la colline. Je me retrouve juste en face du mètre. Comment un objet si minuscule peut-il avoir tant de pouvoirs ? Je prends mon épée pour la planter sur lui. Elle est à 10 cm de lui. Elle le frôle. Je vais le transperc... Ah ! Voilà que je tombe dans un trou ! Je regarde sous mes pieds. Le salaud ! Il a créé un trou infini sous mes pieds ! Et je vois au-dessus de moi le vide qui commence à redevenir du sol.


— Tu as cédé à la facilité, en voulant planter ton épée sur moi. Ils font tous la même erreur, la première fois. Que l'on se batte pour une cause juste, ou que l'on cherche juste le pouvoir, c'est l'erreur à ne pas commettre. Tu t'es bêtement jeté dans la gueule du loup. Quand on affronte un grand esprit, il faut trouver un moyen, un plan auquel même ce grand esprit n'aurait jamais pensé. Cependant, je pense que tu n'étais pas loin de mon niveau. Tu avais déjà beaucoup appris par toi-même sur ce monde. D'ailleurs, ils sont rares, ceux qui me résistent aussi longtemps. Si je t'avais laissé encore un peu plus en vie, tu m'aurais peut-être égalé. Et je n'aurais plus mérité ma place.

— Merci, pour cette leçon, mètre !


Je me trouve derrière lui. Ça a été dur de sortir de là. J'ai déjà dû créer un hoverboard pour cesser ma chute. Ensuite, vu que le sol s'était reformé au-dessus de moi, et était soumis fortement au mètre, j'ai dû trouver un moyen pour sortir de là. J'ai créé un taupe gigantesque pour faire des galeries dans le sol. J'ai ensuite emprunté ces galeries pour remonter. Arrivé au-dessus, j'ai utilisé le hoverboard pour me placer derrière le mètre, sans bruit. Voilà toute l'histoire. Je prends mon épée pour le transpercer, mais il bouge au dernier moment, ce qui fait que je ne coupe que du ruban. Je vais lui mettre un deuxième coup, et... il a disparu... Je regarde le ruban coupé. Il mesure 50 cm.


— Désormais, vous n'êtes plus que le demi-mètre du monde !


...


...


Maître ! Maître !

— Je t'écoute !

— Il y a des explosions, ou des bombardements, vers...


Mon disciple fut interrompu par un bruit de chute. Il s'agit de trois de mes disciples, qui travaillaient dans la même pièce que moi, qui sont tombés à terre, en même temps. Ils sont désormais inertes. Je me tourne vers celui qui m'appelait. Il est à genoux, le regard vide.


— Résiste à ce maléfice ! Concentre-toi !

— C'est trop dur... Ça a l'air... d'être...

— C'est un maléfice puissant, sans doute. Qui affecte peut-être tout le monde. Résiste !

— Non... Je vais céder...

— Si tu le dis, c'est que tu n'as pas assez de force pour résister... Malheureusement...

— Les explosions...

— Vas-y, continue !

— Vers Forêt-sur-Coli...


Il tombe à terre en le disant. Il se retrouve pétrifié, sans souffle de vie. Bizarre... On dirait un objet. Quatre de mes disciples morts d'un coup, c'est un coup dur pour moi. Cela risque de mettre en péril la mission que je me suis fixé : Ramener les êtres du monde réel égarés ici dans leur monde. Cette mission n'est pas de tout repos. Il faut reconnaître les hum... les briques du monde réel, éparpillés au milieu des êtres illusoires que sont les briques de ce monde. Ah... Ah !!! J'ai l'impression étrange d'être affecté par une partie du maléfice. Bon, où en étais-je... Ah oui ! Après, il faut encore convaincre ces briques de nous suivre. Certains croient à un piège, ou sont proches de la folie. Ensuite, il faut les faire remonter par le portail qui les a amené. Souvent, celui-ci est dans le ciel. Les licor... Les licor... Les poneys domestiqués, à qui l'on a accordé l'existence, se chargent de les ramener dans ce portail, en volant. Cette mission est cruciale : Rester trop longtemps dans ce monde nous transforme peu à peu. On abandonne une part de notre réalité de plus en plus grande, au fur et à mesure du temps. Au bout d'un moment, cela devient irrévocable. On est obligé de les tuer, pour ne pas contaminer davantage ce monde... Ou pire, le monde réel. Pour les autres, le retour au monde réel efface la plupart des symptômes. Et, leur expérience étant pour la quasi-totalité négative, ils se gardent bien de retourner dans ce monde, ou d'y envoyer d'autres personnes.


Mais cette mission demande de prendre toutes les précautions nécessaires. Il faut que l'on passe au moins la moitié de notre temps dans le monde réel, pour être sûr de garder des séquelles minimes. C'est pour cela que j'ai besoin de mon équipe : il faut que l'on se relaye ! Ce projet a été fondé avec un ami, avec lequel j'étais coincé ici, mais avec qui j'ai aussi trouvé comment sortir, par hasard. En ce moment, son équipe est dans le monde réel. Et moi, mon équipe est morte. Cela me rend triste, non seulement à cause de la mission, mais aussi à cause de l'amitié que j'ai pour eux. La plupart sont des gens que l'on a sauvé, et se sont rendus compte par eux-mêmes de l'importance de notre combat. Ils m'appelaient maître, mais je n'en étais pas vraiment un. Au départ, ils m'appelaient comme ça pour se moquer de mon statut de chef, mais par la suite, c'est devenu mon surnom.


Que faire maintenant ? Retourner dans le monde réel ? Je ne vois que cette solution... A moins que... Le membre de mon équipe qui est mort à mes pieds semblait porteur, par son entrain, d'une nouvelle cruciale. Il a dit que c'était... un truc... Ah, je ne sais plus quoi... Il a dit que c'est vers Forêt-sur-C... Sur quoi, déjà ? Je ne sais plus non plus. Merde !! Putain !! Ah, mais j'y pense ! Il n'y a qu'un seul lieu qui porte ce nom ! C'est Forêt-sur-Coline ! Un lieu que l'on a nommé ainsi, car l'on y trouve que de la forêt et des... Enfin, je pense que vous avez deviné.


C'est décidé, je me rends là-bas ! Si cela a une importance cruciale, et que j'y vais à temps, il ne sera pas mort pour rien. C'est ce qu'il voudrait que je fasse. C'est peut être même là-bas qu'a été commis le maléfice.


Mais une pensée m'obsède. Est-ce là l'œuvre de l'élu de la prophétie ? C'est possible, et si c'est le cas, il faut quelqu'un pour l'arrêter. Vite, il faut que je me mette en route. Quoique... L'urgence de la situation peut peut-être justifier un recours à la téléportation. Je m'interdis habituellement de la pratiquer. D'une part, pour ne pas donner de mauvaises idées à mes disciples, d'autre part pour ne pas m'habituer à une pratique irréelle. Cela risquerait, si j'en abuse, de m'ôter une grande part de ma réalité. Mais cette fois fera exception à la règle.


J’atterris à l'entrée de ce lieu, dit Forêt-sur-Coline. Ce lieu n'a pas changé, depuis la dernière fois.


La brique qui vient d'arriver s'immobilise. Il tombe à terre. Des rats commencent à lui mordre les jambes !

— Ahhhhh !!!!!

— La brique se tait, ça fait mal aux oreilles, putain !


Ahh ! Je suis foutu ! Cet individu va me tuer à petit feu. Je ne connais pas de parade. Sauf une. Mais... Non, je ne dois pas l'utiliser !


— Les rats commencent à manger les jambes. D'autres commencent à arriver vers les bras.


Ah ! Cette douleur est insupportable ! Terrible ! Je crois que... je vais... Non... N'utilise pas cette solution ! L'autre fois, ça a mal tourné ! Mais... Ma survie est peut-être nécessaire, avec tous ces événements. Faut-il que je l'utilise ? Je me concentre pour le créer. Ah !!!! Cette torture est insupportable ! Je regarde : mon sang coule à flot de mes blessures ! Concentre-toi : Crée-le !


— Les rats, aux dents encore plus aiguisées qu'avant, commencent à manger les br... Ahhhhhhhhhhhhhh !


Voilà ! Je l'ai crée ! L'aspirateur d'esprit ! Il a aspiré cet individu d'un seul coup ! C'est là que les difficultés vont commencer ! Il faut impérativement que je ne laisse pas cette nouvelle créature vagabonder dans la nature. Cela m'est déjà arrivé, et a engendré de graves conséquences. On n'a pas réussi à compter son nombre de victimes, et on a mis des mois pour le retrouver et le vaincre. La tâche sera dure. Je suis désormais infirme des deux pieds, et vais tout de même devoir me battre.


L'aspirateur se braque sur moi. Je crée un cône de déviation autour de moi. Son onde d'aspiration fut donc déviée. Il faut à tout pris que je n'abuse pas de ce don de création, pour préserver ma réalité. Je dois le battre le plus vite possible.


L'aspirateur semble avoir compris ma technique. Il entre dans le cône de protection, en me fixant. Je crée devant moi, par réflexe, un éléphant. Cela l'occupera quelques instants. Je crée une boule de feu, et des éclairs, et je lui envoie tous ça dessus. Non ! Cela est dévié par le cône de protection. L'aspirateur me fixe, et commence à aspirer mon AHHHHHHH !


Ah, ça fait du bien quand ça s'arrête ! Je regarde l'aspirateur : il est complètement déglingué ! Sur sa carcasse se trouvent un tas de fleurs.


— Ah ! Cher peuple poney ! C'est un plaisir de vous voir !

— Mais vous ne devriez pas...

— ... vous voir ? Mais j'ai déjà vu plusieurs de vos semblables. Et je leur ai accordé l'existence.

— Cela est impossible ! L'assemblée a décrété que...

— L'assemblée a-t-elle prévue une sanction si l'on agit contre la loi ?

— Non... Mais elle a dit...

— L'assemblée a-t-elle dit qu'il fallait l'écouter ?

— Non, mais la loi dit que...

— Est-ce que la loi vous dit de respecter la loi ?


Et voilà ! J'ai parfaitement récité le discours aux poneys. Ce discours, que j'ai mis beaucoup de temps à mettre au point, est un condensé de contradiction qui retourne l'esprit de ces créatures. Il faut réussir à les convaincre du non-sens de l’inexistence, pour que leurs yeux s'ouvrent. Et cela n'est pas simple, quand on ne sait pas s'y prendre.


— Et donc, vous pouvez... nous faire exister ?

— Oui, bien sûr !

— Et... Le ferez-vous ?

— Bien entendu ! J'aimerais juste avoir une information. Qui vous a armé ainsi ?

— C'est la glorieuse brique qui s'inquiétait pour nous, et qui a repoussé les nains géants avec des fleurs.


Comment ! Repousser ces monstres avec des fleurs ! C'est absurde ! Et si c'était lui ? L'élu, qui doit ramener l'absurdité dans ce monde ?


— J'accepte de vous faire exister.

— Oui, oui ! Nous existons désormais !

— J'aimerais, si vous le permettez, savoir encore une chose ! Où est partie cette brique dont vous parlez ?.

— Dans cette direction. On peut vous y emmener.


...


...


Le poney atterrit vers un village. Horreur : Il y a plein de maisons... fabriquées en hum... en hum... en brique !! C'est ignoble ! C'est surement près d'ici qu'a eu lieu cette horreur contre mon espèce ! Mais ce village semble désert. Il n'y a du bruit que dans cette direction, là-bas. Ne pouvant marcher, je m'y rends à dos de poney. Je me rapproche. Ahhhhhh! Ce sont des pierres vivantes ! Ahhhhh! Elles m'ont entendu venir. Elles se tournent vers moi.


— Qui est-ce celui-là ?

— C'est une brique ! Il faut la tuer, c'est ce que le mètre voudrait.

— Oui, tuons-le !


Oula, face à tant de pierres, je n'aurais aucune chance. Je tente une menace, un peu au pif :


— Ne m'attaquez pas... sinon...

— Sinon quoi ?

— Une météorite va... ben... tomber... euh... sur vos têtes !


Bizarrement, ils semblèrent terrorisés suite à ma menace. Je tente donc d'en savoir un peu plus.


— Je ne vous tuerai pas si vous acceptez de me renseigner.

— Oui, messire. Que voulez-vous savoir, messire ?

— Quel est l'objet de cette cohue ?

— Le mètre de ce monde affronte une brique, qui aurait battu un individu.


Le poney me regarde, et dit :


— Il s'agit peut-être de la brique dont on vous a parlé. Avec nous, il a battu un individu.


Je vois. Le mètre du monde a beau être despotique, il ne nous a jamais causé de gêne dans nos missions. En plus, s'il s'en prend à cet enfoiré d'élu de l'absurdité, il mérite tout notre respect. Je hais cet élu !


— La brique se bat contre le mètre, car ce dernier a transformé son espèce en objets. Voilà, vous savez tout, messire.


Je hais ce mètre du monde ! Il a châtié tout un peuple à cause d'un seul être qu'il n'aimait pas ! C'est lui, le responsable de la mort de mes coéquipiers ! Et cette brique dont parle les poneys mérite notre admiration pour oser s'élever contre l'injustice. Je vais aller l'aider de ce pas.


Je m'avance un peu. Ce spectacle est époustouflant. Le mètre du monde est en train de se mesurer à... à... Mais je l'ai déjà vu, lui ! C'est la brique que j'avais vu se diriger vers la forêt. Il m'avait tout de suite intrigué. Je lui avais demandé si tout allait bien, il m'avait répondu "Oui, tout va on ne peut plus bien". J'en avais conclu qu'il n'était pas du monde réel, car un être du monde réel ne peut se sentir bien dans ce monde. Du moins, je n'en ai pas encore vu dont c'est le cas.


En tout cas, ce combat est époustouflant ! La brique vole dans le ciel sur un hoverboard. Il est en train de bombarder le mètre avec des nuages. Celui-ci se défend tant bien que mal en inversant le ciel et le sol. La brique s'envole haut, haut, haut... jusqu'à ce que cela reboucle sur le bas. Il fait trébucher le mètre, à terre. Il est au-dessus de lui. Il peut l'achever. Mais... mais que vois-je ! Le mètre, dans son dos, cache un moustique. Il a surement enfermé en lui le symptôme de dislocation d'esprit ! L'ancien pouvoir en place l'avait utilisé sous mes yeux pendant que j'étais bloqué dans ce monde, avant que le mètre ne prenne leur place. Le moustique s'envole ! Vite ! Je provoque une explosion insecticide ! Les deux adversaires se font projeter en arrière, de par sa puissance.


Je fais courir le poney qui me porte vers le mètre. Je provoque une réduction des longueurs dans son périmètre. Il devient minuscule. Il ne fera plus de mal à perso... Aïe ! Ouille ! C'était une mauvaise idée ! Il est devenu si petit que je ne peux plus le voir, et donc, je ne peux plus esquiver ses attaques ! Il me fait tomber à terre. Il se ragrandit, et entoure ma gorge de son ruban. Il esquive l'orage interne que lui a lancé la brique en m'utilisant comme paratonnerre. Je suis KO.


— Vous voyez, vous n'arrivez pas à me battre en étant à deux contre un ! Toute résistance est vaine !


KO, je ne peux qu'assister en tant que spectateur à moitié conscient au combat. La brique est face au mètre. Elle ne bouge pas. Le mètre crée trois êtres qui lui sont semblables. L'un s'empare d'une cheville de la brique, un autre d'un bras, un autre de son cou. La brique ne bouge pas.


— Que fais-tu ? Tu abandonnes ?


Il crée des pics volants qui se plantent un à un dans son corps.


— Alors, on ne fait rien ?


Le voyant faiblir, il utilise un pouvoir directement sur lui. Il le disloque entièrement. La tête part d'un côté, le bras d'un autre, et de même pour le reste.


— Ton comportement est absurde, jeune brique ! On n'abandonne pas en si bon chemin !

— Mon comportement est conforme à ce que tu m'as dit. J'ai fait ce que tu n'aurais jamais pensé que je fasse.

— Regarde toi ! Tu n'es plus qu'une tête qui parle dans le vide. D'ailleurs, tu vas bientôt le rejoindre.

— Je vois que tu es tombé dans le piège. Tu n'as même pas encore songé à ce que j'ai fait.


Alors que le mètre était en train de s'avancer vers lui pour lui mettre un coup d'épée dans la tête, un grand mouvement venu de toutes les directions se jette sur le mètre, et le fait disparaître dans un grand éclat lumineux. Le corps de la brique se reforme à l'endroit où le mètre a péri.


...


...


Nous sommes chez moi. La brique qui a battu le mètre est venu chercher mon corps à la fin de la bataille, et je lui ai demandé de me ramener chez moi. Une fois arrivés, il décida de me guérir.


— J'aimerais savoir... Comment avez-vous vaincu le mètre ?

— J'ai décidé que mon esprit serait présent en tout point de l'espace. Ensuite, j'ai fait se ruer sur le mètre l'espace lui-même.

— Ingénieux...

— Merci... C'est vrai que c'est quand même plus badasse que l'idée du trampoline.

— Quoi ?

— Ah oui, vous n'étiez pas là, à ce moment précis.

— J'ai une question qui me vient à l'esprit : Préférez-vous ce monde, ou le monde réel ?

— Ce monde, cela ne fait aucun doute.

— Mais qu'aimez-vous dans ce monde ?

— Tout : La surprise, l'étonnement, la beauté, ... Et le manque de sérieux.

— Vous savez, je crois que vous êtes la première brique que je croise qui aime ce monde.

— Ah bon ? Je ne vois aucune raison de ne pas l'aimer !

— Je comprends qu'au début, on puisse aimer ce monde. Mais vous devez savoir que celui-ci nous transforme petit à petit.

— C'est-à-dire ?

— L'essence de ce monde entre peu à peu en nous, elle prend de plus en plus de place dans notre esprit, jusqu'à un moment où elle déloge l'esprit.

— Cool ! Cela veut dire que l'on est alors totalement en phase avec ce monde !

— Non... Cela veut dire que l'on n'a plus conscience de soi, et que notre corps qui se déplace n'est plus animé par notre esprit !

— Ah, merde... On ne peut plus profiter de ce monde, quand on est dans cet état, du coup !

— Oui, en effet. Dans ce cas, nous sommes totalement détruits de l'intérieur. Après cela, nous n’existons plus.

— Nous n'existons plus... Dans le sens où on devient comme les poneys ?


Ah... Il est coriace. Il va falloir que je fasse monter en lui la peur, pour qu'il accepte de partir de ce monde. Pfff, c'est difficile d'expliquer la notion d'existence dans ce monde, qui est pleine d’ambiguïté.


— Non ! On disparaît complètement de ce monde. Pas comme les poneys, qui eux n'existent pas, mais sont quand même là.

— Et donc, que préconisez-vous ?

— Le seul moyen, à ma connaissance, est de quitter ce monde.

— Désolé, mais je préfère mourir que quitter cet endroit. Je me sens tellement bien, ici...

— Vous savez, je pense que l'on peut comparer votre cas aux vacances. Lorsque l'on est en vacances, on y est bien, on se sent bien mieux dans son corps,... Bref, on voudrait qu'elles s'éternisent.

— ...

— Mais au fond, ce qui fait l'intérêt des vacances, c'est la rupture qu'elles nous offrent avec le quotidien. C'est ça, l’intérêt des vacances !

— ...

— Mais si les vacances deviennent notre quotidien, on s'en lassera, on ne s'en satisfera plus. On cherchera autre chose pour s'évader, et on regrettera peut-être même le quotidien.

— Mais comment savez-vous que je suis en vacances ?


Hein ! Euh... Il vient de dire qu'il est en vacances ? Il aime ce monde autant que ça ! Bon, je crois que je vais devoir lui faire une concession. Mais je dois le préparer pour qu'il l’accepte.


— C'est le choix que vous devez faire maintenant qui montrera si vous êtes en vacances. Si vous voulez rester, alors vous n'êtes que dans votre quotidien.

— Mais... C'est que je ne me vois pas abandonner ce monde pour retourner dans le monde réel !

— J'ai une chose à vous proposer. Je pense que vu votre cas, c'est la meilleure chose à faire.

— Quelle est cette proposition ?

— Je vous propose de vivre comme moi. Il s'agit de vivre la moitié du temps ici, et l'autre moitié dans le monde réel. La vie dans le monde réel permettra à votre esprit de se remettre de ce passage dans l'autre monde.

— ...

— Il s'agit du moyen qui vous permettra de profiter de ce monde le plus longtemps possible.

— Si tel est le cas, alors vous devez avoir raison.


J'ai réussi ! On sort tous les deux. Je vais chercher un poney. Je le fais monter sur son dos.


— Dans quel lieu vous êtes-vous retrouvé, lors de votre arrivée dans ce monde ?

— Ben, je ne m'en rappelle plus trop...

— Il faut vous en rappeler ! C'est essentiel !

— Je me rappelle juste qu'il y avait deux gens qui parlaient.

— Mouais, cela ne nous avance p...

— Ils parlaient d'une certaine Pétule, je crois.


Pétule ! C'est le nom de la copine d'un de mes anciens coéquipiers ! Il était tombé amoureux d'une femme d'ici, et refusait de rentrer. Son inséparable copain a voulu rester avec lui. Ils ont donc peu à peu sombré dans la folie et l'absurdité. Ils se sont mis à vagabonder dans un coin, que je ne fréquente guère, mais dont je connais la localisation. Je sais qu'ils avaient parfois quelques moments de lucidité, comme si leurs esprits essayaient de se rebeller, de reprendre leur place. Mais cela était souvent de courte durée. Notre politique est normalement de tuer les briques qui ont ainsi sombré, pour ne pas rendre ce monde encore plus absurde. Mais eux, je n'ai pas osé les tuer.


D'ailleurs, même si je ne l'ai jamais dit à personne, je pense que ce monde n'est pas absurde. Du moins pas à 100%. Il est un mélange d'absurdités et de réalité. Voir, entendre, parler... Tout cela n'est pas absurde. Heureusement d'ailleurs, sinon, ceux qui viendraient ici ne pourraient en ressortir indemnes psychologiquement. Ils ne pourraient peut-être même pas ressortir tout court. C'est pour cela que la prophétie m'a vraiment inquiété. "Voici l'élu qui arrive. Il vient pour faire revenir l'absurdité dans ce monde". C'est pour cela qu'il est crucial que je fasse sortir cette brique d'ici. Son attachement à ce monde me ferait presque croire qu'il est l'élu.


— Du coup, vu qu'on ne sait pas où c'est, je ne peux pas sortir ?

— Si ! Car je sais où c'est.


Je susurre à l'oreille du poney le lieu où il doit se rendre. Et je lui dis aussi :


— Surtout, amène-le là-bas, même s'il te supplie de ne pas l'y emmener.


Je regarde la brique. Il semble être en train de réfléchir.


— Voilà ce qui va arriver : Le poney va te faire passer par le portail, et te ramener dans le monde réel.

— OK...

— Tu y resteras pendant trois mois. Une fois ce délai écoulé, tu reprendras à nouveau le portail que tu as pris dans le monde réel, si tu le souhaites.

— Oui...

— Et au bout de trois mois passés dans ce monde, tu retourneras dans le monde réel, et ainsi de suite.

— Ça roule !


Je fais signe au poney de s'envoler. Discrètement, je crée une ceinture invisible incassable qui passe autour de son corps et de celui du poney, pour éviter qu'il ne tombe, ou qu'il ne saute de lui-même. Bon, il faut que je les suive de loin : J'ai beau lui avoir promis qu'il pourrait revenir, ce serait trop dangereux. C'était malheureusement le seul moyen de le convaincre. Je vais essayer d'être le plus tôt possible sur place, pour détruire ce portail dès qu'il sera entré dedans.


...


...


Je réfléchis à ce qu'il vient de se passer. Il m'a convaincu de quitter ce monde. Je ne pensais pas que j'aurais été capable d'accepter. Je pense même que je n'aurais pas accepter s'il n'avait pas parlé de vacances. Je me remémore soudain ce que m'a dit la pierre : "Les vacances sont finies". Je croie que la possibilité que tout finisse un jour, comme il l'a dit, m'a terrifié. J'aurais presque accepté n'importe quoi, dans la panique. Mais à bien y réfléchir, je n'ai pas envie de rester trois mois dans le monde réel. Franchement, je préfère encore vivre deux fois moins longtemps en restant ici. Au moins, ma vie sera passionnante !


— On arrive vers le portail !


Voilà, je vais passer de l'autre côté. Je vais retrouver ma vie chiante, des gens trop sérieux, et mon travail. Non ! Je ne veux pas retourner au travail ! Pas après ces vacances ! Non ! Il... Il faut que je reste !


— Arrête d'aller là-bas, poney ! Fais demi-tour !


Il ne dit rien.


— Je t'en supplie, ramène-moi à terre !

— Désolé, mais je ne peux aller contre les ordres que l'on m'a dicté.


Non !! Je ne veux pas y aller. Pitié ! Je... Je vais sauter ! Mais... Ahhhh ! Je ne peux pas ! Bordel de merde ! Apeuré, je regarde en face de moi. On est juste devant le portail.


...


...


Ce vice-PDG est un salaud ! Une ordure ! Un moins que rien ! Non mais vous avez vu comment qu'il a parlé de mon frère ! C'est intolérable ! Le problème, c'est que je n'arrive pas à oublier ce qu'il m'a dit. "Comment a-t-il fait pour avoir cet accident ?". Il ose parler ainsi d'un homme qui est dans un tel état ! Le respect est une notion qui se perd, chez certains ! "Vous devriez avoir honte de lui !". "Il a surement fait exprès de foutre sa putain de tête dans l'eau des chiottes !". "Réfléchissez-y, Tom !". Ahhh ! J'ai beau me dire que ce sont des conneries, son avis me ferait presque douter !


Je crois que... Je crois qu'il faut que j'aille vérifier. Que j'aille vers ces toilettes, lieu du drame. Je ne sais pas ce que cela va pouvoir m'apporter. J'espère y trouver un indice. Ou, en me rappelant de mes souvenirs, essayer de visualiser une chute qui aurait pu l’amener dans cette position. Je... Je dois pouvoir continuer à croire que ce connard de vice-PDG a tort, et que mon frère n'est pas un fou, comme il le prétend.


Après un trajet en voiture, j'arrive devant son appartement. Fort heureusement, je possède un double de ses clés. Il faut dire qu'il me faisait confiance ! J'avance, pas à pas, vers les toilettes. J'ouvre la porte. Je ne peux retenir une larme en les voyant. Mais maintenant, je me retrouve comme un con, ne sachant que faire.


Je me visualise la position dans laquelle je l'ai retrouvé. Ainsi que la peur qui m'a envahi à ce moment. J'ai bien cru que j'allais le perdre à jamais. Et même si certains pensent que son cas est sans espoir, je suis persuadé qu'il va s'en sortir.


Ma réflexion nostalgique fut interrompue par un léger bruit venant de la cuvette. Je m'avance. Il y a des petites vaguelettes qui se forment dans l'eau. C'est surprenant. Et si c'était cela que mon frère avait voulu regarder ? Je continue à regarder cette eau, en continuant à penser.


Mais... C'est... C'est mon frère qui... Je vois mon frère dans l'eau ! Il a l'air de se rapprocher de moi. Il est sur une espèce de licorne. Comment se... fait-il que je voie cela ? Je ne peux cependant pas ôter mon regard de son visage. Il est encore un peu flou. Je veux voir son visage. Ah ! Ça y est ! Je vois son visage ! Bizarre, on dirait qu'il reflète de la crainte.


Et... Mais... Qu'est-ce qui m'arrive ? Je vois un tunnel. J'entre dedans. Quelle étrange impression. Et... Oh, je viens de percuter mon frère, qui est sur le dos d'un pon... d'un pon... d'une licorne ! Je les déséquilibre, et les entraîne dans ma chute. Le sol se rapproche de plus en plus.




À suivre...



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